Je m’accuse…/La Dernière Enfance

La bibliothèque libre.
Édition de « La Maison d’Art » (p. 43-169).


SECONDE PARTIE

LA DERNIÈRE ENFANCE



EXTRAIT D’UNE LETTRE À UN SOLDAT


25 avril 1899.


« … Vous m’écrivez que votre qualité d’officier vous rend, à mes yeux, frivole… Mais c’est complètement fou, cela, mon ami ! Suis-je un rédacteur de l’Aurore ! Comment pourriez-vous ignorer, m’ayant lu, qu’à la réserve du Sacerdoce, je mets toujours le militaire au-dessus de tout ? Mais il faut s’entendre…

« Pour en finir avec cette sale affaire Dreyfus, je suis bien forcé, malgré l’infamie extraordinaire de la plupart de ses amis, de regarder comme fort probable que le malheureux homme expie à l’île du Diable le crime d’un autre ou de plusieurs autres, et que le commandement supérieur de notre armée est confié, depuis longtemps, à de bien jolis garçons. C’est une risée et une honte par le monde entier.

« Dreyfus aurait donc été victime d’une iniquité affreuse. Eh ! bien, après ? Il y en a comme ça un million ou deux, par chaque génération, et personne n’en parle. L’intéressant pour moi serait de savoir, au juste, CE qu’expie, là-bas, ce forçat. Car Dieu est infiniment équitable et chaque homme, en ce monde comme en l’autre, a toujours ce qu’il mérite.

« Celui-là était riche. Quelle était l’origine de sa richesse et quel usage en faisait-il ? De même qu’il paie pour d’autres, dans son bagne, qui sait si quelqu’un ne paie pas pour lui, d’une manière encore plus épouvantable, au fond de quelque caverne ? Auprès de cela, que sont les autres considérations ?

« En dehors du monde militaire, voyez la légion de scélérats qui s’agitent autour de cette affaire, pour ou contre, depuis Hanotaux et Drumont, pour ne rien dire de l’imbécile Rochefort, jusqu’à l’immonde Crétin Émile Zola et toute sa clique.

« Mais, encore une fois, Dieu sait ce qu’il fait. Vous verrez dans quelle fosse va tomber la France…

« Léon Bloy »





L’Église voit les âmes.

Monsieur Émile voit des étalons.


Certains événements qui n’intéresseraient personne m’ayant forcé de quitter la France, l’hiver dernier, pour un nombre indéterminé de mois ou de siècles, un ami, curieux de me plaire, m’avantagea d’un abonnement à l’Aurore.

Cette feuille estimable semblait, en effet, idoine, plus qu’aucune autre, à mon édification.

Bien qu’habitant un trou à protestants de la Chersonnèse cimbrique, je pus donc jouir, autant qu’à Paris, de la prose ineffable du nouveau roman de Zola.

Incapable d’ajourner mes transports, j’eus la bienfaisante idée de me soulager, chaque soir, après la lecture de ce feuilleton.

Les pages qui suivent — extraits plus ou moins copieux d’un « Journal » que je publierai plus tard — sont le résultat de cette pratique.

Kolding, ce 9 octobre 1899,

fête de saint Denys.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

17 Mai. — Lu dans l’Aurore du 15, le premier feuilleton de « Fécondité », nouvelle œuvre du Crétin. C’en est fait. Le cochon n’écrit absolument plus.


18. — Je voudrais, chaque jour, après lecture du feuilleton du Crétin, consigner ici, au profit de la postérité la plus lointaine, quelques remarques ou observations critiques sur cette œuvre. Malheureusement Zola est le premier homme du monde pour ne rien dire en des milliers de lignes, exactement rien. En fait de jugements ou d’opinions, son étage intellectuel est si bas que les analystes les plus crottés n’osent y descendre… Quant à sa forme littéraire, elle est juste au niveau de son cœur, c’est-à-dire au-dessous de tout.

J’imagine que le drôle n’a pas donné son papier, mais qu’il a dû le faire payer assez cher à ses très dignes amis, et que ceux-là, quand ils sont entre eux, doivent peu se gêner pour traiter leur héroïque et vénéré maître de « rosse, de canaille, de salaud, d’horrible mufle, etc. ». Je crois entendre d’ici la voix aristocratique de Vaughan, qualifiant le grand homme de « vieille vache ».

On parle couramment de l’ « exil ». Il fallait notre époque pour glorifier un individu qui fout le camp à l’heure du danger. L’Hégire de Zola. Quel chapitre pour l’histoire de la fin du siècle !


19. — J’ai cherché un mot pour caractériser la sottise de Zola. Elle n’est pas seulement exorbitante. Elle est étrange et sale. C’est une sottise qui aurait servi à rincer quelque chose.

Mais la cause du succès plus que probable, cette fois encore, c’est le débraillement pornographique entrevu déjà. Ah ! il va pouvoir se donner carrière !

Seulement, pour le suivre, il ne suffit pas d’avoir l’âme impure, il faut encore de l’estomac. Sa polissonnerie est surtout puante et précipiterait plutôt à la vertu. Il paraît que c’est cela qu’il faut à son public.


20. — Suite de l’excrément. Rien à ramasser, fût-ce avec des pinces rouges. L’impuissance du misérable est une chose qui doit faire chuchoter les mauvais Anges. Quant à sa bassesse, je renonce à trouver un mot qui l’exprime.


21. — Toujours au même niveau, le feuilleton. Je me crois chez des concierges pleins de lieux communs et d’intarissable faconde, où il ne serait parlé absolument que de cul et d’argent, vingt-quatre heures par jour. Au fait, quelles autres choses pourraient intéresser le Crétin ?

Lu la sublime Vie du Père Damien, le missionnaire des Lépreux de Molokaï, l’une des Sandwich, qui mourut, à la fin, de l’horrible mal. Nous autres lépreux, disait-il — avant d’être contaminé — à ses auditeurs effrayants, dans sa misérable église où l’haleine des fidèles éteignait les cierges…

Quel mot quand on vient de lire Zola !


22. — « … Puis, il y avait eu l’extraordinaire histoire de son mariage avec le baron de Lowicz, sa fuite au bras de cet escroc, d’une beauté d’archange. » (!!!) C’est la femelle imbécile dont tous les romans du Crétin sont pimentés depuis vingt ans. J’eusse été bien affligé de ne pas rencontrer cette dame.

« Très riche », naturellement ; qui rit « de ses dents blanches de louve, entre ses lèvres saignantes » ; qui est « vraiment adorable, d’une force de désir irrésistible » ; que dis-je ? « d’un charme de magicienne dont les yeux brûlent, empoisonnent les cœurs » ; qui « garde son air d’invincible amoureuse » et qui pose sur la bouche de ses amants « sa petite main longue et enveloppante ». Celui qui écrit ça est le prince des prosateurs français.

Faut-il que ce prince ait été rebuté et vomi par les plus ouvertes catins, pour qu’à soixante ans, il ait, à ce point, la gueule sèche à la seule pensée d’une jupe !

Il est à remarquer que tous les personnages, sans exception, c’est-à-dire plusieurs familles, ont concerté de ne parler que de coït et d’avortement, pendant les trois ou quatre mois[1] que l’Aurore publiera cette saleté, ce qui est incontestablement généreux. Mais que dire de cette société de décrotteurs et de marchands de pommes de terre frites enrichis que Zola considère comme une aristocratie très haute ?


23. — Aurore parue avant-hier, dimanche de la Pentecôte. En ce jour du Saint-Esprit, que nous dira le Crétin ? Rien qui n’ait été dit auparavant un très-grand nombre de fois, car ce prince des prosateurs a la spécialité de rendre pour réavaler, indéfiniment, et d’offrir trois cents lignes de lieux communs, chaque jour.

« Sa gaie figure ronde, aux bandeaux noirs, avait une délicatesse de fleur ». Ça, c’est un vieux portrait de jeune fille, souvent épousseté ! Remarqué aussi une petite dévote « en marche déjà pour toutes les folies, communiant encore, mais professant le péché, se familiarisant, chaque jour, avec l’idée de la faute ». Courage, cochonne ! Émile te regarde.


24. — Bonne page du Crétin. « Cherchez donc dans le Nouveau Testament le « Croissez et multipliez et remplissez la terre » de la Genèse ? Jésus n’a ni patrie ; ni propriété, ni profession (!!!!!), ni famille, ni femme, ni enfant. Il est l’Infécondité même. » Voilà donc où il voulait en venir. l’infécondité de jésus ! Idiote crapule.


25. — Le Crétin nous explique enfin, enfin ! sa personnelle infécondité. Cela commençait à devenir un peu rigolo, si j’ose le dire, l’obstination de ce romancier hongre à pétarder contre l’infertilité contemporaine des reins et des utérus.

Voici : « Vous ne pouvez nier, mon cher monsieur, que les plus forts, les plus intelligents, sont les moins féconds. Dès que le cerveau d’un homme s’élargit, sa faculté génératrice s’affaiblit ». En d’autres termes, Émile Zola a trop d’esprit pour faire des enfants. Cette idée forte et féconde me fut, autrefois, dévoilée par Huysmans. C’est bien assez pour un jour, n’est-ce pas ? et tout le reste paraîtrait fade.

Que servirait, par exemple, de noter « le péril jaune », c’est-à-dire l’invasion chinoise en Europe, idée pas banale du tout, cependant, comme vous voyez, qu’Émile croit, sans aucun doute, engendrée de lui, sortie, comme une relavure à empoisonner des congrès, de l’éponge rince-bidet qui est son cerveau — élargi ?


26. — Surmontant une nausée furieuse, je reprends ma lecture. Le facteur m’ayant apporté deux numéros à la fois, je les ai avalés coup sur coup, au risque d’en crever.

La joie des clients doit être grande, car c’est cochon à ravir, il n’y a pas moyen de le nier, et on peut prévoir que cela deviendra plus cochon encore. Dans cet ultra-cocasse roman, tout le monde semble avoir le nez dans le derrière de tout le monde. Il n’y a pas un personnage, mâle ou femelle, qui pense à autre chose qu’à la friction plus ou moins savante, plus ou moins raffinée des viandes… Ah ! le déchaînement érotique du Crétin est un spectacle !

Mais on est un penseur tout de même, il ne faut jamais l’oublier. Exemple : « Des nations disparaîtront encore. D’autres les remplaceront, et combien de mille ans faudra-t-il pour arriver à la pondération dernière, faite de la vérité et de la paix, enfin conquises ?… » Voilà comment on enfonce Bossuet. Émile nous avait servi ça déjà, dans sa grande cacade sur Rome. Je n’ai plus le texte sous les yeux, bien entendu. Il y a beau temps qu’il a disparu dans un gouffre, mais je me rappelle que le globe y était comparé à une bobine autour de laquelle s’enroulaient, se dévidaient successivement et indéfiniment les civilisations… Quand l’Occident sera devenu tout à fait gâteux, comme l’auteur, l’Orient redeviendra jeune, et vice versa, in æternum.

Pour ce qui est du style, ça ne bouge pas, c’est toujours la même chose, les mêmes clichés inusables et indéfectibles, depuis trente ans. Quand on vient de lire un poète et qu’on essaie de lire Zola, on croit tomber dans les lieux.


27. — Ah ! mais ça devient tout à fait abrutissant, le roman du Crétin. Est-ce que je vais être forcé de renoncer à mes notes quotidiennes ? Il est évidemment trop facile de prévoir comment finira cette idiote et puante histoire. Question, d’ailleurs, sans intérêt. Mais voici douze feuilletons, douze fois trois cents lignes, exclusivement remplis par des conversations de gens appartenant à diverses classes et qui ne s’intéressent qu’aux moyens à employer pour ne pas faire d’enfants. Tout autre thème est exclu. Il n’est parlé que de fraudes, de désirs à satisfaire sans inconvénients, d’individus à gros appétits charnels, de femmes amusantes au lit ou pas amusantes, etc.

Le curieux est que ce porc atteint de priapisme, en attendant la paralysie générale, mais qui — avec une obstination de gaga — veut tout de même être un Moraliste, n’a pas l’audace de l’obscénité. À chaque minute, on sent qu’il crève du désir de préciser une saleté, mais qu’il n’ose pas.


29. — Clémenceau, dont les attaques de médiocrité semblent devenir plus fréquentes au contact du Crétin, et qui nous sert volontiers « la Saint-Barthélemy, la Révocation de l’Édit de Nantes, la Terreur blanche, etc. » ; Clémenceau, dis-je, s’élève avec autorité contre l’obéissance, contre l’esprit d’obéissance qui « dégrade » l’homme et qu’il croit être la « servitude ». On dirait du Gohier. Pas du Zola. Le Crétin est beaucoup plus bas, et il lui faudrait le char de feu du Prophète pour s’élever jusqu’à ces âneries.

Faut-il que Clémenceau qui n’est pourtant pas une brute, comme son confrère Urbain et quelques autres — qu’on peut même appeler un écrivain — soit mangé d’ambition pour endosser cet uniforme de lieux communs, cette casaque vile de franc-maçon subalterne, fraîchement racolé à une table d’hôte de commis-voyageurs ou derrière un établi de savetier ! C’est, d’ailleurs, une sensation étrange de songer à l’épouvantable tyran que serait tout de suite un domestique aussi volontaire, s’il devenait inopinément un maître !

Lisant le treizième feuilleton du Crétin, je pense tout à coup à Huysmans et je me demande, si celui-là n’est pas pour quelque chose dans le mouvement chaleureux qui a fait éclore « Fécondité », et si Zola, en mainte page, d’ailleurs vomitive, Dieu le sait ! n’a pas eu le dessein de confondre un ancien disciple dont le catholicisme récent doit l’indigner. Car l’auteur de « Lourdes » est certainement incapable de douter du catholicisme de l’auteur de « la cathédrale ». Ils sont, à coup sûr, aussi clairvoyants l’un que l’autre.

