Introduction aux grands principes/2

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Introduction aux grands principes
Introduction aux grands principes, ou Réception d’un philosophe, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierŒuvres complètes de Diderot, volume II (p. 80-88).


LE PROSÉLYTE
RÉPONDANT PAR LUI-MÊME



UN SAGE, LE PROSÉLYTE, LE PARRAIN.


le sage.

Que nous présentez-vous ?

le parrain

Un jeune homme de bonne foi, qui cherche la vérité.

le sage.

Est-il instruit ?

le parrain

Il se pique d’ignorer bien des choses que les autres croient savoir.

le sage.

Est-il marié ?

le parrain

Non, mais il espère l’être. Il regarde le célibat comme un attentat contre la nature, et le mariage comme une dette que chacun doit payer à la société.

le sage.

De quelle nation est-il ?

le parrain

Du pays où les enfants jettent des pierres à leurs maîtres[1].

le sage.

De quelle religion ?

le parrain.

Il suit celle qu’il a trouvée écrite au fond de son cœur ; celle qui rend à l’Être suprême l’hommage le plus pur et le plus digne de lui ; celle qui n’a pas son existence dans certains temps et dans certains lieux, mais qui est de tous les temps et de tous les lieux ; celle qui a guidé les Socrate et les Aristide ; celle qui durera jusqu’à la fin des temps, parce que le code en est gravé dans le cœur humain, tandis que les autres ne feront que passer comme toutes les institutions humaines, que le torrent des siècles emmène et emporte avec lui.

le sage.

Jeune homme, que croyez-vous ?

le prosélyte.

Tout ce qui est prouvé, mais non pas au même degré. Il y a des preuves de différents ordres qui emportent chacune un différent degré de croyance. La preuve physique et mathématique doit passer avant la preuve morale, comme celle-ci doit l’emporter sur la preuve historique. Écartez-vous de là, vous n’êtes plus sûr de rien ; et c’est du renversement de cet ordre que sont nées toutes les erreurs qui couvrent la terre. C’est la préférence qu’on a donnée à la preuve historique sur les autres, qui a donné cours à toutes les fausses religions[2]. Une fois qu’il a été reçu que le témoignage des hommes devait prévaloir sur le témoignage de la raison, la porte a été ouverte à toutes les absurdités ; et l’autorité, substituée partout aux principes les plus évidents, a fait de l’univers entier une école de mensonge. le sage.

Croyez-vous au témoignage des hommes ?

le prosélyte.

Oui, lorsque je les connais éclairés et de bonne foi ; mais il y a tant de fourbes et d’ignorants !

le sage.

Croyez-vous au témoignage de Dieu ?

le prosélyte.

Au témoignage de Dieu ? Est-ce que Dieu parle ? Je croyais que Dieu ne parlait que par ses ouvrages, par les cieux, par la terre, par le moucheron comme par l’éléphant ; et voilà le langage auquel je reconnais la Divinité. Mais Dieu a-t-il jamais parlé autrement ?

le sage.

Oui, il a parlé à ses favoris.

le prosélyte.

À qui ? Est-ce à Zoroastre ? est-ce à Noé ? est-ce à Moïse ? est-ce à Mahomet ? Ils sont une foule qui se vantent que Dieu leur a parlé. Ce qu’il y a de triste, c’est qu’il leur a tenu à tous un langage différent. Lequel croire ! Imposteurs ! pourquoi cherchez-vous à me séduire ? Qu’ai-je à faire de vos prétendues révélations ? N’ai-je pas assez de la voix de ma conscience ? C’est là que Dieu me parle bien plus sûrement que par votre bouche ; qu’il parle uniformément à tous les hommes, au sauvage comme au philosophe, au Lapon comme à l’Iroquois. Vos dogmes trompeurs se succèdent et se détruisent les uns les autres ; la voix de la conscience est toujours et partout la même : ne venez pas, par vos fausses doctrines, obscurcir cette lumière divine. Croyez-vous que si Dieu voulait m’apprendre quelque chose de plus que ce qu’il a gravé lui-même dans mon âme, il irait se servir de vous ? N’est-ce pas lui qui me fait respirer, qui me fait penser ? A-t-il besoin d’organes pour me faire connaître sa volonté ? Allez loin de moi, et craignez que ce Dieu, dont vous osez vous dire les interprètes, ne vous punisse d’avoir emprunté son nom pour me tromper.

le sage.

