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Itinéraire raisonné de Marguerite de Valois en Gascogne/Année 1585

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ANNÉE 1585


« Maison de la Royne de Navarre. Estat des gaiges des dames, damoiselles, gentilshommes et autres officiers de sa maison, etc.[1] ».

DAMES
Madame de Candalle, dame d’honneur ; même traitement que précédemment[2].
Mme de Nouailles.
Mme de Curton.
Mme de Duras.
Mme de Gondrin.
Mme de Sainct-Orens.
Mme de Chasteau-Villain.
Mme de Duras.
Mme la marquise de Canilhac.
Mme d’Estissac.
Mme de La Chastre.
Mme de Miossens.
Mme la comtesse de Carman.
Mlle de Tournon.
Mlle d’Estrac.
Mme d’Arpajon.
Mme de Saignes.
Mme de Thignonville.
Mme de Béthune.
Mme de Béthune, sa fille.
Mme de Cheverny.
Mme de La Chapelle.
Mme de d’Avantigny.
Mme de Terride.
Mme (en blanc).
Mme (en blanc).id.
Mme du Bourg.
Mme (en blanc).
Mlle de Birac.
Mlle de Goguier.
Mme de Guerponnitte.
Mlle de Picquot.
Mlle de la Marsillière.
FILLES DAMOISELLES

Mlle de Béthune.
Mlle de Villesavyn.
Mlle Marguerite Le Bon.
Mlle de Romefort.
Mlle du Certeau.
Mlle de Civrac.
Gabrielle de Raynier.
Mlle Marguerite d’Estanai.
Mlle de Vaubernier, gouvernante desdites filles.

AULTRES DAMES ET DAMOISELLES

Me de Riberac.
Me de Saincte-Geme.
Me de Bourgon.
Me du Lys.
Mlle de la Martonie.
Mlle d’Épernay.
Mlle Myron.

FEMMES DE CHAMBRE

Barbe Chausson.
Marie Chausson.
Marie Lebel.
Marguerite Crosnier.
Léonore Hayet.
Jehanne de Corbie.
Nicette Despeirera, lingère.

FEMMES DES FILLES

Françoise de Sainte-Gemme.
Ysabeau de Raine.

LAVANDIÈRES

Guillaume La Fleiche et Marguerite La Fleiche.
Nicolas Brissot.

SUPÉRINTENDANT DE LA MAISON

M. de Sainct-Orens.
M. des Espaux.

MAITRES D’HOSTEL

Le sieur de Ruppéreux.
Le sieur d’Anthérac.
Le sieur du Bourg.
Guillaume Artus, vicomte de Caen.

AULTRES MAISTRES D’HOSTEL

Le sieur de la Tronche.
Le sieur de Loubens.

PANNETIERS

Le sieur d’Oranches.
Le sieur de Migermis.
Le sieur de Lavernay.
Le sieur de Dronzay.
Le sieur de La Lieve.
Le sieur de Boullons.
Jacques de la Marche, sieur de Montagut.
Le sieur de La Nauze.
Le sieur de Saulme.
Jehan de Salelles.
Le sieur de Fongramier.

ÉCHANSONS

Le sieur de Frédeville.
Le sieur de Montifaut.
Le sieur de Tuty.
Le sieur de Marsan
François de Cazolles.
Le sieur de Castelmore.
Jehan de Louys.
Le sieur Morel.
Le sieur de Renes.
Le sieur de Limport.

ÉCUYERS TRANCHANTS

Les mêmes qu’en 1582.

ESCUYERS D’ÉCURIE

Les mêmes.

AULMONIERS

Me Gilbert de Beaufort.
Henri Le Meignan, évêque de Dignes.
Guillaume de Lis, abbé de St.-Martin
Jacques du Val, abbé de Nogent.
Claude Coquelet.
N. de Chavagnac.

CHAPPELAINS

Les mêmes.

CLERS DE LA CHAPELLE

Les mêmes.

MÉDECINS

Les mêmes.

APOTHICAIRES

Les mêmes.

AUTRES GENS DE SERVICE, VALLETS DE CHAMBRE MAISTRES DE LA GARDE ROBE, VIOLLONS, CHANTRES, SOMMELIERS, BOULANGERS, ETC.

Les mêmes qu’en 1582.

GENS DU CONSEIL, SECRÉTAIRES DES FINANCES, CONTROLLEURS, ETC.

Les mêmes.

TRÉSORIER RECEVEUR GÉNÉRAL

M. Antoine Charpentier.

etc., etc.

Janvier 1585

Du mardi 1er janvier au jeudi 31, la Roine de Navarre avec tout son train audict Nérac.

(Total des dépenses pour ce mois, 2.707 écus, 41 sols, 2 deniers. Payé 2.495 écus, 23 sols, 1 denier).

Le 31 décembre 1584, était conclu entre les princes de la maison de Lorraine et le roi d’Espagne Philippe II le traité de Joinville, en vertu duquel ce monarque prenait officiellement la Ligue sous son patronage et à sa solde.

Entre autres clauses il était stipulé : « Que les parties contractaient une ligue offensive et défensive pour la conservation de la foi catholique, tant en France qu’aux Pays-Bas ; qu’arrivant la mort du roi Henri III, le cardinal de Bourbon serait installé en sa place comme prince vraiment catholique et le plus proche héritier de la couronne, en excluant entièrement et pour toujours tous les princes de France, étant à présent hérétiques et relaps, et des autres ceux qui seraient notoirement hérétiques, sans que nul pût jamais régner qui aurait été infecté de ce venin on le tolérerait dans le royaume ; que le Cardinal venant à être Roi renouvellerait le traité de Cambrai, fait en l’an 1558 entre les rois de France et d’Espagne ; qu’il ferait bannir par édit public tous les hérétiques… que S. M. Catholique enfin, tant que la guerre durerait, fournirait aux princes français cinquante mille pistoles par mois, dont il en avancerait quatre cent mille de fixe mois en fixe mois. Etc. »

C’était répondre par un coup droit à l’alliance non dissimulée qui venait de s’établir entre le roi de France et le roi de Navarre ; c’était provoquer ouvertement ce dernier ; c’était enfin faire un nouvel appel aux armes et déchaîner sur la France toutes les passions religieuses qui, malgré tant d’efforts, allaient se réveiller plus vivaces, plus violentes que jamais.

Directement visé par ce pacte mémorable, Henri de Navarre ne s’en alarma point outre mesure. Mais il redoubla de prudence, se tint toujours sur ses gardes, et par tous les moyens possibles se prépara à toute éventualité. À cet effet il se rapproche de Montmorency ; il noue avec Matignon les relations les plus courtoises ; et tantôt à Castres, tantôt à Bergerac, plus souvent encore à Montauban, il tient en haleine son parti, décidant avec ses principaux conseillers qu’il est temps de s’opposer aux entreprises des ligueurs, lesquels, soutenus par l’or espagnol, enrôlent des troupes, achètent les consciences et entrent ouvertement en campagne.

Encore hésitante sur le parti qu’elle doit prendre, Marguerite passe le plus tristement possible tout ce long hiver à Nérac. N’est-il pas des premiers jours de l’année 1585 ce joli billet qu’elle écrit à son mari absent, et dont les termes humbles, doux, presque suppliants, attestent que si toute affection entre les deux époux s’est envolée, leurs rapports néanmoins subsistent encore convenables, ainsi qu’il appartient à des gens qui ont souci de leur dignité ?

« Monsieur, je n’eusse tant demeuré à anvoyer savoir de vos nouvelles, sy la douleur quy despuis Nouël m’a retenue au lict me l’eut permis ; mais elle m’a donné si peu de relache que je n’ai james peu jouir de ce bien jusqu’à cet heure ; ce qui m’eut fait vivre ancore an plus grant paine, si la pansée qui vous a pleu me donner de vostre bonne grase ne m’eut fait espérer di estre tousiours conservée, comme, Monsieur, je vous an supplie très humblemant. Si j’estimès les nouveles de Nesrac dignes d’occuper vos yeux à les lire, je vous dirois, Monsieur, de celle de nos Rois que nous avons solennisés à la fason acoustumée et si est trouvée bonne compaignie. La faite se feut peu dire belle, si elle eust eu l’honneur de vostre présance ; car sans cela rien à mon jugemant ne se peult estimer agréable ; et pour ne vous randre ma lettre aultre, Monsieur, je vous baise humblemant les mains. M.[3] »

Mais la situation s’aggrave de jour en jour, et Marguerite comprend bientôt qu’elle n’a plus rien à attendre de son époux.

Février 1585

Du vendredi 1er février au jeudi 28, ladicte dame et son train audit Nérac.

(Total des dépenses pour ce mois de février, 2.295 écus, 25 sols, 8 deniers. Payé 2.103 écus, 27 sols, 5 deniers).

Il se passa d’étranges choses à Nérac durant cet þiver de 1585 et plus particulièrement en ce mois de février.

D’abord, il est hors de doute que, dès ce moment, soit sous la pression directe d’Henri de Guise, soit pour se venger des humiliations qu’elle subissait sans cesse, Marguerite s’affilia à la Ligue, entra en communication directe avec le Roi d’Espagne, et s’enrola sous la bannière des pires ennemis de son mari. Espérait-elle, ainsi que certains l’ont écrit, voir poser sur sa tête, à la mort de son frère, la couronne de France ? Ou songeait-elle seulement à se créer une position indépendante, qui lui permît de vivre en toute liberté, sans avoir à redouter ni les colères de son frère, ni les menaces de son mari ?

Car n’accuse-t-elle pas à cette heure Henri de Navarre d’avoir donné à M. de Ségur l’ordre de l’enlever et de l’enfermer dans le château de Pau ? « Ma femme, écrit plus tard le Roi de Navarre à ce dernier, dict qu’estiez venu à Nérac exprès pour l’enlever et mener prisonnière à Pau, avec plusieurs aultres propos de mesme[4]. » Et ne prétendit-elle pas que la comtesse de Gramont avait cherché plusieurs fois à l’empoisonner ?

Elle-même, en retour, ne fut-elle pas accusée d’une tentative semblable à l’égard de son mari ? L’Estoile, dans son Journal, l’affirme. En tous cas, l’affaire Ferrand est là pour prouver en quelle suspicion étaient tombés tout à coup les deux époux à l’égard l’un de l’autre.

« J’ai averti Sa Majesté, écrit de Pau le 9 février Henri de Navarre à Matignon, de ce que j’ai découvert par Ferrand, secrétaire de ma femme, auquel elle avait donné congé ; et estant venu jusques-icy, je ne l’eusse fait arrester, sans le propos qu’il y a tenu. Je m’asseure que nul ne pourra trouver mauvais qu’en chose qui regarde la conservation de ma personne et pour esviter les entreprises que quelques ungs que vous pouvez penser avaient désignés, jen aye usé de la sorte[5]. »

Cette affaire Ferrand fit grand bruit à la Cour[6].

Voici comment la raconte Turenne dans ses Mémoires :

« Nous voyons, écrit-il, les pratiques de la Ligue croistre et paroistre de jour à autre, auxquelles evidemment la Reine Marguerite participait, et voyons un sien valet de chambre aller et venir, je conseille audit Roy de le faire prendre, le mener à Pau et soudain luy faire confesser ce qu’il saurait. La charge en fut donnée au capitaine Maselière de Nérac qui l’alla attendre sur le chemin de Bordeaux, venant trouver M. de Guise. Ainsi fut-il exécuté ; mais arrivé à Pau, on obtmit le principal, qui estoit de le faire chanter, et encore à Nérac sçavoir les formes qu’on y tiendroit, et tout cela pour gagner temps, durant lequel le Roy et la Reine Mère furent avertis de la prise, font une depesche, se plaignans de ce qu’un Français pris dans la France en aurait été tiré en une autre souveraineté, le redemandent avec menaces[7]. » Ferrand fut relâché faute de preuves. En tous cas Marguerite ne saurait être impliquée dans cette affaire, qualifiée par quelques uns de tentative d’empoisonnement, aucun personnage du nom de Ferrand ne figurant en 1585 dans la liste de ses serviteurs. S’agirait-il de Nicolas Ferrand, son chirurgien de 1578 ? Mais il était déjà remplacé ou congédié depuis 1580.