Or je me rappelle que le second m’a exprimé — combien de fois ! — son horreur pour les enfants, ne craignant pas d’aller jusqu’à des théories formelles d’avortement, se vantant même de les avoir personnellement mises en pratique. Devenu catholique, — le catholique de ses trois dernières manigances — Joris-Karl est-il toujours dans ces pensées ?[2]

Mais le cas du Crétin est tout autre, et, sans doute, je lui suppose bien gratuitement des intentions. Il n’a pas besoin, lui, de théories, ni de pensées, ni même de l’embryon le moins défini du concept le plus inférieur. Qu’en ferait-il ? Il est tout cul, si j’ose risquer ce trope qui, seul, rend ma pensée, et les fraudes, les étreintes vaines, les accouplements stériles, la semence jetée au hasard et qui « se dessèche », « les seaux de toilette, pleins de vie souillée, gâchée qu’on vide au cloaque », tout ce torrent de cochonneries, qu’est-ce autre chose que l’occasion, espérée vingt ans, d’un gâtisme assez obtenu pour que le mandrille, érigé moraliste transcendant, osât enfin se déculotter et se polluer devant les garnos ?


30. — Une chose que je ne me lasse pas d’admirer dans le feuilleton du Crétin, c’est l’impuissance, l’infécondité de l’auteur. C’est consternant et même un peu diabolique de lire ce bavardage monstrueux, infini, ce déluge de mots, pendant des pages, pour ne jamais aboutir, pour ressasser indéfiniment un lieu commun misérable, sans espoir de rencontrer, je ne dis pas une idée, mais une image, un semblant d’image qui n’ait pas servi un million de fois ! Cela fait penser à la masturbation d’un cadavre.

« … Et il songeait encore aux lits des casernes où dorment solitaires, improductifs, quatre cent mille jeunes hommes, etc. » Ne croirait-on pas entendre les lamentations d’un tenancier de lupanar menacé dans son négoce ? Le digne homme voudrait donner des femelles à tous ces mâles.

À cet endroit, il n’est question que de semence, de laitance, d’œufs de poisson, « d’œufs qui coulent (sic) dans les veines du monde, etc. » Et telle est, durant cinq cents lignes, la méditation exclusive d’un jeune père de famille qui va prendre un train, au chemin de fer du Nord, pour coucher gentiment avec sa femme, mais qui, ayant touché son mois, aurait bien envie de faire la noce, si M. Émile était assez bon pour le lui permettre.

On devine comment cela finira. Le voici déjà qui redescend sur les boulevards, décidé à rater son train. C’était à prévoir. Les combinaisons du Crétin ne sont pas des énigmes compliquées et on ne peut pas dire qu’il soit doué d’une imagination à surprises. À demain donc, sans doute, et aux jours suivants, le récit croustilleux de cette nuitée d’amour. Avec la forme svelte et rapide qu’on sait, il y a lieu de présumer que cet épisode ne dépassera pas trois mille lignes.


31. — Déception et humiliation. Le héros de Fécondité ne fera pas la noce, cette nuit du moins. M. Émile ne l’a pas permis.

Il s’élance dans le train et vient retrouver sa femme qui l’attend « sous les étoiles, avec sa gorge menue et ferme, ses joues de fruit savoureux, et sa peau d’une blancheur de lait qu’accentuent encore ses admirables cheveux noirs… » Hé ! zut !


1er Juin. Continuation des coïonnades idylliques. Combien le vice paraît aimable comparé à la vertu offerte par Émile Zola !


3. — Feuilletons d’hier et d’aujourd’hui. Suite de la vertu. Le faiseur d’enfants, aux trois quarts séduit par l’éloquence malthusienne des clients de M. Émile, essaie de persuader à sa femme d’en rester là. Ça n’a pas l’air de mordre. Ennui à peu près insupportable. Impossible d’extraire, de défalquer, d’isoler quoi que ce soit. Pas même une ânerie un peu plus carabinée que les autres. C’est un bloc de sottise dense et morne. Je ne peux pourtant pas citer les petits enfants endormis « pareils à des petits Jésus et riant aux anges » ou d’autres trouvailles de cette force. Une chose revient sans cesse. Il paraît qu’on en est fier. « Bien vivre, c’est aimer la vie ». Au diable le gâteux ! Je crois, décidément, que j’ai entrepris une sale besogne.


4. — Notre Crétin arrive, aujourd’hui, à la fin du « livre premier », une centaine de pages, au moins, dans lesquelles il n’a été parlé que des choses du cul, par le prodige tout spécial à Zola d’une réitération acharnée, enragée, indécourageable, des mêmes objets, au moyen des mêmes formules, des mêmes expressions clichées et cela dans un vocabulaire granitique de camelot, d’agent-voyer ou de secrétaire de commissariat toqué de littérature. On ne connaît pas un romancier populaire qui ait pu compter, autant que lui, sur la stupidité ou la vacherie de ses lecteurs. Et nous ne sommes qu’à l’aurore des saletés, puisque ce n’est encore que le premier livre.

Toutefois, avant de poser — pour bien peu de temps — sa plume légère, il a tenu à promulguer, derechef, que « les plus intelligents sont les moins féconds ». On a lu déjà (25 mai) cette haute maxime, avec son application immédiate. Aujourd’hui, il ajoute, en façon de corollaire, que « les enfants ne poussent jamais en si grand nombre que sur le fumier de la misère », — ce qui revient à cette autre altière sentence que la supériorité de l’esprit consiste à gagner de l’argent, — histoire d’être agréable à MM. les Mufles et de se recommander à leur bienveillance[3].

Enfin, allégé de ce témoignage, il permet qu’on fasse un enfant de plus dans la maison des « petits Jésus ».

« Et ils eurent la superbe, la divine imprévoyance. Ah ! les délices de cela !… Ce fut leur acte de foi en la vie, un cantique à la fécondité, créatrice généreuse, inépuisable, des mondes ».

Ah ! oui, les délices de cela ! « l’ivresse délicieuse » de ces phrases régulièrement servies tous les ans, dans la même belle ordonnance, depuis la libération du territoire ! Mais qui donc a dit que Zola est un homme sans religion ?


5. — (dans l’Octave du Saint-Sacrement). Sanctification du dimanche. Office divin. « … Une vénération l’envahit, il l’adora (la bonne déesse aux chairs éclatantes, la dame du monsieur, bien entendu), comme un dévot mis en présence de son Dieu, au seuil du mystère… Il découvrit le ventre, d’un geste religieux. Il le contempla si blanc, d’une soie si fine… Il se pencha, le baisa saintement, en mettant dans ce baiser toute sa tendresse, toute sa foi, toute son espérance (on n’est pas plus théologal). Puis il resta un instant, ainsi qu’un fidèle en prière, posant sa bouche avec légèreté… » Il ne reste plus qu’à se retirer sur la pointe du pied, après avoir lancé un dernier regard plein de respect dans la direction du « seau de toilette ».

Le célèbre gaga n’oublie pas de nous dire que cette cérémonie pieuse a lieu le dimanche. C’est comme cela qu’il entend que le Jour du Seigneur soit sanctifié. Quand les grands hommes déliquescents ou non encore déliquescents entreprennent de remplacer Dieu, c’est cela qu’ils trouvent.


7. — Berquinade familiale de six cents lignes, depuis deux jours. Allons ! les petits enfants, venez faire risette à votre oncle M. Émile qui vous aime tant. Da, da, da, da, da — Ga, ga, ga, ga, ga.

Ce personnage illustre et sympathique est, d’ailleurs, sur le point de rentrer en France, si, toutefois, il en est sorti — ce qui est une question.

Article de quatre colonnes et de trente mille caractères pour nous apprendre qu’il désire rentrer en silence. À peine quelques mots de Dreyfus. Il parle avant tout, surtout de lui-même et des « tortures » de son exil[4]. Elles ont pu être atténuées, j’imagine, par quelques douceurs. Les souffrances d’exil d’un romancier qui gagne deux ou trois cent mille francs par an avec un unique bouquin salopé, ne paraissent pas devoir être l’occasion d’un deuil national.

N’avait-il pas, d’ailleurs, la consolation d’écrire « Fécondité », et la consolation plus sublime de savoir — lui seul — qu’il « n’avait jamais eu qu’une passion, celle de la vérité… que, depuis quarante ans, il avait servi son pays par la plume et chanté la France par plus de quarante œuvres déjà ?… » Enfin, ne pouvait-il pas se rendre à lui-même le témoignage si réconfortant « d’avoir porté la petite lampe sacrée, qui éclairerait le monde si les puissances mauvaises venaient à éteindre le soleil !!!? etc. ».

Qu’il ne soit donc pas parlé de récompense. Le cher homme n’a eu aucun mérite. « Je veux bien qu’on dise de moi que je n’ai été ni une bête ni un méchant ». C’est tout ce qu’il demande. Pour ce qui est des âmes basses et sottes, qui le calomnient, qui l’abreuvent d’outrages, non seulement aujourd’hui, mais depuis qu’il a commencé d’écrire, il les protège de son « indulgence de poète, pleinement satisfait du triomphe de l’idéal ».

Au fond, malgré la « sérénité de son âme », il a une peur verte qu’on ne lui reproche d’avoir filé pour échapper aux gendarmes, et une autre peur, très imprécise, mais plus glaçante, de recevoir enfin le salaire de ses travaux. Qui sait ? la conscience de cette canaille n’est peut-être pas tout à fait défunte.


8. — « Reine (une petite fille de 13 ans) se mit à rire, savante déjà, sans doute, lorsqu’Ambroise vint crier à sa mère qu’elle était sa petite femme et que Rose était leur bébé ». Est-ce assez pur, assez virginalement symbolique, cette fleur de lys dans un pot de chambre sur la table de travail de M. Émile !

Il paraît, d’ailleurs, que cette saleté-là — ou n’importe quelle autre ordure, bien entendu — est « plus haute et plus vraie que le culte de la Vierge ». Quelle ressource tout de même, que le gâtisme, et comme cela vous campe un écrivain !


9. — L’ignominie conjugale nommée fraude et qui revient sans cesse dans ce livre immonde, est jugée, cette fois, et qualifiée de pratique coupable. Voyons ! Émile, c’est trop bête, à la fin. S’il n’y a pas de Dieu, comme tu l’affirmes sans cesse, après tant de cordonniers, où prends-tu la culpabilité de n’importe quoi ou de n’importe qui ? Comment ! je serai demain un amas de pourriture, rien de plus, et je me priverais de rigoler, aujourd’hui, comme il me plaît. J’obéirais au catéchisme, sans y croire ! Merdre, alors !

« … Elle parla du docteur Boutan, voulant qu’on lui redise, etc. » Le crétin a définitivement perdu l’imparfait du subjonctif.

Tiens ! Tiens ! Voici que notre glorieux rapatrié écope dans la maison même. L’outrecuidance inouïe de son article d’avant-hier a indigné Bernard Lazare qui fut, en réalité, le premier, le seul, il y a au moins quatre ans, à s’occuper de Dreyfus, qui a vu Zola surgir soudain d’entre ses pattes, — lorsque l’affaire était mûre, bonne à cueillir, — et qui, après la victoire, n’obtient pas même une mention.

Bernard Lazare, écrivain de bonne tenue et ne parlant pas du tout de « la petite lampe sacrée », proteste, en fort bons termes, contre cet ignoble silence. Il ne nomme pas le drôle, mais on voit si bien qu’il y pense, quand il parle, par exemple, des ouvriers de la « onzième heure ».

— C’est moi qui ai tout fait ! gueule Zola, moi l’Apôtre ! moi le Martyr ! moi le Citoyen ! moi ! moi ! MOI ! Il est temps que ce paquet lui arrive sur la trogne. J’imagine que les bons compères de l’endroit Vaughan n’en sont pas autrement fâchés.


10. — Bavardage sénile à propos de nourrices. On ne demande pas des idées, oh ! non, mais un mot, rien qu’un tout petit mot d’écrivain, qui ne vient jamais. Littérature de marchand de vaches !


11. — Toute ma récolte : « Quant à Santerre (Paul Bourget), ce n’était que le bon ami qu’il avait voulu, un jour, faire entrer chez sa femme, pendant qu’elle était au bain, pour lui montrer comment elle était drôle dans l’eau ». Ça ne se passe pas autrement, il faut croire, dans les maisons où fréquente monsieur Émile.

À un ami :


« … J’espère, cependant, que quelques-uns me rendront justice, lorsque la surprenante infamie de Zola sera vue dans son plein, lorsque les amis ou admirateurs prétendus de l’heure actuelle seront forcés de le repousser dans les latrines profondes d’où il est sorti, — ce qui doit certainement arriver beaucoup plus tôt qu’on ne pense.

« Déjà le misérable s’est à moitié trahi dans la lettre, monstrueuse d’outrecuidance, intitulée Justice, où ce triple sot, gavé comme une volaille depuis trente ans, parle des « tortures de son exil » — à lui ! — et des amertumes, dont sa vie littéraire fut « abreuvée ». Quel répugnant et hideux tartufe ! Vous verrez la suite. Alors, peut-être, — mais non pas sans honte et sans horreur — vous souviendrez-vous de Léon Bloy dont vous aurez méprisé les avertissements.