Croyez-vous en Dieu ?

le prosélyte.

J’ai répondu d’avance à cette question.

le sage.

Croyez-vous qu’il exige quelque chose des hommes ?

le prosélyte.

Ce qu’il exige, il ne le leur fera pas dire par d’autres.

le sage.

Croyez-vous qu’il demande un culte ?

le prosélyte

Faible mortel ! quel besoin la Divinité pourrait-elle avoir de les hommages ? Penses-tu que tu puisses ajouter quelque chose à son bonheur, à sa gloire ? Honore-toi toi-même en l’élevant à l’auteur de ton être ; mais tu ne peux rien pour lui ; il est trop au-dessus de ton néant. Songe surtout que si quelque culte pouvait lui plaire, ce serait celui du cœur. Mais qu’importe de quelle manière tu lui exprimes les sentiments ? Ne les lit-il pas dans ton âme ? Qu’importe dans quelle attitude, quel langage, quels vêtements tu lui adresses tes prières ? Est-il comme ces rois de la terre, qui ne reçoivent les demandes de leurs sujets qu’avec de certaines formalités ? Garde-toi de rabaisser l’Être éternel à tes petitesses. Songe que s’il était un culte qui fût seul agréable à ses yeux, il l’aurait fait connaître à toute la terre ; qu’il reçoit avec la même bonté les vœux du musulman, du catholique et de l’Indien ; du sauvage qui lui adresse ses cris dans le fond des forêts, comme du pontife qui le prie sous la tiare.

le sage.

Croyez-vous à la révélation ?

le prosélyte

Il y a autant de révélations sur la terre qu’il y a de religions[3]. Partout les hommes ont cherché à appuyer leurs imaginations de l’autorité du ciel. Chaque révélation se prétend fondée sur des preuves incontestables. Chacune dit avoir l’évidence pour soi. J’examine, je les vois toutes se contredire les unes les autres, et toutes contredire la raison ; je vois partout des amas d’absurdités qui me font pitié pour la faiblesse de l’esprit humain ; et je me dis : À quoi sert de tromper les hommes ? Pourquoi ajouter des fictions ridicules aux vérités éternelles que Dieu nous enseigne par notre raison ? Ne voit-on pas qu’on les décrédite par cet indigne alliage ; et que, pour ne pouvoir tout croire, on en vient enfin à ne croire plus rien ? Pourquoi ne pas s’en tenir à ces notions primitives et évidentes qui se trouvent gravées dans le cœur de tous les hommes ? Une religion fondée sur ces notions simples ne trouverait point d’incrédules ; elle ne ferait qu’un seul peuple de tous les hommes ; elle ne couvrirait pas la terre de sang dans des temps d’ignorance, et ne serait pas un fantôme méprisé dans les siècles éclairés. Mais ce ne sont pas des philosophes qui ont fait les religions ; elles sont l’ouvrage d’ignorants enthousiastes, ou d’égoïstes ambitieux.

le sage.

Croyez-vous aux histoires qui rapportent la révélation ?

le prosélyte

Pas plus qu’à Hérodote ou à Tite-Live, lorsqu’ils me racontent des miracles.

le sage.

Croyez-vous aux témoignages dont on l’appuie ?

le prosélyte

J’admets pour un moment l’authenticité de ces témoignages : quelle force auront-ils contre les notions les plus claires et les plus évidentes ?

le sage.

Que croyez-vous de l’âme ?

le prosélyte

Je ne parle pas de ce que je ne puis connaître.

le sage.

De son immortalité ?

le prosélyte

Ne connaissant pas son essence, comment puis-je savoir si elle est immortelle ? Je sais que j’ai commencé, ne dois-je pas présumer de même que je finirai ? Cependant l’image du néant me fait frémir ; j’élève mon esprit à l’Être suprême, et je lui dis : Grand Dieu, toi qui m’as donné le bonheur de te connaître, ne me l’as-tu accordé que pour en jouir pendant quelques jours passagers ? Vais-je être replongé dans cet horrible gouffre du néant, où je suis resté enseveli depuis la naissance de l’éternité jusqu’au moment où ta bonté m’en a tiré ? Si tu pouvais te rendre sensible au sort d’un être qui est l’ouvrage de tes mains, n’éteins pas le flambeau de la vie que tu m’as donnée ; après avoir admiré tes merveilleux ouvrages dans ce monde, fais que dans un autre je puisse être ravi dans la contemplation de leur auteur.

le sage.

Que croyez-vous de l’origine du mal ?

le prosélyte.

Je ne dirai pas avec Pope que tout est bien. Le mal existe ; et il est une suite nécessaire des lois générales de la nature[4], et non l’effet d’une ridicule pomme. Pour que le mal ne fût pas, il faudrait que ces lois fussent différentes. Je dirai de plus que j’ai fait plusieurs fois mon possible pour concevoir un monde sans mal, et que je n’ai jamais pu y parvenir[5].

le sage.

Quels sont, à votre avis. les devoirs de l’homme ?

le prosélyte.

De se rendre heureux. D’où dérive la nécessité de contribuer au bonheur des autres, ou, en d’autres termes, d’être vertueux.

le sage.

Que croyez-vous du juste et de l’injuste ?

le prosélyte.

La justice est la fidélité à tenir les conventions établies. La justice ne peut consister en telles ou telles actions déterminées, puisque les actions auxquelles on donne le nom de justes, varient selon les pays ; et que ce qui est juste dans l’un, est injuste dans l’autre. La justice ne peut donc être autre chose que l’observation des lois.

le sage.

Que croyez-vous des peines et des récompenses éternelles ?

le prosélyte.

Peines éternelles ? Dieu clément !

le sage.

Croyez-vous que l’espérance des biens futurs ne vaut pas le moindre des plaisirs présents ?

le prosélyte.

L’espérance, qu’elle soit bien ou mal fondée, est toujours un bien réel ; et un dévot musulman, dans l’espérance des célestes houris qu’il ne possédera jamais, peut avoir plus de plaisir qu’un sultan dans la jouissance de tout son sérail.

le sage.

Croyez-vous que la charité bien ordonnée est de faire son bien à quelque prix que ce puisse être ?

le prosélyte.

Je crois que c’est l’opinion de ceux qui, sous le prétexte de leur salut, désertent la société à laquelle ils devraient tous leurs services, et qui, pour gagner le ciel, se rendent inutiles à la terre.

le sage.

Renoncez-vous au fanatisme de la continence[6], de la pénitence et de la mortification ?

le prosélyte.

Oh ! de tout mon cœur.

le sage.

Renoncez-vous à la bassesse de l’humilité et du pardon des offenses ?

le prosélyte.

L’humilité est mensonge ; où est celui qui se méprise lui-même ? Et si cet homme existe, malheur à lui ! Il faut s’estimer pour être estimable. Quant au pardon des offenses, il est d’une grande âme ; et c’était une vertu morale avant d’être une vertu chrétienne.

le sage.

Renoncez-vous à la pauvreté, aux afflictions, aux souffrances ?

le prosélyte.

Je voudrais bien qu’il dépendît de moi d’y renoncer.

le sage.

Promettez-vous de reconnaître la raison pour souverain arbitre de ce qu’a pu ou dû faire l’Être suprême.

le prosélyte.

Dieu peut tout, sans doute, quoique cependant il ne soit pas en son pouvoir de changer les essences[7] ; mais il ne s’ensuit pas de là que Dieu a fait tout ce qu’il a pu faire. Dieu a-t-il fait réellement ce que vous lui attribuez ? Voilà ce que la raison a droit d’examiner ; et, lorsqu’on nie certaines choses, ce n’est pas à la puissance de Dieu, c’est au témoignage des hommes qu’on refuse de croire.

le sage.

Promettez-vous de reconnaître l’infaillibilité des sens[8] ?

le prosélyte

Oui, lorsqu’ils ne seront pas contredits par la raison.

le sage

Promettez-vous de suivre fidèlement la voix de la nature et des passions ?

le prosélyte

Que nous dit cette voix ? de nous rendre heureux. Doit-on et peut-on lui résister ? Non ; l’homme le plus vertueux et le plus corrompu lui obéissent également. Il est vrai qu’elle leur parle un langage bien différent ; mais que tous les hommes soient éclairés ; et elle leur parlera à tous le langage de la vertu[9].



  1. Il n’y a guère que deux pays en Europe où l’on cultive la philosophie, en France et en Angleterre. En Angleterre, les philosophes sont honorés, respectés, montent aux charges, sont enterrés avec les rois. Voit-on que l’Angleterre s’en trouve plus mal pour cela ? En France, on les décrète, on les bannit, on les persécute, on les accable de mandements, de satires, de libelles. Ce sont eux cependant qui nous éclairent et qui soutiennent l’honneur de la nation. N’ai-je pas raison de dire que les Français sont des enfants, qui jettent des pierres à leurs maîtres ? (Diderot.)
  2. Toutes les religions positives sont fondées sur la preuve historique. (Diderot.)
  3. Il faut excepter la religion du sage Confucius ; et cet exemple seul doit suffire pour détromper ceux qui croient que l’erreur est nécessaire pour gouverner les hommes. Point de miracles, point d’inspirations, point de merveilleux dans cette religion ; et cependant y a-t-il un peuple sur la terre mieux gouverné que le peuple de la Chine ? ({{|Diderot}}.) — Cette croyance, fondée sur les récits des missionnaires, était générale au xviiie siècle.
  4. J’ai vu de savants systèmes, j’ai vu de gros livres écrits sur l’origine du mal ; et je n’ai vu que des rêveries. Le mal tient au bien même ; on ne pourrait ôter l’un sans l’autre ; et ils ont tous les deux leur source dans les mêmes causes. C’est des lois données à la matière, lesquelles entretiennent le mouvement et la vie dans l’univers, que dérivent les désordres physiques, les volcans, les tremblements de terre, les tempêtes, etc. C’est de la sensibilité, source de tous nos plaisirs, que résulte la douleur. Quant au mal moral, qui n’est autre chose que le vice ou la préférence de soi aux autres, il est un effet nécessaire de cet amour-propre, si essentiel à notre conservation, et contre lequel de faux raisonneurs ont tant déclamé. Pour qu’il n’y ait point de vices sur la terre, c’est aux législateurs à faire que les hommes n’y trouvent aucun intérêt. (Diderot.)
  5. Je ne sais s’il peut y avoir un système où tout serait bien ; mais je sais bien qu’il est impossible de le concevoir. Ôtez la faim et la soif aux animaux, qu’est-ce qui les avertira de pourvoir à leurs besoins ? Ôtez-leur la douleur, qu’est-ce qui les préviendra sur ce qui menace leur vie ? À l’égard de l’homme, toutes ses passions, comme l’a démontré un philosophe de nos jours *, ne sont que le développement de la sensibilité physique. Pour faire que l’homme soit sans passions, il n’y a pas d’autre moyen que de le rendre automate. Pope a très-bien prouvé, d’après Leibnitz, que le monde ne saurait être que ce qu’il est ; mais lorsqu’il en a conclu que tout est bien, il a dit une absurdité ; il devait se contenter de dire que tout est nécessaire. (Diderot.)

    * Condillac.

