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Itinéraire raisonné de Marguerite de Valois en Gascogne/Année 1584

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ANNÉE 1584


« Maison de la Royne de Navarre. — Estat des gaiges des dames, damoiselles, gentilshommes et autres officiers de sa maison[1] ».

DAMES
Les mêmes qu’en 1582, sauf en moins :
Mme de Béarn 
Néant
Mme de Vermont 
Néa
Mme de Fredeville 
Néa
et en plus :
Mme de Nouailles 
200 éc.
Mme de Surac 
Néant
Mme de Terride 
Néa
Mme d’Avantigny 
Néa
Mme du Bourg 
Néa
Mlle de Birac 
Néa
FILLES DAMOISELLES
Les mêmes qu’en 1582, sauf en moins :
Mlle de Béthune 
Néant
Mlle Marguerite Burgensis demoiselle de Villesavin 
120 éc.
Mlle de Bois 
118 éc.
Mlle de Romefort 
Néa
Mlle de Certeau 
Néa
Mlle de Durfort de Duras 
146 éc.
Mlle Gabrielle de Raynier 
118 éc.
Mlle de Stanay 
128 éc.
Les deux filles de Mme de Birac 
Néant
Mlle Claude, de charge demoiselle de Vauberpier, gouvernante desdites filles 
130 éc.
AUTRES DAMES ET DAMOISELLES
Les mêmes qu’en 1582, pas d’appointements.
SUPÉRINTENDANT DE LA MAISON
M. de Sainct-Thorens 
400 éc.
M. des Espaux 
Néa
MAITRES D’HOTEL
M. de Rupéreux 
200 éc.
M. des Espaux 
133 éc.
M. François de Lussan, sieur du Fauga 
Néa
Le sieur du Bourg 
Néa
Le sieur Guillaume Arthus, vicomte de Caen 
Néa
AUTRES MAITRES D’HOTEL
Le sieur de la Tronche 
133 éc.
Le sieur de Louben 
Néa
PANNETIERS
Le sieur d’Oranches 
100 éc.
Le sieur de Migermis 
Néa
Le sieur de Lavernay 
Néa
Le sieur du Dronzay 
Néa
Le sieur de la Liève 
Néa
Le sieur de Boullons 
Néa
Jacques de la Marche, sieur de Montagut 
Néa
Jehan Tournier, sieur de La Nauze 
Néa
Le sieur de Saulme 
Néa
Le sieur de Salelles 
Néa
Le sieur de Fongramier 
Néa
ÉCHANSONS
Le sieur de Fredeville 
100 éc.
De Montifaut 
Néa
De Tuty 
Néa
Guy de Goulard, sieur de Marsan 
Néa
François de Cazolles 
Néa
Le sieur de Castelmore 
Néa
Jehan de Louis, sieur de la Souchardière 
Néa
Le sieur Morel 
Néa
Vidal Dermié 
Néa
Hérard de Pins, sieur de Limport 
Néa
Julien de Cambefort, sieur de Selves 
Néa
ESCUYERS TRANCHANTS
Le sieur de Boissac 
100 éc.
De Maniquet 
Néa
De Medranna 
Néa
Guillaume de Rilhac, sieur de Lescot 
Néa
Jehan de Castenet, sieur de Campsegue 
Néa
Le sieur de Neufville 
Néa
Le sieur de Chassaigne 
Néa
François de La Rocque 
Néa
Guillaume de Blanval 
Néa
Fr. de Montaignac, sieur de la Rosselière 
Néa
ESCUYERS D’ÉCURIE
Le chevalier Salviati 
102 éc.
De la Plaigne 
100 éc.
De Montigny 
Néa
De Crécy 
Néa
De Matha 
Néa
AULMONIERS

Les mêmes, sauf, en moins, Michel de Cruchet.

CHAPPELAINS
Me Nicolas Gallot 
140 éc.
Anthoine Buisson 
Néa
CLERCS DE CHAPELLE
Symon d’Auvergne 
120 éc.
Jehan Bazoches 
160 éc.
MÉDECINS
Géraud Boissonnade 
200 éc.
Le sieur de la Mezure 
100 éc.
François Choisnyn 
133 éc.
APOTHICAIRE
Pierre Berthin 
166 éc. 2 l.
Suit la liste de 22 valets de chambre, 1 maître de garde-robe, 1 valet de garde-robe, 4 huissiers de chambre, 4 huissiers de salle, etc., aux mêmes gages que précédemment. Mais la Reine, tout en reconnaissant les devoir, déclare ne pouvoir les payer en totalité, pas même quelquefois en partie.
GENS DU CONSEIL

Les mêmes, sauf, en moins, Parmentier.

SECRÉTAIRE DES FINANCES
Les mêmes, sauf, en plus, Jacques Ferrand, qui remplace Seguier.
CONTROLEURS
Me François Rousselot, controleur général 
266 éc.
Jacques Lebreton 
266 éc.
Jehan Beloys 
Néa
Poncelet Charpentier 
Néa
Jehan Gaussin 
Néa
Pierre Chardon 
Néa
Noël Villeronde 
Néa
MARÉCHAUX DES LOGIS
Pierre Duchesne 
100 éc.
Claude Patin 
Néa
Gabriel Balbo 
175 éc.
TRÉSORIER RECEVEUR GÉNÉRAL
Me Antoine Charpentier 
500 éc.
Pour tous les autres offices, mêmes noms que précédemment, sauf quelques suppressions.

Janvier 1584

Du dimanche 1er janvier au mardi 31, ladite dame Roine de Navarre et tout son train à Agen.

(Dépenses totales pour ce mois de janvier 2 267 écus, 47 sols, 11 deniers. Payé 2 237 écus, 18 sols, 11 deniers.)

Les négociations entre Bellièvre, Birague, Matignon, d’un côté, représentants du Roi de France, et Duplessis-Mornay, Yolet, Clervaut, de l’autre, ambassadeurs successifs d’Henri de Bourbon auprès d’Henri III, pour régler le sort de l’infortunée Reine de Navarre, continuèrent durant les trois premiers mois de cette année 1584, sans pouvoir aboutir. L’abondance des documents qui nous ont été conservés sur cette mémorable affaire nous fait un devoir de ne citer et même de ne résumer que les plus importants[2].

Dès le 2 janvier, le Roi de Navarre écrit à Charles de Birague, de Mont-de-Marsan, d’abord pour le remercier de lui avoir donné des nouvelles de sa femme, mais aussi pour l’avertir qu’il ne la recevra que lorsqu’il aura une réponse satisfaisante du Roi. « Je vous prie cependant, ajoute-t-il en terminant, faire entendre à ma fame qu’elle ne s’ennuie de cette longueur qui ne procède de moy et de laquelle il fauldra bientost veoir quelque fin ; et au reste l’asseurer que je continue tout jour en ce que je vous dis à vostre partement de ce lieu, comme aussy je vous prie faire tout jours estat de mon amitié. »

Et Birague de prévenir aussitôt la Reine Marguerite, la Reine-Mère et le roi Henri III des bonnes dispositions du Roi de Navarre « lequel, ce me semble, a eue très grande occasion de se contenter et demeurer satisfait[3].

N’est-ce pas à ce moment aussi qu’Henri de Bourbon écrivit à la Reine sa femme ces deux jolies lettres, publiées pour la première fois par M. Halphen et reproduites par Guadet, dans lesquelles il lui donne les motifs de sa conduite à propos de l’affaire de Mont-de-Marsan et la prie de patienter encore quelque temps. « Car, il importe et pour vous et pour moi, ajoute-t-il, qu’on veoye quand nous nous reassemblerons que ce soit de plein gré et sans aulcune apparence du contraire, et vous doibt suffire de ce qui s’est passé à vostre partement de Paris, sans que je veoye rien à vostre arrivée qui luy ressemble… Et lors je feroy paroistre à tous que comme je ne fais rien par force, aussy je ne crois rien sur les calompnies. C’est, ma mie, ce que je vous en puis dire pour le présent, remectant le surplus sur M. de Birague. Je vous baise bien humblemant les mains.

« Ma mye, sans ces brouillons qui ont troublé les affaires, nous aurions ce contentement d’estre à cette heure ensemble ; ilz ne m’ont point faict de plaisir[4]. »

Mêmes dispositions d’esprit d’Henri de Bourbon dans sa lettre du 4 janvier à M. de Vivans, où il affirme toujours qu’il reprendra sa femme, dès que le Roi aura fait sortir les garnisons des villes avoisinantes[5].

À quoi Henri III répond, dans sa lettre à Bellièvre, datée également de ce mois de janvier : « Si je pensois que mon dict frère fust en vérité meu des crainctes et considérations qu’il met en avant contre lesdites garnisons, je m’efforcerais de le contenter et passerais dès à présent par dessus toutes les raisons qui me retiennent de ce faire, car tant s’an fault que mon intention soit d’attempter à sa personne, que je désire plus que luy-mesme luy oster toute occasion de se deffier de ma bonne volonté. » Mais il croit devoir les maintenir par mesure de prudence ; « de sorte que ses raisons recherchées et basties sur fondements si foibles, au lieu de me contenter d’y condescendre à lever lesdites garnisons, seront plus tost suffisantes à me jeter moi-mesme en deffiance de la volonté de mon dict frère. » Néanmoins, il consent « à tirer d’Agen et de Condom les deux compaignies qui y ont esté mises et les esloigner de Nérac, pourvu qu’en mesme temps madicte sœur parte de celle d’Agen pour aller trouver ledict Roy, son mary… M. de Bellièvre, ce sera la réponse que je feray au sieur de Clervaut, de laquelle j’ai advisé vous advertir par ce porteur, afin que vous en conferiez avecques mon cousin le mareschal de Matignon…[6] »

Quant à la Reine de Navarre, elle ne cesse d’implorer dans ses nombreuses lettres, soit la clémence du Roi son frère, soit celle du Roi son mari, et de demander protection à sa mère, à Bellièvre, au mareschal de Matignon, à Pibrac lui-même, avec lequel elle n’hésite pas à se réconcilier à cette occasion, à tous ceux enfin qui veulent bien prendre en pitié son misérable sort[7].

Février 1584

Du mercredi 1er février au mercredi 29, ladicte dame Roine et tout son train à Agen.

(Total des dépenses pour ce mois de février, 1 950 écus, 41 sols, 9 deniers. Payé 1 929 écus, 29 sols, 9 deniers).

Marguerite était trop diplomate pour ne pas chercher, dès son arrivée, à s’attirer les bonnes grâces des Agenais. Bien qu’Agen fut sa ville, le comté d’Agenais lui ayant été donné le 18 mars 1578 par le Roi son frère, avec le Rouergue, le Quercy et les quatre Jugeries de Verdun, Rieux, Rivière et Albigeois, pour la couvrir d’une partie des rentes que lui constituait son contrat de mariage[8], elle avait à ménager les divers partis qui se disputaient cette cité, la Ligue commençant à y faire de nombreux adhérents. Mais la majorité de la population restait fidèle au Roi de France. Aussi accueillit-elle avec faveur l’arrivée de la Reine de Navarre, autant à cause de son commerce qui ne pouvait que gagner au séjour des serviteurs nombreux de la princesse, que parce qu’elle n’ignorait point sa mésintelligence avec son mari, dont elle ne pouvait oublier la turbulence et l’oppression lors de son séjour en 1577 ; Agen, du reste, était foncièrement catholique ; et tous ceux qui se targuaient de prendre en mains, comme Marguerite, la défense de la religion étaient sûrs de gagner les sympathies de ses habitants.

Marguerite descendit-elle à ce moment, comme elle devait le faire l’année suivante, au logis de la veuve de Pierre de Cambefort, cette jolie maison Renaissance, à pignons aigus, tourelles en encorbellement, fenêtres à meneaux élégamment ornées, porte au-dessus d’un perron demi-circulaire couronnée d’une accolade surmontée d’un fleuron et accostée de deux pinacles, et dont la façade, précédée d’une vaste cour, donnait sur la rue de l’Ave Maria[9] ? Tout porte à le croire, une tradition constante lui ayant toujours attribué cette maison comme lieu de séjour à Agen.



MAISON DE LA REINE MARGUERITE À AGEN
(D’après une aquarelle originale de Mainville)

C’est donc là qu’elle dut recevoir, dès le 11 décembre de l’année précédente, c’est-à-dire quatre jours après son arrivée, une députation des consuls de Laplume, venant l’assurer de la fidélité des habitants de cette ville[10] ; et c’est de ce logis qu’elle expédia cette longue série de lettres, dont la plupart nous ont été conservées.

Nous avons déjà vu comment elle recommande à sa mère le sénéchal d’Agenais, M. de Bajaumont, et la supplie de lui faire octroyer par le Roi le collier du Saint-Esprit, à l’occasion du nouvel an.

Voici en quels termes élogieux elle plaide auprès du maréchal de Matignon, au commencement de cette année 1584, la cause des Agenais :

« Mon Cousin, ceulx de ceste ville m’ont dit qui vous despechoient un consul pour vous advertir de certains avis qu’ils ont eue, et m’ont priée vous tesmoigner le tort que l’on leur a dit vouloir prandre contre eux. Vous savés que ni a ville en Guienne qui se soit tousiours montrée plus afectionnée au servise du Roi que celle-si, qui n’a fait comme beaucoup d’autres qui n’ont voulu resevoir les garnisons ; et cete-si s’est toujours montrée obeissante à tous les commandemans qu’elle a resus de vous ; à quoi ils sont aussi résoleus de continuer et de ne reconnaître ni prendre nul parti que selui du servise du Roi, estant tous résolus de mourir plustost que retomber en la peine où ils se sont veus. Leur bon zèle mesrite bien qu’aies soin de les conserver ; outre ce qu’elle est plus importante pour le servise du Roi, après Bordeaux que nulle autre ; qui m’ampaischera, sachant combien vous l’avez en recommandation, de vous an dire davantage et vous remersier des honnestes offres qui vous a pleu me faire par vostre dernière lettre, qui me sont tousiours acroisance d’obligation ; et n’aves james faict moins d’estat de vostre bonne voulonté pour les paines que m’an aves tousiours randues. De quoi je desirerai me pouvoir revancher ausi dignemant, come je vous suis avec antière afection pour james, vostre plus afectionée et meileure cousine. Marguerite[11]. »

Et encore, dans cette autre lettre à Matignon où elle le remercie de ses « courtoisies » et de ses avances d’argent : « car, c’est an telle saison, écrit-elle mélancoliquement, que l’on counest ses vrais amis. »

« Nous ne sommes pas, ajoute-t-elle en terminant, sans beaucoup d’alarmes et de fraieurs de tous cotés, et vous asure que cette ville est bien résolue de se conserver an l’obeissance du Roi ; à quoi je tienderé la main, comme je dois pour le service du Roi, duquel j’atans tout mon appui et est ma seule consolation an tant d’afflictions et de dangers, et de penser avoir an vous un ami qui ne m’abandonnera comme je vous an suplie[12]. »

Marguerite ne pouvait se désintéresser de la question, qui, malgré les alarmes continuelles de ces temps de trouble, préoccupait à ce moment si fort les Agenais. Nous voulons parler de la fondation en cette ville du collège des Jésuites.