« Vous êtes hypnotisé au point de m’écrire que l’affaire Dreyfus est « le plus grand drame historique du siècle » !!! égalant au moins, par conséquent, ce remuement de merde à l’Épopée Napoléonienne ; à la guerre franco-allemande ; à ce torrent de sang noir qui est l’histoire si mystérieuse et si peu connue de Naundorff, etc. C’est du délire.

« Vous trouvez la preuve d’une vraie « grandeur » dans J’accuse. Alors je ne comprends plus du tout pourquoi vous me lisez et pourquoi vous dites m’admirer. Vous n’en avez pas le droit. « Qu’importe, ajoutez-vous, à côté d’un si grand rôle, et lorsqu’on a un si puissant levier (!), l’imbécile roman Fécondité ? » Oui, n’est-ce pas ? qu’importe qu’un soi-disant écrivain ait pourri des milliers de cœurs, avili la langue française et l’esprit français ; qu’importe qu’en ce moment même, il outrage Dieu chaque jour, en trois cents lignes, s’il a gueulé ou paru gueuler pour Dreyfus ? Soit, mais, alors, que pouvez-vous penser de l’auteur du Salut par les Juifs qui a tout sacrifié pour des choses de si peu d’importance, sinon qu’il est un idiot ou un vil phraseur ?

« Léon Bloy. »


12. — C’est Vaughan qui ne doit pas rire ! Il doit même y avoir de belles imprécations, chaque soir, à la rédaction, quand il faut faire de la place à ce feuilleton en enfance dont l’effrayant, l’homicide ennui est, de jour en jour, plus intolérable. La turpitude même s’y raréfie. Cela devient un très bas potin monotone, perpétuel et sans issue, dans un monde platement abject où la stupidité morne et le goujatisme comateux sont équilibrés par l’inexistence de tous les personnages sans exception.

Prenez garde ! gens de l’Aurore. Vous allez embêter le peuple !


13. — Le cœur me manque, décidément. Il n’y a plus moyen. À propos des événements récents, un personnage considérable de cette ville danoise me parle de Zola, et j’apprends, sans étonnement, que ses trois derniers romans (les Trois Villes) ont été infiniment agréables aux protestants qui n’ont pas manqué d’accueillir, comme vérités de foi, les calomnies malpropres de ce moutardier de la Canaille. On sait que les plus horribles immondices ont un goût divin pour les protestants, quand il s’agit de les avaler contre Rome.

« — Le succès immense de Zola est exclusivement attribuable à son ordure ». Cela, très-spontané, nullement suggéré par moi, a été dit de la façon la plus nette par mon interlocuteur.

L’alliance actuelle des Juifs et des Protestants représentée, en somme, par le Crétin, est, tout de même, une monstruosité inouïe. Qu’est-ce, en effet, que le Protestantisme, sinon le déchet du Christianisme, la négation de l’Essence et de la Substance révélées ? Quand un homme dit : « Je suis protestant », c’est comme s’il disait : « Je n’existe pas ».

Le Juif, au contraire, c’est l’antagoniste, dans l’Absolu. C’est l’Aîné qui s’est éloigné du Cadet — parce qu’on tuait le Veau gras dans la maison — jusqu’à ce que l’Esprit de Dieu les étreigne, les réconcilie dans l’Unité. Le Juif et le Catholique sont égaux par leur extraction commune et ne doivent pas plus s’allier aux Protestants que les maîtres ne doivent épouser leurs domestiques[5]. Un Juif peut estimer un Catholique, sans cesser de le haïr, et vice versa, mais le moyen, pour l’un et pour l’autre, de ne pas mépriser un Protestant !


14. — Un admirateur du Salaud m’écrit :

« Fécondité » ! Ah ! on est loin de l’Iliade !!! On est chez les Bourgeois !… Il n’y a pas à dire, on y est bien ! On ne pourrait y être plus. Et c’est vraiment, je l’avoue, irrespirable, et on est heureux d’avoir la consolation de lire maintes pages de la « Femme pauvre », du « Salut par les Juifs », du « Désespéré » et du « Mendiant », pour se purifier.

« Beauchêne, Santerre (dont il a voulu faire Bourget, paraît-il), Séguin du Hordel (?) — oh ! la puérilité de cette H ! — et les épouses !!! C’est cependant bien dans ce monde-là que nous évoluons, si tant est qu’on y puisse évoluer. Quel tas de salauds !!!

« Dans tous les romans de Zola que j’ai lus, il y avait toujours, au moins quelques meurtres, quelques sales luttes d’intérêts, entre la saillie d’un taureau et des accouchements de vaches combinés avec d’autres vêleries de bestiaux. Mais, ici, on ne sort d’un viol que pour tomber dans une parturition difficile ou d’un avortement dans une ovariotomie ! La puanteur de clinique en l’alcôve bourgeoise ne s’interrompt qu’à peine pour la description des enfants qu’on fait, qu’on a faits, qu’on fera ou qu’on ne fera pas, ou qu’on défera.

« Au point où nous en sommes, toutes les femelles du livre sont déjà enceintes depuis la dernière bonne, la concierge, la patronne, la fruitière, jusqu’aux visiteuses, quelles qu’elles soient, jeunes ou vieilles ! Ce qui me fait présumer que Zola lui-même n’en sortira pas, et je renonce, dès à présent, à le suivre !

« C’est égal, quand on peut braver l’abjection du sujet et l’incontestable vulgarité de ce style (?) ou de ce qui en tient lieu, c’est parfois bien gai ! »


15. — Suite du néant, si on l’ose dire. Un patron d’usine engrosse une de ses ouvrières et la lâche. Bataille de deux filles en plein atelier, comme dans l’ « Assommoir ». Puis désolation des parents de la séduite qui voudraient ressouder leur fille avec l’argent du séducteur, lequel refuse de marcher…

La langue de Zola trouve le secret d’être plus basse que les choses mêmes !!!


16. — « … Et il redevint supérieur, beau et victorieux, en homme certain de gagner toutes les batailles de la vie ». C’est une des quinze ou dix-huit phrases écrites par le Crétin 3.745 fois environ, depuis trente ans. Il y tient. C’est sûr.

Le séducteur millionnaire est taxé par Émile à cinq cents francs. Ô proxénète insatiable ! Tes clients vont te lâcher, mon vieux Zola.


17. — Intérieurs de sages-femmes. Occasion de déployer un peu de vertu. Tentative même de littérature, la première, je crois, depuis le commencement. Peu récompensée, hélas !

La fille-mère aux cinq cents francs, installée dans une maison recommandable, déclare « n’avoir jamais été à pareille fête, nourrie et soignée, dorlotée du matin au soir, à ne rien faire. — Vous savez, dit-elle, je ne demande qu’une chose, c’est que ça dure le plus longtemps possible ». Le 32me feuilleton finit sur cet éblouissement.


18. — Enfin, voici l’inceste jusqu’à cette heure négligé ; je n’osais pas le réclamer.

L’indigence d’imagination de Zola, même dans l’ordure, est si surprenante que ses lecteurs doivent soupirer après les romans de Richebourg ou de Montépin, comme les vaches du désert après les pâturages de Chanaan ou de Mésopotamie.

Dans l’Aurore :


« Le Petit Bleu de Bruxelles annonce que les journalistes anversois sont sur le point de s’entendre pour offrir à Zola, sous forme d’adresse, un exemplaire de la lettre « J’accuse », imprimé à l’aide des célèbres caractères de la maison de Christophe Plantin, ce qui donnera à cet hommage un cachet particulièrement curieux.

« L’impression serait faite par l’éditeur d’art, M. Paul B., et la reliure serait confiée à M. Jacques M.

« L’exemplaire porterait en outre les signatures des journalistes qui auraient contribué pécuniairement à la confection de cet unique et merveilleux exemplaire. »


On sait que les journalistes anversois, parisiens, londonniens, vénitiens ou montalbanais, n’ont jamais un liard, excepté lorsqu’il y a une bonne saleté à faire. Dans ce dernier cas, on les commanditerait plutôt.

Je n’ai donc pas de conseil à leur offrir, mais quel dommage que le relieur ne songe pas à me consulter pour le choix d’une peau !


19. — Aujourd’hui, grand air de bravoure.

Le Crétin sort sa femme n°3, « brune de trente ans, grande, avec des traits fins, de beaux yeux tendres, une bouche de charme et de bonté ». Un point c’est tout. C’est ainsi que le Maître vous exécute un portrait.

Cette personne est rencontrée bien entendu, chez la sage-femme, où elle est venue se débarrasser rapidement, avant l’arrivée, par le bateau des Indes, d’un mari féroce. Histoire toute neuve. Il est encore parlé, cela va sans dire, de « l’acte superbe de vie », de « l’éternel flot de semences (il en mange décidément) qui circule dans les veines du monde », car le style ne s’interrompt pas d’être aussi imprévu, aussi peu servi, aussi frais, aussi vierge que la pensée.


20. — Entrée de l’Avorteuse. Fanfares.

Quelle est donc la vieille putain qui me disait un jour : « Zola, c’est mon romancier de cœur » ?


21. — Apparence ou velléité d’un commencement de quelque chose. Émile semble vouloir punir le vice et récompenser la vertu, — sous lui. Mais, où est le vice et, surtout, où est la vertu, dans un monde imaginé par ce malheureux Crétin. Avec lui, on ne sait jamais.


22. — On sait de moins en moins. Cette fois, pourtant, il y a une femme crevée par l’Avorteuse, ainsi qu’il était aisé de le prévoir. Le grand écrivain, le prince des prosateurs nous la montre « adorable, d’une pâleur de cire ». Hé ! hé ! Le même prince remarque avec douleur l’absence d’un cierge !!!? auprès de cette charogne.

Il est beaucoup parlé de « crime » en cet endroit. Pauvre vieux !

Si nous en restions là, pour quelque temps, du moins. Si peu respectable que soit devenue la France, depuis qu’elle couche avec des imbéciles ou des maquereaux, je pense, tout de même, qu’il n’est pas permis de l’em…der à ce point. C’est trop. Silence donc et patience, une ou deux semaines.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

24. — « Il avait senti Paris mal ensemencé ». Oh ! Octave Uzanne !


25. — « Quand on est un père honnête homme… » — « Il le quitta, écrasé et calme ». Je te crois.

Un ami m’écrit : « Le dégoût que j’ai pour Zola s’est précisément accru de ce qu’il est l’auteur de « J’accuse ». Il doit y avoir, au fond de son acte, un mobile intérieur dont l’ignominie est connue de Dieu seul ».


26. — « … Le ventre nu, le ventre sacré qui s’ouvrait, comme la terre, sous le germe, pour donner la vie… Le désir créateur du monde ». Je m’étais pourtant bien promis le silence, mais le moyen de résister à cela ?


À un ami :

« … Quelqu’un vous a dit qu’on ne peut reprocher à Zola de gagner trois ou quatre cent mille francs par an, avec ses livres. Opinion de bourgeois, opinion immonde.

« Il y a, à Londres, des accapareurs milliardaires qui s’arrondissent, de temps en temps, de quelques dizaines de millions, en lâchant les meules de la famine sur telle ou telle province de l’Inde.

« Il y a d’autres spéculateurs, anglais ou américains, qui empoisonnent des peuples par l’opium.

« Il y a aussi des entrepreneurs sans nombre, répartis autour du globe, qui gagnent beaucoup dans le trafic de la viande humaine.

« Etc., etc., etc.

« Votre quelqu’un, ayant paru lâcher Dieu depuis quelque temps, depuis peu de temps seulement, est encore capable, je l’espère, de penser que tous ces monstres gavés d’or mériteraient plutôt de l’être d’étrons et de crever dans les plus sales supplices ; mais il ne pense pas du tout qu’il y ait lieu de blâmer un individu qui n’empoisonne que les âmes, qui n’avilit que les intelligences, qui n’outrage QUE Dieu, et qui s’enrichit à ce métier-là. On est toujours assez homme de bien quand on a paru baver pour Dreyfus, en se foutant des imbéciles. Ô Tribulat Bonhomet !


« Léon Bloy.


« P. S. En ma qualité d’artiste, je suis pour la crapule Esterhazy contre la crapule Urbain Gohier.

« Ah ! oui, certes ! »


27. — « Ah ! le petit diable, il me mange, il vient de rouvrir ma crevasse ! » Émile !


29. — Article remarquable de l’excellent affranchi Lucien Descaves. Phrase inouïe, montrant Mme Dreyfus que personne n’aide « à porter sa croix », et qui est « réduite à la déposer dans la rue, sur un banc, et à s’étendre à côté ». Pends-toi, Émile, accroche-toi n’importe où, derrière la porte des lieux, par exemple. Tu ne trouveras jamais rien d’aussi beau.

Remarquons, en passant, qu’à l’Aurore, il n’est ordinairement parlé que de « croix », de « calvaires », de « calice à boire », etc.

Les capucins d’une piété haute, tels que Clémenceau, Gohier dit le frère Urbain, ou ce Lucien à figure de cordonnier funeste, affectionnent ces vocables, pas du tout empruntés à l’Église, comme on peut voir. Tout le monde sait que ces dignes personnages auraient quelque chose à dire, quand même ils ne forceraient pas, chaque matin, les tiroirs de la vieille Mère qui les allaita et qu’ils conspuent avec magnanimité, comme il convient à des hommes libres.

Aurais-je eu tort, tout à l’heure, de tant exalter Descaves ? Voici ce que je trouve dans mon feuilleton. Il s’agit d’une maman qui donne à téter à son petit garçon. « Et elle fit cela sous le soleil qui la baignait d’or, en face de la vaste campagne qui la voyait, sans la honte ni même l’inquiétude d’être nue, CAR la terre était nue, les plantes et les arbres étaient nus, ruisselants de sève ». !!!!! Ça te la coupe, Lucien.