Tel ne fut pas l’avis, d’après d’Aubigné toujours si sujet à caution, de l’entourage immédiat du roi de Navarre. Ce dernier en effet, poussé par Corisande, aurait désiré profiter de l’incident pour répudier Marguerite et épouser la comtesse. D’autres même auraient résolu la mort de la Reine de Navarre. Mais d’Aubigné se serait interposé et l’aurait sauvée.

« J’avais oublié, écrit-il dans ses Mémoires, de rapporter que lorsque la Reine de Navarre fut revenue auprès de son mari du voyage où elle avait reçu l’affront rapporté ci-dessus, cette princesse s’était réconcilié avec tous les serviteurs de mon maitre, hormis moi ; ce qui n’empeche pas néanmoins que, dans un conseil où je fus appelé, je ne fisse changer, par mes remontrances, les avis qui allaient tous à la faire mourir ; de quoi le roi son mari me remercia très fort[8]. »

L’affaire, croyons-nous, ne prit pas de telles proportions. Des excuses furent faites par le Roi de Navarre à sa femme. Il lui envoya Frontenac pour lui expliquer les motifs qui l’avaient poussé à faire arrêter son serviteur ; et Marguerite de répondre que « si elle avait cru son mari si curieux, elle eut fait passer par lui toutes ses dépêches. »

Mars 1585

Du vendredi 1er mars au lundi 18, ladicte dame et son train audict Nérac.

Le séjour de Nérac devenait néanmoins de plus en plus difficile pour Marguerite. Le Roi de Navarre n’y paraissait plus. Mais sa surveillance redoublait chaque jour, au point que l’infortunée princesse pouvait se croire enfermée dans une véritable prison. Abandonnée de tous, ayant tout à craindre de sa rivale, sentant même son existence menacée, Marguerite prit le parti de s’enfuir de ce lieu, autrefois de délices, aujourd’hui de tristesse et de désolation.

Bien qu’aucun document certain ne nous l’apprenne, c’est dans cette première quinzaine de mars qu’elle dut recevoir des instructions précises d’Henri de Guise, de façon à pouvoir agir de connivence avec lui, dès que le signal de la prise d’armes serait donné. Aussi chercha t-elle un endroit où elle put se préparer en toute liberté. La ville d’Agen, qui faisait partie de son apanage, lui parut tout indiquée, tant par sa position stratégique et ses remparts encore bien conservés, que par le bon esprit de ses habitants, essentiellement dévoués à la cause catholique, ennemis jurés du Roi de Navarre et qui n’avaient point gardé des divers séjours qu’elle y avait fait un trop mauvais souvenir.

Le prétexte à fournir, elle le trouva facilement. Le Carême commençait. À Nérac, le culte catholique était à peine toléré. À Agen au contraire la station quadragésimale était prêchée pour la première fois à Saint-Étienne par un père Jésuite, de ceux que Marguerite avait elle-même placés à la tête du Collège. Elle exprima à son mari le désir de s’y retirer jusqu’à Pâques. Le Roi de Navarre y consentit volontiers. Et Marguerite de se tenir prête dès le 18 mars, époque où les ratifications du traité de Joinville devaient être échangées entre le Roi d’Espagne et le cardinal de Bourbon et où la Ligue devait donner le signal des hostilités.

Le mardi 19 mars, ladicte dame et partie de son train à Agen ; le reste audict Nérac.

Un document de premier ordre, actuellement aux Archives municipales d’Agen, va nous donner sur l’entrée, le séjour et les faits et gestes de la Reine Marguerite en cette ville, durant cette année mémorable de 1585, les détails les plus circonstanciés et les plus curieux.

C’est « l’Information faicte en la Ville d’Agen par Me Jacques Bonnaud, conseiller du Roy et receveur général de ses finances en Guyenne, suivant les lettres patentes dudit seigneur du 16 décembre 1585, mais faite un an seulement après, le 29 novembre 1586, sur les pertes et dommaiges soufferts en ladite ville par les Consuls, manans et habitans d’icelle à l’occasion des trouppes des gens de guerre que la Royne de Navarre y a ci-devant mises et de la peste qui a aussi beaucoup travaillé lesdits habitans durant ledit temps[9]. »

Le questionnaire, dressé par les Consuls, renferme treize articles. Vingt-sept témoins furent entendus.

Nous nous bornerons à résumer les passages les plus intéressants des principales dépositions, notamment celles des sieurs Pierre de Lafont, habitant de Layrac, premier témoin entendu, Jehan Dupré, second témoin, également de Layrac, Me Octavien de Longueville, licencié en droits et juge de Preychac, Jehan Solier, homme d’armes du sieur de Gondrin, etc.

« Dict estre mémoratif, le sieur Jehan Dupré, qu’au mois de mars mil cinq cent quatre-vingt cinq, du jour n’est mémors, il vit entrer en ladicte ville d’Agen la Royne de Navarre par la porte Sainct Anthoine, estant dans une crèche ou carosse, et certaine damoyselle avec elle, ayant seulement pour sa conduite deux ou trois hommes à cheval ; et alla descendre et se loger en la maison de feu Pierre Cambefort, bourgeois dudit Agen[10] ; que le soir dudict jour, le lendemain et plusieurs jours ensuyvant, ses officiers, ses gens et serviteurs et plusieurs gentilshommes de ce païs y entrèrent à la foulle ; laquelle dame on disait estre venue en ceste ville pour assister aux prédications, comme de fait elle y assistoit, et au service divin pendant le Caresme et après, et faisait tout acte de piété et de religion. »

Mêmes dépositions chez les autres témoins, Pierre de Lafont ajoutant que « tout le peuple fut soudain infiniment heureux qu’elle fît à Agen sa demeure[11]. » Ce fut donc sans bruit, pour n’éveiller aucun soupçon, que la Reine de Navarre fit, ce mardi 19 mars, son entrée dans la ville d’Agen. Le journal des Consuls, pas plus que les registres des Jurades, ne mentionnent son arrivée.

Du mercredi 20 mars au dimanche 31, ladicte dame et son train audict Agen.

(Total des dépenses pour ce mois de mars, 2.179 écus, 22 sols, 8 deniers. Payé 1.603 écus, 6 sols).

Avril 1585

Du lundi 1er avril au dimanche 21, jour de Pâques, ladite dame et tout son train audit Agen.

Jusqu’à ce jour de Pâques tout alla pour le mieux, bien que la Reine de Navarre augmentât chaque jour et son train et sa garde. Mais les Consuls de n’y faire nulle attention. « Car sur le bruit qui survint de la Ligue, ladicte dame Royne fist entendre au Conseil qu’elle se défiait du Roy de Navarre son mary et de plusieurs aultres de sa religion ; au moyen de quoy elle avait délibéré d’y dresser deux compaignies de gens de pied pour la sureté de sa personne et qu’elle les souldoyaient à ses dépens ; et de fait, luy qui dépose, vu que sur la fin du mois d’avril lesdites deux compagnies y furent dressées soubs la charge du cappitaine d’Aubiac et de Ligardes, ne sait de quel nombre de soldats elles étaient[12] ».

Le maréchal de Matignon du reste, instruit de l’arrivée de Marguerite à Agen, l’y toléra parfaitement, ne craignant qu’une chose, c’est que, sous le prétexte de venir voir sa femme, le Roi de Navarre ne pénétråt dans cette ville et ne s’en rendît maître. Aussi dans les nombreuses lettres qu’il adresse aux Consuls, en cette fin de mars et au commencement d’avril, ne cesse-t-il de les exhorter à faire bonne garde et à refuser l’entrée de leur ville à quiconque leur paraîtrait suspect[13].

« Messieurs, l’honneur que ce vous est qu’il ait pleu à la Royne de Navarre aller en vostre ville vous doibt encore aulmenter l’affection à vous bien conserver, comme je vous en prye, et vous assure que je vous acisteray de tout ce qu’il me sera possible[14] ».

Et Bellièvre, dans sa correspondance avec la Reine-Mère, ne confirme-t il pas à ce moment la tranquillité d’esprit et, disons-le, le peu de perspicacité du maréchal, acceptant de très bonne foi les raisons, assez peu plausibles, alléguées par la Roine de Navarre pour quitter Nérac, où, disait-elle, elle ne se trouvait point en sûreté :

« Madame, lui écrit-il, arriva hier ici un enseigne de la compagnie du maréchal de Matignon ; il m’a dit que la Reine votre fille s’étoit retirée à Agen, non que M. le maréchal estime que ladite dame veuille faire à Agen chose qui doive déplaire à Vos Majestés ; mais elle s’y réfugie pour estimer qu’elle n’était pas en sûreté à Nérac sachant la mauvaise volonté de la comtesse de Guiche et le pouvoir qu’elle a sur le Roi. »

Et tout aussi crédule que le maréchal, Bellièvre ajoute dans une seconde lettre : « Je n’ai pas omis de dire à M. de Clervaut le tort que le Roi de Navarre se fait de préférer l’amitié de la comtesse à celle de la Reine sa femme, qui a été contrainte de se retirer à Agen pour se préserver de la comtesse, qui entreprend contre sa vie[15] ».

Simples prétextes, nous l’avons dit. Marguerite était déjà affiliée à la Ligue, ayant envoyé, dès son arrivée à Agen, son médecin Choisnin au duc de Guise pour lui demander des instructions et l’assurer de sa fidélité à la cause de la Sainte-Union.

Les Ligueurs de leur côté ne restaient pas inactifs. Le 21 mars, ils s’emparèrent de Châlons, ayant à leur tête Henri de Guise ; un peu plus tard, Mayenne occupait Dijon ; presque tout l’est de la France se rangeait de leur côté ; et leur association étendait ses rameaux jusques aux villes les plus éloignées du Midi et du Sud-Ouest de la France.

Les Réformés en même temps prenaient les armes. Condé réunissait une armée en Charente, tandis qu’Henri de Navarre, s’emparant d’Auch, de Fleurance et entrant en maître dans toutes les villes de son gouvernement, faisait mine de menacer Agen.

Aussi les Consuls de cette dernière ville tinrent-ils, le 4 avril, avec la Jurade, une réunion importante et décidèrent-ils qu’ils interdiraient l’entrée de leur ville au roi de Navarre, si jamais il se présentait ; que toutes les provisions disponibles et denrées alimentaires, qui pourraient se trouver dans la banlieue d’Agen, seraient requisitionnées pour ravitailler la ville ; que la garde des portes serait doublée ; enfin que chaque matin, à six heures, ils se réuniraient à la maison commune pour gérer les affaires de la cité[16].

Ils ne pouvaient se montrer plus vigilants. Une seule chose néanmoins échappait à leur clairvoyance. Leur plus redoutable ennemi n’était ni Guise, ni Navarre, mais bien Marguerite elle-même, qui n’avait point encore levé le masque. L’occasion s’en présenta bientôt.

Du lundi 22 avril au mardi 30, ladicte dame et tout son train à Agen.

(Dépenses totales pour ce mois d’avril, 2.045 écus, 20 sols, 11 deniers. Payé 1,603 écus, 6 sols).

Tandis que Marguerite, tout entière à ses exercices de dévotion, dissimulait les projets belliqueux qu’elle avait formés, les troupes qui devaient l’aider dans ses entreprises continuaient d’arriver de plus belle et par leur turbulence et leurs exactions commençaient à inquiéter l’esprit de la population.

« Et bientost après, dépose toujours Me Jehan Dupré, y fust dressé un régiment de dix autres compagnies de gens de pied, soubz la charge du sieur Du Bouzet qui avait l’une des dites compaignies[17], et les sieurs de Monbiel, Cansegne, de Bessière, Gajan, Charry, Jougla, Pauqua, de Cruzol et du Four, chacun une des dites compaignies qui furent toutes logées dans ladite ville, et la grande foulle et oppression des habitans, d’autan que quand il n’y eut plus moien de les soldoier, ils vivoient à discrétion ; et oultre ce qui ès environs de ladicte ville y avoit neuf aultres compagnies de gens de pied, conduites par les cappitaines de Limport, de Cezan, de Palandran, Saint-Gruère, de Molinié, d’Estanel, de Teyrac, de Gaches et de Crozat, qui ordinairement venaient en ladite ville, y vivaient de la mesme façon que les dix aultres compaignies, aux despens desdits habitans. Au moyen de quoi, plusieurs des dits habitans furent contraints s’absenter de ladite ville et se retirer aux champs és aultres villes et chasteaux, tous pour le service du Roy, pour ne pouvoir plus supporter la dicte dépense et ravages faicts en leurs maisons[18] ».