Nous avons déjà dit ailleurs[13] comment la municipalité agenaise, après avoir confié durant tout le xvie siècle l’éducation de la jeunesse à des régents pris indistinctement dans les deux religions, pourvu qu’ils fussent honnêtes et suffisamment instruits, s’était décidée, en 1582, à l’instar des autres grandes villes, à faire appel à la nouvelle congrégation de Jésus et à charger ces religieux de créer un collège dans Agen. De toutes parts les donations affluèrent. La maison noble de La Cassaigne, rue Grande-Horloge, fut acquise le 21 avril 1583, au prix de 2 333 écus, et chacun eut à cœur d’y apporter son obole. Les États du pays d’Agenais s’imposèrent pour une rente de mille livres ; l’évêque Janus de Frégose s’engagea à fournir une pension annuelle de 233 escus ; les chapitres de Saint-Étienne et de Saint-Caprais la somme de 500 livres ; les consuls et communauté d’Agen annuellement la somme de 1 200 livres ; Madame de Lisse, les meubles les plus précieux de son hôtel de Condom et de ses châteaux de Lisse et de Casseneuil, etc.[14].

Sollicitée par les consuls de contribuer, à titre de comtesse d’Agenais, à cette fondation utile entre toutes, la Reine de Navarre s’empressa d’accéder à leur demande, et, par lettres patentes du 23 février 1584, « reconnaissant combien les Jésuites aportent de bonne doctrine et enseignement à la jeunesse en leurs collèges, laquelle, estant nourrie au commencement de la cognoissance du verbe divin ne peut raporter pour le reste de la vie qu’une grande impression et sainte érudition pour ne tomber aux erreurs et hérésies, comme quelques-uns ont faict par le passé, auxquelles désirant estre pour à nostre possible, meme pour la jeunesse de ceste ville d’Agen, aux habitans de laquelle portons un singulier bon vouloir et dilection, poussée de désir à l’honneur de Dieu de gratifier et faire du bien à la susdite compaignie des Jésuites et leur donner plus de moyen d’entretenir à leur collège de cette ville des bons prédicateurs et bon nombre des régens pour l’instruction de la susdite jeunesse, à ces causes, avons par dévotion donné, légué, donnons et octroyons par ces presentes audit collège des Jésuites de pansion annuelle et perpétuelle pour chascun an la somme de huit vingt six escus, deux tiers, revenant à cinq cents livres, à prendre sur les premiers et plus clairs deniers de tous et chascun des droits et revenus à nous apartenans en nostre comté d’Agenois[15]. »

Marguerite déclare entendre que cette pension soit rachetée pour la somme de deux mille écus et elle en remet l’administration à Monseigneur l’Évêque d’Agen, ainsi qu’aux consuls de la ville. Enfin elle ajoute à cette donation annuelle la somme de 1 200 livres pour l’achat d’une maison voisine où serait élevée la chapelle du collège, désirant « que cette chapelle fût commencée avant qu’elle ne se retirât auprès du Roi son mari[16]. »

Certes la Reine de Navarre était sincère en comblant de ses bienfaits la ville d’Agen. Ses ressources malheureusement, surtout à ce moment, ne répondaient guère à ses libéralités. Aussi les consuls se virent-ils bientôt forcés d’exercer contre le trésorier de la Reine requêtes sur requêtes, pour qu’il exécutât les ordres de sa maîtresse ; ce qui amena dans la suite entre eux de nombreuses difficultés, que, malgré sa bonne volonté, cette princesse, toujours à court d’argent, ne put que bien rarement aplanir.

Mars 1584

Du jeudi 1er mars au samedi 31, ladicte dame Roine de Navarre et son train à Agen[17].

(Total des dépenses pour ce mois de mars, 2 304 écus, 15 sols, 7 deniers. Payé 2 281 écus, 31 sols, 7 deniers.)

Tandis que Marguerite attendait impatiemment à Agen que son mari voulût bien la reprendre, celui-ci, tout en l’assurant chaque fois qu’il en avait l’occasion de ses bonnes intentions, ne se montrait nullement pressé de l’avoir auprès de lui. Le Roi de Navarre quitta Mont-de-Marsan le 17 janvier de cette année 1584 et se rendit directement à Pau. Il séjourna dans cette ville tout le mois de février et tout le mois de mars. Le prétexte était l’administration de ses États de Béarn, un peu trop négligée par lui durant ces derniers temps, et aussi le mariage de son écuyer et favori Frontenac, auquel il avait promis d’assister. La véritable raison, c’est qu’il cherchait à se rapprocher le plus possible de la belle comtesse de Gramont et de ses résidences habituelles de Guiche, de Bidache, d’Hagetmau surtout, où le Vert-Galant ne se gênait guère pour aller passer la plupart de ses soirées.

Depuis un an Corisande avait pris en effet sur Henri de Navarre un empire absolu ; « au point, lisons-nous dans Les Amours du Grand Alcandre, d’obtenir à ce moment du Roi une promesse de mariage, signée de son sang, et qu’il reconnut aussi le fils qu’elle avait eu précédemment de feu son mari Philibert de Gramont. »

Et d’Aubigné, qui ne pouvait pardonner à son maître d’oublier ses devoirs dans les bras de toutes ces charmeuses, d’écrire à ce propos dans ses Mémoires :

« Ségur s’en fut trouver le Roi de Navarre, à qui il rapporta que j’appelais publiquement la comtesse de Guiche sorcière, qui avait ensorcellé mon maître, et que j’avais même consulté la-dessus le médecin Hotteman pour savoir s’il ne connaissait point quelques philtres qui puissent désensorceller le Roi de Navarre ; ajoutant à tout cela qu’un prince des Huguenots avait autant de contrerolleurs de ses actions que de serviteurs. Comme il était piqué au jeu, il lui raconta encore que Monsieur de Bellièvre, logé vis-à-vis de la comtesse[18], la voyant aller à la messe accompagnée seulement d’un mercure, d’un bouffon, d’un more, d’un laquais, d’un singe et d’un barbet, m’avait demandé, en me citant les honneurs qu’on rend aux maîtresses des Rois de France, comment les courtisans de la Cour de Navarre laissaient ainsi aller la bonne amie de leur Roi, sans avoir l’honnêteté de lui faire cortège ; à quoy j’avais respondu qu’il n’y avait en nostre Cour qu’une noblesse généreuse et amatrice de la vertu, et que le mercure, le bouffon, le more, le laquais, le singe et le barbet qu’il venait de voir étaient les seuls esclaves qui y fussent[19]. »

On comprend donc les raisons pour lesquelles le Roi de Navarre cherchait à gagner du temps et à faire durer ainsi les négociations.

Le sieur d’Yolet qui, après d’Aubigné et Duplessis-Mornay, fut envoyé à la Cour le 26 décembre 1583[20], ne réussit pas autrement que ses prédécesseurs[21].

Il était réservé à M. de Clervaut, député en quatrième lieu auprès du Roi de France au commencement de cette année 1584, d’être plus heureux et de mener cette lamentable affaire à bonne fin[22].

Marguerite cependant, toujours déçue de ses espérances, redoute encore au début un nouvel échec :

« Monsieur de Bellièvre, j’ai resu depuis vostre partemant des lettres de la Roine par lesquelles elle me mande qu’elle avoit si bien parlé à Yolet qu’ele s’asuroit qu’à son retour il ni oroit plus de prolongation à mes afères, qui me fait croire que le sieur de Clervau n’i ora esté guère bien resu. Le roi mon mari a mandé à mon frère par créanse de M. de Laverdin et encore par intruction signée de lui qu’au retour de M. de Clervaut, il me verroit sans aucune remise, et M. de Laverdin m’an a fort asuré par un gentilhomme qui m’a anvoié, qui me fait avec l’esperance suporter mes annuis[23]. »

Les nouvelles arrivent pourtant chaque jour meilleures, et cela grâce à ses incessantes supplications et aussi aux bons offices de Bellièvre[24].

Ne vient-elle pas d’écrire à sa mère :

« Madame, suivant le commandement qu’il vous a pleu me faire par plusieurs de vos lettres, et le conseil que m’en a donné M. de Bellievre, que m’avés commandé de croire, j’escris au Roy. Vous sçavez, Madame, combien de fois j’ay recherché sa bonne grâce. Dieu veuille que cette-cy j’y sois plus heureuse qu’aux aultres. Puisqu’il ne m’a peu aimer par les merites de mon service et de ma très humble affection, j’espère, Madame, qu’ores que je suis accablée de tant de maux et d’ennuis qu’il m’aimera par pitié ; et si les Roys, comme l’on dit, sont semblables aux dieux qui aiment les cœurs affligés, le mien luy devra estre fort agréable. Je ne doubte point qu’il ne puisse faire beaucoup de bien comme il m’a faict de mal, lorsqu’il luy plaira me faire ressentir l’un, comme il m’a faict esprouver l’autre…[25] »

Et elle adresse en même temps la lettre suivante au Roy son frère :

« Sire, si les malheurs ne tombaient que sur moy, je serois seule misérable ; mais considerant qu’ils sont congneus bien qu’ils soient differens, cette difference ne m’est tant reprochable comme doibt estre la malice de ceux qui par leurs calomnies vouloient baptiser mon malheur execrable, ce qui n’est pas. Sire, vostre jugement soit donc mon juge équitable. Quittez la passion, et vous plaise de considérer ce que, pour vous obeir, m’a fallu endurer ; et telles passions, qui ne les a esprouvées, en blasmera les actions avant que les avoir considérées. Considérez-les donc, Sire, par les choses apparentes qui m’ont conduite là où vous me voyez. Encore que je sois vostre sœur et servante, et vous mon seul confort, j’espererois en la bonté de vous comme roy très chrétien[26]… »

En même temps elle écrit au maréchal de Matignon : « Mon cousin, je suis infinimant marrie de ce que m’escrivès pour ne recongnoistre par là le Roi mon mari et vous si bien ni an si bonne intansion que je l’ai tousiours désirée. J’espère que la responce qui viendra de la court accommodera tout cela, et de moi si je pouvois quelque chose, croiés, je vous suplie, que ji servires de bon cœur, sachant combien aiant creanse en vous come il an est auparavant, j’an pourrois esperer de contantement. L’on fait courre isi le bruict que M. de Belièvre i est retourné ; je le dessirerois, m’asurant que ce sera avec charge propre à accomoder les afères publiques et les miennes particulières, en quoi j’ai bien besoin de voir une pronte fin pour estre la longeur de mes annuis par trop insupportable. Toutefois quelque misère que j’aie, je suis tousiours an beaucoup de voulonté de vous servir come vous le connoigsteré an toutes les ocasions qui s’an ofriront, vous supliant faire estat de moi come de vostre plus afectionée et meilleure cousine.

Marguerite[27]. »

Tant de peines allaient avoir leur fin[28]. Clervaut obtint d’Henri III qu’indépendamment de la garnison de Condom il retirerait également celle d’Agen et qu’il se contenterait de laisser cinquante hommes d’armes seulement dans Bazas. C’était entrer dans la voie des concessions. Il se hâta d’apporter cette bonne nouvelle à son maître qui lui donna l’ordre d’aller aussitôt le transmettre à Marguerite.

« Puisque M. de Clervaut, écrit-elle à Matignon, est venu de la part du roi m’apporter les assuranses de sa résolution de me revoir bientost, ce qui m’a encore esté confirmé par Frontenac, je panse avoir occasion de croire que je verrai une prompte fin aux lenteurs qui m’ont apporté tant de poines… Je vous supplie de croire qu’un des sujets qui me faict autant souhaiter d’estre auprès de luy est le désir que j’ay de vous voir tous deux bien ensamble, estimant que c’est le bien général et le nostre de tous trois en particulier… Je croy qui i a des persones qui n’ont l’esprit bandé qu’à accroistre et entretenir le mal ; et moi, misérable, je porte la poine de tout. Or, patience, j’espère que je trouveray autant de secours en Dieu que j’esprouve de malice aux hommes[29]. »

Avril 1584

Du dimanche 1er avril (jour de Pâques) au jeudi 12, ladicte dame avec tout son train à Agen.

Un évènement, plus décisif que tous les arguments invoqués de part et d’autre, allait précipiter la solution de cette longue affaire. Nous voulons parler de la maladie subite du duc d’Anjou et du peu d’espoir que l’on eut bientôt d’obtenir sa guérison. Miné par une implacable maladie de poitrine, dont il avait ressenti déjà depuis temps les premières atteintes, François de Valois dut s’aliter dès les derniers jours du mois de mars. Sa sœur, qu’il aimait par dessus tout au monde, fut aussitôt prévenue.