Après tout, pourquoi n’oserais-je pas une figuration symbolique ou allégorique des sentiments actuels de notre Crétin ?

Émile, complètement nu, sous un arbre, et le front sillonné de ces innombrables et célèbres plis de la Bêtise, si scrupuleusement inscrits par Henry de Groux, Émile jouant de la flûte, en regardant ruisseler la sève des hommes et des femmes, — dans la forêt de Bondy !


2 Juillet. — Voici ce que paraît avoir conçu notre auteur :

Une famille-type qui représente la Fécondité devient trop nombreuse pour être nourrie, le père n’ayant qu’un médiocre emploi. Celui-ci prend, alors, le parti de féconder la terre, en même temps qu’il continuera de féconder sa femme. Encouragé par le Crétin qui le comblera de tous les dons, qui puisera pour lui à pleines mains dans les trésors de la « science moderne » — dont il possède fort heureusement la clef — il va devenir nécessairement, et soudain, un défricheur de génie, un thaumaturge de l’agriculture, qui fera ruisseler « le lait et le miel » de l’abondance biblique, en plein désert.

Je me prépare donc à relire quelques pages ou quelques chapitres carottés au Médecin de campagne ou au Curé de village du grand Balzac, et accommodés à la Zola !!!


8. — Où en suis-je, depuis une semaine ? Je dormais si bien ! Ayant enfilé une demi-douzaine de feuilletons arides comme les vallons de la lune, où il est exclusivement parlé de nourrices qui tuent[6], je trouve à peine, dans l’horrible purée, ceci : « La vierge n’est que néant, la mère est l’éternité de la vie » et « quand nous saurons adorer la mère, la patrie sera sauvée »… Allons, enfants ! etc. Oui, sans doute ! ah ! oui, je le crois. Comment donc ! ô François Coppée ! Tu es un lapin, toi ; tu sais ce que c’est qu’une mère ; tu sais ce que c’est que la patrie ; tu sais, non moins que Zola, ce que c’est que de faire des enfants ; et tu sais, surtout, ce que c’est que d’écrire ! Arrange-toi donc avec lui pour cette phrase que j’ose qualifier de mystique : « Ils trouvèrent sur un banc, près de l’arbre, une grosse fille qui essuyait le derrière de son enfant avec un morceau de journal ». De quel journal ? Qui nous le dira ? ô Coppée ! Que de mystères ! et combien les Voies sont impénétrables ! Tout se termine à essuyer des derrières. Penses-y bien !

Après cette trouvaille, je succombe. Oh ! ce romancier qui peint exclusivement des mufles, devant un miroir !


10. — Suite des nourrices qui tuent. Heureusement, voici une lettre de l’excellent idiot au journal l’Ami des Bêtes ! C’est intitulé : « La Mort du chien ». Dans les «  tortures de son exil », ce Martyr, ayant à peine trente mille francs à manger par mois, se vit privé jusque d’un chien, d’un petit chien qui « pendant neuf ans, ne l’avait pas quitté ». Et ce petit chien qu’il avait oublié de baiser une dernière fois, navré de l’absence de son maître, mourut « en coup de foudre ».

Ce que c’est que d’être le Prince des prosateurs ! Voilà bien dix mille fois que ce « coup de foudre » est servi à toutes les nations, depuis la guerre franco-allemande !


14. — C’est bien ce que j’avais prévu. Nous voilà arrivés aux « morceaux choisis » du Médecin de campagne ou du Curé de village. Il est probable que le second surtout sera utilisé, puisqu’il s’agit de « féconder » un désert.

Tout se passera, bien entendu, sans l’admirable prêtre de Balzac, sans sa pénitente sublime, sans la multitude secourue et convertie des indigents ou des bandits ; mais, au contraire, dans un déploiement et un crescendo de muflisme crétinal dont le poète magnanime de Séraphita n’eut jamais la plus vague idée.

Il y a peu de choses aussi complètement sinistres que l’effort tenté, parfois, de cet Émile pour montrer qu’il ne sait pas moins jouer de la lyre que du balai à pot de chambre.

Ainsi, dans le feuilleton du 12, il y a un parallèle ahurissant entre « le petit ruissellement du lait » maternel qui coule « avec un léger murmure de source » (!) et le bruit d’une autre fontaine jusqu’alors inutile, dissipée en des marécages, mais « captée » enfin par le génie de l’agronome balzacien, du virtuose de fécondité, et qui « descend le long des rigoles vers les terres brûlantes ».

Non, quand on n’a pas lu ça, on n’a rien lu et on ne lira jamais rien.


16. — « On n’enfante que par l’amour » ! Ça, c’est le marteau du penseur. Quand Zola ne parle pas précisément du cul, voilà ce qu’il trouve.


18. — « … Ce fleuve de lait qui avait ruisselé d’elle… la bonne déesse en constante fertilité… le divin désir, l’âme brûlante dont les champs palpitent ».

On est au 63e feuilleton. Il y en a bien 40 ou 50 que cela dure, cette maternité de vache, cette pullulation idiote ! L’Image Divine, telle que peut la former le cerveau du pauvre vieux Crétin, rappelle beaucoup ces idoles des anciennes théogonies qu’on représentait avec une double rangée de tétines, comme des truies à face humaine. Il doit croire cet idéal extrêmement neuf. Il paraît même s’être assez fortement emballé sur la trouvaille.


19. — « Tout de même, interrompit Bénard, la bouche pleine, ils auraient bien pu, le dimanche où j’ai passé une heure près de toi, m’avertir qu’ils allaient t’enlever tout. C’est une chose, il me semble, qui regarde un mari, et ça ne devrait pas se faire sans son autorisation… Toi-même, tu n’as pas été prévenue, tu es restée toute bête lorsque tu as su que tu n’avais plus rien ».


26. — On est en plein mélo et tout courage m’abandonne. Arrivé au bout du rouleau de son imagination (ah ! ce n’est pas long !), voici que l’infortuné Crétin, ne sachant absolument plus que dire, recommence ! Que diraient ici le père Ubu et la mère Ubu, les personnages, sans contredit, les plus décisifs de la fin du siècle ? Quel mot se présenterait immédiatement à leurs généreux esprits ?…

Je retombe dans une histoire d’ovariotomie, d’opération ratée au fond d’un bouge (!) par un chirurgien disgracieux, — histoire bête et salope qu’on peut lire, chaque semaine, dans chaque journal, écrite, avec plus de raccourci et de force, par un reporter quelconque pris à la station. Mais, aujourd’hui, l’aventure est surérogatoirement resucée d’un chapitre antérieur du même bouquin. La fille venant crever sur le même canapé que sa mère et salissant de son ordure les mêmes clichés. C’est trop.


27. — Suite de l’histoire, imbécile autant que cochonne, d’hier. « La tête adorable de l’enfant, d’une pâleur de ciresans un cierge » ! (Voir plus haut, 22 juin). On ne se crève pas, dans les Princes de la Prose !

Au fait, pourquoi voudrait-on que je ne les aimasse point, ces femmes adorables qui viennent régulièrement se faire enlever le cul chez des Princes de la Science, en sortant du cabinet de « travail » de notre Zola, et qui n’oublient jamais d’apparaître ensuite, sur un grabat immonde, dans « une pâleur de cire et sans aucun cierge » ?

Ne serait-ce pas là un grand truc ? Répéter toujours la même chose, resservir obstinément et furieusement les mêmes formules, les mêmes phrases, les mêmes verbes, les mêmes adverbes, les mêmes adjectifs, les mêmes pronoms, les mêmes participes et les mêmes substantifs, en vue d’obtenir les mêmes images éculées, sachant qu’on s’adresse au même public intellectuel, — oh ! combien ! — le public des Vaughan, des Clémenceau, des Esterhazy, des Urbain Gohier, des Mercier, des Quillard, des Couard, des Gonse et des Pressensé !!!… Émile ! viens que je te baise !


31. — Rien. Le feuilleton d’aujourd’hui n’est qu’un prolongement de celui d’hier. Prélude vomitif de la grande cantate, aussi annoncée que protestante, sur l’infortune des personnes vouées à Dieu. Nous allons voir de jolies choses ! Et documentées, surtout, ah !

En attendant, voici une interview du Crétin. Un quelconque de l’Aurore court à Médan sur bicyclette. Entretien sublime avec le patron qui n’a perdu, ni risqué — ainsi que le prétendent quelques jobards — ni sa fortune ramassée avec la langue dans les émonctoires des bourgeois, ni sa réputation de Salaud. Au contraire, certes !

La dite interview nous apprend, d’abord, ceci : « Cyclisme et photographie, telles sont les occupations principales de Zola en vacances ». Cette révélation n’a rien d’imprévu. Il doit nécessairement collectionner des timbres-poste, prendre des leçons de piano, etc., aucune idiotie bourgeoise ne devant être étrangère à cet incomparable bourgeois. On apprendra, un jour, qu’il introduit « des thermomètres dans les derrières », comme les héros de Flaubert.

On parle aussi, bien entendu, de l’Affaire. Alors, ça devient très beau. « On m’a offert des sommes folles pour des conférences en Amérique ». On lui a proposé des trésors pour un drame ou un roman sur la dite affaire. « J’ai tout refusé » !

Ici, position stratégique : « L’exploitation, par moi, de l’Affaire serait basse et vilaine ». Sans doute, quand le fruit ne donne plus de jus, on jette le zeste au fumier. Cependant… vilaine, oui, mais pourquoi basse ? Du point où est situé le spectateur, il me semble que les étrons même doivent luire au milieu des constellations.

Quelques mots sur l’exil — c’était prévu — et sur « une petite jumelle » photographique fixée à sa bicyclette, servant à donner, à Londres, des clichés merveilleux. Enfin, L’ALBUM DE L’EXIL !!! ô Ernest ! ô Urbain ! ô Georges ! ô Francis !… ô mon doux Cambronne !

Ah ! J’allais oublier ceci : « Depuis Fécondité que publia l’Aurore, je n’ai rien fait de sérieux !!!!! »


1er Août. — Voici : Une institutrice fait un gros trou dans une porte, pour voir. Elle amène une petite fille à ce trou et l’innocente voit (quelle invraisemblance !) Paul Bourget en train de féconder maman. Là-dessus, la petite fille innocente demande qu’on l’emmène au couvent, tout de suite. Secret des vocations religieuses enfin dévoilé !


2. — Oui, Camille Lemonnier, toi qui, sans être législateur d’aucun peuple errant, as, tout de même, écrit une Genèse, oui, Camille, c’est une affaire entendue. À chaque feuilleton, la femelle de Matthieu — « bonne pondeuse, bonne éleveuse », dit le médecin — met bas un ou plusieurs petits. « Encore de la richesse et de la puissance, crie notre imbécile, une force nouvelle lancée au travers du monde… » Puis, la tentative de l’élevage en grand. « C’était la conquête invincible de la vie, la fécondité s’élargissant au soleil ; le travail mettant, à chaque heure, dans les veines du monde, plus d’énergie, plus de santé et plus de joie ».

Si cet horrible macaroni n’a pas été servi trente fois, je demande qu’on m’arrache la peau du derrière devant un public nombreux.

Le monde ! les veines du monde ! « Le travail régulateur et créateur du monde ». Pour un rien, il écrivait sauveur du monde.

Ces ennuyeuses sottises sont évidemment moins difficiles à trouver qu’une pensée ou une belle image. C’est une excuse.


4. — Ciel ! Que lis-je ? Des gens qui ne se sont pas vus, depuis des années, s’écrient : « Que de choses ! Cela ne nous rajeunit guère ». Le Prince des prosateurs démarquant Alphonse Allais !


5. — Cette fois, il y a une putain qui se décide, j’ignore pourquoi, à allaiter son enfant, après en avoir abandonné ou massacré plusieurs autres. Et, alors, elle se sent mère !… Ce passage sera très apprécié dans les bordels où la sentimentalité des dames est au dernier point, comme chacun sait.

Ah ! ce n’est pas le style qui fera obstacle aux enthousiasmes ! Jamais le cochon n’avait pratiqué un bafouillage aussi ténébreux, aussi dense, aussi compact, aussi inscrutable. Si le capitaine Dreyfus était un homme, au lieu d’être un juif innocent — ce qui est bien certainement la dernière posture imaginable — il enverrait aux Chambres, aux ministères, aux potentats de ce monde, une pétition pour réintégrer, immédiatement, son bagne.


7. — « Le désir passait en coups de flamme, le divin désir les fécondait… le travail nécessaire, fabricateur et régulateur du monde… Encore un enfant, encore de la richesse et de la puissance, une force nouvelle lancée au travers du monde… etc. »

Je le demande, avec calme, à la douzaine et demie de très pauvres diables séparés de l’innombrable troupeau des mufles, qui gardent au fond de leurs cœurs les traditions d’un art quelconque, l’amoureux souvenir de l’antique noblesse des esprits de France ; je demande à ces malheureux quelle pourrait bien être la formule de mépris applicable à un soi-disant écrivain qui a l’impudence d’offrir, dans un même soi-disant livre, les mêmes niaises et basses phrases jusqu’à trente ou quarante fois, sans y rien changer — et aussi ce qu’il faut penser d’un public assez avili pour admirer une pareille prostitution !

Certes, j’aime peu Flaubert et j’ai assez dit pourquoi. Mais quels ne seraient pas les rugissements de cet artiste, dont la PROBITÉ littéraire fut une chose quasi sublime et que la seule crainte de répéter un adverbe, à cinquante pages de distance, faisait généreusement pâlir ; quelle ne serait pas l’indignation du fier travailleur normand, s’il vivait encore pour être le témoin de cette vacherie !

