J’ay ung arbre de la plante d’amours

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Œuvres complètes de François Villon, Texte établi par éd. préparée par La Monnoye, mise à jour, avec notes et glossaire par M. Pierre JannetA. Lemerre éd. (p. 144-145).

XVIII. BALLADE.

J’ay ung arbre de la plante d’amours,
Enraciné en mon cueur proprement,
Qui ne porte fruits, sinon de dolours,
Fueilles d’ennuy et fleurs d’encombrement ;
Mais, puis qu’il fut planté premièrement,
Il est tant creu, de racine et de branche,
Que son umbre, qui me porte nuysance,
Fait au dessoubs toute joye seichier,
Et si ne puis, pour toute ma puissance,
Autre planter, ne celuy arrachier.

De si long-temps est arrosé de plours
Et de lermes tant douloureusement,
Et si n’en sont les fruits de rien meillours :
Ne je n’y truys guères d’amendement.
Je les recueill’ pourtant soigneusement.
C’est de mon cueur l’amère soustenance,
Qui trop mieux fust en friche ou en souffrance
Que porter fruits qui le dussent blecier ;
Mais pas ne veult amoureuse ordonnance,
Autre planter, ne celuy arrachier.

S’en ce printemps, queles feuilles et flours
Et arbrynceaux percent nouvellement,
Amours vouloit moy faire ce secours,
Que les branches qui font empeschement,
Il retranchast du tout entierement,
Pour y enter ung rynceau de plaisance,
Il gecteroit bourgeons de souffisance ;
Joye en istroit, dont il n’est rien plus chier ;
Et ne fauldroit jà, par desesperance,
Autre planter, ne celuy arrachier.

ENVOI.

Ma princesse, ma première esperance,
Mon cueur vous sert en dure pénitence.
Faictes le mal qui l’acqueult retranchier,
Et ne souffrez en vostre souvenance
Autre planter, ne celuy arrachier.