« Mon cousin, écrit-elle dans l’affolement de sa douleur au maréchal de Matignon, à la date du 29 mars, la paine an quoi je suis de la maladie de mon frère ne m’a pas permis de demeurer plus lontans sans anvoier vers lui, et vous suplie me vouloir tant obliger de me mander ce que an aprandrés. La hate que j’ai de faire partir ce porteur qui san va vers lui ne me permet de faire cete lettre plus longue que pour vous suplier faire estat de mon amitié comme cele qui désire plus vous servir et vous demeurer vostre plus afectionée et meilleure amie. Marguerite[30]. »

Henri III ne se fit aucune illusion sur le sort qui était réservé à son frère. La succession au trône allait de ce fait devenir vacante. Il est juste de reconnaître que ce faible monarque fit preuve en cette circonstance d’une rare sagacité, et que, pour arrêter court les compétitions qui ne pouvaient manquer de se produire, il proclama bien haut, malgré tous les griefs et ressentiments qu’il avait contre lui, que son seul héritier serait désormais le Roi de Navarre.

« Je reconnais, dit-il publiquement à Mornay envoyé pour la seconde fois en ambassade auprès de lui par Henri de Bourbon, votre maître pour mon seul héritier. C’est un prince bien né et de bon naturel. Je l’ai toujours aimé et je sais qu’il m’aime. Il est un peu colère et piquant ; mais le fond est bon[31]. »

Désormais la réconciliation entre les deux époux s’imposait. Le Roi de Navarre le comprit ; et cédant aux instances de Mornay, lequel en un magnifique langage lui fit entendre raison, il arrêta lui-même toutes les dispositions qu’il y avait à prendre.

Le fidèle conseiller ne lui dit-il pas en effet : « Sire, les yeux d’ung chascun sont arrêtés sur vous. Il faut qu’en vostre maison on voye quelque splendeur, en vostre conseil une dignité, en vostre personne une gravité, en vos actions sérieuses une constance, ès moindres mesmes, égalité. Ces amours si découverts et auxquels vous donnés tant de temps ne semblent plus de saison. Il est temps, Sire, que vous fassiez l’amour à toute la chrétienté et particulièrement à la France[32]. »

Henri se le tint pour dit. Il écrivit aussitôt à Bellièvre : « Monsieur de Belièvre, depuis vous avoyr escrit, j’ay ouy Monsieur de Clervaut et veu la depesche que le Roy m’a envoyé par luy, par laquelle il me mande avoir ordonné à M. le mareschal de Matignon de tirer des villes de Condom et Agen les deux compaignies qui y ont esté mises, afin que je puisse mieux à mon plaisir recepvoir ma femme en ma maison de Nérac ; mais qu’il veut que les cinquante soldats mis dedans Bazas y demeurent pour la garde de ladicte ville. Ce qui m’a faict vous envoyer ce porteur exprès, afin que vous donniés ordre promptement de faire tirer desdites villes d’Agen et de Condom les dictes compaignies et de Bazas ce qui est par dessus les cinquante, en attendant que l’édit soit exécuté, afin que Sa Majesté soit obéie et satisfaicte d’une part et d’autre, pour aussitost après m’acheminer en ma maison de Nérac, et y faire venir ma femme et la y recevoir comme je doy[33]. »

Les garnisons de Condom et d’Agen furent aussitôt retirées et le roi de Navarre fit prévenir sa femme qu’il était prêt à la recevoir. On était à la veille de Pâques, qui cette année tombait le 1er avril. Malgré son ardent désir de réintégrer le domicile conjugal, Marguerite trouva bon de rester à Agen durant les fêtes, afin de pouvoir mieux y faire ses dévotions. Son mari accéda à ce désir.

« M. de Believre, écrit-il à ce dernier, parce que partant demain come j’avais délibéré, je ne pouvois arriver à Nérac que samedi ou dimanche, qui est le temps des dévotions, j’ay trouvé bon ce que ma femme m’a mandé, d’attendre jusques après Pasques ; et me semble qu’il sera plus à propos…[34] »

Enfin, d’un commun accord, l’entrevue fut fixée au vendredi 13, en la ville du Port-Sainte-Marie où la Reine de Navarre se rendrait seule venant directement d’Agen et où son mari irait la chercher.

Le vendredi 13 avril, ladicte dame et son train disne au Port Saincte Marie, souppe et couche à Nérac.

Certes, ce fut un jour mémorable dans la vie de la Reine Marguerite que ce vendredi, 13 avril, de l’année 1584 ; et ce ne dut pas être sans une bien légitime appréhension que l’infortunée Reine se rapprocha de son mari. Pour aussi misérable qu’ait été sa position dernière, que lui réservait l’avenir ? En quels termes allait-elle vivre désormais avec Henri de Bourbon ? Retrouverait-elle à Nérac, sinon le prestige ou même l’estime dont elle avait été entourée quatre ans auparavant, mais seulement le calme et le repos après lesquels elle soupirait ?

Marguerite toutefois eut la joie de voir, le matin de son départ, les Consuls d’Agen, en robe rouge, venir la saluer une dernière fois, la remercier des libéralités qu’elle avait accordées à la ville et l’accompagner en grande pompe, avec les jurats, depuis son logis jusqu’à la porte de la ville[35].

« Parvenue la première au Port-Sainte-Marie, écrit M. de La Ferrière dans sa monographie de Marguerite de Valois[36], la Reine alla à la rencontre de son époux. Sans dire un mot, le Roi l’embrassa ; puis, rentrant tous deux, ils montèrent dans une chambre du premier étage. Après s’être montrés à une fenêtre, ils se retirèrent au fond de l’appartement. Au bout d’une demi-heure, ils descendirent et Marguerite monta dans sa litière. Le Roi suivait à cheval. Durant toute la route, il s’entretint familièrement avec elle. « Êtes-vous content de moi ? dit-il à Birague qui les avait accompagnés. » « Je suis toujours satisfait, répondit-il, de tout ce qui peut donner du contentement à Votre Majesté. »

M. de La Ferrière a-t-il puisé ces renseignements si intimes ? Est-ce dans une lettre écrite par Birague, soit au Roi, soit à la Reine-Mère et qui se trouverait à la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, seule source qu’il indique, mais avec beaucoup trop de vague ? Cette lettre du Roi de Navarre au Roi de France est en tout cas plus précise :

« Monseigneur, suivant le commandement qu’il a pleu à vostre Majesté me faire et le désir que j’ay d’y obéir et satisfère, je suis venu en ce lieu pour y recevoir ma femme, qui y est dès le treizième de ce mois ; de quoy je n’ay voulu faillir par Yolet, présent porteur, de vous advertir et vous ramentevoir la très humble et très fidêle affection que j’ai à tout ce qui touche le bien de vos affaires et service[37]

Cette date du 13 avril concorde, nous le voyons, avec celle donnée par l’Itinéraire. Quant au lieu indiqué, ce doit être ou Nérac, ou plus encore le Port-Sainte-Marie, d’où le Béarnais s’empressa de dépêcher Yolet à la Cour pour qu’il prévint, sans tarder, le Roi de l’accomplissement de ce mémorable évènement.

Mais laissons parler surtout Michel de La Hugherie, cet envoyé du prince de Condé à Nérac pour offrir au Roi de Navarre son amitié et chercher aussi à lui faire contracter une alliance avec l’électeur de Cologne, afin de continuer la guerre, rabaisser l’orgueil de l’Espagne et porter une mortelle atteinte à la puissance toujours croissante de la maison de Lorraine.

Logé « en une hostellerie proche du logis du sieur du Pin, secrétaire du Roi, » La Hugherie eut plusieurs entretiens avec ce personnage et obtint de lui qu’il assisterait, caché, à l’entrevue du soir entre le Roi et la Reine de Navarre. Il vit aussi Pomponne de Bellièvre à qui il fut présenté par le Roi lui-même « dans sa belle allée de lauriers. »

« La Hugherye, lui dit le lendemain matin le Roi de Navarre qui l’avait mandé, mais qui déjà se trouvait à cheval entre la halle et son logis, je ne pourrai vous voir aujourd’huy, pour ce que je m’en vais recepvoir ma femme au Port-Sainte-Marie, et passeray tout ce jour en ceste affaire-là, laquelle je suis bien aise que vous voyez. »

Et la Hugherie continue en ces termes dans ses Mémoires :

« Peu après que j’eu laissé ledit sieur du Pin, le Roy et la Royne sa femme arrivèrent, environ les quatre heures, et furent tous deux seulz se promenant en la galerie du chasteau de Nérac jusques au soir, où je vey ceste princesse fondre incessament en larmes, de telle sorte que, quand ils furent tous deux à table où je les voulu voir (c’estait fort tard, à la chandelle en ce temps-là), je ne vey jamais visage plus lavé de larmes, ny yeux plus rougis de pleurs. Et me feyst ceste Princesse grande pitié, la voyant assise près du Roy son mary, qui se faisoit entretenir de je ne scay quelz discours vains par des gentilshommes qui estoient à l’antour de luy, sans que luy ny aultre quelconque parlast à ceste princesse, qui me feist bien juger ce que du Pin m’avoit dict que c’estoit par force qu’il l’avait reçeue. Et souddain qu’ilz furent levez de table, je me retiray, prévoyant que ceste réconciliation-là ne durerait guères et que tel traictement ferait prendre à ceste princesse nouveau party au trouble qui allait esclorre[38]. »

Ce tableau n’est-il pas un peu noirci, comme à plaisir ? Et devons-nous accorder une confiance absolue à ce récit d’un ennemi déclaré du Roi et de la Reine de Navarre, qui avait tout intérêt, n’ayant pas réussi dans sa mission, à présenter sous le jour le plus fâcheux l’aspect nouveau de la Cour de Nérac ? Une erreur, en tous cas, doit être relevée ici, soit qu’elle provienne de La Huguerie lui-même, ce qui donnerait encore moins de créance à son récit, soit qu’elle ait été commise par son éditeur M. de Ruble, assez coutumier du fait. Il est dit en effet dans ces Mémoires que l’envoyé du prince de Condé arriva à Nérac le 15 mai 1584, et, comme il y demeura trois jours pleins, qu’il en était parti le 19, le lendemain de l’arrivée de la Reine de Navarre. C’est donc à la date du 18 mai qu’il faudrait, d’après cet auteur, fixer cette arrivée. Or nous avons vu, par la lettre même d’Henri de Bourbon au Roi, datée du 13 avril, ainsi que par les livres de comptes de la Reine de Navarre, qui ne peuvent laisser subsister aucun doute, que ce n’est pas au mois de mai, mais bien le 13 avril, qu’eût lieu au Port-Sainte-Marie la réconciliation des deux époux, et que la Reine de Navarre, réintégra, le soir de ce même jour, à Nérac le domicile conjugal.

Un si grand nombre d’auteurs anciens ou modernes ont donné tant de dates fausses à cet évènement qu’il était bon, croyons-nous, d’y insister comme nous l’avons fait et de fixer à tout jamais ce point, demeuré douteux jusqu’à ce jour.

Du samedi 14 avril au lundi 30, ladicte dame et tout son train à Nérac.

(Dépenses totales pour ce mois d’avril, 2 029 écus, 48 sols, 4 deniers. Payé, 1 898 écus, 22 sols, 4 deniers.)

Marguerite du reste semble bien vite avoir séché ses larmes, du moins si l’on en juge par les lettres qu’elle écrivit aussitôt après sa rentrée à Nérac, tant à sa mère qu’à Matignon ou au Roi son frère, et où tout à son aise elle leur exprime sa joie et son bonheur. « Monseigneur, écrit-elle dès cette fin d’avril au Roi son frère, je loue Dieu que je sois si heureuse que resevés plaisir du contentement où je suis avec le Roi mon mari ; et le suplye qui luy plaise nous maintenir aussi longtans an ceste bonne voulonté, comme je suis très résolleue, Monseigneur, de vous demourer pour james très humble servante, comme le devoir me le commande ; et tienderé à très grande félisité qui vous plaise le croire ainsy et m’onorer de vostre bonne grace et de vos commandemans, où je randeré tousiours, Monseigneur, très humble et très fidèle obéissance, comme celle que le ciel a faict naitre votre très humble et très obéissante servante, seur et sujete. Marguerite[39]. »

Mais une ombre continue d’assombrir ce tableau : la maladie de son frère bien-aimé.