Aussi fut-il très mal reçu le maréchal de Matignon, lorsque, ne se doutant encore de rien, il offrit à la fin de ce mois d’avril à la Reine de Navarre une compagnie de gens de pied à ses ordres pour la garder.

« Monsieur, écrit-il à un ministre du Roi à Paris, l’espérance que j’ay qu’il plaise au Roy me faire pourveoir à ce que j’ay faict remonstrer à Sa Majesté qu’il est nécessaire pour ceste province, me gardera en faire aucune redicte. La Royne de Navarre est à Agen. Je crains fort que ceste ville ne se perde. J’avois escrit à la Royne de Navarre, que s’il luy plaisait, je luy envoierais une compaignie de gens de pied, au lieu de celle de Boisjourdan, que le Roy n’y peult entretenir. Elle m’a faict response qu’elle n’en veult, que la ville en a assez. Il seroit besoing que le Roy mandast Boisjourdan avec sa compagnie pour aller servir de dela. Le Roy de Navarre et ladite Royne ne dissimulent plus l’inimitié qui est entre eulx. Je m’en iray à Agen aussitôt que je verray que je pourrai laisser ceste ville… Bordeaux, du dernier avril 1585[19].

Et le Roi de lui répondre, à la date du 3 mai suivant, pour le remercier d’avoir conservé le Château-Trompette de Bordeaux, mais surtout pour lui intimer l’ordre de s’acheminer le plus tôt possible vers Agen : « Car, dit-il, j’ay esté adverty que ma sœur a délibéré de s’en assurer et que désia elle se vante qu’elle l’a du tout à sa dévotion ; à quoy je vous prie remédier et n’en sortir point qu’avenant que ma dicte sœur y veuille séjourner longuement et qu’elle et madite ville dépendent de ma disposition ; estant chose que j’ai très à cœur « pour l’assiette et importance de la place ; à laquelle donc je vous prie pourveoir si bien que j’an reçoive contentement, et néanmoins vous y conduire avec vostre accoustumée prudence, afin de n’efaroucher personne.[20] »

Mais l’ordre allait arriver trop tard. Plus avisée, et sans doute pour devancer les mesures du maréchal, Marguerite résolut de tenter dans Agen un véritable coup d’État.

Mai 1585

Du mercredi 1er mai au vendredi 31, ladicte dame et son train audict Agen.

(Total des dépenses pour ce mois de mai 2.317 écus, 4 sols, 9 deniers. Payé 1.933 écus, 57 sols, 11 deniers.)

Marguerite tient sa petite armée sous la main. Deux compagnies de gens de pied, sous les ordres de d’Aubiac et de Ligardes, sont préposées, dans la ville même, à sa garde. Au dehors, plus de vingt compagnies n’attendent que le signal de commencer la campagne. Chaque jour de nouveaux gentilshommes, « entrés de nuit dans la ville », viennent se mettre à sa disposition. Enfin elle reçoit des Guise l’ordre de hâter ses préparatifs de combat. Mais d’abord, il faut qu’elle soit sûre de la ville d’Agen. Le 15 mai, elle convoque à cet effet dans la grande salle de l’Évêché tous les notables de la cité.

« Le 15 de may 1585, écrit dans ses Mémoires le consul Trinque, contemporain de ces évènements, la Royne de Navarre fist assembler le peuple, Monseigneur l’Évesque d’Agen, M. de Blasimon prieur de Saint-Caprasy, la Cour présidialle, Messieurs les Consuls[21], les sergens et caporals, et elle leur fit une grande remonstrance, leur disant que Monsieur le maréchal de Matignon avait conspiré contre elle. Et la Royne leur fist lever la main à tous et de luy promettre fidélité. Elle se fit donner les clefs de la Porte du Pin et changea le capitaine Murio qui commandait pour lors à ladite porte. Et à sa place elle y fist mettre pour commander le capitaine Falachon ; et changea le sergeant qui estoit au Pont de Garonne, et y fit mettre quantité de gens de guerre qui estoient commandés par M. de Duras[22]. À la fin les habitans de la ville d’Agen s’en sont très mal trouvez et repentis d’avoir donné cette authorité. Et ceux qui liront ce que dessus prennent garde à l’advenir de ne tomber pas en une pareille faute[23]. »

Et tous les témoins de l’enquête de déposer pareillement. « Et est le déposant mémoratif que le Conseil et principaux habitans de la ville furent mandés se trouver à l’Evêché où ladicte ame se rendit, où ledit déposant estoit aussi par curiosité ; et après quelques remonstrances faictes par ladite dame, de la deffiance crainte qu’elle avait dudit seigneur Roy de Navarre son mary et aultres de son party, pour conclusion elle demanda les clefs de la ville qui lui furent baillées. Et pendant ce Conseil, il y avait deux compaignies en armes au milieu de la place de ladite ville, près ledict evesché[24]. »

Toute résistance était impossible. Les Consuls le comprirent, et, bon gré, mal gré, durent abdiquer leur liberté entre les mains de l’altière princesse.

Celle-ci ne perdit point de temps. Elle ouvrit les portes de la ville à toutes les compagnies qui dévastaient depuis un mois les environs, et par le pillage, la violence, les exactions, elles eurent bien vite ruiné la malheureuse cité. Au début, le receveur des tailles Nicolas dut livrer les deniers desdites tailles et du taillon. Marguerite put ainsi payer ses troupes, dont le commandement fut confié, partie à François de Lignerac, bailli des montagnes d’Auvergne, sur le compte duquel nous reviendrons[25], partie à Monsieur de Duras, dont la femme Marguerite de Gramont, toujours aux côtés de Marguerite, peut être considérée, ainsi que nous l’avons déjà dit au moment où elle fut chassée de la Cour, comme son mauvais génie.

Mais les ressources furent vite épuisées. On procèda alors à des emprunts forcés sur les particuliers, lesquels ne furent jamais remboursés. Puis, on logea les soldats dans les maisons des protestants, qui furent dévalisées ; ensuite un peu partout, les officiers chez les plus riches, la troupe là où elle pouvait contenir. La ville fut écrasée sous le poids de telles charges, et l’exode des habitants commença.

« À dict savoir que pour raison de ces gens de guerre, la plupart des principaulx habitans de ladite ville se retirèrent et se cachèrent ès villes prochaines et chasteaux forts des environs, Monsieur le lieutenant Redon à Villeneuve, Loubatery à Clermont, Cambefort à Moyrax, les conseillers Raymond et Boyssonnade, juge ordinaire, à Castelcullier, le conseiller Valier à Pujols, les conseillers de la Roche Durepaire au Castella, Codoing à Guillot, et aultres ès environs où ils pouvaient, quitant et abandonnant leurs maisons[26].

« Mais, à cause de leur absence, lesdites maisons furent pillées, ravaigées et saccaigées, à cause que la dite dame mettait en chacune une compaignie entière de ses gens de pied, qui faisaient toutes sortes de dommaiges, dont ils se pouvaient adviser et vendaient les meubles desdits habitans ; et oultre que ledit sieur lieutenant Redon fust quelque temps qu’il payait 10 escus par jour pour la nourriture du sieur de Mauléon qui estoit logé en sa dicte maison, et aussi que plusieurs des dits habitants furent emprisonnés, vexés et tourmentés par desfaut de fournir ou payer ce qu’on leur demandait[27].» « Le sieur de Ranse, entre autres, qui « demeura de longs jours incarcéré en un gros pilier, resté seu debout au milieu de la rivière[28] ».

« Et dit aussi savoir, pour avoir vu, que le plus souvent il n’estoit ouvert qu’une des portes de ladite ville où le sergent majour gardait ; et quelquefois on n’en ouvrait aucune, si ce n’estoit sur le soir, qui estoit cause que les pauvres habitans à grand difficulté pouvoient faire apporter quelque peu de leurs blez, vins et aultres provisions, et ce qui demeuroit aux champs demeuroit à la disposition tant de la garnison de ladite ville que de celles des lieux circonvoisins ; au moyen de quoy, lesdits habitans ne pouvaient faire que bien peu de récolte et de provisions[29]. »

De tels tableaux se passent de commentaires.

Juin 1585

Du samedi 1er juin au dimanche 30, ladicte dame et tout son train audict Agen.

(Total des dépenses pour ce mois de juin, 2.344 écus, 22 sols, 2 deniers. Payé 493 écus, 14 sols, 10 deniers.)

Henri de Navarre ainsi que la Cour de France ne se firent pas longtemps illusion sur les projets de la Reine Marguerite. De si grands préparatifs leur donnèrent aussitôt l’éveil.

« Monsieur de Ségur, écrit le 10 juin, de Bergerac, Henri de Bourbon, despuis vostre partement les affaires n’ont pas reçeu beaucoup de changement. Ceux de la Ligue continuent à ramasser le plus d’hommes qu’ils peuvent ; leurs entreprises réussissent en peu de lieux et leurs effectz sont encore faibles. Ma femme se fortifie le plus qu’elle peut à Agen[30]. »

Et le 28 juin, toujours au même, de Lectoure :

« Nous vivons en incertitude, attendans la résolution de la guerre ou de la paix, et toutesfois bien asseurez que l’ung et l’aultre ne nous peuvent apporter que du mal. Le mareschal de Matignon n’advance guères. Ceulx d’Agen commencent à courir. Ma femme dict qu’estiez venu à Nérac exprès pour l’enlever et mener prisonnière à Pau, avec plusieurs aultres propos de mesme. Monsieur et Madame de Duras triomphent, et ne croiriez les insolens propoz dont ils usent. Notre patience dure tant qu’elle peut. Dieu veuille qu’elle puisse continuer[31]. »

Catherine, de son côté, ne se fait nulle illusion sur les projets rebelles de sa fille. À la date du 15 juin déjà, elle s’en plaint amèrement à Bellièvre. « …Je voy que Dyeu m’a laisé ceste createure pour la punytion de mes péchés, aus aflyxion que tous les jour ayle me donne. C’est mon flo (pour fléau) en cet monde. Je vous aseure que je an suys si afligée que je ne say quel remède y trover, que me aulgmente daventege mon annuy. Je vous prye panser cet que je y pourès fayre ; et, quand je vous voyré, que m’en pussiez conçoler…[32] »

Enfin, le 11 juin, Cavriana, médecin italien qui suivait la Cour partout où elle se transportait, écrit à Vinta : « La Reina de Navarra, non immemore dell injuria ricevuta ora fa l’anno, s’arma contro noi, ed ajuta gli avversarii, e fortifica Agen, dove e, terra principale della Guyenna, con tostte le terre et castella vicine, di modo che il fuoco e molti capi si spargono que e la per il rigna[33].

Néanmoins Marguerite s’efforce encore, mais bien vainement, de se conserver les bonnes grâces des Agenais.

« Le 23 de juin, écrit le consul Trinque dans son livre de raison, veille de Saint Jean, feust faict un grand feu à la place d’Agen, où la Reyne de Navarre mist le feu, accompagnée de MM. les consuls avec leurs robes consulaires. Les gens de la suite de la Reyne firent un autre feu au cimetière de la Chapelle, au bout duquel ils avaient mis un crumel avec trois chats. La Reyne les regardait, mais elle n’y mist point le feu[34]. »

C’est à ce moment, en effet, dès la dernière quinzaine de juin, que Marguerite songea à se fortifier dans Agen et qu’elle commença ces grands travaux qui allaient bouleverser la ville, en vue de bâtir une citadelle entre la Porte-Neuve et le couvent des Jacobins. Ce dernier, on le sait, occupait un vaste emplacement au-dessus des murailles qui longeaient le Gravier, dans la partie la plus haute de la cité[35]. La position, au point de vue stratégique, était on ne peut mieux choisie. Malheureusement ce quartier se trouvait habité par les familles les plus riches qui y avaient construit de superbes hôtels. On juge de leur émoi, lorsque, par ordre de la Reine, elles virent peu à peu tomber leurs élégantes demeures. « À dict estre veritable que ladite dame avait désigné pour lors de faire une cytadelle au couvent des Jacobins de ladicte ville, qui est le plus beau endroict d’icelle, regardant sur la prairie du Gravier, et y avoit commencé de faire des fossez, couppant une belle grande rue qu’on appelle la rue de Garonne, et avoit faict abattre toutes les maisons de toute une rue, depuis la Porte Neuve jusques aulx Jacobins, en laquelle rue y avoit de beaux bastiments, mesmes les maisons d’un nommé Joffrion, d’une damoyselle de Pujols, de Savignac et aultres qu’il ne sait le nom, et estime qu’il y a bien cinquante maisons rais terre et environ trente ou quarante qui ne sont du tout par terre ; mais ne sait le déposant le nom de tous les propriétaires, moins à quelle portion de taille[36]. »

Et les habitants étaient tous réquisitionnés « tant de la dite ville que juridiction, pour travailler à abattre les dites maisons, en oster les ruynes et en apporter le bois au couvent des Jacobins, travailler aussi aux fossés tant de ladicte cytadelle que de ladicte ville et faire des esperons, l’ung à la Tour de la Poudre, l’autre à la Porte Neuve et l’autre à la Porte Sainct Georges ; et que si la dicte dame eut continué à faire, la susdite ruyne eust rendu ladicte ville déserte et misérable[37].

Commencés à la fin de juin, ces travaux continuèrent tout le mois de juillet et tout le mois d’août.
Juillet 1585

Du lundi 1er juillet au mercredi 31, ladicte dame et son train audict Agen.

(Dépenses pour ce mois de juillet, 2.371 écus, 55 sols, 8 deniers. Payé 1.884 écus, 31 sols.)

Ce n’est pas seulement à Agen que Marguerite arbora l’étendard de la Ligue. Comtesse d’Agenais, de Quercy, de Rouergue et des quatre Jugeries de Verdun, Rieux, Rivière et Albigeois, elle résolut de s’en rendre souveraine maîtresse, ou tout au moins de placer l’ensemble de ses domaines sous la domination de la Sainte Union.

Son premier essai fut contre la ville de Tonneins, qui appartenait au roi son mari, et qui se trouvait être un centre protestant des plus considérables. Bien plus, commandant la vallée de la Garonne, cette ville, suffisamment fortifiée, se présentait comme un boulevard avancé contre toute armée du maréchal de Matignon, qui tenterait d’envahir l’Agenais du côté de l’ouest. Sa possession était donc ardemment convoitée par la Reine de Navarre.

Ses premières armes ne furent point heureuses. Bien qu’aucun document ne nous renseigne exactement sur cette entreprise, nous savons cependant par la lettre suivante du Roi de Navarre, qui vint en personne au secours de cette place, que la petite armée de Marguerite fut battue à plate-couture. Elle nous fixe également sur la date de l’affaire qui s’engagea dans les premiers jours de juillet, le 3 probablement.

Le lendemain 4, Henri de Navarre écrivait en effet à M. de Meslon, gouverneur de Monségur :

« Meslon. Le faict pour lequel je m’acheminay icy a si heureusement succédé, Dieu mercy, qu’il n’est besoing que vous ameniez vos trouppes. Ramenez-les incontinent et faictes travailler à bon escient aux fortifications. Si ceulx de la Ligue ne font mieulx que ce qu’ils ont faict jusques icy, je leur conseille qu’ils ne s’en meslent point. Le cappitaine Geoffre, cadet de la Reinière et son enseigne y ont esté tuez, et trente ou quarante soldats sur la place et le reste noyé, se pensantz sauver par eaue. Et la présente n’estant à aultre fin, je ne vous la feray plus longue, pour prier Dieu, vous avoyr, Meslon, en sa saincte et digne garde. De Thonneins, ce IIIIe jour de juillet 1588. Vostre meilleur maistre et amy, Henry[38]. »

Mézeray écrit de son côté que Marguerite commença ses hostilités par la prise de Tonneins, dont ses gardes s’emparèrent par surprise ; mais qu’à leur tour « ils furent bientôt investis par le Roi son mari, forcés et taillés en pièces presque en un moment[39]. »

L’affaire de Tonneins ne fait donc aucun doute. Ce qui est bien moins croyable, c’est l’affirmation de presque tous les auteurs que Marguerite commandait en personne son armée. Aucun document sérieux ne vient confirmer ce racontar. Aussi nous inscrivons nous en faux contre cette assertion, ses livres de Comptes à la main qui la font résider à Agen tout le mois de juillet et qui n’auraient point manqué, dans le cas contraire, de signaler ce déplacement. Si elle eût d’ailleurs quitté la ville qu’elle était en train de ruiner, la Reine de Navarre aurait couru grand risque de ne plus pouvoir y rentrer. La plus élémentaire prudence exigeait donc qu’elle n’en sortît pas.

Même réserve de notre part pour le siège de Villeneuve qui suivit de près l’affaire de Tonneins, et dont le résultat fut aussi défavorable à la Reine de Navarre.

Marguerite, entrée de plain pied dans la Ligue, ne pouvait en effet rester sur ce premier échec. Le traité de Nemours, signé le 7 juillet, en vertu duquel Henri III, faisant sur les conseils de sa mère une volte-face complète, s’unissait avec les Guise et retirait aux Réformés toutes les libertés qu’il leur avait concédées jusque là, allait la fortifier plus encore dans ses résolutions. Aussi profitant de la stupeur dont cette mesure frappait les Réformés, des soucis de toutes sortes qui assaillirent à ce moment le Roi son époux, « dont la moustache, au dire de l’historiographe Pierre Mathieu, blanchit soudainement à cette nouvelle », et qui écrivait à Ségur le 8 juillet, de Nérac : « Excusez-moy si je ne vous écris de ma main, j’ay tant d’affaires que je n’ay pas le loisir de me moucher[40], » elle décida de frapper un grand coup et de s’emparer de Villeneuve-sur-Lot, place de premier ordre, autant par son importance commerciale que par sa position stratégique, cette ville se trouvant à cheval sur le Lot et très fortifiée des deux côtés.

Mézeray, et d’après lui Cassany-Mazet, ont longuement raconté ce siège[41]. Aux quelques détails authentiques qu’ils ont pu trouver dans les documents de l’époque, mais dont ils se sont bien gardés d’ indiquer les sources, ils ont, chacun de leur côté, cru devoir dramatiser leur récit, y mêler des discours inventés par eux de toutes pièces et même l’agrémenter de dialogues que l’on dirait préparés pour la scène.

Il n’est que temps, pensons-nous, de remettre les choses au point.

Et d’abord, pas plus qu’à Tonneins, Marguerite ne se mit à la tête de l’expédition. D’après ses livres de Comptes, toujours si détaillés, elle ne quitta point Agen de tous ces mois de juillet et d’août. Ce furent donc, ou Lignerac, ou d’Aubiac, ou plutôt le vicomte de Duras, c’est-à-dire de vrais hommes de guerre et non une amazone romantique, qui commandèrent la petite troupe. Toujours est-il que ses soldats s’emparèrent d’abord de la partie de la ville la plus faible, sise sur la rive gauche du Lot, laquelle du reste aurait été livrée par surprise et même sans coup férir. Mais ils se heurtèrent contre les ouvrages fortifiés du pont et la citadelle de la rive droite, défendus par Nicolas Cieutat et son fils Arnaud, seigneurs de Pujols et premiers consuls de la ville ; et ils durent commencer un siège en règle. Qu’y a-t-il de vrai dans la fameuse légende, répétée à satiété par tous les auteurs à la suite de Mézeray, d’après laquelle, mandé par Marguerite en personne à la tête de son armée, le vieux Cieutat se serait rendu seul et sans armes, « comme un consul de l’ancienne République de Rome[42] » auprès de l’altière princesse, non sans ordonner au préalable à son fils de défendre jusqu’à la dernière extrémité avec cent arquebusiers la tour du Pont de la rive droite, aurait été par elle condamné à mort, traîné par ses gardes au pied de la tour où s’était enfermé son fils, et là, par une feinte aussi ingénieuse que théâtrale, se serait vu dégagé brusquement et ramené en triomphe à l’hôtel de ville, cependant que, poursuivis l’épée dans les reins par les héroïques défenseurs de la cité, les soldats de Marguerite se seraient repliés en désordre, et dès le lendemain, toujours avec la princesse, auraient levé le camp au bruit des trompettes guerrières et libératrices du roi de Navarre, qui venait du côté nord secourir la ville ?

Rien d’authentique, rien de sérieux, ne vient confirmer un seul de ces faits ; aussi, jusqu’à preuve du contraire, ne pouvons-nous les accepter. Tout ce qu’il est permis d’écrire, c’est que Villeneuve fut assiégée au mois de juillet 1585 par la petite armée de la Reine Marguerite et que cette ville fut victorieusement défendue, non comme Tonneins par Henri de Navarre en personne, mais par ses seuls et courageux habitants, à la tête desquels nous ne nous refusons pas de placer Nicolas et Arnaud de Cieutat, consuls à cette époque. La Reine-Mère, écrit le 25 juillet Busini à Vinta, se prépare à retourner en Guyenne, non-seulement pour réduire Navarre, mais pour aplanir encore les difficultés qu’il a avec son épouse, « laquelle a voulu s’emparer de Villeneuve, e gli saria riuscito, si il marito non avessi provisto con farli disfare quatro compagnie d’ifanteria ha con lei[43].

Battue à Tonneins, battue à Villeneuve, Marguerite, qui n’avait point quitté Agen, d’où elle écrivait le 25 juillet un billet à un certain M. Dupuy, de Condom, pour l’engager à venir la trouver de suite[44], tenta encore la fortune du côté de la Gascogne. Elle n’y fut pas plus heureuse.

« Mon cousin, écrivait en effet le 20 août le Roi de Navarre à Matignon, je suis venu en ceste ville de Lectoure où ma venue a esté bien à propos pour y pourvoir, car il y avait beaucoup d’entreprises dessus. « Ceste nuict, ceulx d’Agen ont essayé de surprendre Samezard[45] qui est à M. de Raillac, à mi chemin d’icy à Agen. Ils ont laissé des armes et des chevaux, et là-dedans ils sont tous catholiques. Ils se sont fortifiés et retranchés au passage d’Agen, de sorte que, sans nombre de gens, on ne les pourrait voir. À mon retour de Béarn, j’espère parler à eux… »

Et en post-scriptum : « Le capitaine Belsunce vient d’arriver qui dit que ceulx de Valence, qui est à une lieue de La Magistère, ont cinq compagnies d’Agen dedans leur ville. Les habitans tiennent un fort et ne peuvent supporter de voir manger leur bien…[46] »

Il ne restait plus à Marguerite qu’à s’enfermer dans Agen et attendre les évènements.

Août 1585.

Du jeudi 1er août au samedi 31, ladicte dame et tout son train audict Agen.

(Dépenses pour ce mois d’août, 2.483 écus, 27 sols. Payé 2.107 écus, 13 sols, 4 deniers.)

La ville d’Agen n’était pas au bout de ses peines. Un nouveau fléau allait s’abattre sur elle, en ce mois d’août 1585, et ajouter à ses calamités. Mais laissons parler les témoins de l’enquête, dont les dépositions simples et touchantes sont plus éloquentes que n’importe quel récit.

« … Et a dict que le grand débordement et dégât faict par les gens de guerre des vivres des habitans et des circonvoisins fut cause d’amener un prix excessif aux vivres ; tellement que la plupart du temps, il ne se trouvoit nul pain à vendre, ce qui faisoit mourir et endurer beaucoup de personnes de faim, et qu’à son advis, avec le mauvais traitement qui ruynoit lesdits habitans, cela engendra la peste-contagion en ladite ville, ce que touteſois on ne pouvoit persuader à ladite dame de le croire et donner congé aux habitans de se retirer aux champs.

« Et a dict aussi que ladite dame empeschoit les habitans de se retirer aux champs pour changer d’air, ni mesmes laisser sortir aucuns de leurs meubles, et que, pour cest effect, le sergen-majeur desdites compaignies estoit toujours à la Porte qui estoit ouverte. « Dict bien savoir aussi qu’à cause de ladite famine, contagion et vexation des habitans, il est mort un grand nombre de personnes en ladite ville, de toutes qualités et de tous rangs ; ne sait le nombre ; mais bien a ouy dire à plusieurs médecins et habitans que durant huict mois que la peste y a esté, il y est mort de quinze à dix huict cents personnes[47]. »

De ce nombre il faut citer le prieur des Pères Carmes, « lequel, écrit Trinque dans ses Mémoires, mourut dans son couvent, le 18 août, de la présente année, de la contagion de la peste. »

Quoique moins violente que l’épidémie qui devait surgir en 1629, 1631 et 1653, celle de 1585, on le voit, fit de cruels ravages dans la ville d’Agen. Comment en aurait-il pu être autrement, lorsque l’on songe à l’entassement de ruines qui s’amoncelaient chaque jour davantage dans cette malheureuse cité, à la chaleur accablante de l’été, au travail forcé imposé aux habitants, aux mauvais traitements, au manque de nourriture, à toutes les misères auxquelles ils étaient condamnés !

Marguerite tout d’abord ne voulut pas y croire. C’était, disait-elle, « une finte inventée par les consuls pour la forcer à quitter la ville[48]. » Bientôt cependant elle prit peur et se rendit à l’évidence. Mais force lui était cette fois de rester dans la ville qu’elle avait choisie, toute issue lui étant fermée pour songer à aller ailleurs. Et ses exigences ne firent que redoubler, ses vexations qu’augmenter, sous la pernicieuse influence du vicomte et de la vicomtesse de Duras et de la soldatesque turbulente qu’elle entretenait aux frais des habitants.

La Reine de Navarre assista cependant au feu de joie qui fut imposé aux Consuls, le 19 de ce mois d’août, en l’honneur de l’édit du Roy, portant « que tous les ministres de la R. P. R. vuidassent le royaume de France dans un mois, que tous les Huguenots allassent à la messe dans six mois, ou autrement qu’ils sortissent hors du royaume de France[49] », édit qui n’était que la conséquence du traité de Nemours. « Mgr l’Évesque d’Agen y fist chanter le Te Deum laudamus. »

N’était-elle pas engagée irrévocablement avec les chefs de la Ligue et ne devait-elle pas obéir à tous les ordres qu’elle recevait d’eux ?

Les deux lettres suivantes, inédites, du duc de Guise à l’ambassadeur d’Espagne, dom Bernardino de Mendoça, datées l’une de Chalons, du 15 août 1585, l’autre de Troyes, du 14 septembre, prouvent jusqu’à l’évidence l’entente parfaite à ce moment de Marguerite avec les chefs de la Sainte-Union :

« … Je vous fis aussy dernièrement entendre combien il estoit nécessaire secourir de moyens la princesse de Béarn[50], laquelle pour rien ne layrrait les armes et maintiendrait selon notre desseing la guerre en Gascogne, quelque desseing que l’on eust à l’estaindre. Je vous suplye en faire une depesche en toute diligence, afin qu’elle puisse toucher par nostre rescripcion, qui est pour cest fect à Fonterrabie, les cinquante mil escus que nous deuvions recepvoir, ou aultrement nos desseings de continuer la guerre viendraient à faillir ; car en final est certain qu’elle y atirera les armes. »

Et cet autre, plus explicite encore :

« J’écris présentement au Roy vostre maistre pour le suplier de secourir tout en diligence la Royne de Navarre de quelque bone somme de denyers, afin qu’elle, que nous avons establie comme obstacle aux desseings de son mari et instrument fort propre pour contrayndre le Roy très chrestien d’entrer en la guerre promise par le dernier Édict, ne soit abandonnée de ses gens, maintenant que nous avons le plus de besoing de son intencion… et remonstrez à Sa Majesté les bons offices que la dicte dame faict en Guienne pour la conservacion de nostre religion, laquelle sans son secours et les moiens dont jusques à ce jour nous l’avons aydée en seroit déjà bannie, pour estre le principal pays où tous les hérectiques de France ont establi leur refuge et retraicte et où ils délibèrent de dresser et assembler leurs principales forces…[51]. »

Les affaires d’ailleurs tournaient au tragique. On sait que, cédant aux conseils de sa mère, le versatile Henri III avait contracté avec la Ligue une nouvelle alliance, signée à Nemours au commencement de juillet et contre laquelle protesta énergiquement le roi de Navarre[52]. Henri III lui répondit en lui envoyant une députation pour le conjurer une dernière fois de se faire catholique, de rendre les places de sûreté et d’abandonner son parti. Il faut lire tout entière la belle réponse du futur Henri IV[53]. L’Église aussitôt lança sur lui ses foudres. Le 9 septembre, le roi de Navarre et le prince de Condé étaient excommuniés et la guerre partout déclarée.

Nous copions dans la collection Simancas un curieux sonnet, composé à cette époque, sur les affaires de France » et que nous croyons inédit :

Voyant de notre temps l’inconstante manière
Qui attend d’heure à aultre un changement nouveau,
L’on peult accomparer la France à ung tableau
Ou quatre grands joueurs jouent à la première :

Le Roy, sur qui doibt choir la perte tout entière,
Dit : Passe, sy je puis, bien que le jeu soit beau ;
— Je l’envye, dit Bourbon, en quictant son chapeau,
Sans veoyr ce qui luy vient à la carte dernière.

— Je tiens, dit Béarnais, y allast-il de plus ;
De Guise, soubs espoir de quelques petits flus,
L’enforce de son reste et l’autruy y hazarde.


Mais le Roy Catholique, assistant tout debout,
Y estant de moytié, couvertement reguarde
À luy fournir argent, pour enfin avoir tout[54].

Septembre 1585

Du dimanche 1er septembre au mardi 24, ladicte dame Roine de Navarre et tout son train en la ville d’Agen.

Cependant les démolitions dans Agen continuaient de plus belle ; les exactions de la dame de Duras irritaient chaque jour davantage ce qui restait de ses habitants, les têtes s’échauffaient, un vent de rébellion commençait à souffler sur la ville. Mais comment oser résister à Marguerite, à la sœur du Roi de France, à son alliée depuis le traité de Nemours, à celle qui ne disait effectuer ces travaux que pour mieux défendre la religion catholique et se prémunir uniquement contre toute attaque du Roi son mari ? Fort embarassés se trouvaient les consuls, d’un côté tenant charge d’âmes des habitants de la cité, de l’autre ayant perdu toute autorité à l’égard de Marguerite, souveraine maîtresse qui agissait selon ses caprices, sans même les consulter.

Son plan, nous l’avons dit, était de dresser un formidable ouvrage de défense sur tout le côté du triangle formé par la ville d’Agen, qui dominait le Gravier et la rivière de la Garonne, et qui, se trouvant l’endroit le plus élevé, là où était construit le couvent des Jacobins, pouvait aussi bien servir pour repousser toute attaque du côté de son mari que pour surveiller la population hésitante de la ville, laquelle, dans le cas où elle viendrait à se révolter, serait prise entre le fort de la Porte du Pin, à l’est, occupé par ses troupes, et cette citadelle des Jacobins qu’elle cherchait à rendre inexpugnable. L’ingénieur de Rives, à sa dévotion, dirigeait les travaux et fortifiait également les assaillants, c’est-à-dire au nord les portes Saint-Georges et Saint Antoine, au midi l’éperon de la Tour de la Poudre, et au sud-est la Porte-Neuve, point extrême de la voie stratégique qu’avait tracée la Reine elle-même pour se rendre du logis qu’elle habitait au couvent des Jacobins[55]. Poussée par les Guise, Marguerite ne garda plus aucune mesure.

« Je vous assure que toutes ces choses, écrit à la date du 14 septembre la Reine Mère à Villeroy, me donnent beaucoup de peine et principalement le faict de la Royne de Navarre, à quoy ne m’avez pas respondu de ce que vous priais de savoir du Roy, s’il trouveroit bon que j’en mandisse quelque chose à Monsieur de Guise, d’autant qu’il m’a asseuré et promis de luy mander qu’il ne se mesleroit jamais plus d’elle et qu’elle ne s’adressast plus à luy. Si ce n’estoit que je me diverty le plus que je puis, alant à la chasse et me promenant, je pense que je serois malade…[56] »

Les 15, 16 et 17 septembre, la Reine de Navarre fit abattre quarante-quatre maisons, en plus de celles que nous avons déjà indiquées.

Ces trois jours-là, en effet, écrit le consul Trinque, « la Roine fist abattre toutes les maisons depuis la Porte-Neuve jusques aux Jacobins, pour faire bastir la citadelle.

C’était la ruine définitive, l’effondrement de la vieille cité d’Agen, la déformité pitoyable infligée au plus beau, haut et éminent endroict de ladicte ville[57]. »

Les Consuls n’hésitèrent plus. Résolus d’en finir par eux-mêmes, ils décidèrent toutefois qu’il était prudent de prévenir le maréchal de Matignon, c’est-à-dire le représentant du Roi, lequel attendait anxieusement à Tonneins que l’occasion se présentât de faire rentrer la ville d’Agen sous l’obéissance de son maître, de qui il avait reçu du reste de formelles instructions. Ils lui envoyèrent donc un émissaire, chargé de lui soumettre leur projet et de lui demander conseil. Matignon les approuva fort et les encouragea dans la voie qu’ils proposaient. « … Suivant l’expres commandement à nous fait par Sa Majesté, leur répondit-il, vous donnons pouvoir et puissance de remettre la ville en la première liberté et obéissance dudit seigneur, prendre et saisir les forts d’icelle, chasser et expeller par la force et avec armes, si besoing est, les cappitaines, soldatz et aultres gens de guerre qui y sont, et nous y donner l’entrée pour la tenir en l’obéissance de sadite Majesté ; le tout, portant tous honneurs, respect et avec le très humble service que est deu à la Reyne de Navarre, ses dames et filhes, sans attempter à aulcune personne de ceulx qui sont à sa suite, ne portant les armes pour offenser ceulx de ladite ville[58]. »

On ne pouvait pousser plus loin la déférence.

Sûrs désormais de l’appui du maréchal, les Consuls et tout le Corps de ville arrêtèrent leurs dispositions de combat.

Le secret le plus absolu fut gardé.

Il fut décidé que le lendemain mercredi, 25 septembre, deux attaques seraient tentées simultanément, l’une contre la Porte du Pin, l’autre contre le fort des Jacobins, heureusement inachevé.

À la tête de trente hommes seulement, mais bien décidés à en finir, le consul Jean Gardès et les trois jurats, Pierre Corne, Crespin Trinque et Étienne Beaulac, tous quatre bourgeois et simples marchands de la cité, se ruent de grand matin, tandis qu’Agen dormait encore, sur le poste de la Porte du Pin. Les soldats surpris ne font aucune résistance, abandonnent la porte et se précipitent en ville pour donner l’alarme. Les officiers de Marguerite arrivent à leur tour, rallient leurs troupes et attaquent si furieusement les conjurés que, pris d’épouvante, dix huit de ces derniers s’enfuient aussitôt. Mais les douze autres restent à leur poste et se défendent vigoureusement. « Un fut tué, écrit le consul Trinque, deux autres blessés. Les ennemis mirent alors le feu à la porte, après avoir combattu quatre heures. Mais M. Dufranc vint au secours avec trente hommes, qui fist fuir les ennemis[59].

Maîtres de ce côté, les Agenais se portent en masse devant les Jacobins pour prêter main-forte à la petite troupe qui n’osait guère s’aventurer au milieu des ouvrages de défense accumulés par les soldats de la Reine Marguerite. Tout le couvent, où cependant étaient restés les Frères, avait été converti en une véritable forteresse. Plusieurs canons étaient déjà en place, et tout le dortoir des novices transformé en magasin de munitions. Des poudres y étaient amoncelées.

Certes, les troupes de Marguerite, une fois remises de leur première alarme, n’allaient pas tarder à prendre l’offensive et à avoir facilement raison de ces bourgeois plus courageux qu’expérimentés, lorsqu’un évènement imprévu vint augmenter la confusion et précipiter leur déroute. Tous les auteurs l’ont raconté à leur façon. Nous préférons donner ici la version peu connue du Père Jean Réchac, jacobin, qui dans sa vie de saint Dominique rapporte ainsi les détails de cet incident, tout en attribuant aux troupes du Roi de Navarre la cause de cette agression, ce qui est absolument faux.

