J'il de noir/04

La bibliothèque libre.
Cosmo (p. 13-18).

VOYAGE AUX ANTIPODES (EXTRAITS)


(musique)

il y a quatre guitares qui chantent dans ma soupe comme du fond de la mer jouent au sexe-cerceau la vase et le lichen
…et la parole est aux oiseaux : les vers sont des oiseaux qui s’arrachent les plumes… sont partis sur un fil exploiteur (s) d’énergie

blanc de terre
et claire de plume
avec bouleaublanc blanc
* * *
pourquoi tant de bagues enchaînent
la vase et le lichen
comme des rubans de mitraillettes
puisqu’il
faut tuer les enfants ?

pourtant :
j’entends gonfler les ventres creux des draps
comme la suie étendue sur des gazons où oui où
le sang n’en finit plus de pleuvoir comme du poivre
sur un amas de mie de pain

et tant de pianos qui crèvent d’une mauvaise grossesse
où l’on se roule dans des cordes de guitares avortées

pourtant :
on n’en finit plus de bouffer du chant de petits oiseaux [1]

des pianos s’échouent comme des barques usées
sur des amas de planches qui cachent des cadavres
ne peuvent pas s’encercueiller
avec trois trous de tarrière
pour les yeux
et le nombril
endroits par où l’on tue
les hommes fatigués jusqu’à la mort
et les hommes sont des coffres vides
que longuement l’on traîne
sur du béton usé
dans un bruit de ferraille
et de freins qui enterrent
la faim des enfants et des vieilles

ces bruits toujours de portes rouillées
et qui verrouillent des cercueils
fermés amours perdues
des mères adultères
des pères délaissés
des enfants refusés
des femmes parfois  aimées
* * *
un piano tombe d’une planète
dans la carrière aux pierres cassées
et les canards dansent sur des crânes
de chevaux et de cavaliers
tombés dans ce champ chaud de l’honneur
de plume
de cap et de verglas
et les pianos-noël
et les pianos-noëlsonnent le glas
et les pianos-noëlsonnent le glasde trois siècles abîmés

où ont tenté de faire l’amour
où ont tenté de faire l’amourtrois millions de nos frères
et tant de chevaux morts
et tant de blessures lavées dans un gué à passer

RAPPELEZ-NOUS DE SOUVENT RIRE
POUR ÉLOIGNER L’ENVIE DE VOMIR[2]
* * *
entraînez vos enfants au bout d’une perche très longue
parce qu’on ne lave pas des enfants qui ont faim
ils peuvent salir les odeurs de vos cuisines frottées à l’ajax

rappelez à vos enfants de garder les mains propres
parce que des enfants qui tombent sous des raffales de mitraillettes
peuvent tacher les marches de marbre de vos palais de justice
* * *
j’entends cracher les trains qui font une traînée de bruit
et salissent la nuit d’encre
où forgent des géants à fourchettes
qui se lamentent dans les tuyaux d’égout

aux égouts les marmottes
les vermicelles et les magots
pas de place non plus sur les bords de trottoirs
pour les ballons d’enfant
* * *
on scie les os d’un crucifié dans ma tête
avec des épées ébréchées par le granit


…Rappelons-nous de souvent rire
pour éloigner l’envie de mourir.

qu’on a fendu durant des siècles
pour dresser des tombeaux aux rois
on les a placés là
en veilleuse
dans le même pot le bon grain et l’amour
et les enfants des peuples hier encore au berceau du monde
iront se perdre la falle[3] en l’air manquant de grain
dans le ventre des cratères
dans le ventre des planètes encore insoupçonnées
caches des dieux qui errent parmi les hommes
* * *
aurez beau croire qu’un canard ne souffre pas quand on l’égorge
le bruit terrible qui se fait dans sa tête quand on attaque
l’os du crâne avec la scie mal affûtée
est supplice plus universel
que de peigner les plumes du canard
avec les lames de rasoir
parce qu’un canard soupire à la porte d’un aquarium
pendant qu’on envoie les messages en code du côté de toutes les portes
capitonnées de fer
dans les salles d’attente
où des femmes attendent pour accoucher
* * *
on monte les étages d’un peigne
et la locomotive prend le réseau de tous les aiguillages

et j’entends la fumée mordre l’air
et les géants se peignent
et j’entends les fléaux passer
près de mon pouls
un enfant grince et ne veut pas casser
c’est le rire sinistré d’une bécasse
qui fait l’amour dans les joncs
sans se soucier de la battue qu’on organise
avec tambours et faux
et je la sais couler à-pic
dans un égout sans grille
où il s’ouvre une porte du côté de l’enfer
où j’entends l’explosion de millions dé pas perdus
qui vengent un temps trop longtemps plongé dans le silence
la mort
UN POINT PERCEPTIBLE entre le ciel et l’enfer


Sherbrooke et ailleurs
ce 13 juillet 1969

  1. Voir illustration en face.
  2. Voir illustration au verso.
  3. S’écrit aussi « fale ». Canadianisme. Cf. Bélisle, Dictionnaire général de la langue française au Canada.