« Madame, écrit-elle encore à ce moment à la Reine-Mère, Yolet vous dira l’honneur et bonne chère que j’ai resue du Roi mon mari et mon ami, et le contentement auquel je suis, qui seroit par faict si je vous savois, Madame, et mon frère an bonne santé ; mes avecq tele doute je ne puis vivre qu’an extreme paine, car il n’est jour que l’on n’an fasse courir bruis, qui me donnet de tres crueles appréhensions ; ancore que celui qui m’envoie Monsieur mon frère m’ait asuré qu’il l’avoit laissé sans fièvre, et vous, Madame, dict-on, hors de mal, comme il vous a pleu me escrire ; de quoi je loue Dieu…[40] »

Et au maréchal de Matignon :

« Mon cousin, estant revenu ancore un bruit de la recheutte des maladies de la Roine ma mère et de mon frère, j’ai pansé devoir ancore avoir mon recours à vous, comme à celui que je sai qui an pourra avoir nouvelles plus certenes et qui aprehanderoit plus ce malheur et plainderoit aussi autant mon desplaisir, lequel, despuis ses tristes et facheuses nouvelles, a bien changé ma joie an dœil, ne pouvant resantir ni espérer bien ni contantement an la préhension d’une si cruelle perte. Je vous suplie m’obliger tant que de m’escrire ce que vous an savés. J’estois sans cela trop heureuse, come je m’asure que Madame la mareschale le vous ora dict[41], de la compagnie de laquelle je vous ai tant d’obligation que je vous suplie de croire que je ne la puis james oublier et que je ne desirerois rien plus que d’avoir quelque bon moien de vous servir, ce qui serait avec mesme afection que la deves croire de votre plus affectionnée et meilleure cousine. Marguerite[42]. »

La joie d’Henri III et de la Reine-Mère d’avoir enfin obtenu ce qu’ils désiraient si fort se fait jour également dans les lettres qu’ils écrivirent à ce moment soit à Matignon soit à Bellièvre. « Mon cousin, écrit le Roi au maréchal, à la date du 28 avril, je sçais comme le sieur de Bellièvre a conduict l’affaire de ma sœur la Royne de Navarre au point que je le pouvais désirer, dont je suis très content envers luy et envers vous aussi, que je remercie d’avoir si bien aidé et contribué de vostre femme que vous lui avez envoyée et qui l’a si bien assistée et portée où son devoir requiert qu’elle demeure. »

Et Catherine de lui écrire ce même jour, également de Saint-Maur des Fossés où se trouve en ce moment la Cour de France :

« Mon cousin, je ne feray point longue lettre, car je me remestray au sieur du Laurens à cause de mon mal de teste ; mais sçachant que ma fille la Royne de Navarre est en bonne intelligence avec son mary, c’est ma parfaicte et entière guérison et de les sçavoir en semble comme Dieu et la raison commandent. Je sçay qu’il ne vous faut rien dire ny recommander de ce qui est sorty de ceste maison, et de ce qui est de l’honneur de la race. Priant Dieu, mon cousin, vous avoir en sa saincte garde[43]. »

Mais la lettre la plus curieuse, et que, malgré sa longueur, nous croyons devoir reproduire ici, tant à cause de l’intérêt général qu’elle présente que des détails piquants et rétrospectifs dont elle fourmille, est celle qu’adressa à Bellièvre, toujours en mission dans le midi, la Reine-Mère, aussitôt après qu’elle eut appris la réconciliation de sa fille avec le Béarnais :

Saint-Maur des Fossés, 25 avril 1584[44].
« Monsieur de Bellièvre,

« Je commancerai ma lettre par vous dire qu’après Dieu vous m’avés rendu la santé d’avoir par votre prudence et bonne conduite achevé une si bonne œuvre et si importante pour notre maison et honneur, d’avoir remis ma fille avec son mari, que je prie Dieu y puisse demeurer longtemps et vivre en femme de bien et d’honneur et en princesse dont méritent ses conditions d’être, pour le bien dont elle est née. C’est ce que je m’assure qu’elle fera et que Dieu lui assistera ; mais qu’elle continue à le reconnaître, comme l’on m’a assuré qu’elle a fait depuis que je ne l’ai vue. Je vous prie lui bien dire avant votre partement et lui remontrer toutes les choses que vous savez, mieux que je ne vous puis le dire, qui méritent être considérées et faites par telles personnes comme elle est, et aussi pour s’accompagner de gens d’honneur, hommes et femmes ; car outre que notre vie nous fait honneur ou déshonneur, la compagnie que nous avons nous y sert beaucoup, et principalement aux princesses qui sont jeunes et qui pensent être belles, Et elle pourra vous dire comme elle a toujours fait, que j’en ai de toutes façons, et en ai eues et hantées, étant jeune.

« À cela il y a une réponse qui ne saurait dire le contraire ; étant jeune, j’avois un Roy de France pour beau-père qui me bailloit ce qui lui plaisoit, et il me falloit lui obéir et hanter tout ce qu’il avoit d’agréable. Depuis qu’il fut mort, son fils que j’avois l’honneur d’avoir épousé, étoit entré dans sa place, à qui je devois pareille obéissance et plus. Et Dieu merci, encore qu’il vouloit ce que je faisois pour leur complaire, ces personnes n’ont jamais eu telle puissance sur moi et mes volontés qu’elles m’aient induites, ni que j’aie fait chose contre mon honneur et ma réputation, que, à ma mort, quant à ce fait, je n’en demande pardon à Dieu, ni que je craigne que ma mémoire en soit moins à louer. Et si, à cette heure que je suis veuve, elle pourroit dire, étant maîtresse de moi, que je les devois toutes éloigner et n’en hanter nulle. J’ai eu affaire à conserver tous les sujets des rois mes enfans, et les attirer à m’assister à leur faire service et non à les offenser, et ce que par raison ils devoient avoir le plus cher, que n’étant ni leur mère, ni parente, n’y voyant que ce que tout le monde y voit, je ne les desirois scandaliser. Et aussi, étant ce que je suis connue par tout le monde, ayant vécu comme j’ai jusques en l’âge que j’ai, je puis parler et hanter tout le monde. Et en cela qu’elle fasse comme moi, et en mon âge elle en pourra faire sans offense de Dieu ni scandale du monde. Mais, étant la fille du Roi, ayant épousé un prince encore qui s’appelle Roi, l’on sait bien qu’il la respecte tant qu’elle fait ce qu’elle veut, qui est cause que je dis qu’elle doit rejeter tout ce qui n’est digne d’être auprès d’une sage et vertueuse princesse, jeune, et qui pense d’être peut-être plus belle qu’elle n’est. Je sais bien que, quand vous serez hors d’auprès de là, je ne saurai par qui lui faire dire tout ceci ; car de lui écrire, à cette heure qu’elle est avec son mari, je ne lui écrirai plus rien qu’il ne puisse voir. Aussi, je vous prie lui dire qu’elle ne fasse plus comme elle faisoit, de faire cas de celles à qui il fera l’amour ; car il pensera qu’elle soit bien aise qu’il aime autre chose, afin qu’elle en puisse faire de même. Et qu’elle ne m’allègue en cela ! Car, si je faisais bonne chère à Madame de Valentinois, c’était le Roi ; et encore je lui faisois toujours connaistre que c’estoit à mon très grand regret. Car jamais femme qui aime son mari n’aime sa putain ; car on ne peut les appeler autrement, encore que le mot soit vilain à dire à nous autres. Et qu’elle ne souffre plus qu’il fasse l’amour dans sa maison à ses filles ni femmes ; car si j’eusse été aussi bien la fille de son Roi, comme il était mon Roi, je vous assure que si je l’eusse su, je ne l’eusse enduré ; quand on ne sait, l’on est excusé, ou que ce sont femmes sur qui l’on n’a puissance. Je crois que cela lui a fait mal en son endroit et qu’il a pensé qu’elle ne l’aimoit point. Mais en lui obéissant en ce que la raison veut et que les femmes de bien doivent à leur mari, et ses autres choses, quand elle lui fera connaître que l’amour qu’elle lui porte et ce qu’elle est ne lui peuvent faire endurer, il ne le saurait que trouver très bon et estimer, et l’aimera davantage.

« Je vous en ai voulu mander mon avis et vous prie de lui dire avant de partir et tout ce que vous pourrez ajouter, de quoy je ne me serois avisée ; comme vous aves plus de jugement, et, étant sur les lieux, pourrez mieux connaître ce qui sera nécessaire de lui remontrer et conseiller. Vous avez fait tant que ce peu je m’assure ne l’auriez oublié, encore que je ne vous l’eusse mandé ; mais l’affection de mère et le désir qu’elle puisse vivre heureusement et avec honneur m’a fait vous mander ceci ; car je connais tant par tous vos effets combien vous êtes affectionné, que de ma part je m’en sens tant obligée que je n’aurai de repos en mon esprit que je n’aye reconnu par quelques bons effets le service que vous avez fait, et je vous prie croire que j’en chercherai toutes les occasions et les moyens, pour n’être ingrate de ce qui m’a rendue si contente.

« Vous saurez par ce porteur toutes nos nouvelles et de votre femme qui n’a plus de fièvre ; qui sera cause que je ferai fin, priant Dieu vous avoir en sa sainte garde.

« De Saint-Maur-des-Fossés, ce xxve avril 1584.

« La bien vostre.

« Caterine. »

Et M. le comte Baguenault de Puchesse, qui le premier a publié cette lettre[45], d’ajouter : « On ne s’attendait pas assurément à voir la Reine-Mère présenter d’une façon si complète une sorte d’apologie de sa conduite passée et présente. Revenant sur le temps de sa jeunesse, elle rappelle ce qu’elle dut supporter de François Ier et de Henri II, et semble cette fois moins sûre de la vertu de Diane de Poitiers[46]. Quant à ses dames d’honneur, elle avoue qu’elle en a gardé beaucoup par nécessité, mais qu’elle voudrait voir à sa fille de meilleures connaissances. »

Mai 1584

Du mardi 1er mai 1584 au jeudi 31, ladicte dame et tout son train audict Nérac.

(Total des dépenses pour ce mois de mai, 1899 écus, 40 sols, 6 deniers. Payé 1628 écus, 16 sols, 9 deniers.

La Cour de Navarre n’était pas à Nérac depuis un mois qu’Henri de Bourbon apprit tout à coup que sa sœur, Catherine, était tombée gravement malade à Pau, ville qu’elle ne quittait guère et où son frère l’avait investie de tous les droits de souveraineté. Aussitôt il va la voir, mais non sans prévenir le Roi son maître par cette lettre du 10 mai :

« Monseigneur, je suis veneu en ce lieu de Pau en grande haste, à cause de l’extresme maladie de ma seur ; laquelle commençait à se mieux porter ; je me delibère de partir demain pour aller à Nérac, où est ma femme, pour incontinent après m’achemyner en Languedoc, par l’advis de M. de Bellièvre, qui m’a faict entendre estre besoin pour vostre servise de m’y rendre au plus tost[47]. »

Henri quitta Pau en effet le 12 mai et rentra à Nérac le 13, après avoir couché le premier jour à Nogaro et diné le lendemain à Sos. Mais il en repartait le 16 pour parcourir à petites journées la Gascogne et se diriger vers son comté de Foix où il resta tout le mois de juin et celui de juillet[48]. Marguerite, durant ce temps, demeura toute seule à Nérac.

« Monseigneur, écrit-elle à son frère, au bas d’une lettre où elle le remercie bien humblement de ce qu’il vient de faire pour elle, je ne vous escris rien des aferes de ce pais, pour ce qu’elles sont toujours an mesme estat. Nous atandons Messieurs de Matignon et de Belièvre, et le Roi mon mari et moi ne sommes ansamble, aiant esté contrentz de nous séparer tous pour le mauvès air, estant morte une de mes filles en ce chasteau. Soudin que nous serons rasemblés, je ne fauderé, s’il survient quelque nouveauté, de vous en avertir[49]. »

Malgré « le mauvais air », Marguerite ne quitta point, ce mois de mai, le château de Nérac, où elle surveillait les nombreuses réparations que son mari avait jugé utile d’y effectuer. Ne voyons-nous pas en effet, dans les registres de la Chambre des Comptes de Nérac, qu’en cette année 1584 il est question : « de la construction d’un nouveau bâtiment au château de Nérac », d’un meilleur agencement de la chambre de la Reine de Navarre, de l’entretien tout particulier des jardins, tonnelles et escalier de la tour, de l’achat d’arbres et de plantes exotiques ? etc.[50] Ne faut-il pas du reste aménager le plus convenablement possible la vieille demeure des d’Albret, en vue de recevoir l’hôte puissant, dont on annonce déjà la venue, le favori entre tous d’Henri III, l’archi-mignon, comme on l’appelle à la Cour, presque le vice roi, le fameux duc d’Épernon ?

Fac-similé d’un dessin du château de Nérac, pris sur un manuscrit de 1782. Signé Dupin de Francueil.
Cliché Ph. Lauzun                                                                                                    

FAC-SIMILÉ D’UN DESSIN DU CHÂTEAU DE NÉRAC
PRIS SUR UN MANUSCRIT DE 1782
signé Dupin de Francueil

Ce fut en effet vers le milieu de ce mois de mai, et non après la mort de son frère[51], qu’Henri III eut l’idée d’envoyer en Gascogne, Jean-Louis de Nogaret de La Valette, premier duc d’Épernon, avec la mission d’offrir officiellement au Roi de Navarre la couronne de France en qualité de premier héritier du roi régnant, mais à la condition que ce prince abjurerait la religion protestante, se ferait catholique et reviendrait à la Cour. Les deux Rois contracteraient en même temps un traité d’alliance offensive contre la maison de Lorraine et la Ligue, dont les visées devenaient chaque jour plus inquiétantes.

« Le 16 may, écrit L’Estoile dans son journal, le duc d’Épernon soupa avec le Roy au logis de Gondy au faubourg Saint-Germain, d’où il partit, après avoir perdu deux mille cinq cents écus au passe dix contre ledict de Gondy, pour aller en Gascogne trouver le Roy de Navarre et lui porter lettres de Sa Majesté, par lesquelles elle le priait, pour ce que la vie du duc d’Alençon était déplorée, de venir à la Cour et d’aller à la messe, parce qu’il le voulait faire reconnaître pour son vrai héritier. Il s’en alla accompagné de plus de cent gentilhommes, à la plupart desquels le Roy donna cent, deux cents et trois cents écus pour se mettre en bon équipage. »

Scipion Dupleix lui attribue la même cause, « Le Roy ayant permis à d’Épernon d’aller en Gascogne pour visiter la dame de La Valette sa mère, laquelle il n’avait point veue depuis sa grande faveur, et voulant l’employer envers le Roy de Navarre, duquel il désirait plus ardemment que jamais la conversion à la religion catholique, comme le seul moyen de le faire déclarer légitime successeur de la couronne, et de destruire entièrement la Ligue. Il l’instruisit donc de ses volontés sur ce sujet et lui donna pour conseil es occurences nécessaires Bellièvre[52]. »

Marguerite apprit cette nouvelle à Nérac. Mais comme son mari se dirigeait vers le comté de Foix, où devait avoir lieu l’entrevue, elle n’en eut nul souci pour le moment. Son esprit n’est tourné que vers son frère agonisant. Elle ne pense qu’à lui, se désole et malgré tout conserve encore quelque espoir : « Mon cousin, écrit-elle vers la fin de ce mois de mai au maréchal de Matignon, je ne vouderais que Montigni s’an retournast an Franse sans vous escrire et vous remersier des bonnes nouvelles que m’aves mandées de mon frère, duquel je connaissais desia à estre an poine ; car, aiant sa maladie esté si dangereuse, je ne me puis asurer si je pase un ou deux jours sans en savoir. J’en ai eu du Roi mon mari qui n’avait encore vu M. d’Espernon et l’atandait. Il m’asseure que deves aussi an estre si bien averti que je n’an alongeré ma lettre, et vous supplieré pour fin croire que n’aves nulle amie de qui fassiés estast qui vous désire plus servir que vostre plus affectionnée et meilleure cousine. Marguerite[53]. »

Et encore à M. de Villeroi : « … Si je n’avais peur de vous donner trop de poine, je vous suplierois, despaichant à M. le mareschal de Matignon, me vouloir escrire des nouveles de la santé de mon frère, de qui on me donne tous les jours de nouvelles fraieurs[54]. »

Tout espoir de sauver le duc d’Anjou était depuis lontemps perdu. Marguerite devait apprendre sous peu le fatal dénouement.