« …Marguerite, qui s’estoit rendue odieuse dans Agen, lorsqu’elle voulut faire une citadelle dans la ville, ne trouva pas les Agenais en humeur de la deffendre. Elle fut contrainte de se faire un asile du couvent des Jacobins. Mais le roi s’estant préparé de l’assiéger, elle se retira dans ce couvent. Mais par une disgrace imprévue, un des soldats du Roi de Navarre qui estoit entré dans le couvent, mist le feu aux poudres, qui emportèrent tout le noviciat. Tous les novices et plusieurs de leurs Pères y furent escrasés ou tués soubs les ruines, à la réserve de deux religieux qui se trouvèrent dans les embrasures des fenetres ou des portes ; l’un desquels disait son office devant la fenêtre, l’autre sortait de sa chambre.

« Le Père Réchac, ajoute Labénazie qui nous transmet le texte de son récit, nomme ces deux religieux qui vivaient encore du tems qu’il escrivoit son histoire. Il rapporte cette aventure sur le rapport de ces deux religieux qui eschappèrent à ceste incendie et qu’il produit comme deux témoins irréprochables de la vérité de cet accident. Le Père Faber, prieur du couvent, ajoute-t-il encore, dans un mémoire qu’il a escript de sa main dit que ce fut le 25 septembre, à la première occasion que la Reine Marguerite « se recepit in hunc couventum contra impetum servorum regis Henrici ; tumultu facto cives fugaverunt eam. » Le feu prit aux poudres, qui ruina tout le petit dortoir. Frère Estienne, au début y fust écrasé. Il fut tué dans cette action 60 bourgeois, et entre autres le père du frère Audebert, « pro tuitione rei publicæ ictu catapultæ vitam commutavit[60]. »

Labrunie, Saint-Amans, et de nos jours tous les historiens qui ont parlé de la Reine Marguerite, ont rapporté cet incident. Le fait est vrai, bien que du récit du Père Réchac il faille retrancher quelques erreurs. Le feu fut mis véritablement aux poudres, sinon par un soldat du Roi de Navarre qui, on le sait, était fort loin de là et ne prit aucune part à la rébellion d’Agen, tout au moins par un bourgeois de la ville, ou encore peut-être par simple imprudence. Quoi qu’il en soit, le couvent sauta presque en entier ; la panique se mit dans les rangs des soldats de Marguerite, et il en résulta un sauve-qui-peut général. N’alla-t-on pas jusqu’à dire que Matignon, à la tête de ses troupes, était déjà en vue de la porte Saint-Georges ? Il ne restait plus à la Reine de Navarre qu’à fuir au plus vite, si elle ne voulait pas être prise.

Le départ fut lamentable. Dans le désordre et l’affolement général, seul Lignerac, le bailli d’Auvergne, celui que Marguerite allait dénommer ce jour-là le Chevalier de la Belle-Fleur, ne perdit pas la tête[61]. Il réunit en toute hâte quelques bons cavaliers, en fit une escorte à la Reine, et, quoi qu’il pût arriver, lui conseilla de partir sans plus tarder. À peine vêtue, sans même avoir le temps d’endosser son habit d’amazone, Marguerite sauta en croupe derrière lui. Madame de Duras en fit autant derrière un autre gentilhomme, et les filles d’honneur suivirent comme elles purent.

« Elle partit avec tant de hâte, écrit insolemment comme toujours le Divorce satyrique, qu’à peine se put-il trouver un cheval de croupe pour l’emporter, ni des chevaux de louage ni de poste pour la moitié de ses filles, dont plusieurs la suivaient à la file, qui sans masque, qui sans devantier, et telle sans tous les deux, avec un desaroy si pitoiable, qu’elles ressembloient mieux à des garces de lansquenetz à la route d’un camp, qu’à des filles de bonne maison ; accompagnée de quelque noblesse mal harnachée, qui, moitié sans bottes, moitié à pied, la conduisirent sous la garde de Lignerac aux monts d’Auvergne[62]. » L’étrange cortège sortit par la Porte Neuve, la seule des portes d’Agen restée libre, volontairement sans doute, et on le vit gagner la campagne et remonter le cours du fleuve, sans que nul ne daignât ni le poursuivre, ni l’arrêter.

La lutte était finie, la liberté reconquise.

« Le lendemain, écrit simplement Trinque, lequel dans cette journée mémorable du 25 septembre avait si bien mérité de sa petite patrie, M. le maréchal de Matignon arriva dans la ville d’Agen, qui trouva qu’on avait bien fait ; et en récompense de cela donna à ladicte ville d’Agen cinq cens trente escus, que M. d’Arasse, trésorier, leur délivra[63]. »

La ville en avait grand besoin :

« A dict en effet le témoin Pierre de Lafont, plus d’un an après, que tant à cause desdits gens de guerre, foules, oppressions, ruynes de maisons, que de ladicte contagion de peste, ladicte ville est extrêmement pouvre et beaucoup de personnes que le déposant cognoist sont misérables, qui avaient auparavant d’honnestes moyens ; et croit que de longtems ladicte ville ne sera remise en l’estat qu’elle estoit, tant de richesses que de batimens, s’il ne plaist au Roy y user de grandes libéralités[64]. »

Le Roi se rendit à l’évidence. À la suite de la députation d’Alain de Vaurs, envoyé vers lui pour demander des secours immédiats, il adressa aux Agenais des lettres dans lesquelles il les félicitait d’avoir su conserver leur ville en son obéissance, révoquait la cession de l’Agenais à sa sœur, réunissait cette province au domaine de la couronne, et pendant cinq années exemptait la ville de tout impôt, mais à la condition qu’aucune enquête ne serait faite sur la journée du 25 septembre, « approuvant et autorisant tout ce qui avait été fait ce jour-là[65]. »

Le mercredi 25 septembre, la Reine de Navarre et tout son train disne à Agen et couche à Brassard (pour Brassac), avec partye du train, et le reste dudict train souppe et couche à Agen. — Dépenses : 58 écus, 8 sols, 2 deniers.

Plusieurs auteurs, M. de Saint-Poncy entre autres, ont contesté le départ précipité d’Agen de la Reine Marguerite, ainsi que « ce désordre picaresque qui l’accompagna », dont Bayle notamment se fait l’écho, d’après le texte même du Scaligerana. On lit en effet dans son Dictionnaire ces piquants détails :

« La Reine de Navarre se mist en croupe derrière un gentilhomme, sans coussinet. Elle s’escorcha toute la cuisse, dont elle fust un mois malade, et en eust la fièvre. Le médecin qui la pansa est maintenant avec le Roy ; elle lui fist donner des étrivières. Elle fut mesme contrainte d’emprunter une chemise d’une chambrière au prochain lieu, jusqu’à ce qu’elle vint au commencement de l’Auvergne[66]. »

D’autres ont écrit que, poursuivie par une troupe de cavaliers lancés à ses trousses, Marguerite parcourut douze grandes lieues d’une seule traite, et ne s’arrêta même que lorsqu’elle fut arrivée à Carlat[67].

De toutes ces exagérations, il faut en rabattre. Sans aller jusqu’à dire, avec M. de Saint-Poncy, que la sortie d’Agen de la Reine de Navarre fut des plus honorables, que ses troupes se défendirent avec courage non seulement contre « ces bourgeois rebelles, » mais encore « contre les soldats de Matignon, » qui, on l’a vu, n’arrivèrent que le lendemain, que dans cette affaire « Marguerite déploya une remarquable énergie » et s’en alla, « emportant le respect et l’affection de ce pays, resté fort attaché au souvenir de sa dernière comtesse, » etc.[68], ce qui, nous l’avons suffisamment démontré, est complètement faux, le livre des Comptes de la Reine, avec l’entrefilet précité, est assez explicite pour que nous entrevoyons la vérité.

Si, en effet, ce mercredi 28, « la Reine de Navarre et tout son train, dîna à Agen, » c’est qu’elle eut le temps de préparer tranquillement son départ, à peu près sûre de ne pas être inquiétée par les habitants. Marguerite quitta donc cette ville sans trop de hâte, et elle ne fit pas le premier jour et d’une seule traite ces douze lieues légendaires que la plupart des auteurs ont rapportées. Elle se rendit, par la vallée de la Garonne d’abord, puis celle de la Séoune, jusqu’au château de Brassac, à l’entrée du Quercy, possédé à ce moment par Jean de Galard de Béarn, baron de Brassac[69], et distant d’Agen de huit lieues à peine ; ce qui du reste, nous le reconnaissons, était déjà bien suffisant pour une femme portée en croupe qui, comme Marguerite, n’avait pas l’habitude du cheval.

Quant à son train, une partie la suivit, notamment celles de ses filles qui purent trouver quelques galants cavaliers voulant bien les prendre derrière eux ; l’autre demeura à Agen. Nous allons voir, toujours dans ces précieux livres des Comptes, que les bons Agenais, bien peu vindicatifs, les laissèrent parfaitement tranquilles, sans user à leur égard de représailles, et qu’ils tinrent à honneur d’exécuter jusqu’au bout l’ordre de Matignon, lequel, on le sait, leur avait recommandé, le 20 septembre, de Tonneins, « d’avoir à porter tous honneurs et respect qui étaient deus à la Royne de Navarre, à ses dames et à ses filhes, sans attempter à aulcune personne de ceulx qui sont à sa suite. »

Le jeudi 26 septembre, ladicte dame et partye de son train disne à Castelnau et couche à Saint-Project, et le surplus dudict train en la ville d’Agen. — Dépenses : 4 écus, 16 sols.

De Brassac à Castelnau, qui est Castelnau de Monratier dans le Lot, château fortifié appartenant alors à la puissante famille de Roquefeuil, il y a vingt-sept kilomètres ; de Castelnau de Monratier à Saint-Projet, qui est Saint-Projet du Tarn-et-Garonne, canton de Caylus, arrondissement de Montauban, trente kilomètres ; ce qui fait pour cette seule étape cinquante-sept kilomètres ou près de quinze lieues, à vol d’oiseau. Nous dépassons déjà les douze lieues rapportées par les écrivains du temps. Évidemment, le départ d’Agen s’est transformé en déroute, la déroute en véritable panique.

Le vendredi 27 septembre, ladicte dame et partye de son train disne à Villeneufve, souppe et couche à Bournaisel, et le surplus de son train souppe et couche à Agen. — Dépenses : 4 écus, 16 sols.

Il s’agit ici de Villeneuve, chef-lieu de canton de l’arrondissement de Villefranche, département de l’Aveyron, à vingt-quatre kilomètres de Saint-Projet, et de Bournasel, près de Rignac, arrondissement de Rodez, à vingt-deux kilomètres de Villeneuve, célèbre par son château ruiné de la Renaissance. Total, ce jour-là, quarante-six kilomètres, toujours à vol d’oiseau.

Le samedi 28 septembre, ladicte dame et partye de son train disne à Bournaisel et couche à Entraygues, et le reste dudict train disne et couche en la ville d’Agen. Dépenses : 4 écus, 16 sols.

De Bournasel à Entraygues qui est au confluent du Lot et de la Truyère, la distance est de trente-deux kilomètres. L’étape ce jour-là fut moins fatigante. À Entraygues se trouvait un magnifique château fort du XIIIe siècle. Comme à Brassac, à Castelnau de Monratier, à Saint-Projet, à Bournasel, Marguerite, on le voit, ne s’arrêtait que dans de véritables forteresses, dont les maîtres étaient à sa dévotion et où seulement elle pouvait se croire en sûreté.

Le dimanche 29 septembre, ladite dame et partie de son train disne, souppe et couche à Monsalvy, et le surplus dudit train en la ville d’Agen. — Dépenses : 4 écus, 16 sols.

D’Entraygues à Monsalvy, un peu plus de deux lieues. Marguerite commence à se remettre de sa frayeur. Ce jour-là est dimanche. Il lui faut assister aux offices dans la célèbre abbaye de ce lieu, dont la belle église du XIe siècle est protégée par les chateaux-forts du Mandulphe et de Coffinhal.

Le lundi 30 septembre, ladicte dame et partie de son train disne à Montsalvy, souppe et couche à Carlat, et le surplus dudict train, à Agen. — Dépenses : 963 écus, 48 sols, 9 deniers.

(Total des dépenses pour ce mois de septembre, 2.502 écus, 41 sols, 3 deniers. Payé, 2.118 écus, 16 sols, 9 deniers : et quant au surplus de ce qui reste à payer pour ledit mois de septembre, montant à la somme de 384 écus, 24 sols, 6 deniers, ledit présent tresorier n’en a failct aucun payement ez lad. dame, à faulte de fonds et recepte suffisante.)

La pénible odyssée était finie. Marguerite prenait le parti de demeurer, du moins quelque temps, dans ce sombre château de Carlat, à onze kilomètres sud-est d’Aurillac, sur une colline élevée, au-dessus des gorges profondes et pittoresques du Goul, dans le pays le plus sauvage de cette partie de la Haute-Auvergne ; forteresse imprenable, qui, au dire de d’Aubigné « sentait plus la tannière du larron que la demeure d’une Reine[70]. » Marcé, frère de Lignerac, en était gouverneur. Ce fut la raison principale pour laquelle le bailli d’Auvergne, son amant disent les pamphlets de l’époque, en tous cas son geôlier, y conduisit Marguerite, qui du reste avait reçu en apanage la vicomté de Carlat et celle de Murat. La Reine de Navarre était donc là chez elle[71]. Ses épreuves, malheureusement, n’étaient point terminées.

Octobre 1585

Du mardi 1er jour d’octobre au jeudi 31, ladicte dame Roine de Navarre et partie de son train au chasteau de Carlat.

(Total des dépenses pour ce mois d’octobre, 1.856 écus, 54 sols, 8 deniers. Payé, 1.790 écus, 46 sols, 8 deniers.)

« Et abordant ce chasteau de Carlat, écrit d’Aubigné dans son Histoire Universelle[72], le capitaine de la place dit à cette princesse qu’elle estoit la bien venue. À quoi il eut la response qu’il méritoit. Et puis voyant une fenestre grillée à neuf sur une roche précipiteuse de trente brasses, le capitaine s’excusa sur le commandement qu’il en avait exprès du Roi. Elle refusa de le croire, disant que son frère et son mari lui feraient plustot ouvrir ce passage. »

De gré ou de force, la Reine de Navarre était bien prisonnière dans le château de Carlat. Mais tout d’abord elle ne se plaignit pas. Harassée de fatigue, malade pendant plus d’un mois, Marguerite ne songe qu’à rentrer en possession de ses bijoux, de son linge, de son argent, se trouvant absolument dénuée de tout. Elle écrit au duc de Guise, elle envoie le vicomte de Duras en Espagne demander des secours à Philippe II, et elle expédie le capitaine Marcé ou de Marzé, frère de Lignerac, à Agen, pour rapporter tout ce que dans sa fuite précipitée elle y a laissé.

Le 17 octobre, le duc de Guise, qui ne considérait point encore la partie comme perdue, écrivait à dom Bernardino Mendoça, ministre de Philippe II, la lettre suivante, inédite :

« Mons., vous avez sceu maintenant come par faulte de recours d’argent, la Royne de Navarre a esté contraincte de quiter Agen et laysser la Guienne à la merci de ceulx de la Religion, lesquels courans et pillans à leur volonté ne sont resserrez ni empechés de personne, bien que en apparence il y ait forces sufisantes pour ce faire ; ce qui me donne beaucoup de défiances, al effect desquelles je espère toutefois de remédier par le bon secours du Roy vostre maistre, en atendan lequel s’il plaisait à Sa Majesté d’aider ladite Dame de la somme dont je lui ai faict la très humble prière par ma dernière depesche, elle pourroit se remettre sus et exécuter quelque belle entreprinse qu’elle a sur la mesme ville dont elle a esté sortie et sur plusieurs aultres de grande importance ; mais il fauldrait qu’elle feust formée du costé de Lion et s’il estoit possible que ce feust par letre de change audit Lion…[73] »

Vains efforts ! Philippe II ne partageait point ces illusions. Ne comptant plus sur l’habileté militaire de Marguerite, il faisait la sourde oreille et lui refusait tout secours.

Du côté d’Agen, les affaires de la Reine de Navarre ne marchaient guère mieux. Elle y avait laissé comme trésorier provisoire un certain Choisnin, chanoine, dit M. de La Ferrière, mais qui n’est autre que François Choisnin, son conseiller et secrétaire depuis 1582, lequel était chargé de liquider la situation et de faire partir le reste de son train, sa garde-robe, ses bijoux. Mais sa mission n’était guère facile, les Agenais commençant à demander de nombreuses indemnités et à exiger le paiement des sommes dues.

C’est ainsi qu’un certain Jean Vialles réclame 256 écus, « pour le louage, nourriture, entretenement de 26 chevaux de bast, durant dix jours, pour avoir porté les coffres et meubles de ladite dame Roine, de ceulx de Madame de Duras et de ceulx des filles, damoiselles, femmes de chambres et officiers de Sa Majesté » ; — que Germain Plantié et Antoine Delprat, marinier, demandent également qu’il leur soit payé ce qui leur est dû pour le transport « en 2 grands bateaux, d’Agen au Port, des coffres et hardes de Madame de Noailles et autres filles et damoiselles[74] », etc.

Tout ce que Marcé et Choisnin purent obtenir, c’est que le reste du train de la Reine quittât au plus vite Agen, où il ne se considérait plus en sûreté, et provisoirement s’en allât au Port-Sainte-Marie achever ses préparatifs de départ.

Le livre des Comptes est formel à cet égard et nous donne sur cette nouvelle odyssée de la maison de la Reine de Navarre les détails les plus circonstanciés. Nous y lisons en effet :

Le mercredi 2 octobre, le surplus dudict train disne à Agen, couche au Port-Sainte-Marie.

Du jeudi 3 octobre au jeudi 31, le surplus dudict train au Port-Sainte-Marie.

Novembre 1585

Du vendredi 1er novembre au samedi 30, ladicte dame Roine de Navarre et partie de son train à Carlat.

(Dépenses totales, 2.015 écus, 14 sols, 1 denier. Payé, 770 écus, 32 sols, 1 denier.)

Du vendredi 1er novembre au lundi 11, le surplus dudict train au Port-Sainte-Marie.

Le mardy 12, le surplus dudict train souppe et couche à Agen.

Le mercredi 13, ledict train disne à Agen, souppe et couche à Lafotz.

Les jeudi 14, vendredi 15 et samedi 16 tout le jour audict Lafotz.

Le dimanche 17, ledict train disne à La Magistère, souppe et couche à Vallance.

Les lundi 18, mardi 19 et mercredi 20, ledict train à Mouassac.

Le jeudi 21, ledict train disne à Mouassac, couche à Lozerte.

Le vendredi 22, tout le jour audict Lozerte.

Le samedi 23, ledict train disne à Lozerte, souppe et couche à Cahors.

Le dimanche 24, ledict train tout le jour audict Cahors.

Le lundi 25, ledict train disne à Cahors, souppe et couche à Beauregard.

Le mardi 26, ledict train disne à Beauregard, souppe et couche à Villefranche-de-Rouergue.

Les mercredi 27 et jeudi 28, à Villefranche-de-Rouergue.

Le vendredi 29, ledict train disne à Villefranche-de-Rouergue, souppe et couche à Rignac.

Le samedi 30, ledict train disne à Rignac, souppe et couche à Villecomtal.

Décembre 1585

Du dimanche 1er décembre au mardi 31, ladicte dame et son train à Carlat.

(Dépenses totales, 2.004 écus, 1 sol, 1 denier. Payé, 494 écus, 43 sols, 1 denier.)

Le dimanche 1er décembre, le surplus dudict train disne à Entraygues, souppe et couche à Monsalvy.

Le lundi 2, tout le jour à Monsalvy. Le mardi 3, ledict train disne à Monsalvy, souppe et couche à Carlat.

Ce jour-là, Marguerite rentra en possession d’une bonne partie de ce qu’elle avait laissé à Agen[75]. Quelques objets cependant manquaient à l’inventaire, notamment de magnifiques perles d’une très grande valeur, auxquelles la Reine tenait beaucoup. Elle s’adressa aussitôt aux consuls, qui ne répondirent pas. Furieuse de ce manque d’égards, elle leur écrivit une nouvelle lettre où elle les accusait de les avoir volées, les somma de les rendre au plus vite et les menaça, s’ils ne lui obéissaient, de revenir à Agen à la tête de ses troupes et de mettre la ville au pillage. En même temps elle chargeait Mlle de Noailles, une de ses demoiselles d’honneur demeurée en Agenais, de prendre en mains cette affaire et d’intercéder pour elle.

« Dans la chambre du Conseil de MM. les Consuls de la ville d’Agen, est procédé à un interrogatoire au sujet de lettres où il est question de perles appartenant à la Reine de Navarre et de la menace qu’aurait faicte ladite dame Reine de rentrer à Agen et de mettre la ville au pillage…

« …Et est entendu le sieur Darquié, de garde à la porte Saint-Antoine, qui a pris et amené un messager portant des lettres de la demoiselle de Noailles, qui ont été lues, plus un billet dedans où il est fait mention de quelques perles ayant appartenu à ladite Reine ; ainsi que d’une nommée Marie, veuve de feu Cazabon, qui escript à lad. damoiselle et lui parle desd. perles. Il ressort que lad. damoiselle est chargée de les recouvrer. » Il est dit de plus dans un de ces billets que la Reine est bien décidée à venir à Agen les prendre ou mettre la ville au pillage. » Mais ce dernier propos est contredit et même nié[76].

Par une très curieuse coïncidence, nous lisons dans l’Inventaire des Archives départementales des Basses-Pyrénées que le Roi de Navarre accorde à ce moment une gratification de 700 écus aux capitaines Marsollan, Coustous et Saint-Avit, pour avoir enlevé à des soldats deux colliers de pierreries appartenant à la Reine de Navarre[77]. Sont-ce les mêmes perles ? Et, dans ce cas, le Roi de Navarre les rendit-il à sa femme ? Tout porte à croire qu’il n’en fut rien, les rapports entre les deux époux restant plus que tendus, et Henri de Bourbon ne cachant pas son mépris pour celle qu’il appelait autrefois « m’amie. »

« …Ne craignes rien, mon âme, écrit le 7 décembre de cette année le Roi de Navarre à la comtesse de Gramont, quand ceste armée qui est à Nogaro m’aura monstré son dessein, je vous iray voir et passerai sur les ailes d’Amour, hors de la cognoissance de ces misérables terriens, après avoir pourveu, avec l’aide de Dieu, à ce que ce vieux renard (de Matignon) néxécute son dessein. Il est venu un homme, de la part de la Dame aux chameaux, me demander passeport pour passer cinq cens tonneaux de vin, sans payer taxe, pour sa bouche ; et ainsy est escript en une patente. C’est se déclarer ivrognesse en parchemin. De peur qu’elle ne tombast de si hault que le dos de ses bestes, je le luy ai refusé. C’est estre gargouille à toute oultrance. La Royne de Tarvasset n’en fit jamais tant…[78] »

La dame aux chameaux est incontestablement la Reine de Navarre. Tous les écrivains sont d’accord sur ce point. La brouille entre les deux époux est définitive. Le mépris et la haine ont succédé à la tolérance et à l’amitié. Tout s’écroule devant Marguerite, victime de plus en plus de ses inconséquences, de ses fautes, de sa légèreté.

  1. Archives nationales, KK., vol. 174, p. 111.
  2. Voir année 1582. Mais pour cette année 1585 aucune somme ne fut payée.
  3. Bibl. nat. Autographe. Fonds Dupuy, vol. 217. Lettre inédite. Non datée, cette lettre ne peut avoir été écrite que quelques jours après la fête des Rois, en 1585. Elle est trop humble pour remonter à 1580, année où le roi de Navarre se trouvait à ce moment à Mazères et sa femme à Nérac. En 1581, ils étaient tous deux à Coutras ; en 1582, tous deux ensemble à Nérac. En 1583, Marguerite passa le mois de janvier à Paris. En 1534, à Agen. Seule l’année 1585 nous paraît donc devoir concorder avec le ton de cette lettre.
  4. Lettres missives, t. II, p. 79.
  5. Idem, t. II, p. 7.
  6. Voir aussi Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. IV, p. 546, où il est dit que « si le Roi de Navarre fit arrêter un de ses secrétaires qui avait accompagné sa femme, c’était pour obtenir de lui quelque révélation, surtout en ce qui louche M. de Chanvallon. » Mais depuis longtemps Chanvallon était bien oublié !
  7. Mémoires du duc de Bouillon. Coll. Petitot, p. 209.
  8. Mémoires de d’Aubigné.
  9. Archives municipales d’Agen. CC. 79. Cette enquête a été utilisée déjà, d’abord par M. Fr. Habasque, dans son Mémoire, La domination de la Reine de Navarre à Agen, en 1585, paru dans le Bulletin du Comité des Travaux historiques pour l’année 1890. n. 2 et 3 ; puis par M. G. Tholin dans son travail, La Ville d’Agen pendant les guerres de religion, chap. xiv, paru dans la Revue de l’Agenais, t. xviii, p. 91. Très fouillées, très consciencieuses, ces deux études n’ont malheureusement jamais été tirées à part. Nous leurs ferons de nombreux emprunts.
  10. Voir la note précédente que nous avons consacrée au souvenir de cette Maison de la Reine Marguerite, rue de l’Ave Maria, plus tard rue des Colonels-Lacuée, maison aujourd’hui détruite, et dont nous reproduisons la gravure.
  11. Archives municipales d’Agen, CC. 79.
  12. Archives municipales, CC. 79. Déposition de Me Jehan Dupré. Nous dirons plus loin, en 1586, ce qu’était cet Aubiac et quelle triste fin lui fut réservée.
  13. Idem, EE. 8, p. 9.
  14. Archives municipales, EE. 8, p. 10.
  15. Bibl. nat., fonds français, no 15,891, fol. 391 et 398.
  16. Archives municipales, FF. 39.
  17. Michel du Bouzet, seigneur de Roquepine et de Sainte-Colombe, était fils aîné d’Arnaud du Bouzet et de Marie de Loze. Il prit part à toutes les luttes religieuses de la Gascogne (Voir Généalogie des du Bouzet par Noulens, Maisons historiques de Gascogne, t. I, p. 86.)
  18. Archives municipales, CC. 79. Déposition de Jehan Dupré. Tous les autres témoins déposent dans le même sens.
  19. Bibl. nat., fonds français, vol. 15.569, folio 176. Cf. ; Archives historiques de la Gironde, t. XIV, p. 285.
  20. Histoire du maréchal de Matignon, par Jacques de Caillières, p. 159.
  21. Pour cette année 1583, les consuls d’Agen étaient : Me Jehan de Lescazes, licencié ès droits et avocat, sire Jehan Gardès, bourgeois et marchand, sire Alain de Vaurs, bourgeois et marchand, sire Arnaud Albinhiac, bourgeois, Me Jehan de Landas, avocat, et sire Pierre Mathieu, marchand.
  22. Ce Duras était Jean de Durfort, vicomte de Duras, fils de Symphorien de Durfort et de Barbe Cauchon de Maupas, dame d’honneur de Marguerite, le même dont le duel avec Turenne était resté si fameux.
  23. Certains mémoires concernant l’antiquité d’Agen, escripts à la main par feu M. Trinque, consul et jurat de la ville d’Agen, et commençant en l’an 1570. Extrait de la Chronique du frère Hélie, dont l’original se trouve à l’Évêché d’Agen, mais dont une copie, provenant de la bibliothèque de Saint-Amans, existe actuellement aux archives départementales de Lot-et-Garonne. (Voir le chapitre relatif à l’Ermitage d’Agen, au tome I, p. 445 de notre travail : Les Couvents d’Agen avant 1789). Cf. : Revue de l’Agenais, t. X, p. 531 et suivantes.
  24. Archives municipales, CC. 79. Déposition de Pierre de Lafont.
  25. François Robert de Lignerac, seigneur de Pléaux, Saint-Chamans, Bazanes, Nerestang, gentilhomme de la chambre du Roi, bailli et lieutenant général de la Haute Auvergne. Il ne fit sa soumission à Henri IV qu’en 1596 et mourut en 1613. (Note de M. le comte de Dienne.)
  26. Archives municipales, CC. 79. Déposition de Me Pierre de Lafont.
  27. Idem. Déposition de Me Oct. de Longueville.
  28. Idem. Déposition de Me Gratien de la Rigaudière, juge d’Astaffort.
  29. Archives municipales, CC. 79. Dépositions de Me O. de Longueville, de Lafont, Dupré.
  30. Lettres missives, t. II, p. 74.
  31. Idem, p. 79.
  32. Bibl. nat., fonds français 15.908, fo 42. — Cf. : Lettres de Catherine, t. VIII, p. 318.
  33. Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. IV, p. 612.
  34. Mémoires du consul Trinque. Revue de l’Agenais, t. X, p. 534.
  35. Voir le plan du couvent des Jacobins au tome Ier, p. 61, de notre travail sur les anciens Couvents d’Agen avant 1789.
  36. Déposition de maître Pierre de Lafont. Archives municipales, CC. 79. Dans ce même registre se trouve « l’Estat et roolle des maisons abattues et desmolies dans la ville d’Agen, depuis le mois de mars 1585 jusqu’au 25 de septembre, ensemble du nom des propriétaires et à quelle portion de tailles. » Les principales rues atteintes furent : la rue de la Porte Neuve, où se trouvaient les maisons de Me Antoine Jauffrion, d’Antoine Delfont, de Guillaume de Lary, procureur ; la rue de l’Ave Maria, avec les maisons de Bernard Durand, procureur, Firmin de Pujols, chevalier, de Pierre Galaup, de Jehan Lescazes, de la Mothe-Cambefort, etc ; la rue du Mortier ; enfin la rue Garonne, où furent renversées plus de quinze maisons, dont celles de Bertrand Teyssèdre, de Jehan Delmoly, de Norete de Sorel, de Me Savignac, de Durand Labrunie, etc.
  37. Idem.
  38. Lettres missives, t. II, p. 82. — Archives de M. le comte de Neslot.
  39. Mézeray. Histoire de France, t. III, p. 596.
  40. Lettres missives, t. II, p. 85.
  41. Mézeray. Histoire de France, t. III, p. 596 et suivantes. — Cf. Cassany-Mazet. Histoire de Villeneuve-sur-Lot. 1re édition, 1837, p. 89-97.
  42. Mézeray, t. III, p. 597.
  43. Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. IV, p. 585.
  44. Archives du château de Malliac à M. de Moncade (Gers).
  45. Pour Saint-Mézard, sur la rive gauche du Gers, à douze kilomètres en aval de Lectoure.
  46. Lettres missives, t. II, p. 122.
  47. Archives municipales, CC. 79. Déposition de Me Jehan Dupré.
  48. Archives municipales, CC. 79. Rapport fait par MM. les Consuls au juge enquêteur, M. de Bonnaud.
  49. Journal du consul Trinque.
  50. Nom sous lequel les Ligueurs désignaient le plus souvent Marguerite de Valois.
  51. Archives nationales. K. 1563. B. 56 : pièces 119. Collection Simancas.
  52. Lettres missives, t. II, p. 98.
  53. De Thou. — Voir aussi Lettres missives, t. II, p. 125 et suiv.
  54. Archives nationales. K. 1563. Collection Simancas.
  55. Archives municipales. CC. 79. Déposition des témoins précités et aussi des sieurs Gardès et Buard, bourgeois et marchands de la ville d’Agen.
  56. Bibliothèque nationale. Nouveau fonds français. No 5128, fo 86. — Cf. : Lettres de Catherine, t. VIII, p. 351.
  57. Archives municipales, CC. 79. Déposition de M. Jehan Fauveau, praticien.
  58. Archives municipales, EE. 59. Ordonnance datée de Tonneins du 20 septembre. Pièces justificatives à l’enquête, CLXXII.
  59. Journal du Consul Trinque. Revue de l’Agenais, t. X, p. 533. Ce M. Dufranc n’était autre qu’Étienne de Nort, seigneur de Franc, près d’Agen, qui, en récompense de ses services, fut élu premier consul l’année suivante.
  60. Labénazie. Histoire manuscrite, t. I, p. 282.
  61. François de Robert de Lignerac, seigneur de Pléaux, Saint-Chamant, Bazannes, Nerestan, gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi. Il devint gouverneur d’Aurillac, bailli de la Haute-Auvergne, et l’un des plus chauds Ligueurs de cette contrée. Il se soumit cependant à Henri IV et le servit fidèlement jusqu’à sa mort, arrivée le 13 mars 1613, au château de Saint-Quentin, dans la Marche.
  62. Divorce satyrique, édition Gay, 1878, p. 22. — Voir aussi la Chronique du frère Hélie, Labénazie, Labrunie, Saint-Amans, Bayle, Brantôme, etc., etc. Une lettre fort curieuse, à peu près inconnue et qui confirme entièrement notre récit, est celle qu’écrivit Messire Joseph de Lart de Galard, chevalier de l’ordre du Roi, seigneur de Goulard en Bruilhois, d’Aubiac et de Birac, à l’un de ses frères, résidant en Limousin. Après s’être apitoyé sur la mort d’un autre de ses frères, il lui rend compte en ces termes de l’affaire d’Agen. La lettre est datée de Birac, près de Marmande, du 21 septembre 1585 ; « …Je vous advise que les habitans d’Agen se sont eslevés contre la Royne de Navarre, à son de tocsain ; et après grande occision de ses gens et sur le conflit, elle, advertie que la victoire inclinoit pour les citoyens qui avoient forcé une de ses citadelles et maistrisé la ville, réservé la citadelle des Jacobins, où elle s’estoit retirée, (quelques jours auparavant mercredy dernier que cela fut exécuté) et la porte Saint-Antoine, n’eut remède que se sauver en trousse avec quarante ou cinquante chevaux, mon frère étant du nombre, et le lendemain, suivie par M. le mareschal de Matignon, avec trois ou quatre cornettes de cavalerie ; mais il fust loint, car elle avait gagné Cahors en Quercy d’une traite. Madame de Noailles, avec vos nièces, se retira dans le Couvent de la Nonciade, où elle se porte très bien, graces à Dieu… » (Archives de la famille de Noailles. — Cf. : Cabinet historique, 1873, pp. 411-412.)
  63. Journal de Trinque.
  64. Archives municipales, CC. 79.
  65. Archives municipales, EE. 59. Pièces justificatives de l’enquête, CLXXIII. — Cf. : AA. 17. Pièces justificatives, CLXXIV, etc.
  66. Dictionnaire de Bayle. Art. Navarre.
  67. M. de La Ferrière entre autres : Trois amoureuses au xvie siècle, p. 239. — Cf. : Brantôme, etc.
  68. Histoire de Marguerite de Valois, par le comte Léo de Saint-Poncy, t. II, pp. 216-221.
  69. Voir Généalogie de la famille de Galard, par Noulens, t. IV, p. 1107.
  70. Divorce satyrique. Cf. : Journal de l’Estoile. — Voir sur le château de Carlat l’intéressante notice de M. le baron de Sartiges, parue dans le Dictionnaire statistique du département du Cantal ; Cf. : Histoire des guerres religieuses en Auvergne, par M. Imberdis, Riom. 1846 ; enfin, le beau volume de M. le comte de Dienne et G. Saige : Étude historique sur la vicomté de Carlat. Monaco, 1900. in-4o de 388 pages.
  71. Voir notamment Davila et M. de Saint-Poncy, t. II, p. 225 et suiv.
  72. D’Aubigné, Histoire Universelle, éd. de Ruble, t. IX, p. 305.
  73. Archives nationales, K. 1563, B. 56. Collection Simancas.
  74. Archives nationales, KK. 174.
  75. Dans les dépenses de la Reine nous lisons entre autres choses qu’elle dut payer à ce moment 3 écus, 20 sols à Pierre Veret, portefaix, « pour avoir porté, d’Agen à Carlat, plusieurs bouteilles d’eau de senteur. » (Arch. nat., KK. 175.)
  76. Archives municipales d’Agen, FF. 39.
  77. Archives départementales des Basses-Pyrénées. B. 2782.
  78. Lettres missives, t. II, p. 153 ; — d’après l’orig. autogr. de la Bibl. de l’Arsenal. Mss. Histoire, No179, t. Ier.