Iroquoisie/Tome I/00

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Les études de l’Institut d’histoire de l’Amérique française (Tome Ip. 7-8).


PRÉFACE

Au début de l’un des chapitres de son PORT-ROYAL, Sainte-Beuve écrit ce qui suit : « C’est toujours du plus près possible qu’il faut regarder les hommes et les choses : rien n’existe définitivement qu’en soi. Ce qu’on voit de loin et gros, en grand même si l’on veut, peut être bien saisi, mais peut l’être mal ; on n’est très-sûr que de ce qu’on sait de très-près. Qu’on se rappelle l’expérience dans les choses de cette vie actuelle et contemporaine, combien de fois ne se trompe-t-on pas, sinon du tout au tout, du moins beaucoup plus qu’il ne faudrait, en jugeant de loin des hommes, des nations, des villes, des paysages, qu’on s’étonne ensuite, quand on les approche et qu’on les parcourt en détail, de trouver tout autres qu’on se les figurait ? À combien plus forte raison doit-il en être ainsi dans l’histoire du passé ? »
(8ème édition, Tome I, p. 77 et 78).

Si importantes dans l’histoire de la Nouvelle-France quelles en forment parfois la trame entière, les guerres franco-iroquoises n’ont jamais subi cet examen de très près et dans le détail. Nos historiens ne nous en ont jamais présenté que de larges fresques et de puissants raccourcis. Ils en ont pris des vues à vol d’oiseau. Cette immense région, nous ne la connaissons que par ses hauts sommets ; personne n’est descendu dans les vallées et les plaines pour en décrire le pittoresque ou le tragique.

C’est à cette étude au microscope, patiente, attentive, minutieuse, que s’appliquent les prochains volumes. Établir une première chronologie des faits de cette guerre ; raconter des séries d’événements que les historiens résumaient en quelques mots, mais qui offrent un intérêt national et humain ; camper quelques personnages qui, bien que peu connus, ont joué dans ce domaine un rôle de premier plan ; rassembler les textes les plus significatifs qui ont été écrits sur ce sujet ; rapporter des incidents par-dessus lesquels on a passé, que l’on a négligés ; présenter enfin certaines conclusions, qui diffèrent sensiblement de celles qu’exposent les manuels, ou des conclusions plus nuancées, voilà des objectifs qui paraissaient dignes d’efforts. En lisant tout ce détail, peut-être se dira-t-on que les guerres franco-iroquoises sont si peu connues quelles ont tout l’intérêt de l’inédit.

L’auteur ne s’illusionne pas sur la valeur de son œuvre. Il s’est fait à lui-même plusieurs des reproches qu’on lui adressera ; il connaît certaines lacunes qui lui sont un remords. C’est que, de tous les genres littéraires, l’histoire est celui qui exige le plus de temps. Et du temps, qui en donnera jamais à celui qui n’en a que peu ? Toutefois, il y avait une voie à frayer en cette matière ; quand un canevas est largement déployé, les autres peuvent plus facilement pousser l’enquête, corriger ou modifier. Le sujet était très vaste, aussi. Peut-être le pardon sera-t-il accordé pour la droiture de l’intention et la sincérité de l’effort.

Léo-Paul Desrosiers.