Juin 1584

Du vendredi 1er juin au samedi 30, ladicte dame Roine et son train audict Nérac.

(Total des dépenses pour ce mois de juin, 2.000 écus, 54 sols, 8 denier. Payé, 1. 697 écus, 18 sols, 1 denier.)

Le dimanche 10 juin, François de Valois, d’abord duc d’Alençon, puis duc d’Anjou, expirait à Chateau-Thierry, où il s’était retiré depuis le commencement de sa maladie, plutôt depuis sa rechute, provoquée par le dernier désastre qu’il avait essuyé dans les Flandres et connu dans l’histoire sous le nom de « la folie d’Anvers[55]. »

Si cette mort faisait du Roi de Navarre l’héritier présomptif de la couronne de France, elle enlevait à Marguerite son meilleur appui, sa dernière espérance. Toute à sa douleur, elle arrête momentanément au château de Nérac les réparations commencées, revet sa chambre, et comme au château de Pau celle de son mari, de tentures de deuil, ordonne que toutes les dames et tous les gentilshommes de sa suite se couvriront de noir et ne veut plus entendre parler ni de fêtes, ni de réceptions[56]. Bien plus, elle déclare à sa mère ainsi qu’au Roi son mari que si d’Épernon vient à Nérac, elle refuse de le recevoir, « préférant s’absenter plutôt que de troubler la fête. »

De l’archi-mignon, en effet, Marguerite avait beaucoup à se plaindre. Elle ne pouvait oublier qu’à la Cour de son frère d’Épernon s’était montré son plus cruel ennemi, et qu’il se trouvait à côté du Roi, le soir du 7 août où ce monarque l’avait en pleine fête si outrageusement insultée. Aussi persista-t-elle dans sa résolution. Il fallut pour l’adoucir que la Reine Mère donnât l’ordre formel à Bellièvre de lui faire entendre raison[57].

« Madame, lui écrivit-il de Pamiers, le jour même de l’entrevue entre le Roi de Navarre et d’Épernon, ce m’est et ce me sera toute ma vie un extrême regret de vous écrire pour une occasion qui m’est et à tous les serviteurs de cette couronne si dure à supporter. Vous aves perdu votre frère qui vous aimait uniquement. Dieu vous a conservé la Reine votre mère, qui s’intéresse plus de vous que de sa propre vie ; elle m’a commandé de vous soumettre la lettre qu’elle vous écrit sur le refus qu’aves fait de recevoir M. d’Épernon. Si le Roi votre frère, en l’envoyant, ne lui eut pas commandé de vous visiter, il eut semblé à ce prince qu’il ne veut pas de vous au rang d’amitié que tous les gens de biens désirent qu’il fasse. Je vous écris par le commandement de votre mère, vous suppliant de vous conformer à ses instructions. C’est l’avis de tous vos amis à la Cour. Donnez-moi la charge de dire au duc d’Épernon que vous lui ferez bon accueil[58]. » Et Brantôme d’ajouter que la Reine de Navarre finit par consentir à ce que sa mère lui demandait, mais avec cette réponse au Roi son mari : « Eh bien, Monsieur, je demeureray et lui fairay bonne chère, pour votre respect et l’obédience que je vous doibs. Mais, ces jours là, je m’habilleray d’un habillement dont je m’habillay jamais qui est de dissimulation et d’hypocrisie ; car je masqueray si bien mon visage de feintise, qu’il n’y verra que tout bon et honneste recueil et toute douceur ; et pareillement je poseray à ma bouche toute discrétion[59]. »

Combien préferait-elle s’entretenir à ce moment avec l’évêque de Dax, François de Noailles, de la perte de son frère bien-aimé et recevoir de ce prélat quelqu’une de ses lettres, toujours si dignes et si compatissantes, dans le genre de celle-ci :

« Du 20 juin 1584. Madame, Si la perte de laquelle il a pleu à Dieu visiter non seullement vostre Majesté et toute la France, mais aussi toute la chrétienté, fut advenue il y a deux ans ou trois ans et lors que vous n’aviez encore goutté que tout l’heur et félicité que la fortune peult despartir aux grands, je n’eusse ozé vous adresser cete-ci. Mais puisqu’il a pleu à Dieu vous laisser naguère boire à longs traitz le calice d’affliction auquel vos ennemis avoient destrampé l’amertume de vostre propre intérêt, j’estime à la vérité qu’elle n’aura non seullement désagréable ce mien petit office de consolation, mais que ce sera aussi chose superflue de la consoler sur l’occasion qui s’offre, et comme dict l’Arioste :

Portar, come si dice, a Samo vasi,
Nottole a Athene, e crocodilli a Egitto.
[60]

« Car vostre innocence a tellement sceu appeler à son secours la prudence et la patience ensemble, que la victoire vous en est demeurée…[61] » Quatre jours avant la mort du duc d’Anjou, Marguerite avait perdu également l’un de ses plus anciens et de ses plus dévoués serviteurs, son ex-chancelier Pibrac, qui mourut à Paris le 6 juin, âgé seulement de cinquante six ans. Certes, sa disparition fut moins cruelle pour elle que celle de son frère. Néanmoins, elle le regretta vivement, ne pouvant oublier ni la charge qu’il avait remplie si convenablement autrefois auprès d’elle, ni sa passion pour sa personne, ni les lettres arrogantes et souvent injustes qu’elle lui avait écrites et qui l’avaient brouillée si tapageusement avec lui trois ans auparavant, ni surtout les services tout récents qu’il avait bien voulu lui rendre encore au près de sa mère, alors que, misérable et abandonnée de tous, elle avait fait appel à son bon cœur et à sa générosité. « Peu de jours auparavant que le duc d’Anjou mourut, écrit à cet effet Guillaume Colletet dans sa Vie de Guy du Faur de Pibraci, nostre grand Guy de Pibrac[62], après avoir souffert les ennuis d’une longue maladie, mourust aagé de 56 ans, l’an 1584, le 6 des cal. de juin, après avoir esté jugé très digne de succéder à la charge de messire Christophe de Thou, premier président au Parlement de France, que la mort venoit de ravir au grand regret des Français. »

C’est du 20 au 25 juin qu’eut lieu à Saverdun d’abord, puis à Pamiers, l’entrevue du Roi de Navarre et de d’Épernon. Dupleix, dans son Histoire d’Henri III, nous en a transmis tous les détails. « Le Roi de Navarre, aiant connoissance du crédit que le duc d’Épernon avoit auprès du Roy et de la commission qu’il lui avoit donnée, n’attendit pas qu’il le vint trouver, ainsi que le duc s’y acheminoit et déja estoit à Saverdun pour descendre à Pamiers où estoit le Roy de Navarre, à quatre lieues l’un de l’autre. Le Navarrois par une cavalcade inopinée le devança et l’alla trouver à Saverdun, où il n’y eut que des compliments, le duc se réservant à luy exposer commandemans de Sa Majesté avec plus de bienséance en luy rendant ailleurs ses devoirs. Le Roy de Navarre estant donc retourné à Pamiés, le duc d’Épernon y alla le lendemain, accompagné de plus de cinq cents gentilshommes. Le Navarrais par un excès de faveur avait délibéré de luy venir au devant ; mais n’aiant que peu de noblesse pour l’accompagner, son conseil trouva plus à propos qu’il l’attendit à pied hors de la ville. Ce qu’il fit. Et aiant accueilli très gracieusement le duc le traita avec toute sorte de magnificence. » D’Épernon lui exposa alors les motifs de son ambassade ; « Que le Roi, n’ayant plus de frère, désirait le tenir en son lieu et place ; qu’ayant perdu tout espoir des enfants de son mariage, il le voulait faire déclarer et recognoistre pour le plus proche et légitime successeur de sa couronna » ; que toute la noblesse de France ne demandait qu’à l’acclamer comme tel, mais à la condition qu’il se fit catholique ; et qu’ainsi, d’accord avec son maître, il pourraient tous deux combattre utilement et efficacement les ennemis du royaume.

Henri de Bourbon en « fut grandement émeu. » Mais les ministres veillaient à ses côtés, et n’eurent pas de peine à lui faire comprendre que, l’ayant si souvent berné, le Roi de France « n’estoit même plus assez puissant pour s’an faire croire. » Il déclara donc à d’Épernon qu’il ne changerait jamais de religion, tout en l’assurant de son dévouement au Roi et en le remerciant « du soin qu’il prenait de ses intérets. »

L’entrevue de Pamiers était terminée, sans avoir pu aboutir. D’Épernon, cependant, ne se découragea pas, et il demanda au Roi de Navarre de le revoir encore à Pau, puis à Nérac, où le duc avait promis au Roi son maître d’aller visiter sa sœur. Henri y consentit de bonne grâce et partit immédiatement pour Pau, où il arriva le 30 juin au soir, afin de l’y recevoir.

Juillet 1584

Du dimanche 1er juillet au mardi 31, ladicte dame et tout son train audict Nérac.

(Dépenses totales pour ce mois de juillet 2.361 écus, 54 sols, 11 deniers. Payé 2.122 écus, 3 sols, 3 deniers).

Le Roi de Navarre demeura à Pau du 1er au 11 juillet. De grands préparatifs furent faits pour recevoir dignement l’envoyé du Roi de France.

La vaisselle d’argent royale fut aussitôt mandée à Nérac. D’autre fut louée à Michel du Baile « afin de servir, le 10 juillet, au festin que S. M. a faict à M. d’Épernon. » On alla chercher des corbeilles de fruits à Orthez. Des chasseurs furent mis en campagne, qui rapportèrent, « le 6 juillet, quelques servis, chevreuils et autres bêtes fauves de la vallée d’Ossau ; d’autres, quelques autres bêtes fauves et autres pièces de gibier de la vallée d’Aspe, pour servir aux festins que S. M. a faicts à M. d’Épernon. » Un envoyé extraordinaire partit pour Mazères, afin d’en rapporter des hérons. Enfin on depescha deux hommes sur les pics les plus élevés des environs « pour rapporter de la neige, toujours afin de servir audict festin[63] ». Seulement toute la Cour était en habits de deuil.

Au jour fixé, le roi de Navarre, avec une plus brillante escorte de gentilshommes qu’à Pamiers, alla jusqu’au hameau de Pontacq, distant de Pau de quatre lieues, à la rencontre du duc d’Épernon[64].

Mais, pas plus en Béarn que dans le comté de Foix, d’Épernon ne réussit dans son entreprise. Le Béarnais demeura inflexible. Il ne restait plus à l’archimignon qu’à venir à Nérac présenter, ainsi qu’il en avait reçu l’ordre du Roi son maître, ses hommages à la Reine Marguerite. D’Épernon quitta Pau le 11 juillet. Il n’arriva cependant dans la capitale de l’Albret que les premiers jours du mois d’août. Sans doute que, dans l’intervalle, il dut aller rendre visite à sa mère Madame de La Valette, Jeanne de Saint-Lary de Bellegarde, et mettre quelque ordre dans la gestion des nombreux domaines qu’il avait en Gascogne, au château de Caumont notamment qu’il possédait comme fief patrimonial, mais non encore à celui de Cadillac, que ne devait lui apporter que trois ans après sa femme Marguerite de Foix Candalle.

Août 1584

Du mercredi 1er août au samedi 11, ladicte dame et son train audict Nérac.

Fidèle à la promesse qu’elle avait faite à Bellièvre, la Reine de Navarre, malgré son aversion pour le personnage, consentit à recevoir le duc d’Épernon, mais ce fut bien à contre-cœur. La lettre suivante en fait foi :

« Mon cousin, écrivait-elle déjà le 7 juillet au maréchal de Matignon, je resus ancore hier par Praillon que M. de Bellièvre m’envoie une lettre de la Roine ma mère, pleine de commandemans si exprès pour voir Monsieur d’Espernon, avec telles cominations, d’autant que jaime sa vie et son repos, qui ne m’a forsée à lui obéir ; ce que toutefois j’ai encore remis après an avoir averti et resu le commandement du Roi mon mari, auquel je dois ce respaict. J’espère sa response dans six ou sept jours, et après je croi qui fauldra que je souffre ceste veue. Je la voi si afligée de la perte que nous avons faicte que certes la crainte que j’ai de l’annuier et la perdre me faict faire une force à moi-mesme que je ne pansais être an ma puissance ; et me voiant contrainte à consantir à sa voulonté, je n’ai voulu faillir de vous an avertir soudin comme selui de tous mes amis que j’onore plus et par qui je dessire plus resgler mes actions, sachant que je ne les puis guider par plus prudent conseil ni qui serait obligée de plus d’afection et bons ofises ; de quoi je vous supplie croire que me connoistrés toujours très désireuse de m’an revancher et vous servir, come vostre plus afectionnée et meilleure cousine. Marguerite[65]. »

La Reine de Navarre ne négligea cependant rien pour faire en cette occasion, ainsi qu’elle en avait l’habitude « grand appareil. » La vaisselle d’argent fut rapportée de Pau à Nérac. Le vieux château des d’Albret prit encore un air de fête ; et Marguerite ne dédaigna point de s’adresser à ses bons amis d’Agen pour louer « chez les estagniers » de cette ville « 17 douzaines de plats, 24 nappes et 24 douzaines de serviettes[66]. »

D’Épernon arriva à Nérac le samedi soir, 4 août. Henri de Navarre, venant de Lectoure, y était arrivé dans la matinée de ce même jour. L’envoyé du Roi de France y demeura deux jours, le 5 et le 6 août. Les livres de comptes de Marguerite l’attestent suffisamment, par l’état des dépenses extraordinaires qui furent faites à ce moment[67]. Quant à l’entrevue, Brantôme nous en fournit tous les détails.

« Pour rendre donc content le Roy son mari, écrit-il, car elle « l’honorait fort, aussy luy rendoit il de mesmes. Elle se desguisa de telle façon que M. d’Épernon venant arriver en sa chambre, elle le recueillit de la mesme forme que le Roy l’en avait priée et qu’elle luy avait promis ; si bien que toute la chambre, qui estoit pleine d’une infinité d’assistans qui se pressoient pour veoir ceste entrée et entrevue, en furent fort esmerveillés. Et le Roy et M. d’Espernon en demeurèrent contens ; mais les plus clair-voyans et qui cognoissaient le naturel de la Reine se doubtaient bien de quelque garde dedans. Aussy, disoit-elle qu’elle avoit joué un rolle en ceste comedie mal volontiers. Je tiens de bon lieu tout cecy[68]. »

Marguerite ne se fait pas à cette visite de son ancien ennemi. Elle redoutait quelque piège de sa part. Henri de Navarre de son côté n’était guère plus rassuré de les voir l’un à côté de l’autre. Aussi jugea-t-il à propos de se rendre lui-même à Nérac, et, comme son devoir le lui prescrivait, d’assister à l’entrevue. « Mais aussi, dit Dupleix, le Roy de Navarre, qui redoutait l’esprit de sa femme, arriva incontinent à Nérac, où le duc d’Épernon, come il a esté toujours adroit et prudent, leva de leurs esprits toutes sortes de soubçons et de deffiance[69].

Les choses marchèrent mieux qu’on ne l’avait supposé, témoin cette curieuse lettre de Madame de Noailles, Jeanne de Gontaud, à la Reine-Mère, où elle l’entretient de tout ce qui se passe en ce moment à Nérac :

Du 5 août 1584. « Madame, S’en retournant le sieur de La Roche trouver V. Majesté, j’ay bien volleu par luy, Madame, vous faire entendre des nouvelles de la Royne de Navarre (vostre filhe) qui se porte bien, la grâce à Dieu, et mesmes despuis qu’elle a esté assurée de vostre santé. Le Roi son mary arriva en ce lieu sapmedi et Monsieur d’Épernon aussy[70]. La Royne de Navarre vostre filhe luy a faict fort bonne chère, sçaichant, Madame que vous l’auriez bien agréable comme ledict La Roche vous pourra dire. Le Roy de Navarre à son retour a faict fort bonne chère à la Royne, sa femme, et luy a teneu tant d’honnestes propos qu’elle en a beaucoup de contentement ; et croyez, Madame, qu’elle faict tout ce qu’elle peult et que vous pouvés désirer pour conserver son amityé ; et me remectant audict sieur La Roche, je ne vous en diray davantage sy n’est, Madame, vous assure du fidelle et très humble servise que je désire vous faire pour ma vye et de vous rendre l’obeissance que je vous doibs. M… » Et en post-scriptum. « Madame, depuis ma lettre escripte, M. de Pernon a parlé si longuement à la Royne de Navarre vostre filhe, qu’elle m’a dict qu’elle estoit fort contente de luy. Il m’a dict aussi le semblable ; et s’en retournet aussy content qu’il pouvoit désirer ; et je m’assure, Madame, que vous aurez plaisir de sçavoir ceste nouvelle. Ledict sieur de Pernon vous, en rendra de plus certaine dans peu de jours[71]. »

Madame de Noailles se faisait quelque peu illusion sur les sentiments vrais du duc d’Épernon. Sa mission avait totalement échoué. Aussi, comprenant qu’il n’avait rien à attendre pour le moment ni du Roi ni de la Reine de Navarre, ne resta-t-il que peu de temps à Nérac. Il en repartit le 7 au matin, pressé de rejoindre à Lyon, où il l’attendait impatiemment, son maître le Roi de France. Dupleix écrit que l’obstination du Navarrais, jointe à la blessure que se fit en arrivant le duc d’Épernon occasionnée par une chute de cheval, combla l’esprit de ce monarque d’une extresme fascherie. »

Le même jour, Henri de Navarre s’empressait également de quitter Nérac pour aller coucher à Hagetmau, où l’attendait, avec non moins d’impatience, la belle Corisande[72]. Marguerite resta donc toute seule à Nérac ; mais ce ne fut pas pour longtemps, cette princesse ayant fait vœu, dans sa douleur, d’aller le 15 août, jour de l’Assomption, en pèlerinage à Notre-Dame de Bon-Encontre, près d’Agen, lieu peu connu encore où l’on avait découvert au commencement de ce xvie siècle (1511 ou 1512) une Vierge miraculeuse.

Le dimanche 12 août, ladite dame et partie de son train dîne à Chastelviel, souppe et couche au Port-Sainte-Marie. Le reste du train à Nérac.

Chastelviel pour Castelviel. Situé entre Nérac et le Port-Sainte Marie, à cinq kilomètres à peine de cette dernière ville, sur les premiers contreforts des côteaux qui bordent la rive gauche de la Garonne, le château de Castelviel, jadis aux de Lard de Galard, puis aux Bazon, appartenait depuis 1575 au sieur Jean de La Brunetière, par son mariage avec Jeanne Antoinette de Bazon[73]. Ce sont eux qui eurent donc l’insigne honneur de recevoir à leur table, le dimanche 12 août 1584, la Reine Marguerite. Ce château passa ensuite à la famille d’Alespée, de Nérac, puis aux de Guilloutet, qui en sont encore propriétaires.

Le lundi 13 août, ladite dame et partie de son train dîne à Brax, souppe audit lieu et couche à Agen ; le reste de son train à Nérac.

Nous ne savons pas qu’il ait jamais existé dans la paroisse de Saint Pierre de Brax, à six kilomètres d’Agen, dans la plaine de la rive gauche, un château assez important pour recevoir comme il convenait la Reine de Navarre. Au xviie et xviiie siècles étaient seigneurs de Brax les du Bouzet, puis les Laclaverie, en qualité de seigneurs de Sainte-Colombe. Leurs armoiries se voient encore sur la litre de l’église de Brax, au dessus de ce qui reste des vieux murs en petit appareil cubique. En tous cas, Marguerite y demeura toute la journée du lundi, peut-être à Graves, peut-être en un endroit appelé, Au castet de la Reine, ou plus simplement au modeste hôtel de ville de cette communauté, d’où elle eut soin de prévenir les consuls d’Agen de son arrivée.

Le 13 août, en effet, les consuls réunissent en toute hâte la Jurade et font part « qu’ils sont advertys que présentement la Reine de Navarre doibt entrer dans la présente ville. » Ils demandent « comment ils se doibvent gouverner pour la recevoir ; et attendeu qu’elle vient de Brax où elle a diné ce jourd’hui et passe la rivière au devant de la présente ville, s’il serait bon de l’aler recevoir avec les robes de livrée au passage, ou bien au cousté de deça sur le « bord de ladite rivière ; et s’il leur plaist de leur acister, comme aussi de leur conseiller ce qu’il faut qu’ils fassent pour l’accompagner à La Rocqual où elle va en rominaige à Notre-Dame[74].

« Les sieurs Consuls et Jurats ont conclu, résolu et arrêté que les dits sieurs Consuls iront avec leurs robbes de livrée sur le bord de la rivière de Garonne, au devant la présente ville, pour saluer ladite Royne et recepvoir ses commandemans, estant accompagnés des dits sieurs Jurats qui ont promis luy acister ; et estant arrivée, lorsqu’elle voulra aller audict rominaige, quatre desdits sieurs Consuls, avec une bonne trouppe d’hommes avec hallebardes, la doyvent conduire pour évister les bruits qui en pourraient venir. À quoy lesdits sieurs Consuls ont promis leur acister[75]. »

Les routes étaient en effet peu sûres, même aux approches de la ville ; et le bruit courait toujours que le Roi d’Espagne voulait faire enlever la Reine de Navarre en vue de la démarier et de se servir ensuite de son droit pour disputer au Béarnais la succession du Royaume[76].

Le mardi 14 aout, icelle dame et partie de son train à Agen ; le reste du train à Nérac.

Le mardi 15 dudict mois d’août, ladicte dame et partie de son train a disné à Nostre-Dame de Bonne-Fortune, souppe et couche à Agen ; le reste du train audict Nérac.

Bonne-Fortune pour Bon-Encontre, ce dernier nom donné à la vierge miraculeuse par la mère du petit berger qui venait de la découvrir sous un buisson et qui la lui avait de suite apportée, en s’écriant : Dieu nous donne Bonne-Encontre[77] !

La première histoire qui ait été écrite sur Bon-Encontre remonte à l’année 1642. Elle a pour titre : L’Heureux Rencontre du Ciel et de la Terre, par le R. Père Vincent de Rouen, religieux du Tiers Ordre de Saint-François[78]. Voici en quels termes cet écrivain raconte le pèlerinage de la Reine Marguerite :

« …C’estoit une chose bien nouvelle à ce peuple de voir une Roine de France aller en cet équipage, (Marguerite alla à pied d’Agen jusqu’à la chapelle), offrir ses services et consacrer ses couronnes à la Roine du Ciel. Toute la noblesse de l’Agenais suivait les pas et imitait les vœux de sa princesse. Tout le monde admirait comme elle faisait éclipser les éclats de sa gloire en présence de celle qui se voit maintenant ornée des clartés célestes. Cette grande Roine entre humblement dans ce pauvre oratoire et se confond soi-même de voir un lieu si peu digne de la Majesté qu’elle y vient vénérer. Elle courbe la tête et toutes ses grandeurs sous le joug amoureux de celle qui a un Dieu pour son fils et son suget, et se répute heureuse, toute roine qu’elle est, si Marie daigne la recevoir au nombre de ses humbles servantes.

« Mgr de Frégose, lors évêque d’Agen, qui l’avait accompagnée en ce pèlerinage, célébra le divin mystère de notre foi dans la sainte chapelle…[79] » Mais la Reine de Navarre, la trouvant trop petite, déclara qu’il fallait en cet endroit élever une somptueuse église et que pour sa part elle y contribuerait.

Marguerite demeura toute la journée du 15 août à Bon-Encontre. Elle était descendue, elle et sa suite, « dans une maison assez spacieuse voisine de l’oratoire, celle d’Antoine Noguès, hôtelier. La dépense fut faite au nom de la ville d’Agen par Pierre Pourcharesse, trésorier[80]. »

Le jeudi 16 août, ladicte dame et partie de son train audict Agen ; le reste du train à Nérac.

Le vendredi 17 août, ladicte dame et partie de son train disne, souppe et couche au Port-Saincte-Marie ; le reste du train à Nérac.

Le samedi 18 août, ladicte dame et partie de son train disne au Port-Saincte-Marie, souppe et couche à Nérac.

Du dimanche 19 août au vendredi 31, séjour audict Nérac.

(Dépenses totales pour ce mois d’août 3.140 écus, 7 sols, 7 deniers. Payé 2.685 écus, 46 sols, 7 deniers.)

Septembre 1584

Du samedi 1er septembre au vendredi 14, ladite dame et tout son train audit Nérac.

À ce moment fut résolu par la Reine de Navarre, à qui la solitude de Nérac commençait à peser, un nouveau déplacement. Depuis plus d’un mois Henri de Bourbon n’avait point paru en Albret. Se partageant entre le Béarn et le Bas-Quercy, il ne songeait qu’à la politique ou à ses amours. Sa femme était totalement négligée. Aussi, triste et malheureuse chaque jour davantage, Marguerite se décida-t-elle à aller aux eaux d’Encausse en Comminges, non pour chercher des distractions, ni pour rétablir sa santé en parfait état, mais bien pour demander à ces eaux salutaires (elles en avaient la réputation au xvie siècle, comme du reste aussi celles de Bagnères,) de devenir grosse et de pouvoir ainsi donner un héritier à la couronne de Navarre.

Aucun auteur jusqu’à ce jour n’a parlé de ce voyage. Il ne nous a été révélé que par ses livres de comptes et aussi par une de ses lettres au maréchal de Matignon.

Le samedi 15 septembre, ladite dame et son train à Lectoure.

Ce jour-là en effet la Reine de Navarre quitta Nérac et se rendit à Lectoure, où elle avait donné rendez-vous à son époux. Nous voyons en effet par sa correspondance, ainsi que par son itinéraire, que le Roi de Navarre quitta Montauban le 12 septembre, dîna le 13 à Castelferrus, soupa et coucha à Lavit-de-Lomagne, et qu’il arriva le 14 à Lectoure.

Les Archives municipales de Condom d’un autre côté relatent que le 15 septembre également la Reine de Navarre passa dans cette ville, « se rendant aux Eaux d’Encausse[81]. »

L’entrevue de Lectoure entre les deux époux dura deux jours, le samedi 15 et le dimanche 16. Il n’y fut question que de politique. Henri entretint sa femme des graves décisions qui venaient d’être prises à l’assemblée de Montauban, tenue au commencement de ce mois par tous les chefs du parti réformé, le prince de Condé, le comte de Laval, le vicomte de Turenne, Châtillon, etc., à laquelle assista Bellièvre, représentant du Roi, et où il fut décidé qu’une adresse serait envoyée à Henri III par Laval et Duplessis-Mornay, renfermant les plaintes dudit parti relatives à l’inexécution de l’Édit et demandant la prolongation du terme où devaient être rendues les places de sûreté[82]. Ce qui grâce à d’Épernon qui favorisait à ce moment les visées du Roi de Navarre, lui fut accordé.

Le dimanche 16 septembre, ladicte dame et son train au dit Lectoure.

Le lundi 17 septembre, ladicte dame a disné à Lectoure, souppe et couche à Auch.

Ce jour-là également le Roi de Navarre quitta Lectoure pour se rendre à Pau, où il arrivait le lendemain.

Le mardi 18 septembre, ladicte dame a disné à Auch, souppe et couche à Manseube (pour Masseube).