Oui, je demande cela avec tranquillité, avec humilité, avec la résignation douloureuse d’un solliciteur sans espoir… Silence !


10. — L’immonde feuilleton, interrompu, deux jours, par la première audience du procès Dreyfus à Rennes, continue.

Certes l’impudence et la sottise de Zola sont, désormais, peu capables de me surprendre, mais, il faut l’avouer, je reçois une secousse, une petite secousse, dirait Barrès, en relisant, tout de suite, la phrase que j’ai citée du dernier feuilleton. La même, l’identique, la sempiternelle phrase, infatigablement servie aux admirateurs d’Urbain Gohier et de Pressensé, depuis environ deux mois, c’est-à-dire à chaque naissance dans la maison de Matthieu, l’homme fécond qui ne s’arrête pas une minute — fût-ce pour lire Zola ! — d’engendrer, de fertiliser, de moissonner, d’engranger, d’acquérir des terrains, de pratiquer la vertu, de « capter des sources » et de répandre des lieux communs.

« Encore de la richesse et de la puissance, etc. » D’un feuilleton à l’autre, c’est pourtant raide, n’est-ce pas, Ernest ? et cinquante mille francs pour cet ipécacuana, c’est tout de même bougrement payé, ô Vaughan ! si j’ose me servir de cet adverbe du Danube.

Même en Danemark, même en Jutland, on serait curieux de savoir l’accueil réservé, en France, à un écrivain moins illustre, eût-il du génie, qui entreprendrait de se moquer ainsi de ses lecteurs.


12. — À pleurer ! Voyons, Émile, pourquoi ne finis-tu pas ? Tu es payé — beaucoup plus de mille fois — Vaughan ne le sait que trop. Disparais avec ton argent. Délivre, une bonne fois, tes admirateurs ! Voilà deux feuilletons — six cents lignes à peu près — pour raconter la mort d’un petit bourgeois, fausse couche de petits bourgeois, reconnu par toi-même un avorton. Par toi-même !…

Je viens de lire ça sans plaisir, mais avec soin. Il est sûr que tu as fait, cette fois, tous les efforts imaginables pour être littéraire, pathétique, irrésistible. Afin que tous les liquides pouvant être sécrétés par la compassion coulassent à la fois, tu t’es fictivement engendré à toi-même un rejeton, un Émiloïde crevé, « très-calme, très-blanc, les yeux clos, comme s’il dormait. Point changé, amaigri seulement dans le coup de foudre (ah ! oui) qui l’avait emporté ».

Est-il besoin d’ajouter que ce cadavre sympathique est, par toi, environné de cierges (enfin !) et qu’il tient un crucifix dans ses mains jointes ? N’est-ce pas là le décor idéal de tous les bourgeois qui vont infailliblement pleurer à la première communion de leurs enfants — élevés, d’ailleurs, dans la plus totale infamie — en sortant de la loge des Disciples de Memphis ou de la Clémente Amitié cosmopolite, où ils ont voté, devant les bouteilles vides, l’abolition du Christianisme ?

Les parents, dont l’ignominie et la stupidité ne seront révélables qu’au Dernier Jour, ces parents-là admirés de toi, malgré tes protestations à vingt francs la ligne, « ont vieilli de dix ans, sous ce coup de massue ». Quant aux visiteurs, amis de la famille, on les rencontre tellement dans tous les caboulots qui avoisinent les cimetières urbains ou suburbains que je crois inutile d’en parler.

Naturellement, ton homme fécond est là, avec sa femelle qui déclare péremptoirement qu’elle en a assez, à la fin, de mettre bas et que « c’est désormais à ses garçons et à ses filles de faire des enfants ».


13. — Je n’osais pas le croire, mais je suis bien forcé de me rendre.

L’infortuné Crétin aura eu l’idée que voici :

« Quelques individus, soi-disant littéraires, osent me supposer fini. Je vais leur prouver que je commence. Je vais me manifester en coup de foudre. Subito, sans avoir averti personne, j’invente le roman à refrain, le roman de dessert qu’on pourra gueuler dans les noces. Ah ! ah ! mes petits détracteurs, vous n’aviez pas prévu cette botte ! » Et il le fait comme il le dit.

Je cite parce que c’est l’unique moyen d’être cru : « Le désir passait en coups de flamme, le divin désir les fécondait… le travail nécessaire, fabricateur et régulateur du monde… Encore un enfant, encore de la richesse et de la puissance, une force nouvelle lancée au travers du monde … » Oui, mon pauvre vieux.

N’est-ce pas désarmant ?[7]

Dans ce remarquable endroit, fin du livre quatrième, — combien encore, ô Seigneur ? — tout le monde vêle à la fois, chez l’homme fécond, où « les ventres ruissellent d’une éternelle fécondité ».

Pauvre grand Balzac ! si noble et si démarqué par ce pénible voyou dont il n’aurait pas voulu pour frotter son appartement — non, décidément, je ne le vois pas, lisant de telles phrases, dont se pâme, sans aucun doute, la Scandinavie tout entière !

« Les grand’mères sont enceintes, les belles-filles allaitent déjà ». Tout le monde travaille courageusement à faire des enfants. On se croirait au haras ou chez l’éleveur. Zola grouille là-dedans comme le têtard dans son marais.


18. — Quel flair n’a-t-il pas eu, en refusant d’aller à Rennes ! Cet Émile, décidément, a un instinct admirable, j’ose même dire infaillible, pour se tirer des pieds, lorsqu’il y a quelque danger.

Quant au feuilleton, sans s’interrompre, un instant, d’être fétide, il continue d’être si ennuyeux et si bête que je n’arrive pas à imaginer un autre lecteur que moi-même de cette ordure.

Ce que je me représente très-bien, par exemple, je crois l’avoir déjà dit, c’est le coup de gueule de la rédaction quand il faut faire, chaque jour, de la place, à un pareil em…deur.

Pourtant, j’ai trouvé ceci :

Deux femmes sur un canapé, lèvent leurs jupes, successivement : l’une pour montrer qu’elle est devenue trop dégoûtante pour faire la noce, en expliquant, d’ailleurs, avec des cris de rage, que l’ovariotomie l’a rendue incapable de jouir ; l’autre pour faire voir « l’occlusion de ses trompes » !!! qui l’empêche d’avoir des enfants. Antithèse de la « prude » et de l’ « impure », dans la pensée du Crétin qui a évidemment compté beaucoup sur ce déballage.

L’homme fécond, témoin de tout ça, « reste frissonnant ».

Enfin ! voilà donc de la littérature à mettre dans les mains des jeunes personnes que protège Mme Paule Mink. Il n’était que temps.


20. — J’ai tenté de lire intégralement les débats du Conseil de guerre de Rennes. Je n’y parviens pas. Il faudrait un geste de Dieu pour finir cette horrible affaire où tout le monde est abominable. L’innocence même de Dreyfus, en la supposant tout à fait certaine, est presque sans intérêt. Je la vois très bas, le front dans les ténèbres et les pieds dans les excréments. Innocence proclamée par Zola ! C’est à faire peur.

Le feuilleton sempiternel de ce drôle continue. Le rabâchage sénile, au lieu de finir dans sa bave, a l’air d’augmenter, menace de tout engloutir, comme une alluvion de crotte.

Forcé de croupir en Danemark, au milieu de luthériens imbéciles, quel meilleur journal que l’ « Aurore » pour me montrer toutes les phases de dégradation et d’opprobre de la pauvre France qui n’a plus la force de se débarrasser de sa vermine ! Si j’avais un ami assez dévoué pour m’abonner, en outre, à la « Libre Parole » ou à la « Croix », ce serait complet. J’aurais ainsi les deux extrémités du boyau de vache avec lequel on étrangle le plus noble peuple qui fût jamais.

Qu’est-ce pourtant que cette Affaire dont il est parlé dans le monde entier, sinon une illusion, l’apparence humaine et affreuse d’un procès divin que le moment n’est pas encore venu d’éclairer ?

« … Santerre s’était décidé à épouser une vieille dame fort riche, fin logique de cet exploiteur rusé de la femme, l’âme la plus basse et la plus goulue, derrière sa pose de lettré pessimiste monnayant la sottise d’une société en décomposition. »

Que pense Paul Bourget de ces quelques lignes, vraiment bonnes, que je suis heureux et stupéfait de découvrir dans l’interminable fumier ?

Ne dirait-on pas que le vieux Crétin s’est considéré lui-même, avec une attention de Narcisse, dans le très fidèle miroir des jeunes yeux du Psychologue ?


25. — La force du nombre. Il y est donc enfin venu, le vieux drôle, le vieux sot, le vieux Crétin, je ne dis plus des Pyrénées, mais de n’importe quelles montagnes.

La force du nombre ! que le triple idiot nomme en son patois « la victoire de la vie », dans une incompréhension absolue de toutes les lois philosophiques et du sens même des mots, dans l’obstruction irrémédiable de ce qui aurait pu être sa faculté de concevoir, dans son ignorance invincible de cet axiome enfantin que la force du nombre est précisément, historiquement, physiquement, métaphysiquement et indiscutablement, le triomphe de la mort !

Mais voici. Quand on est la force du nombre, on est cent contre un, dix mille contre un, cent mille, un million contre un, et voilà ce qui plaît à notre voyou. Voilà sa gloire ! voilà ce qui le fait riche et reluisant, et voilà aussi, j’ose l’espérer, ce qui procurera ses funérailles prochaines et incomparablement ignominieuses dans la fosse la plus publique de tout l’occident.


27. — Toute la famille de l’homme fécond à bicyclette. « C’est plus moderne… On ne tient pas rancune au succès. Les gens qui s’enrichissent finissent toujours par avoir raison… La famille conquérante… Le bon combat de la grande culture… »

Puis, tout à coup, imitation, mille fois imprévue, de la divine comtesse de Ségur. Le pauvre Émile, n’ayant pu, dans ses bordels, acquérir (conquérir plutôt, c’est un de ses mots) aucune pratique du langage des bourgeois supposés propres, s’avise enfin de consulter cette dame respectable, si célèbre sous le Second Empire.

Alors, victoire, ô Henri Lavedan ! il y a une jeune vierge comme tu les chantas, bicyclettiste indémontable et lectrice vérifiée de tes livres en chocolat, qui parle du « sacre glorieux » de la propriété de papa ; qui veut qu’on aille chercher à la gare on ne sait quels futurs époux, en vue d’une « répétition » de leurs imminentes noces ; qui dit : « le royal couple… Nos majestés… Leurs Majestés… les préséances… la reine-mère (c’est-à-dire maman), le roi et les princes », pendant plusieurs pages. Ô toi, Lavedan, dit rince-bouche, qui enseignas le protocole des archiduchesses du dé à coudre et du fil à couper le beurre, que ne baises-tu, sur les deux lèvres, le grand Crétin qui te ramasse dans la vertu et qui t’utilise ?


28. — Suite de la comtesse de Ségur et d’Henri Lavedan. On ne sort plus des « princes, des princesses, des demoiselles d’apparat, des pages, du royal couple, de Cendrillon, du prince charmant, etc. » Coupeau et Mes Bottes en talons rouges ! Il y a une infante qui dénombre le cortège et qui dit : « Ça fait vingt… On vous en f… (pardon !), on vous en donnera des familles pareilles ! Les lapins qui nous regardent passer sont muets de stupeur et d’humiliation ».

Émile se réjouit d’avoir enfin pigé la langue des vieilles aristocraties.


29. — Aujourd’hui, la jeune personne aux « lapins » crève subitement de sa bicyclette. Je savais bien que ça ne lui réussirait pas. Il est expliqué par notre Crétin que ce qui l’a tuée, au fond, c’est « la foudre imbécile », laquelle est « une faux aveugle qui, d’un coup, sabre tout le printemps ». Alors le pieux romancier allume économiquement « quatre cierges » et pousse le cri : « Grand Dieu ! »

On aimerait qu’une bonne fois, décidément, fussent abandonnés à Lucien Descaves, à Clémenceau, à Urbain Gohier et à quelques autres calottins, ces formes ou vocables tyranniques, inquisitoriaux et surannés dont s’indigne si justement l’adolescente et spirituelle Paule Mink.


31. — Ai-je cité déjà la sottise coutumière de Clémenceau, nommant Dreyfus hérétique, parce qu’il est juif ? Clémenceau qui paraît savoir la langue française et même, dit-on, un peu de grec, le savant Clémenceau croit qu’un Juif est un hérétique !!! Ô haine carthaginoise du sens des mots ! ô Émile Zola ! ô Ubu ! Il est inutile d’ajouter que le dit Clémenceau croit combler son israélite malheureux en lui mettant au cou cette sonnaille de vieille vache vaudoise aux trois quarts crevée et puant déjà sur le flanc des monts.

On sait que le latin cum est celui de tous les préfixes qui détermine, modifie ou particularise le plus grand nombre de mots français.


1er Septembre. — « Chaque fois que l’abstraction est devenue le guide de l’humanité, la civilisation a dévié, s’est abaissée, a méprisé la vie pour exalter une lueur céleste, adorer une étoile, une idée, un néant ». Qui parle ainsi ? Hélas ! Ce n’est plus Zola ! comme on pourrait croire. C’est un écrivain, vous m’entendez bien, un écrivain sachant écrire, un humaniste plein de philosophies et d’histoires, que le seul nom de Zola faisait, naguère, pâlir de dégoût. C’est Remy de Gourmont, devenu, inconcevablement, inimaginablement, le disciple de ce maître ! !! !! (Mercure de France, septembre, page 769)[8].

Un peu plus loin, ô Jésus en agonie ! le malheureux parle de Pascal et des « douloureuses objections que la raison faisait à la foi dans cette tête obstinée et magnifique ».