  6. Il faut avoir soin de distinguer la chasteté de la continence. La continence est un vice, puisqu’elle va contre les intentions de la nature ; la chasteté est l’abstinence des plaisirs de l’amour, hors des cas légitimes. (Diderot.)
  7. D’après ce principe, reconnu dans les écoles sans être entendu, Dieu ne peut pas faire que la partie soit plus grande que le tout ; que trois ne fassent qu’un ; parce qu’il est de l’essence de la partie d’être plus petite que le tout, et de l’essence de trois de faire trois. L’un ou l’autre lui est aussi impossible que de faire un bâton sans deux bouts, ou un triangle sans trois côtés. (Diderot.)
  8. Les détracteurs des sens ne voient pas qu’en récusant leur témoignage, ils renversent les dogmes même qu’ils veulent établir. Car sur quoi est fondée la vérité de ces dogmes ? Vous me répondez que c’est sur la parole de Dieu. Mais qui vous a dit que ceux qui ont cru entendre cette parole n’ont pas été trompés par leurs sens ? Qui vous a dit que vos sens ne vous ont pas trompés aussi, lorsque vous avez cru apprendre cette parole de leur bouche ? Dans quoi cas faut-il rejeter leur autorité ? Dans quel cas faut-il l’admettre ? Je suppose que Dieu vienne me révéler lui-même les mystères, et me dire que du pain n’est pas du pain ; pourquoi, dans ce cas-là, m’en rapporterais-je plutôt à mon oreille qu’à mes yeux, à mes mains, à mon palais, à mon odorat, qui m’assurent le contraire ? Pourquoi ne me tromperais-je pas aussi bien en croyant entendre certaines paroles, qu’en croyant voir, toucher, sentir, goûter du pain ? N’y a-t-il pas, au contraire, quatre à parier contre un, que c’est mon oreille qui me trompe ; et dans cette contradiction de mes sens entre eux, ne dois-je pas, selon les règles de la raison, déférer au rapport du plus grand nombre ? qu’on argumente, qu’on subtilise tant qu’on voudra, je défie de répondre à cette objection d’une manière à satisfaire un homme de bon sens. D’ailleurs, j’ai supposé Dieu me parlant par lui-même ; que sera-ce lorsque sa parole ne me sera transmise qu’à travers une longue succession d’hommes ignorants ou menteurs, et que l’incertitude historique viendra se joindre aux autres difficultés ? (Diderot.)
  9. On a tort de s’en prendre aux passions des crimes des hommes ; c’est leurs faux jugements qu’il faut en accuser. Les passions nous inspirent toujours bien, puisqu’elles ne nous inspirent que le désir du bonheur ; c’est l’esprit qui nous conduit mal, et qui nous fait prendre de fausses routes pour y parvenir. Ainsi nous ne sommes criminels que parce que nous jugeons mal ; et c’est la raison, et non la nature qui nous trompe. Mais, me dira-t-on, l’expérience est contraire à votre opinion ; et nous voyons que les personnes les plus éclairées sont souvent les plus vicieuses. Je réponds que ces personnes sont en effet très-ignorantes sur leur bonheur ; et là-dessus, je m’en rapporte à leur cœur : s’il est un seul homme sur la terre qui n’ait pas eu sujet de se repentir d’une mauvaise action par lui commise, qu’il me démente dans le fond de son âme. Eh ! que serait la morale, s’il en était autrement ? Que serait la vertu ? On serait insensé de la suivre, si elle nous éloignait de la route du bonheur ; et il faudrait étouffer dans nos cœurs l’amour qu’elle nous inspire pour elle, comme le penchant le plus funeste. Cela est affreux à penser. Non ; le chemin du bonheur est le chemin même de la vertu. La fortune peut lui susciter des traverses ; mais elle ne saurait lui ôte ce doux ravissement, cette pure volupté qui l’accompagne. Tandis que les hommes et le sort sont conjurés contre lui, l’homme vertueux trouve, dans son cœur, avec abondance, le dédommagement de tout ce qu’il souffre. Le témoignage de soi, voilà la source des vrais biens et des vrais maux ; voilà ce qui fait la félicité de l’homme de bien parmi les persécutions et les disgrâces ; et le tourment du méchant, au milieu des faveurs de la fortune. (Diderot.)