Le mercredi 19 septembre, ladicte dame a disné à Manseube, souppe et couche à Boullongne[83].

Le jeudi 20 septembre, ladicte dame a disné à Boulogne, souppe et couche en Causse.

Du vendredi 21 septembre au dimanche 30, ladicte dame à Encausse.

(Total des dépenses pour ce mois de septembre, 2.380 écus, 22 sols, 2 deniers. Payé : 2.078 écus, 59 sols, 2 deniers).

Le site d’Encausse est des plus séduisants. À l’extrémité d’une vallée étroite et ombreuse, dominé par le Cagire et par le pic de Gar qu’avaient divinisé les populations primitives, témoin cette inscription gravée sur un autel votif trouvé à son sommet, DEO GARO CIVES AUREATI[84], au confluent des deux petites rivières de l’Arrousec et du Job, le bourg d’Encausse, aujourd’hui canton d’Aspet, arrondissement de Saint-Gaudens, portait autrefois le nom Codz ou Cutz. Ses eaux thermales étaient connues des Romains, puisque on a découvert près de leurs sources des poteries, des mosaïques et une statue d’Isis. Scaliger croit même voir en ce lieu les thermes Onésiens dont parle Strabon. Très fréquentées aux xvie et xviie siècles, elles furent célébrées par de nombreux poètes, Pierre de Rignol[85], Chapelle et Bachaumont, et avant eux par Salluste du Bartas, le chantre préféré de Marguerite, celui dont la Muse Gasconne avait si gracieusement salué en 1578 son entrée à Nérac. Ne serait-ce pas le charme de ses vers et peut-être aussi leurs promesses qui auraient attiré Marguerite en ces lieux ?

Or, comme ma Gascogne heureusement abonde
En soldatz, blés et vins, plus qu’autre part du monde,
Elle abonde de mesme en bains non achetez,
Où le peuple estranger accourt de tous costez,
Où la femme brehaigne[86], où le paralitique,
L’ulcéré, le gouteux, le sourd, le sciatique,
Quittant du blond soleil l’une et l’autre maison,
Trouve, sans desbourser, sa propre guérison.
Encausse en est témoin, et les eaux salutaires
De Cauderetz, Barège, Aigues-Caudes, Baignères,
Baignères la beauté, l’honneur, le paradis
De ces monts sourcilleux… etc.[87]

En tous cas Marguerite voulut expérimenter leurs vertus curatives. Elle y demeura dix-neuf jours.

Nous ignorerions complètement ses impressions, si nous n’avions retrouvé au fonds français de la Bibliothèque nationale cette lettre autographe, entièrement inédite, qu’elle adressa au maréchal de Matignon, et où elle lui donne les détails suivants, assez significatifs :

« Mon cousin, j’ai resu par le retour du secretere de M. le senéchal d’Agenois une lettre de la Roine ma mère, par laquelle elle se plaint ancore que je ne lui escris asés souvent, et me commande vous anvoier mes lettres ; je rechercherois cest honneur-là à toutes heures, si san ofrait quelque digne sujet ; mes n’an aiant, la crainte de l’importuner me faict comaistre ceste aultre faute, de laquelle a pour n’estre plus accusée, je vous anverré celle que trouverés an se

paquet que je vous suplie, avec mes despeches, lui faire tenir. J’espère bientost partir de se beau lieu pour m’an retourner à Nérac, où le Roi mon mari m’assure se devoir trouver. J’ai beu neuf iours de cet eau, de quoi je me trouve fort bien à cet heure. Je prans des bains. Il faut que le profit que nous an raporterons tous soit grant, grant, pour l’incommodité que nous suportons. Car, vous ne vites james de tels logis ; et despuis deux jours qui commanse à pleuvoir, nous sommes dans la fange jusqu’au ienou. Je panse que M. d’Espau[88] vous an escrira des nouvelles, et m’an remestant à lui, je vous suplieré faire estat de mon amitié et de la voulonté que j’oré tousiours de la vous tesmougner en toutes les occasions où j’oré le moien de vous servir, désirant vous demeurer pour jamés vostre plus afectionnée et fidèle cousine.
« Marguerite[89]. »

Cette lettre n’est point datée. Mais elle ne peut avoir été écrite que d’Encausse, et non de Bagnères, attendu que le Roi de Navarre, qui en 1581 était aux Eaux-chaudes avec Fosseuse, vint chercher sa femme à Bagnères et ne l’attendait pas, comme il est dit ici, à Nérac ; qu’en 1581 Marguerite n’avait entamé encore aucune correspondance suivie avec le maréchal de Matignon, nouvellement nommé, et que cette lettre se trouve au milieu de toutes celles qu’elle lui écrivit en 1584 ; enfin, que dans ses lettres de Bagnères à sa mère, à son frère, à Chanvallon et jusque dans ses Mémoires, elle ne se plaint alors ni du mauvais temps, ni des sordides logis qu’elle était forcée d’habiter. Aucun doute, pensons-nous, ne peut donc exister à cet égard.

Octobre 1584

Du lundi 1er octobre au mardi 9, ladicte dame et tout son train audit En Causse.

La cure finie, Marguerite reprit le chemin de la capitale de l’Albret. Mais elle ne traversa pas une seconde fois la Gascogne. Elle préféra descendre la riche vallée de la Garonne qu’elle n’avait qu’entrevue en 1579, lors de sa séparation d’avec sa mère, et rentra à Nérac, à son cœur défendant sans doute et à petites journées, ainsi que nous l’apprennent ses livres de comptes, toujours si précieux pour nous.

Le mercredi 10 octobre, ladicte dame Roine a disné à Sainct-Martory, et souppe et couche à Alais (pour Alan[90]).

Sis au milieu des pentes verdoyantes qui étagent les contreforts de la rive gauche de la Garonne, le château d’Alan appartenait depuis le XIIIe siècle aux évêques de Comminges. Ils en faisaient leur résidence préférée. On y voit encore, au milieu de riches constructions modernes, une porte fort curieuse sur le tympan de laquelle la vache de Béarn supporte à son cou l’écusson écartelé de Foix et de Comminges, avec cette légende au-dessous, DILIGENTES PACEM QUIESCITE NOBISCUM, et, à la pointe de l’ogive, ces trois mots, SIGNUM DEI VIVI.

Jean de Foix, fils du dernier comte de Comminges et évêque à la fin du xve siècle, le remit à neuf et l’embellit considérablement. Ce fut Urbain de Saint-Celais, successeur de Charles de Bourbon et évêque nommé par la Reine-Mère en 1581, qui tint à honneur d’y recevoir le plus somptueusement possible la fille de sa bienfaitrice, la Reine de Navarre.

Le jeudi 11 octobre, ladicte dame et tout son train, tout le jour audit Alan.

Le vendredi 12 octobre, ladicte dame et son train a disné à Saint-Élix[91], couché à la Vernoze.

À Saint-Élix se trouvait également un beau château Renaissance, flanqué de tours rondes à ses quatre coins et qui, d’après la légende, aurait été construit par François Ier pour Diane de Poitiers. Or, la comtesse de Valentinois n’en fut jamais propriétaire, mais simplement la famille Potier de la Terrasse qui le posséda jusqu’à la fin du xvie siècle. En 1676, il fut acquis par René de Saint-Lary, seigneur de Bellegarde, maréchal de France, chez lequel voulut descendre la Reine de Navarre. À M. le comte de Suarez d’Almeida, le château de Saint-Élix est encore remarquable par son riche mobilier et son parc, dessiné au xviie siècle par Le Notre[92].

Le samedi 13 octobre, ladicte dame et tout son train a disné à Sechet (pour Seysses)[93], souppe et couche à Grenade.

Le royal convoi suivait, on le voit, la rive gauche de la Garonne. Comme à l’époque où, en sens inverse, elle accompagnait la Reine-Mère, Marguerite ne jugea pas à propos de s’arrêter à Toulouse. Elle fit ce jour-là plus de 70 kilomètres.

Le dimanche 14 octobre, ladicte dame et son train disne sur la Garonne, souppe et couche à Port-Sainte-Marye.

Fatiguée de voyager toujours par terre, Marguerite préféra s’embarquer ce jour-là sur la Garonne, alors navigable depuis Toulouse, et descendre paisiblement le cours du fleuve, sans s’arrêter ni à Moissac, Valence, Lafox, Agen, ni aussi sans cette escorte de violons et de mariniers, lesquels, comme à l’époque de son retour de Montauban avec son mari, jouaient tout le long du trajet et « dansaient sur le bord de la rivière. »

Le lundi 15 octobre, ladicte dame a disné au Port-Sainte-Marie, souppe et couche à Nérac.

Du mardi 16 octobre au mercredi 31, ladicte dame et tout son train audict Nérac.

(Dépenses totales pour ce mois d’octobre, 2510 écus, 14 sols, 10 deniers. Payé 2052 écus, 21 sols, 1 denier).

Henri de Bourbon vint le 15 à Nérac pour recevoir sa femme. Mais une fois son devoir accompli, il reprit bien vite la route de Pau, où il se trouvait le 24 octobre.

Restée seule à Nérac, Marguerite prend encore en main les intérêts de tous ceux qui s’adressent à elle. N’insiste-t-elle pas à ce moment tout particulièrement auprès de son mari pour plaider la cause des officiers du Roi et magistrats de la ville de Périgueux, qui se plaignaient « qu’il n’y eût libre accès ni demeure en ladite vile pour l’exercice de la justice et pour les parties qui la y vont chercher[94] ? »

Néanmoins la mésintelligence augmente chaque jour entre les deux époux. Le moment n’est pas loin où une nouvelle séparation, cette fois définitive, rompra les faibles liens qui les rattachent encore l’un à l’autre.

Novembre 1584

Du jeudi 1er novembre au vendredi 30, ladicte dame et son train audit Nérac.

(Total des dépenses pour ce mois de novembre 2.331 écus, 23 sols, 9 deniers. Payé 1734 écus, 57 sols, 8 deniers.)

Décembre 1584

Du samedi 1er décembre au lundi 31, ladicte dame et son train audit Nérac.

(Total des dépenses pour ce mois de décembre 2.727 écus, 57 sols, 2 deniers. Payé 2.145 écus, 55 sols, 11 deniers.)

L’année 1584 s’acheva fort tristement pour la Reine Marguerite. Abandonnée de tous, de son frère qui la détestait, de sa mère plus froide à son égard, de son mari qui vivait ouvertement avec la comtesse de Gramont, méprisée de l’entourage du Béarnais, réduite comme compagnie à ses seules dames d’honneur, elle commence à trouver insupportables et le séjour qui lui sert de prison et la situation qui lui est faite. N’a-t-elle pas en outre tout à craindre de sa rivale, qui peut-être convoite sa place et a tout intérêt à la voir disparaître ? Il ne lui reste donc qu’une voie qui s’ouvre à son ambition non éteinte, à ses idées religieuses, à ses désirs toujours inassouvis d’intrigues et d’aventures, la Ligue, de plus en plus puissante, si magistralement inspirée et dirigée par l’homme qu’elle a tendrement aimé dans sa prime jeunesse, par Henri de Guise. Un mot de lui, un signe, un souvenir de ce premier amant, et Marguerite de se jeter aveuglément dans son parti, comme elle s’était jetée autrefois dans ses bras.


