Jacques-Paul Migne/Épître de Saint Paul aux Laodicéens

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Épître de Saint Paul aux Laodicéens
Traduction par J. P. Migne.
(1p. 643-645).

ÉPÎTRE DE SAINT PAUL AUX LAODICÉENS.

PRÉFACE.

On ne peut pas douter que si l’Église eût reconnu pour être véritablement de saint Paul la lettre que nous donnons ici au public, elle ne l’eût comprise au nombre de ses écritures canoniques, comme les autres épîtres de cet Apôtre. Le sujet qu’elle a eu d’en douter et de la rejeter au nombre des écrits apocryphes, c’est-à-dire, de ceux qui n’ont aucune autorité dans l’Église, n’est pas qu’elle y ait trouvé des erreurs contraires à la foi et aux bonnes mœurs, puisque certainement il n’y a rien dans cette lettre qui ne soit très-édifiant et qui ne puisse contribuer à soutenir le piété des fidèles et à nourrir leur religion ; mais c’est qu’elle s’est aperçue que la vérité de cette lettre n’était établie que sur l’équivoque de quelques termes latins du vers. 16, chap. iv de l’Épître aux Colossiens, qui semblent insinuer que l’apôtre saint Paul avait écrit une lettre particulière à l’Église de Laodicée. Mais cette équivoque est absolument levée par le texte grec, qui fait assez connaître que cette épître n’est pas écrite par saint Paul aux Laodicéens, mais par les Laodicéens à saint Paul ; au moins c’est le sentiment de saint Chrysostome et de Théodoret, dans leurs commentaires sur l’Épître aux Colossiens, qui supposent que l’Apôtre ayant reçu une lettre des Laodicéens, il l’avait renvoyée aux Colossiens afin de les édifier par les sentiments de foi et de piété qu’ils lui avaient marqués dans leur lettre ; cependant cette équivoque n’a pas laissé de faire croire à quelques Pères latins, comme à saint Grégoire le Grand, que saint Paul avait en effet écrit une lettre aux Laodicéens ; et c’est cette même idée qui a donné occasion à quelques hérétiques d’attribuer à l’Épître de saint Paul aux Éphésiens le titre de celle aux Laodicéens, comme Tertullien (lib. v, advers. Marc., cap. 11 et 17, pag. 476 et 481, édit. de Rigault)[1] en accuse Marcion ; ce qui prouve que si du temps de cet hérétique et de Tertullien il y eût eu véritablement une lettre de saint Paul aux Laodicéens, Marcion n’eût pas osé donner ce titre à celle aux Éphésiens, et que Tertullien n’eût pas manqué de lui opposer la véritable lettre écrite aux Laodicéens.

Cependant sur cette supposition, que saint Paul avait écrit une lettre aux Laodicéens, quelques hérétiques se sont avisés d’en composer une sous ce nom ; mais elle a été rejetée par les anciens Pères comme étant remplie d’erreurs, ainsi que l’assurent saint Jérôme (Lib. de script. eccles.)[2], en parlant de saint Paul, chap. v, tom. IV, pag. 103), et Philastre (lib. vi De hæres,, cap. 90[3], en ajoutant que quoiqu’elle fût lue par quelques-uns des fidèles, elle n’était point reçue dans l’Église ; et c’est apparemment la même dont saint Epiphane parle (Hæres. 42, vers la fin), au sujet des Marcionites, de laquelle il dit qu’elle était composée de plusieurs morceaux extraits des autres épîtres de saint Paul, et remplie de plusieurs erreurs. Ce n’est pas assurément celle-là que nous donnons ici au public, mais une autre qui paraît visiblement avoir été composée par quelques catholiques animés d’un faux zèle, qui, sous le même titre, ont emprunté des autres épîtres de l’Apôtre les mêmes expressions, s’imaginant qu’il leur était permis de réfuter l’imposture des hérétiques par d’autres impostures ; et c’est cette lettre qui est citée par quelques Pères plus récents, et surtout par saint Anselme ; c’est la même que Sixte de Sienne a donnée tout entière dans sa Bibliothèque (lib. 11, pag. 92), en parlant de saint Paul, et qui se trouve insérée dans plusieurs Bibles d’Allemagne. En effet, on y voit une affectation manifeste d’y avoir inséré ces paroles du verset 16 du chapitre iv de l’Épître aux Colossiens, mais dans un autre sens, afin d’établir la vérité de cette lettre Ayez soin de communiquer cette lettre aux Colossiens, et de lire vous-mêmes celle que je leur ai écrite. Outre cela, l’auteur y copie presque mot pour mot les expressions de l’Apôtre, et prend le même titre qu’il a donné à l’Épître aux Galates, chapitre 1, 1. Il affecte aussi de prévenir les Laodicéens contre les faux docteurs qui voulaient les détourner de la doctrine qu’on leur avait enseignée dans la lettre aux Colossiens, chapitre 1, 4 et 8. II Parle de ses liens de la même manière que fait l’Apôtre, chap. 1, 24 et 29, et chap. IV, 18, afin que ces circonstances convinssent à l’époque et au temps auquel cet Apôtre avait écrit aux Colossiens ; il rapporte même presque mot pour mot ce qu’il dit sur le mépris de pre vie au chap. 1, 21 de sa lettre aux Philippiens ; répétitions dont on trouve peu d’exemples dans les épîtres de cet Apôtre ; car quoique l’on y voie toujours une conformité entière dans ses sentiments, on n’y aperçoit point qu’il se soit ainsi copié lui-même termes pour termes et paroles pour paroles.