La raison opposée à la foi ! Évidemment cela contente Émile, cela chausse admirablement son cerveau. Mais les ombres glorieuses des éducateurs de l’esprit humain, depuis Aristote jusqu’à saint Thomas, que pensent-elles de cet imbécile ayant réussi à boucler un logicien, un poète subtil, un ironiste qu’on croyait profond ? C’est à sangloter.


2. — Nous voici au 105e feuilleton de « Fécondité ». Il y a trois mois et demi que cela dure. On pourrait croire que c’est fini, archifini. L’homme fécond a engendré beaucoup d’enfants et il est devenu très riche, naturellement, ce qui ne doit étonner personne. Quant aux gens inféconds, ils croupissent dans l’abjection et la ruine. Chacun sait que telle est la loi. Pour ce qui est de l’auteur, il a empoché les 50.000 fr. de Vaughan, en attendant les 250 ou 300.000 autres que lui offriront divers caissiers accoutumés à se soulager sur le tombeau de Chatterton.

Bref, la vertu est récompensée et le vice puni, ainsi qu’il arrive toujours en ce monde. On penserait qu’il est temps d’écrire le mot fin et de faire place à une cochonnerie nouvelle. Eh ! bien, non, non et non ! Le Crétin ne désarme pas, le Crétin recommence. Après avoir procréé une multitude d’enfants, il a inventé maintenant de les tuer un à un par chaque feuilleton, comme, autrefois, il les faisait naître. Rigolade prodigieuse ! Il y a, dans les deux derniers torche-culs, une maison truquée pour précipiter les visiteurs dans des abîmes, telle qu’on en trouve encore dans quelques-uns de ces bons vieux drames de l’Ambigu où se délecta l’enfance d’Émile. Nous voilà donc en marche pour le 200e feuilleton. Vaughan en aura pour sa galette.


4. — La « dévotion maternelle… le destin vengeur qui voulait ce sacrilège… l’odeur de néant ? (vulgo, le phénol) !… » Tout cet épisode de la mort imbécile d’un des innombrables enfants de l’homme fécond, idiotement assassiné par la haine envieuse d’une voisine inféconde et stupide — toute cette scène basse de mélodrame populacier est à faire peur ou pitié, selon les tempéraments ; quand on songe que l’auteur a voulu casser, broyer, enlever, dompter ce qui est sous le ciel, donner enfin sa mesure au statuaire du mont Athos !

Comme nous sommes ici, à une hauteur vertigineuse, il convient de remarquer qu’on se massacre chez les modernes Atrides, simplement pour savoir « qui aura l’usine ». La commande, la sainte Commande, tel est le cothurne chaussé par l’Euripide ou le Sophocle du regrat contemporain !

En un endroit, vers le trémolo le plus pathétique, l’homme fécond, très inquiet, voulant épargner une émotion dangereuse à sa femelle, enceinte pour la soixante-dix-septième fois, à deux cent quinze ans, lui crie ceci : « Non ! je t’en prie, Dieu descendra ». Je l’avoue, j’ai eu un éblouissement. Mais combien court ! À une seconde lecture, il y avait : « Denis descendra », — avec du papier, sans aucun doute. Oh ! m… !


6. — « … elle était à la fois le charme, la sagesse, la bonté, tout l’unique bonheur solide d’un ménage. Et lui aussi était très bon, très sage, trop sage, disait-on, et elle le savait, se mettait en route, à son bras, heureuse, certaine qu’ils iraient ensemble, du même pas tranquille, jusqu’au bout de la vie, sous ce limpide et divin soleil de la raison dans l’amour ».

D’après un calcul très-modéré, chacune de ces lignes rapporte 15 fr., au moins, à notre gaga. Il y en a là pour une centaine de francs. Quand le cochon a écrit, entre son café et son pousse-café, cent lignes de cette force, il a gagné 1 500 fr., c’est-à-dire le traitement annuel d’un pauvre employé de chemin de fer (service de l’exploitation), qui risque sa vie tous les jours. Il est utile de remarquer que l’immonde cafard n’a pas son pareil pour gueuler le mot de Justice !

Dès aujourd’hui, lisant l’Aurore du 4, je ne vois nul moyen de croire à l’acquittement de Dreyfus. Y eut-il jamais rien de plus manifeste que la volonté formelle, absolue, antérieure à tous débats, de condamner cet israélite ?

Voilà donc un homme inexplicablement situé au centre d’un réseau d’iniquités ; privé de tout secours efficace, et même de toute consolation ; n’ayant pour le défendre — à quelques exceptions près — que des gens affreux, ennemis de la Splendeur comme s’ils étaient des démons, et identiques, par leur infamie, aux réprouvés honorables qui l’accusent ; ne sachant pas mieux, pour se défendre lui-même, que de tourner, en gémissant, vers la sotte terre, un morne regard !…

On a remarqué, dans ses lettres, l’absence de tout sentiment religieux, de toute vue noble sur la fin des choses, ce qui est, on en conviendra, assez effrayant chez un malheureux qui lutte contre la mort.

À Rennes, il dit : « Oui, mon colonel ! Non, mon colonel ! » puis il parle de sa femme en pleurant. Ah ! je sais bien que certaines muqueuses, à commencer par les miennes, résistent difficilement à cela. Pourtant, ô Hébreu ! si tu étais plein de ton père Abraham, si tu pensais à Moïse et aux Prophètes, si tu croyais à la Promesse, tu aurais quelque chose à dire à ces généraux, imbéciles autant qu’infâmes, qui saliraient probablement leurs culottes étoilées… en t’écoutant.

Mais tu es un pauvre dans les ténèbres… tu ne sais pas.

Dreyfus donc sera condamné, j’ose le prédire, et la Justice divine n’aura pas reçu l’atteinte la plus légère. Il sera puni d’un crime inconnu — d’un crime de riche — sous la présomption d’un crime connu, dont il paraît y être absolument innocent et irresponsable. Et ce sera très bien. Si Dieu n’était pas infaillible, qui le serait ?

Pour ce qui est des suites, je veux croire que mes vœux s’accompliront et qu’enfin naîtra le définitif chambardement que j’ai si souvent annoncé.


8. — Encore un Danois qui me parle de l’Affaire ! Occasion de remarquer, pour la centième fois, l’intérêt immense de tous les étrangers, pour la cause de Dreyfus, et le mépris universel, absolu qu’inspire notre État-Major.

Je l’écrivais, avant-hier, il est trop démontré à l’observateur le moins profond que la perte de cet homme est décidée et que, pour les putains en uniforme qui siègent au Conseil de guerre, il ne s’agit pas, un instant, de débrouiller la vérité, — qui, d’ailleurs, est connue de tout le monde, — mais simplement et uniquement de dénicher un truc de condamnation qui ne fasse pas trop éclater la conscience humaine.

Le sentiment unanime des étrangers est que ce dénoûment prévu serait, pour la France, une honte à ne pas s’en relever.


9. — « Fin du livre cinquième » et… « à suivre ». Ah ! c’est un rude coup ! Maintenant, où est la raison pour que ça finisse ? je le demande. Combien de temps encore, cette foirade sans nom, qui paraît au fier Crétin le cours d’un fleuve majestueux ?

Ce livre cinquième, dont nous voilà déblayés, finit naturellement par le refrain déjà dit (voir 13 août). Mais le curieux, c’est l’intention — évidente désormais — de caractériser, de synthétiser en ce rabâchage stupide, ses propres bouquins, ce qu’il appelle son œuvre, à lui, Zola. Lue dans cette pensée, la ritournelle a quelque chose de prodigieux, de fantastique :

« … Si l’on avait moins ri, on aurait entendu le ruissellement du lait, ce petit ruisseau dans le torrent de la sève qui soulevait la terre, qui faisait frémir les grands arbres au puissant soleil de juillet. De toutes parts, la vie féconde charriait les germes, créait, enfantait, nourrissait. Et pour l’éternelle œuvre de vie, l’éternel fleuve de lait coulait par le monde ».

Ô égrotants assoupis, ô valétudinaires sereins qui vous liquéfiez silencieusement dans les lits mécaniques de l’Assistance, au sein des asiles ; — que pensez-vous de cette mamelle ?


11. — On paraît avoir interrompu le massacre chez l’homme fécond. Deux cadavres ont suffi. C’était un essai, c’était pour voir. Ne trouvant plus dans son imagination, qui ressemble à celle d’un poète comme une tourbière à un lac, aucun avouable expédient pour tuer le reste de la famille, notre auteur s’en tire le plus simplement du monde. Il passe à autre chose. Il frotte les vieilles toiles foraines de l’Assommoir, souillées de fange et de bran, depuis vingt-cinq ans — et nous revoilà dans ce joli monde, chez une ouvrière tirée du bordel, on ne sait comment ni pourquoi, qui pratique la vertu six jours par semaine et se repose le dimanche en travaillant. Malheureusement, cette Pélagie sans Dieu n’a pas tout prévu et se laisse taper par « un jeune homme trapu de (sic) mâchoires brutales », son fils, hélas ! jeté aux ordures dix-huit ans auparavant, lequel fils elle avait si bien cru crevé et qu’elle donnerait si volontiers un tiers de sa peau pour voir instantanément disparaître au fond du plus sale gouffre.

La vertu de cette ouvrière est, dans la pensée du bon vieux Crétin, ce qui doit enfin démonétiser les légendes poussiéreuses des Pénitentes et des Vierges que l’Église honore sur ses autels.


12. — « Le jeune homme trapu de mâchoires brutales » continue à taper sa vertueuse mère, qui n’a d’autre ressource que l’amitié de Mme Angelin (!), une vieille inféconde chargée par Émile de supplanter avantageusement les Petites Sœurs des pauvres qui ont fait leur temps[9]. Cette dame, déléguée de l’Assistance publique et se foutant — comme il convient — de tout Bon Dieu, va visiter les pauvres, « tenant sur les genoux son petit sac gonflé des pièces d’or et des pièces d’argent qu’elle a à distribuer ».

Voilà une chose qui étonnera indistinctement toutes les classes de la société. L’Assistance publique prélevant une somme quelconque, ne fût-ce que de quinze centimes sur les quarante ou cinquante millions annuels que ses mandarins se partagent, pour assister des indigents !…

Zola, naturellement, gobe ces blagues ou s’il ne les gobe pas, il feint de les gober, ce qui est exactement la même chose pour une nation, désormais française, qui pense que l’Évangile fut écrit, vers le milieu du xviiie siècle, par des philosophes.

Moi, je n’ai plus qu’une ambition. J’attends le « Calvaire », celui de l’ouvrière vertueuse, bien entendu, qui va nous être servi bientôt, n’est-ce pas ? Lucien Descaves. Je l’espère du moins, comme disait un de mes anciens curés, parlant du martyre, qu’il supposait peu probable pour ses ouailles et pour lui-même.

J’ai déjà dit cette rage de prostituer les mots. Précisément, celui de martyre me fait penser aux infâmes sottises de l’heure présente. On est tellement dans la viande et l’abolition du sens des mots est si demandée qu’il suffit de parler de souffrances pour éveiller l’idée de Martyre. Il y a des enfants martyrs, des femmes martyres, il y a même des animaux martyrs. Le sens du mot est absolument détruit.

Ces faméliques athées qui subsistent exclusivement des reliefs d’idées laissés par l’Église sur la table d’or où tous les peuples se sont assis, et qui n’ont pas même la gratitude intestinale des pauvres chiens, — voyez comme ils déshonorent, comme ils ridiculisent cet infortuné Dreyfus qui devrait leur faire tant de pitié ! Ils ne savent lui offrir, dans son épouvantable misère, que le plus sot, le plus répugnant des lieux communs :


« Que ses enfants sachent combien il a souffert, combien il est grand. Qu’ils sachent qu’il y a, à jamais, une auréole, à son front et que, d’un bout à l’autre de l’Europe et du monde civilisé, on se découvre à son nom, comme au nom du plus NOBLE des martyrs. B. Guinaudeau ». (Aurore, 10 sept.)


Saint Étienne, saint Laurent, saint Georges, vingt millions d’autres qui fûtes les Témoins volontaires de Notre Seigneur Jésus-Christ et, pour cette raison, nommés Martyrs, où êtes-vous ?

Je viens de lire l’arrêt de condamnation, aujourd’hui seulement, puisque je suis en Danemark. Majorité de 5 voix contre 2. Que font ici ces deux pauvres voix inutiles qui seraient si bien, demandant l’aumône sur la grande route des cieux ?

En attendant le « Calvaire » imploré plus haut, j’ai la consolation d’assister au « crucifiement » de Dreyfus par Clémenceau. (Aurore, 11 sept.) C’est une honte, je ne le dirai jamais assez, de recourir à d’aussi idiotes rengaines, surtout quand on est un écrivain. Mais le voisinage de Zola !…


13. — Ai-je dit que le Crétin, depuis quelques jours, a lâché Balzac (Médecin de campagne, Curé de village) pour Eugène Sue et qu’il semble se jeter à corps perdu sur les Mystères de Paris ? (Voir l’assassinat de la dame au petit sac par des bandits de Grenelle). Il démarquerait des œuvres plus inédites, s’il en connaissait. Désormais, on peut s’attendre atout. Il va, j’ose le croire, nous découper quelques chapitres d’Atala ou de Paul et Virginie. Peut-être même, vers le 195e feuilleton, découvrira-t-il une fable de La Fontaine aussi peu connue que la Cigale et la Fourmi ou l’Oraison funèbre de Mme Henriette, car il s’agit de frapper de grands coups, d’étonner le peuple.

Ah ! oui, je sais bien, le fin du fin serait d’éditer des choses totalement et à jamais ignorées de son public, des pages de Barbey d’Aurevilly, par exemple, de Villiers de l’Isle-Adam ou même de Léon Bloy. Mais voilà, il faudrait, au moins, en avoir entendu parler. Puis, les lecteurs d’Urbain Gohier n’y seraient plus du tout et Zola lui-même n’y comprendrait rien, sa littérature ne dépassant guère l’école du soir.

Ô Ubu ! encore une fois, viens à mon aide.


14. — Le Cinquième Acte, article d’Émile Zola (Aurore du 12). « Je suis dans l’épouvante, dit-il, … la terreur sacrée ». Il y avait en juin dernier, la petite lampe sacrée (elle aussi) portée par le même imbécile qui tient évidemment à ce mot. Sacrée ou non, la terreur d’Émile consiste surtout à voir la France « rouler dans l’abîme ».

De la part d’un des trois ou quatre voyous qui ont le plus fait, depuis si longtemps, pour précipiter cette impératrice des nations, une telle parole de tartufe mériterait déjà la plus ignominieuse volée de soufflets, en attendant le dernier supplice. Aujourd’hui, pourtant, c’est si extraordinaire que j’en demeure stupide.

On se rappelle l’article ahurissant mentionné ici, le 7 juin, où il était parlé de la « petite lampe ». Eh ! bien je crois que celui-ci est plus beau. Sans doute il s’agit toujours des « souffrances » et des « désespérances » de son « exil » à lui, Zola. Sans doute il est toujours parlé de ce romancier d’évier, exclusivement et vindicativement considéré par lui-même comme le Centre et l’Ombilic.

Mais, dans la circonstance actuelle, l’intensité, la violence, la flagrance du Moi paraissent avoir quelque chose de nouveau,… quelque chose de Barrès !…

Cela tient peut-être à l’absence infinie, à la fois stupéfiante et vomitive, de tout talent d’expression. Avant d’être le Prince des prosateurs, Émile pouvait, à la rigueur, se recommander d’une statique prose de chienlit qui lui avait valu le suffrage des voyageurs de commerce et de la plupart des boutiquiers immobiles ; mais depuis, ah ! depuis,… c’est devenu si horizontal qu’il est à peu près impossible de rester soi-même sur ses pieds. Fût-on cent fois le « bon citoyen » que cette basse crapule se dénomme, je ne connais pas de clémence humaine ou divine qui pourrait absoudre un salopaillon d’écrivain d’avilir à ce point la langue française !

N’est-ce pas idiotifiant ? Voilà Dreyfus condamné, derechef, de la façon la plus déshonorante pour ses juges et dans des circonstances où il aurait tant fallu ne pas aggraver la honte déjà indicible de notre Commandement militaire. Émile annonce qu’il va parler, cet Émile déjà si fameux par une intervention peu expliquée et certainement immonde en ses causes. Comme il est, sans contredit, l’esprit le plus bas qu’on ait jamais vu, la multitude est avec lui, le monde l’écoute. Que va-t-il dire ?

Ah ! rien du tout, sinon qu’il est un « bon citoyen », un martyr, lui aussi, un revenant de l’âpre « exil », un « patriote privé de sommeil » depuis que « la vérité est en marche » ; enfin qu’il est « prêt à la payer », cette vérité précieuse, « de sa liberté et de son sang ». Il ne dit pas de son argent, je prie les mauvais citoyens de le remarquer.

450 lignes de lieux communs qu’une imitation furieuse de Clémenceau fait paraître plus ignobles, c’est dur. « Mentalité spéciale… mentalité obscure… On n’avait condamné Jésus qu’une fois… L’idée sera crucifiée, le sabre doit rester roi… » etc. Enfin il paraît que cela suffit à un certain nombre de magnanimes.

Mais le ton de ce drôle parlant de l’homme dont il se proclame sans cesse le défenseur et le sauveur, le ton d’infamante miséricorde et de protection ignominieuse du salaud parlant d’un soldat ! — ce soldat fût-il même encore plus déshonoré — c’est à faire peur. Honte et peur. « Ce pitoyable Dreyfus dont la pauvre loque humaine ferait pleurer les pierres »… etc.

Il est juste, cependant, de reconnaître qu’il nomme très peu son client involontaire, les 450 lignes étant, avant tout et surtout, pour Émile Zola. À la place du titre : Le Cinquième Acte, inintelligible dans l’Absolu, oh ! combien ! il aurait fallu écrire bravement : Moi ! et se contenter, pour la signature, de la dernière phrase mentionnant quelque chose qui arrive dans un coup de foudre ou en coup de foudre, je ne sais plus.


16. — Zola, les gens de l’Aurore, les adversaires des gens de l’Aurore, les civils et les militaires, les juges et les justiciables, les témoins et les faux témoins, les catholiques et les francs-maçons, les juifs, les protestants, les honnêtes gens ! Quelle légion de canailles ! Quel immense tas d’idiots ou de bandits ! Quelle honte ! Quelle horreur ! Quelle désolation !

Impossible d’extraire quoi que ce soit du feuilleton. C’est trop stupide et la langue qu’on y parle est trop abjecte. Il faudrait citer sans cesse les mêmes âneries. La seule chose à signaler, c’est l’intention plus que folle de l’auteur qui paraît vouloir ne jamais finir.

Pourquoi cela ? Qui pourra le dire ? Il est payé, n’est-ce pas, Vaughan ? rudement payé. Son espèce de livre est fini, depuis longtemps, tellement fini qu’il n’est plus au pouvoir, même d’un ange, de comprendre désormais ce qui se passe, puisque la conclusion de cette œuvre, immonde mais architoquée, était au début, comme la fin du lupanar est dans son gros numéro doré. Alors, quoi ? Il a voulu faire du Balzac et ça n’a pas réussi. Il a essayé de faire de l’Eugène Sue et ça a raté tout de suite. Maintenant il entreprend on ne sait quoi. Il promène lamentablement, çà et là, sa chaise percée. Pourquoi ne couche-t-on pas ce pauvre vieux ?


17. — Je voudrais qu’Urbain Gohier me fît don de son portrait. Je me le représente très bien comme un de ces cordonniers incorruptibles de 93 dont la langue dégoûtait Napoléon. Il se pourrait, néanmoins, que la vénusté d’un garçon coiffeur ne lui eût pas été refusée. Moralement et politiquement, ces deux aspects ne manquent pas de confluence.

« Le métier militaire, écrit-il, est, avant tout, l’école de la lâcheté ». (Aurore, 14 sept.) Certes, on ne pourra pas dire facilement que je croupis sur l’empeigne de l’État-Major. Les gueules bêtes et venimeuses de Mercier ou du commandant Carrière, par exemple, s’il m’était infligé de les contempler sans cesse, me sembleraient un purgatoire très rigoureux. Mais ce larbin déchaîné qui ose prétendre que les soldats de la République et de l’Empire — pour ne pas remonter plus haut — étaient des lâches !… C’est à se demander si les chroniqueurs de l’Aurore, dont l’ambition va je ne sais où, ne sont pas intentionnellement les pires ennemis, les plus cruels assassins de Dreyfus.

Voyons ! que veut-on que pense un brave homme d’officier peu informé ou même très informé, lisant une telle phrase à Philippeville, à la Pointe-à-Pitre ou à Chambéry ? Il pensera naturellement, invinciblement, qu’on a raison de dire qu’il y a une conspiration contre l’armée et que le Dreyfus de ces messieurs, même en le supposant innocent du crime de trahison, est, tout de même, entre leurs mains, un prétexte et un instrument.

« Ce mannequin sinistre », écrit, le même jour, à vingt centimètres d’Urbain, l’oraculaire Clémenceau. Aveu bizarre et inhumain ! Les bras tombent quand on lit ces choses !

Avez-vous lu les chapitres généalogiques de la Genèse, des Paralipomènes ou d’Esdras ? Eh bien ! voilà, si vous voulez le savoir, ce que notre Crétin a entrepris, chap. ii, livre sixième de Fécondité. Il n’y avait personne pour le surveiller à ce moment-là. Il dénombre, en les appelant par leurs noms, les enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants de l’homme fécond. C’est inouï, c’est à crever, c’est à faire éclater des éléphants !

20. — Passé la journée à lire en partie la collection des numéros de la Croix relatifs à l’Affaire. Tristesse et dégoût horribles. Je ne sais ce qui me révolte le plus, de la vilenie incomparable de ces religieux-larbins, toujours du côté de celui qu’ils jugent le plus fort — ou de l’étonnante bassesse de leurs pensées.

Oh ! cet esprit de séminaristes, ne sortant jamais des niaiseries honteuses d’une puérilité épouvantable, sinon pour se dilater aux plaisanteries excrémentielles qui ont, à leurs yeux, cet avantage de ne pas blesser « la sainte vertu ».

Certes ! les turpitudes bordelières d’Émile sont délicates, madrigalesques, rafraîchissantes, liliales, virginales, en comparaison.

Des ecclésiastiques, d’ailleurs corrects, on veut le croire, qui repoussent avec indignation, avec horreur, un roman de Balzac et qui expurgeraient Ézéchiel, ne se croient pas impurs en se prêtant à des histoires de pots de chambre ou en parlant, avec quelle finesse ! du « trou de balle » !!! de Me Labori. (La Croix, 24 août, 1re page ; 26 août, supplément ; 16 sept. 2e page).

Le 26 août, il y eut la chanson que voici, sur l’air de la Casquette évidemment :


LA CHANSON
DE L’« ASSASSINÉ BIEN PORTANT ».


Il paraît qu’la s’maine dernière
Un dreyfusard très connu
Comm’ le général Brugère
A reçu du plomb dans… l’dos.

As-tu vu
Le trou d’balle, le trou d’balle
As-tu vu
Le trou d’balle à Labori.

Toute la gendarmerie
Cherch’ l’assassin inconnu
Qu’a eu cette barbarie
De blesser un homme au… dos.

As-tu vu, etc.

À sa terrible blessure
L’avocat a survécu
Quoiqu’ce soit une chose bien dure
Que d’avoir une balle dans le… dos.

As-tu vu, etc.


On court chercher pour l’extraire
L’éminent docteur Reclus ;
Secondé par un confrère
Il lui fait des fouill’s dans… l’dos.

As-tu vu, etc.

M’sieur Doyen à la rescousse
Accourt, mais… turlututu
Le blessé qu’avait la frousse
N’veut pas lui montrer son… dos.

As-tu vu, etc.

Bref, après tant de souffrance,
L’avocat est revenu
Prendre sa place à l’audience
En gardant sa balle dans… l’dos.

As-tu vu, etc.

Il a fait une bell’ harangue
Son bagout a reparu
Y a rien qui délie la langue
Comm’ d’avoir un’balle dans l’dos.

As-tu vu, etc.


Du fond de mon fiord danois, j’entends les éclats de rire et la débordante allégresse de dix mille curés de campagnes ou de petites villes, lisant cette ordure à leurs vicaires, en revenant de l’église où ils ont récité, après la communion sous les deux espèces, — et Dieu sait dans quels sentiments ! — la douce prière du prêtre :

Corpus tuum, Domine, quod sumpsi, et Sanguis quem potavi, adhereat visceribus meis : et præsta, ut in me non remaneat scelerum macula, quem pura et sancta refecerunt sacramenta

Il est inutile, je pense, de rappeler que ces choses charmantes s’écrivent sous l’Image de Notre Seigneur Crucifié, laquelle, depuis vingt ans, se voit en première page de la Croix, et qu’on est sûr de retrouver dans tous les cabinets d’aisances publics ou particuliers.

Certains hôtels dits de Missions, à Copenhague et par toute la luthérienne Scandinavie, offrent à leurs clients de petits Nouveaux Testaments, sur des tablettes pieuses, dans ces nécessaires endroits. Mais qu’est-ce que cela, comparé à la permanente profanation — par des fils de saint Augustin ! — du Signe adorable ?


21. — J’apprends que Dreyfus a eu sa grâce. Il a de la chance, celui-là ! on peut le dire. Je voudrais bien obtenir la mienne. Là-dessus, M. de Pressensé écrit des phrases dont je me soucie comme un rhinocéros d’une clarinette.

On dit que, peu satisfait d’un dénouement qui ne le réhabilite pas, cet israélite veut maintenant poursuivre ceux qui l’ont calomnié et persécuté. On ne sortira jamais du dédale de cet honneur.

Si le malheureux était un chrétien et un vrai homme — j’ai déjà dit quelque chose de semblable — il irait, dès aujourd’hui, dans une solitude volontaire qu’il remplirait de son silence et de sa prière, utilisant ainsi, en vue de la mort, les souffrances peu ordinaires que ses misérables amis appellent si sottement son martyre.


24. — Émile me demande pourquoi je parle si peu de son feuilleton, depuis quelques jours. Que répondre à ce pauvre garçon, sinon que je suis à bout de forces et d’expédients ? Rien à ramasser.

Aujourd’hui, pourtant, il paraît y avoir un semblant de quelque chose. Voyons. Il y a un vieux comptable idiot, naturellement recommandé par l’auteur qui n’hésite pas à faire de lui la proue du destin. Pourquoi et comment cet inoffensif, devenu féroce, en arrive-t-il à vouloir tout chambarder ? Par quel sophisme, d’ailleurs, expliquer, je ne dis pas des passions, mais de simples velléités passionnelles dans une société en mastic d’où l’apparence même de la vie est exclue et qui s’écaille, chaque jour, sous la main d’un vitrier de misère lequel se croit, au moins, l’égal de Michel-Ange ?

En dehors du besoin hystérique de faire durer, s’il était possible, jusqu’à la consommation des siècles, une œuvre finie avant d’être commencée, je n’imagine aucun moyen d’excuser les surérogatoires aventures que le pitoyable Émile veut coller, par le moyen de je ne sais quel mucus horrible, aux feuilles surabondantes et disloquées d’un impossible roman à tiroirs, déjà en partance pour toutes les boutiques d’épicerie des deux hémisphères.

Mais ne nous égarons pas. J’ai parlé d’un semblant de quelque chose. Voici : Après la mort du vieux comptable qui crève en tuant je ne sais qui ou je ne sais quoi, on trouve chez lui, sur une table, « ainsi que sur un autel de religieuse offrande » — devant des photographies de sa femme et de sa fille, égorgées, à vingt ans de distance, par des avorteurs — « plus de cent mille francs en monnaie d’or, d’argent et même de cuivre ».

Depuis un quart de siècle, il ne mangeait plus que du pain rassis et vivait comme un pouilleux, offrant tout ce qu’il gagnait à ces fantômes.

Il est clair que Zola qui appelle ça « un bouquet » et qui ne doit, en effet, se représenter un culte religieux que sous des espèces monétaires, a dû, nécessairement, voler cette histoire à quelque pauvre diable sans défense, et qu’il n’y a rien compris du tout. Elle n’ajoute, il est vrai, absolument rien à son feuilleton qu’un peu plus de trouble et d’obscurité. Mais on entrevoit ce qu’elle aurait pu devenir sous la plume d’un écrivain.

Et maintenant nous voici arrivés au numéro 125 du feuilleton. Cela fait environ sept cents pages, et rien encore n’a été dit. On a remarqué, dans les dernières années, que ces coïonnades illisibles devenaient de plus en plus longues. On ne sait où cela s’arrêtera. Dans le cas actuel, dussé-je être écorché vif, je suis forcé de déclarer qu’à cette sept centième page, le roman du Crétin a l’air de commencer seulement. Voilà des gens, très semblables à des bestiaux, qui ont travaillé, forniqué, trente ans, pour bâtir une famille sublime, une famille en granit. On pourrait croire que ça y est. Pas du tout. Ça craque déjà de tous les côtés. Les sept cents pages ne seraient donc qu’une sorte de prologue !…

Ah ! dans ce cas, je lâche tout. Il y a plus de quatre mois que je me gargarise, chaque matin, avec cet élixir de décrépitude, cette eau de jouvence du sépulcre. C’est trop demander à un pauvre père de famille.

C’est à faire rendre des tapirs, de toujours lire les mêmes syllabes dénuées de sens, alignées pour faire des semblants de mots toujours prévus et des ombres de phrases absolument identiques : « la foi en la vie… l’espoir en la vie… l’attentat contre la vie… la floraison de bonté, de joie et de vigueur… » Il y a un vieux sot très-apprécié qui « achève de vivre dans la gaieté sereine de son espoir en la vie » !… C’est incroyable ce qu’on peut faire avaler aux hommes de stupidités ou d’ordures, quand on leur apporte l’évangile de l’inexistence de Dieu et du putanat universel !

Un mauvais tour à jouer à Zola serait de lui demander ce qu’il entend par la VIE. Mais, à quoi bon ? La réponse ne serait même pas curieuse.

Le pauvre homme qui n’a jamais pris connaissance d’aucun rudiment de philosophie et qui doit croire que le mot Métaphysique appartient à une langue oubliée de l’âge de pierre, s’étonnerait comme le premier boutiquier venu, qu’on l’interrogeât sur une chose si simple.

Il répondrait avec bonhomie, — en déchirant une nouvelle feuille de papier, — que la vie consiste à gagner de l’argent, à bien manger, à bien dormir, à bien faire l’amour et à bien faire caca. Quelle autre réponse espérer d’un tel cerveau ?


25. — Lettre à Mme Alfred Dreyfus par Émile Zola.

Cinq cents lignes pour dire à cette dame que son mari est un martyr et que lui, Zola, autre martyr, est, de surcroît, un poète. Mais quel martyr et quel poète ? Vous allez bien voir.

Cette lettre écrite « malgré le deuil du citoyen, malgré la douleur indignée, la révolte où continuent à s’angoisser (sic) les âmes justes[10] », est adressée « sous la lampe », dans « la maison close (!!!) », à la femme du « martyr », du « crucifié », du « mort ressuscité sorti vivant et libre du tombeau ».

L’expéditeur « n’a vu qu’une chose », c’est qu’« un innocent souffrait », et je vous fiche ma parole qu’il sait ce que c’est d’être innocent et de souffrir ! Alors, naturellement, il a tout fait. « Que de fois, pendant les deux cruelles années, ces deux années de luttes géantes, j’ai désespéré de l’avoir, de le rendre vivant à sa famille !… Affaire de sentiment ! Mon Dieu ! oui, mon cœur seul était pris ».

Enfin Dieu, le « grand Dieu » si souvent et si pieusement invoqué, a eu la bonté de marcher. « Le supplicié est descendu de sa croix, … le martyr est décloué de sa croix », couvert de « crachats », abreuvé de « fiel et de vinaigre »… et il est venu s’asseoir « sous la lampe familiale[11] ».

Or qu’arrive-t-il ? C’est que ce martyr, ce crucifié qui est bien certainement « le plus innocent des innocents, devant tous les peuples de la terre », ce « héros plus grand que les autres, parce qu’il a plus souffert… ??? », ce Dreyfus décidément, « passe Dieu ».

Et voici :

« Nous lui élevons un autel dans nos cœurs, n’ayant à lui donner rien de plus pur ni de plus précieux »…

Le cœur de Zola !… Un autel dans le cœur de Zola !!!

Et maintenant, peuples, écoutez :

C’est au pied de cet autel, et non ailleurs, que se fera « l’acquittement triomphal, la réparation éclatante », et que seront vues « toutes les générations à genoux, demandant à la mémoire du supplicié glorieux le pardon du crime de leurs pères ».

Est-ce tout ? Non, il y a plus beau.

« Ici, Madame, nous arrivons au sommet. Il n’est pas de gloire, il n’est pas d’exaltation plus haute… Cet innocent, le voilà devenu le symbole de la solidarité humaine, d’un bout à l’autre de la terre. Lorsque la religion du Christ avait mis quatre siècles à se formuler (?????), à conquérir quelques nations, la religion de l’innocent condamné deux fois a fait, d’un coup, le tour du monde, réunissant dans une immense unanimité, toutes les nations civilisées. Je cherche, au cours de l’histoire, un pareil mouvement de fraternité universelle et je ne le trouve pas ».

C’est comme pour les expressions originales ou les pensées neuves. Le pauvre Émile n’a vraiment pas de chance.

« Pour la première fois, dans les temps, l’humanité entière a eu un cri de libération ». On n’a pas encore le toupet d’écrire de rédemption, mais c’est à peine s’il s’en faut d’un petit cheveu.

« Et qu’il soit donc honoré, qu’il soit vénéré, l’homme élu par la souffrance, en qui la communion universelle vient de se faire ».

Eh ! bien, oui, je l’avoue, j’aime encore mieux « le trou d’balle à Labori », c’est moins bête.

Pour ce qui est du « tour du monde », que puis-je faire, équitablement, sinon de m’élancer derrière un lapin d’individu qui m’apprend que la meilleure des religions est celle qui fait le plus vite le tour du monde ?

Ça, par exemple, c’est fort, je suis contraint de l’avouer. Seulement je m’embrouille un peu. Émile nous avait déjà proposé la religion du travail, puis la religion de la vie. Aujourd’hui, c’est la religion de Dreyfus. Quelle est celle qui va le plus vite ? Quelle est la meilleure marque ? Tout est là. Ah ! que c’est commode et que c’est beau d’avoir affaire à des apôtres qui pensent !

Et maintenant sans sortir du périmètre lumineux de « la lampe familiale », ne conviendrait-il pas de parler un peu du Poète ?

« C’est nous les Poètes, qui donnons la gloire, et c’est nous encore, Madame, nous, les Poètes, qui clouons les coupables à l’éternel pilori ».

Nous, bien entendu, c’est Zola tout seul. Il serait dément de supposer que ce pronom personnel implique, par exemple, Urbain Gohier, Cyvoct, Lucien Descaves, ou Mme Paule Mink.

Songez que voici un poète, un vrai, qui travaille d’après nature, depuis « quarante ans », oui, Madame, qui souffre depuis « quarante ans », qui est un martyr lui-même et qui, par conséquent, a le droit de dire quelque chose, n’est-ce pas ? Eh ! bien, ce poète que les outrages humains ne peuvent atteindre, vous dit que tout va bien et que, d’ailleurs, il est là, LUI, vous entendez bien, Madame, qu’Il est là, ne demandant qu’à s’asseoir « sous la lampe familiale » avec le martyr. Ça vous en fera deux, « sous la lampe », dont un poète. Voilà, certes, qui n’est pas banal.

29. — J’ai avoué, il y a quelques jours, que ça ne marchait plus chez l’homme fécond. Eh ! bien, tout à coup, les choses s’arrangent. Pourquoi et comment ? On ne le saura jamais. Inopinément, il advient qu’à un tournant du feuilleton, tout le monde est en train de s’embrasser en versant des pleurs. Il est vrai que tout le monde a fait fortune. L’un des enfants de l’homme fécond est devenu roi de l’industrie ; un autre roi du négoce ou de la haute banque, je ne sais plus ; un autre encore, roi des farines, et de la minoterie ; un autre, enfin, roi de l’Afrique… etc., etc. Eh ! sans doute, qui donc, en France, à l’heure actuelle, garderait encore les traditions antiques de royauté, sinon quelques romanciers que la Toute-Puissance fit naître, vers le temps de Paul Bourget, pour nettoyer des pots de chambre et décrotter des souliers, — mais qui lâchèrent ce boisseau pour luire sur le chandelier ?

Le père n’avait eu qu’à frapper du pied la terre aride pour la transformer en un paradis. Tout réussit à ces gens-là, tant il est vrai que la bénédiction la plus ample, autrefois crue le partage des amis de Dieu, est, aujourd’hui, la récompense des familles qui pullulent à la façon des lapins ou des arachnides.

Mais, alors, le feuilleton est fini, archifini, surfini, ultrafini. Tout est démontré et prouvé, l’urgence économique et patriotique de multiplier les enfants des autres, pour les élever comme des cochons, aussi bien que la surprenante imbécillité d’un scribe déliquescent depuis des années.

Hélas ! non, ce n’est pas fini.


30. — C’est, ma foi ! vrai. Il restait les noces de diamant que je n’avais pas prévues, mais qui étaient tout à fait indispensables pour étaler et dénombrer — toujours comme dans la Genèse — la « pullulante lignée » des époux féconds. Or Matthieu a quatre-vingt-dix ans et Marianne quatre-vingt sept. Leur frai, leur laitance heureuse, tout « ce flot de filles et de garçons, qu’ils laissèrent, autrefois, couler librement de leur amour, de leur foi en la vie », est maintenant au nombre de trois cents individus élevés, cela va sans dire, sur le même fumier que leurs parents et on a, en outre, l’avantage de se trouver à une époque absolument inconnue.

Ça, c’est une des belles idées du Crétin. Songez qu’environ le temps où cette multiplication commença, il y avait déjà des bicyclettes !… Soixante ou quatre-vingts ans se sont écoulés, ce qui nous met dans la seconde moitié du prochain siècle. On aimerait qu’Émile, sollicitant son propre génie, nous éclairât, un peu, ce futur.

Seulement, alors comme aujourd’hui, — on sait, au moins, cela — le pauvre est exclu de toutes les noces. Sur ce point, Émile n’a jamais varié, et ne variera jamais. Émile n’aime pas qu’on soit sans argent.

Toutes les fois que le pauvre apparaît dans un de ses agréables bouquins, c’est pour être déshonoré, vilipendé, couvert d’ordures et, au besoin, massacré, comme dans l’Assommoir ou dans Germinal.

La haine de cet italiote immonde pour le Pauvre, n’a d’égal que l’instinct de domesticité idolâtre qui le jette au pied de tout simulacre de la Richesse. Là, seulement, s’exalte ce qu’il ose appeler monstrueusement son cœur.

6 octobre. — Où en sommes-nous ? Qu’est devenu le festin des noces de diamant ? Nous avions laissé trois cents individus à table, grouillante progéniture des époux féconds. Vous croyez, peut-être, que c’est assez. Eh ! bien, non, il y a une surprise.

Ne voilà-t-il pas que, tout à coup, paraît un jeune homme, qui se dit « fils du bon Niger lui-même, de la fécondité miraculeuse de ses eaux ». Il n’oublie pas d’ajouter que ce fleuve, — qu’il paraît confondre avec le Mississipi ou les Amazones — « est immense et doux, qu’il roule des flots sans nombre, pareil à une mer… que pas un pont ne l’enjambe, qu’il emplit l’horizon d’un bord à l’autre, qu’il a des archipels et des escadres de poissons énormes, etc. ; qu’il est, ainsi que le Nil, le père aux générations sans nombre, le Dieu fabricateur d’un monde encore inconnu qui, plus tard, enrichira la vieille Europe… Et la vallée du Niger, la colossale fille du bon géant, ah ! quelle immensité pure !… etc., la plaine, des champs, des sillons droits, à perte de vue, dont la charrue mettrait des mois à atteindre le bout… des lieues de labour, roulant des moissons éternelles ».

Pour tout dire, la vie en république, c’est-à-dire Cocagne, rien moins.

« On n’a même pas besoin de labourer. Il suffit de gratter le sol avec des bâtons. