J'il de noir/06
JE EST GAUVREAU[1] (PARAPHRASE)
« Hommes, hommes soyez généreux. Ayez pitié de ceux qui labourent la vie.
Les cerceaux s’entrecroisent, la larme éclôt dans la stupeur[2] »
Dormir ?
Avoir pitié des loups et des moutons en même temps…
Les loups labourent les victimes qui labourent de leurs griffes mal affûtées les pavés durs.
Avoir pitié de celles qui portent des brassières étoilées ?
Parlez-moi des ordures, des ordures ambulantes, souveraines des ruelles…
Ayez pitié des hommes, entre vous, dans leurs dires…
Ne prenez pas la stupeur pour un mauvais sourire…
Un sein pendant n’est pas un aguichant appât mais une NÉCESSITÉ
Bien sûr : « L’armure de poils ne suffit pas. »
Car songez à tous ces désarmés qui coulent dans les rues déguisées en vingt-quatre juin… la laine ne protège pas des clous cloués dans les tibias… car les chiens n’entendent pas la Prière pour l’indulgence…
Et ce sera pourtant demain vos enfants de chiennes qui auront les coups portés bas dans les tibias alors que vous, vous jetterez vos regards de grands-pères comme des draps mouillés pour taire l’incendie dans nos mots-tempêtes-obus.
« Une rose avait pleuré et des hommes avaient connu la tempête dans leur poitrine. » Un enfant a été écrasé… par la colère… et au bout de leurs poings.
le sang est tombé comme tempête qui crève
à nouveau sortir le cri du bois comme bête traquée et forger la colère dans les cœurs des campagnes
et l’homme seul expirer au bout de sa colère vaine dans le fossé sans pitié
« Un cor avait appelé Roland » et les cloches aux clochers des églises jadis (1837) ont appelé les Patriotes au combat
« les pointes de lances en rangs serrés » n’ont servi qu’à grossir la flambée
et nous, on nous dira que la Rébellion est entrée en nous jusqu’aux os jusqu’à tache-d’huiler l’écran de nos rêves collectifs…
« Les moujiks ne veulent pas comprendre quand je leur dis que les dieux vivaient dans l’air et expiraient dans la tête », et les vautours et les chacals de l’Histoire disent les dieux de leur côté, un dieu « made in usa »…
et ici les corneilles chassent l’espoir que l’oiseau fasse son nid dans nos cheveux
qu’ils le gardent leur dieu ; cet aigle mourra au bout du temps des cerises quand les cerisiers auront vécu l’automne de leur fécondité
ils en ont mis plein les yeux jusqu’à tuer la vie et la liberté désormais basculées dans le soir
et même notre langage a faussé son orbite parce que je-il est sourd
et la mort est un possible à naître et la mort sort de la gueule de nos mots
Et ce « monde mort flotte » comme flottent les mots sur le canal, égoutte de notre sang des pancartes brûlées, nécessité de flotter le bois mort jusqu’à la consommation du siècle et je balustre comme il faut pleuvoir et aboyer un chien mord
- ↑ Claude Gauvreau est né le 19 août 1925 à Montréal. Signataire du manifeste du Refus Global, polémiste, poète automatiste, Gauvreau fait figure de poète maudit, il s’est suicidé le 7 juillet 1971 à Montréal.
- ↑ Ces citations sont tirées de : Claude Gauvreau. Sur fil métamorphose, « La prière pour l’indulgence », Montréal, Erta, 1956. Coll. « La Tête Armée ».