Quoique toutes ces raisons prouvent que cette lettre est supposée, cependant, comme elles ne contient rien qui ne soit très édifiant, il n’y a pas de raisons pour la rejeter absolument, puisqu’elle peut au moins servir à établir les raisons qui ont obligé l’Église à ne la pas admettre aux nombre de ses écritures canoniques, et à la rejeter entre celles qu’on nomine apocryphes.

Nous pouvons ajouter que Fabricius qui a inséré en grec et en latin l’épître qui nous occupe dans son Codex apocryphus Novi Testamenti, t. I, l’a fait précéder d’une dissertation où il réunit et discute ce qui a été dit à l’égard de cette production.

Parmi les Pères qui en ont parlé, on distingue Théodoret (Commentar. ad Coloss. IV, 16), saint Grégoire le Grand, (in Job, c. 15), saint Thomas d’Aquin qui dit au sujet de cette épître et de la troisième aux Corinthiens : Ratio est duplex quare non sunt « in canone, quia non constabat de eorum. auctoritate, quia forte erant depravatæ et perierunt in ecclesiis, vel quia non continebant aliud quam ista. »

Les critiques modernes (entre autres, Bellarmin, De script. eccles. et Tillemont, Mémoires, t. I) regardent cette épître comme supposée, mais quelques-uns doutent si le texte que nous possédons est bien celui de l’ouvrage dont les anciens auteurs ont fait mention. De fait, c’est à peu près un centon composé, en majeure partie, de passages pris dans les épfires authentiques de saint Paul.

On trouve d’ailleurs cette lettre dans le Novum Testamentum x11 linguarum, publié par Hutter à Nuremberg, 1699. Elle est aussi dans la Polyglotte de Reineccius, Leipzig, 1747, in-fol., p. 937, et dans divers autres ouvrages. Voir aussi Michaelis, Einleitung in das N. Test., II, 1281 ; de Wette, Lehrbuch der Enleitung in die Kanonischen Buecher des Neuen Testaments ; Schneckenburger, Beitrage zur Einleitung ins N. T., p. 153 (cinquième édition, Berlin, 1848, p. 249), la dissertation spéciale de Wieseler, Progr. de epist. Laodicena, Gottingen, 1844, mais il ne faut pas oublier que tous ces ouvrages sont écrits par des piotestants ; on ne les consultera donc qu’avec réserve.





ÉPÎTRE DE SAINT PAUL AUX LAODICÉENS.


1. Paul, apôtre choisi non par les hommes ou par le ministère d’un homme, mais par Jésus-Christ[4], à ses frères qui sont à Laodicée[5]; que la grâce et la paix vous soient données par la bonté de Dieu le Père, et par Notre-Seigneur Jésus-Christ.

2. Je rends grâce à Jésus-Christ dans toutes mes prières de ce que vous êtes fidèles et persévérants à pratiquer des bonnes œuvres, dans l’attente de la récompense que vous en recevrez au dernier jour.

3. Ne vous laissez point ébranler par les vains discours de ceux qui viennent à vous sous des dehors trompeurs, pour vous détourner de la vérité de l’Évangile que je vous annonce[6].

4. Mais Dieu permettra que ceux qui sont véritablement mes disciples[7] arrivent enfin à cette perfection de l’Évangile, et qu’ils persévèrent dans la pratique des bonnes œuvres qui les mettront en possession de la vie éternelle.

5. Les chaînes que je porte pour le nom de Jésus-Christ sont connues de tout le monde[8] et elles font toute ma joie[9] et toute ma consolation puisqu’elles me procurent le salut éternel.

6. Ce que je regarde comme l’effet des prières que l’Esprit-Saint[10] a formées en vous ; car soit que je vive, soit que je meure, ma vie est de vivre en Jésus-Christ, et la mort serait pour moi un sujet de joie[11].

7. J’espère qu’il répandra sa miséricorde sur nous tous, afin que vous soyez tous unis par les liens d’une même charité et d’un même esprit.

8. Vous donc, mes bien-aimés, si le Seigneur est au milieu de vous, ayez ces sentiments, conduisez-vous avec crainte, et vous vivrez éternellement ; car c’est Dieu qui agit en vous.

9. Que toutes vos actions soient exemptes de péché ; ayez soin sur toutes choses de vous réjouir en Jésus-Christ Notre-Seigneur, et évitez de vous enrichir par des gains sordides et honteux.

10. Que toutes vos demandes[12] soient connues de Dieu.

11. Soyez inébranlables dans la connaissance de Jésus-Christ ; que toutes vos actions soient parfaites, véritables, bienséantes, chastes, justes et agréables au Seigneur[13].

12. Conservez dans votre cœur ce que vous avez appris et reçu de nous, et la paix sera avec vous[14].

13. Tous les saints vous saluent[15].

14. Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec vous ; ainsi soit-il.

15. Ayez soin de communiquer cette lettre aux Colossiens[16], et de lire vous-mêmes celle que je leur ai écrite.

  1. Prætereo bic et de alia Epistola quam non ad Ephesios præscriptam habemus, bæretici vero ad Laodicenos (contra Marcionem, lib. v, c. 11). Ecclesiæ quidem veritate Epistolam istam ad Ephesios habemus emissam, non ad Laodicenos. Sed Marcion ei titulum aliquando interpolare gestiit, quasi et in isto diligentissimus interpolator. Nihil autem de titulis interest, cum ad omnes apostolus scripserit, dum in quosdam. › (Ibid., c. 17.)
  2. Legunt quidam et ad Laodicenses, sed ab omnibus exploditur.
  3. Sunt alii quoque qui Epistolam Pauli ad Hebræos non asserunt esse ipsius, sed dicunt aut Barnabæ esse apostoli, aut Clementis de urbe Roma episcopi. Alii autem Lucæ Evangelistæ aiunt Epistolam etiam ad Laodicenses seriptam. Et quia addi ́derunt in ea quædam non bene sentientes, inde non legitur in Ecclesia, et si legitur a quibusdam, non tamen in Ecclesia legitur populo, post tre : ecim Epistolæ ipsius et ad Hebræos.
  4. Ce titre est un emprunt du verset 1 du chap. 1 de l’Épître aux Galates.
  5. Ville de l’Asie Mineure, et une des principales de la province de Lydie, dont les peuples avaient embrassé la foi, et de qui l’apôtre saint Paul parle (Epist. ad Coloss. cap. 1, 1, et cap. iv, 15 et 16) ils étaient assez voisins des Colossiens.
  6. Ceci semble avoir été copié sur les versets 4 et 8 du chapitre 11 de saint Paul aux Colossiens.
  7. Cette expression a été relevée comme une preuve de la supposition de cette lettre. Fabricius observe que cette phrase : videtur insolens in ore Apostoli. La version latine porte : Nunc faciet Deus qui sunt ex me.
  8. Philipp. 1, 13.
  9. Ce qui est dit ici semble être copié sur les versets 24 et suivants du chap. I et sur le verset 18 du chapitre iv de l’Épître aux Colossiens, afin de faire convenir cette lettre au même temps et aux mêmes circonstances.
  10. Philipp. i, 19.
  11. Ces paroles paraissent être empruntées du verset 21 du chapitre i de l’Épître aux Philippiens.
  12. Autrement, Présentez à Dieu toutes vos demandes.
  13. Philipp. iv, 8.
  14. Philipp. iv, 9.
  15. Philipp. iv, 18.
  16. Ce qui est dit ici est visiblement affecté, et est copié sur le verset 16 du chapitre iv de l’Épître aux Colossiens.