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J'il de noir/07

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Cosmo (p. 26-28).

UN OISEAU…

un oiseau n’arrivait pas
à s’arracher de mes tripes
à s’en aller se perdre dans la Tourmente
le peuple de la nuit se tordait de douleur dans la pénombre de Montréal
je l’ai vu
le malin se lever sur la mer nos champs de neige que cela était beau

car le monde est un fruit deux morceaux d’une même pomme
dans l’ombre et dans le soleil
mon cœur de pomme ressent encore ce grand chaos à travers la nuit qui navigue jusqu’au jour
dans le fruit un ver se tordait en faisant son chemin tel un clou dans la pulpe de l’arbre

la nuit n’est pas pourrie quoi qu’on dise elle doit être mangée et le fruit doit pourrir pour que les pépins
prennent de l’aile et fassent un arbre

tous les fruits
toutes les nuits sont bonnes
il faut les laisser croître jusqu’à la moisson de peur de
voir toute la récolte tomber avant l’heure sous la faux
car la rouille même la rouille n’a pas d’hérédité
vient sur le fruit quand le temps est mauvais

à minuit dans cette boîte de Montréal une nymphomane
collait une ventouse à tous ces corps d’adolescents
il y avait dans cette boîte de minuit de Montréal un petit bum en érection des pieds à la tête
de toutes ces femmes

ça et bien d’autres choses encore mais est-ce la vérité ?
n’est pas : si simple
n’est à : personne
ni :gens de loi
gens d’Église
gens de bien ne sauraient dire celle-là au cœur de
cet homme
cette femme
car : il faut s’aimer pour ne pas haïr : les miroirs le disent et il y avait plus de cœur dans
cet homme
cette femme
qu’en nous

les missionnaires de la morale
les juges et les étourdis vont à l’arbre pour le déraciner
ou à ses fruits qu’ils jettent
par paquets sur le tas de fumier et ils sont tout surpris de voir lever d’autres arbres qu’il leur faudra couper encore par la racine ou le fruit jusqu’à la consommation du futur.

ils se chauffent du même bois qu’ils brûlent

Les yeux rivés sur la Vérité comme pendus à une étoile, les astronautes d’ici-bas mettent le cap sur un miroir. Ils y débarquent et voient toujours la vérité de haut.

Vue d’en-bas, c’est un point, mais ce point est poussière dispersée à l’échelle d’un cosmos.

C’est pourquoi à seize ans je croyais dire la vérité parce qu’on me l’avait montrée dans une étoile. Mais j’ai compris que l’étoile était un mirage au fond de mon crâne parmi des millions d’autres diamants.


Je suis parti avec un fanal dans ces rues de Montréal et les néons ont aveuglé ma trop falote lumière et j’ai dû fermer les yeux, ébloui.

Et au fond de mon crâne mon petit diamant était resté ouvert et me lançait des cris à fendre pierre comme un navire qui chavire au milieu des éclairs.

Il était cloué au fond de ma mémoire et j’ai passé devant tous ces yeux enflammés et je l’ai entendu crier de tous ses feux.

« C’est l’amour » me disait ma vieille étoile, celle qui s’est traînée depuis l’âge de raison dans la boue de mon enfance.

« C’est la passion » me prêchait cette même vieille-mauvaise étoile née là-haut dans ma conjoncture pour être miroir noir, ma glace, mon éteignoir, mon double-froid, l’effroi de ma naissance à la lucidité.

Je l’ai crue et suivie comme le chien fidèle, jusque dans ses bras, dans son lit.

Puis la passion s’est tue et l’étoile est reparue lavée par la pluie sur la vitre au firmament de mon crâne.

C’est dans ces temps de fin d’orage, quand nos étoiles, comme des oiseaux terrorisés se taisent encore que la rôdeuse passe au-dessus de la tête des naufragés du Titanic…

Et c’est dans ces temps d’avant l’orage que le poids de la chair pèse sur la terre et la réveille, femme endormie, de ses milliers de serpents-éclairs dans le trèfle. Et le trèfle grandit sous l’électricité.

Tout ça dans les rues de Montréal, un orage en plein hiver.