  1. Archives nationales. KK. Vol. 173, p. 90. Ce volume ne donne pas, comme les précédents, la liste des serviteurs de la Reine de Navarre. Mais il est facile de la relever dans l’état de leurs gages.
  2. Voir sur ces négociations : Mémoires et Histoire Universelle de d’Aubigné ; Mémoires de Duplessis-Mornay ; Histoire du Maréchal de Matignon, par Jacques de Caillière ; Journal de l’Estoile ; Négociations diplomatiques avec la Toscane ; Lettres de Busbecq, etc. ; et de nos jours : Lettres missives d’Henri IV, publiées par Berger de Xivrey ; Lettres inédites d’Henri IV au chancelier de Bellièvre, par M. Halphen (1872) ; Lettres inédites de Marguerite de Valois, tirées de la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg, publiées par nous (Auch, 1886) ; Lettres inédites de la même à Bellièvre, par Ph. Tamizey de Larroque (Toulouse, 1897), etc., etc., sans compter toutes les lettres, encore inédites, déposées aux Manuscrits de la Bibliothèque Nationale et dont nous croyons devoir reproduire, au cours de notre travail, les plus intéressantes. À citer aussi l’article de M. le comte Baguenault de Puchesse dans la Revue des Questions Historiques (octobre 1901).
  3. Archives historiques de la Gironde, t. xvii, nos 136, 137, 138, 139, p. 348 et suivantes.
  4. Lettres inédites d’Henri IV, publiées par M. Halphen, pp. 49 et 51, d’après le vol. 15907 du fonds français de la Bibl. nat., fol. 727. — Cf. : Lettres missives, Supplément, t. ix, pp. 190 et 191.
  5. Lettres missives, t. i, p. 624.
  6. Bibl. nat., fonds Brienne, no 265, fol. 257. — Cf. : Lettres missives, t. i, p. 625.
  7. Bibl. nat. Mss. français, no 3.325, fol. 70, 76. Lettres inédites au mareschal de Matignon. — Voir aussi les lettres de Catherine à Bellièvre, janvier et février 1584, t. viii, p. 170, 172, fonds fr. no 15,907. Voir surtout le mémoire inédit : Harangue à Henri III faicte par le roi de Navarre, par M. de Pibrac, etc. Bibl. nat., fonds Brienne, vol. 295, fol. 219-229.
  8. Lettres patentes d’Henri III, transcrites au Parlement de Bordeaux le 26 septembre 1578. Archives municipales d’Agen, BB. 33, fol. 304.
  9. Cette maison qui, dans les derniers temps appartenait à la famille Martinelli, a été détruite en 1857, pour l’agrandissement du Collège, lors de la transformation de ce dernier en Lycée impérial. Deux jolies aquarelles de feu le dessinateur Mainville nous en ont gardé le souvenir : l’une, celle de la façade ouest, est au Musée d’Agen ; l’autre, représentant la façade principale, se trouve en notre possession. Nous en avons publié un joli dessin, dû au crayon si artistique de notre regretté ami Pierre Benouville, dans l’Écho de Gascogne du 5 mars 1889.
  10. Archives départementales de Lot-et-Garonne. Archives de la commune de Laplume. E. Supplément. 424. (BB. 4.)
  11. Bibl. nat. Mss. français. N. 3325, f. 73. (Anc. fonds fr. N. 8828). Lettre inédite.
  12. Idem. f. 64. Lettre inédite.
  13. Notice sur le Collège d’Agen (1888).
  14. Archives municipales d’Agen, GG, 209, 211.
  15. Idem, GG. 209.
  16. Archives municipales d’Agen, FF. 38. Jurade du 27 mars 1584.
  17. Le scribe met ici « du lundi, 1er mars ». Cette date est erronée et doit être rectifiée comme nous le faisons, en vertu de la réforme toute nouvelle (1583) du calendrier grégorien, dont il paraît ne tenir aucun compte. (Voir le dernier paragraphe de notre chapitre. Année 1582).
  18. Est-ce à Mont-de-Marsan lors des premières négociations, ou à ce moment à Pau ?
  19. Mémoires de d’Aubigné, éd. Buchon p. 495. Voir également le texte quelque peu différent qu’en donne Lalanne dans son édition, p. 69.
  20. Lettre d’Henri de Navarre au maréchal de Matignon (Lettres missives, t. i. p. 606).
  21. Pierre de Malras, baron d’Yolet, gouverneur de Buzet dans le diocèse de Toulouse.
  22. Claude Antoine de Vienne, seigneur de Clervaut, membre du Conseil d’État du Roi de Navarre. Voir l’éloge que fait de lui ce dernier dans sa lettre à Bellièvre du 17 novembre 1581, publiée par M. Halphen.
  23. Bibl. nat. fonds fr. N. 15907. f. 767. Cf : Tam. de Larroque. Op. cit.
  24. Ce dernier n’avait-il pas reçu de Catherine le mandat impératif de remettre la Reine de Navarre à son mari ? « Monsieur de Bellièvre, lui écrit-elle en effet le 26 janvier, je suis très déplaisante et ennuyée de la response que vous a faicte le Roy de Navarre sur le faict de ma fille ; car c’est une remise fondée bien légerement, laquelle neantmoings offense grandement le Roy monsieur mon filz et ne préjudicie moings à la réputation de madicte fille, apres une si longue attente et la grande démonstration qu’elle a faicte de son désir de se revoir auprès de luy, qui ne méritoit telle recompense… Toutefois je vous prye ne habandonner le faict de madicte fille, et ne vous en revenir que vous ne l’aiez, s’il est possible, remise avecque son mary. Car si vous partez et revenez devant que cela soit faict, je crains fort que les choses s’alterent et aigrissent de fason que nous rentrions an nos premieres misères, à la ruyne de ce pauvre royaume menacé de toutes parts et à l’infamye trop grande de toute nostre maison ; à quoy je vous prie d’entière affection remedier, si faire se peult ; car si vous ne le faictes, nul autre en viendra à bout… » (Bibl. nat. fonds fr., N. 15907, f. 345. — Cf. Let. de Catherine, t. viii, p. 172.)
  25. Bibl. nat., fonds Béthune. vol. 8888. f. 194. Cf : Guessard, p. 295.
  26. Idem, fonds Dupuy, no 217, fol. 187.
  27. Bibl. nat., Mss. français, no 3.325, f. 95 (anc. fonds fr., no 8.828). Lettre autographe et inédite.
  28. Voir également les lettres de cette princesse, nos xviii et xix, qu’a publiées Ph. Tamizey de Larroque dans les Annales du Midi (1898), et toutes celles, inédites, que renferment les fonds français et Dupuy de la Bibliothèque nationale.
  29. Bibl. nat., Mss. français, no 3325 (ancien fonds fr. no 8828). Lettre autographe. — Cf. : J. de Caillière, Vie du maréchal de Matignon, p. 166.
  30. Bibl. nat., Mss. fr. No3325. Lettre autographe et inédite.
  31. Mémoires de Duplessis-Mornay.
  32. Idem, t. ii, p. 516.
  33. Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg. Mss. 915. N. 29. Cf. : Lettres missives, t. i, p. 639 et Halphen, p. 50. — Cette lettre, qui n’est pas datée, doit avoir été écrite vers la fin du mois de mars. Voir également la lettre du 20 mars écrite par le Roi de Navarre à Bellièvre, tirée de la Bibliothèque nationale, vol. 15907, et publiée par M. Halphen, p. 43.
  34. Bibl. imp. de Saint-Pétersbourg. Ms. 915. N. 28. Lettre non datée. Cf. Lettres missives, t. i, 649, où nous croyons devoir rectifier l’erreur commise en note par Berger de Xivrey. Pâques ne tomba pas cette année 1584 le 26 mars, mais bien le 1er avril.
  35. Archives municipales d’Agen, FF. 38.
  36. Trois Amoureuses au XVIe siècle (Paris, C. Lévy. 1883), p. 228.
  37. Bibl. imp. de Saint-Pétersbourg, no 914, L. 15. Cf. : Lettres missives, t. i, p. 645.
  38. Mémoires de Michel de La Hugherie, publiés par le baron A. de Ruble. (Paris, 1877, 3 vol., in-8o). Voir notamment t. ii, p. 294-319.
  39. Bibl. nat. Mss. français, No 3325. Autogr. Lettre inédite.
  40. Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg. Ms. 46, pièce 23. Cf. : Tamizey de Larroque, oper. cit.
  41. La maréchale de Matignon était Françoise de Daillon du Lude, fille de Jean du Lude et d’Anne de Batarnai.
  42. Bibl. nat., Mss. fr., vol. 3325, folio 87 (anc. 8828). Autogr. Lettre inédite.
  43. Idem. Cf. : Vie du maréchal de Matignon, par J. de Caillière. C’est par erreur que dans cet ouvrage ces deux lettres sont datées de l’année 1585 ; il faut lire 1584.
  44. Bibl. nat., fonds français, No 15.907, folio 421. — Cf. : Lettres de Catherine, t. VIII, p. 180.
  45. Revue historique, Mai-Juin 1900, p. 68.
  46. Idem. Voir une autre lettre de la Reine-Mère, du 12 juin 1582, où elle écrit à propos de la passion d’Henri II : « De Mme de Valentinois, c’estoit comme de Mme d’Estampes, en tout honneur. »
  47. Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg. Mss. 914, no 8. — Cf. : Lettres missives, t. I, p. 654. Voir aussi dans ce Recueil la lettre beaucoup plus explicite, datée également de Pau, du 10 may 1584.
  48. Voir Itinéraire d’Henri IV. Lettres missives, t. II.
  49. Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg. Lettre nº XXXI, publiée déjà par nous. Oper. cit. p. 34.
  50. Archives départementales des Basses-Pyrénées. B. 1475.
  51. Presque tous les historiens, Mézeray entre autres, ont écrit que d’Épernon ne quitta la Cour qu’après la mort du duc d’Anjou. L’Estoile, Busbecq et les documents suivants affirment le contraire.
  52. Dupleix. Histoire d’Henri III. Année 1584.
  53. Bibl. nat., Mss. fr. No 3325, p. 93. Autogr. Lettre inédite.
  54. Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, No XXXII de notre ouvrage précité.
  55. Voir, pour tous les détails de la mort et des obsèques de ce prince, le Journal de l’Estoile, D’Aubigné, Histoire Universelle, et les procès-verbaux manuscrits conservés au fond français de la Bibliothèque nationale, no 3902 et 20647.
  56. Archives départementales des Basses-Pyrénées, B. 90.
  57. Voir la belle et touchante lettre que Catherine écrit à Bellièvre, le 11 juin, c’est-à dire le lendemain même de la mort de son dernier fils, où elle est « si malheureuse de tant vivre qu’elle voyt tout mourir autour d’elle ; » et où elle ajoute : « Je vous prye de dire à la Royne de Navarre, qu’elle ne soit cause de me augmenter mon affliction, et qu’elle veuille reconestre le Roy son frère comme elle doit et ne veille fayre chouse qui l’ofense, comme je say qu’il se sentira l’aistre, si elle ne voit Monsieur d’Épernon ; je dy le voyr, comme venant de son Roy et de son frère aîné, luy portant de ses lettres ; m’asseurant que, si elle le voyt, qu’elle se remettra aussi bien avec lui qu’elle y fut jeamès, ou, ne le faisant, elle me donnera beaucoup d’enviuy pour le mal qu’elle se fera. » (Bibl. nat., fonds français, No 15909, folio 254. — Cf. : Lettres de Catherine, t. viii, p. 190.)

    Voir aussi les lettres des 4 et 15 juillet, où Catherine se plaint que sa fille ne veuille profiter de cette occasion unique pour rentrer en grâce auprès du Roi son frère. (Fonds français, No 15907, folio 498 et 515.)

  58. Bibl. nat. fonds français, no 15891, folio 346. — Cf. : H. de La Ferrière, oper. citat.
  59. Brantôme, Vie de Marguerite de Valois, éd. Garnier, p. 223.
  60. « Porter, comme l’on dit, des vases à Samos, des chouettes à Athènes et des crocodiles en Égypte. » Orlando furioso, ch. XL.
  61. Bibl. nat., f. franç. Vol. 6908, p. 336. — Cf. : Revue de Gascogne, t. vi, p. 283.
  62. Publiée par Ph. Tamizey de Larroque. Paris, Aubry, 1871, p. 34.
  63. Archives départementales des Basses-Pyrénées. B. 90. Livres des comptes du Roi de Navarre.
  64. Dupleix, Histoire d’Henri III. Voir aussi dans le Recueil de Berger de Xivrey les différentes lettres que le Roi de Navarre écrit « à ses meilleurs serviteurs » pour les grouper à cette occasion autour de lui, t. I, p. 672 et suivantes.
  65. Bibl. nat. Mss. français, vol. 3325, folio 60. Autogr. et datée. Lettre inédite.
  66. Archives municipales d’Agen, FF. 38. Jurade du 25 juillet. États des linges fournis pour la Reine de Navarre.
  67. Archives nationales, KK. 173. On y voit en effet que les dépenses se montèrent le 4 août à 113 écus, 24 sols, 4 deniers ; le 5, à 231 écus, 49 sols ; et le 6 à 182 écus, 24 sols, 8 deniers.
  68. Brantôme. Vie de Marguerite de Valois. Éd. Garnier, p. 224.
  69. Dupleix. Histoire d’Henri III.
  70. C’est-à-dire la veille, le samedi 4 août, la lettre étant datée de Nérac du lendemain 5 août, qui était un dimanche.
  71. Bibl. nat., fonds français. Vol. 15568, p. 233. — Cf. ; Tamizey de Larroque. Documents inédits pour servir à l’histoire de l’Agenais, 1875, p. 167.
  72. Itinéraire de Berger de Xivrey. Voir sur Corisande l’intéressante Notice biographique, publiée par M. Ch. L. Frossard dans le Bulletin de la Société Ramond (29e année, 1894) et son portrait, reproduit à la p. 126, t. vi, 2e série, 36e année, du même Bulletin, d’après l’original conservé dans la galerie du duc de Gramont.
  73. Notes historiques sur des monuments féodaux ou religieux du dép. de Lot-et-Garonne par Jules de Bourrousse de Laffore (Agen 1882).
  74. La Rocqual est le nom du coteau, au pied duquel fut découverte la petite madone. On a élevé de nos jours, à son sommet, une statue colossale de la Vierge, qui domine tout le pays.
  75. Archives municipales d’Agen, FF. 38. Jurade du 13 août 1584.
  76. Voir sur ces bruits, peu fondés à notre sens, l’Histoire du maréchal de Matignon par Jacques de Caillière, et les services qu’aurait rendus à la Cour la maréchale de Matignon en dévoilant à temps, au commencement de cette année 1584, ces intrigues souterraines et ce projet de complot ; p. 164 et suivantes.
  77. Voir Histoire de Notre-Dame de Bon-Encontre, par un Prêtre Mariste. (Avignon, Seguin frères, 1883). Petit in-8o de 372 pages. Ouvrage très documenté.
  78. Toulouse, par Arnaud Colomiez, 1642. In-12 de 11 f., 882 pp.  Très rare.
  79. L’Heureuse Rencontre, p. 324.
  80. Archives municipales d’Agen, CC. 317. Mandat pour solde des dépenses de la collation offerte à la Roine de Navarre.
  81. Archives municipales de Condom.
  82. Mézeray, Histoire de France.
  83. Boullogne-sur-Gesse, canton de Saint-Gaudens (Haute-Garonne).
  84. Foix et Comminges, par Ernest Roschach (Paris, Hachette, 1862). in-12.
  85. Pierre de Rignol, Virtus et nobilitas fontis Encaussi (1619).
  86. Vieux mot, synonyme de stérile.
  87. Poésies de Salluste du Bartas, troisième jour de la Première Semaine, lesquelles parurent en 1578, eurent un nombre infini d’éditions et furent l’ouvrage le plus lu peut-être de la fin du XVIe siècle.
  88. M. d’Espau ou des Espaux, second supérintendant de la maison de la Reine.
  89. Bibl. nat., fonds français, vol. 3,325 (anc. 8.828), p. 89. Autogr. Lettre inédite.
  90. Alan, canton d’Aurignac, arrondissement de Saint-Gaudens (Haute-Garonne).
  91. S. Élix, canton de Fousseret, arrondissement de Muret (Haute-Garonne).
  92. Voir : Le château de S. Élix, par l’abbé Carrière, et récemment : La construction du château de S. Élix (1540-1528), par M. F. Pasquier, archiviste de la Haute Garonne (Extrait du Bulletin archéologique).
  93. Seysses-Tolosane, canton et arrondissement de Muret.
  94. Lettres missives, t. I p. 698 et en note : « Lettre de Marguerite au Roi son mari », tirée de la Bibliothèque de Tours.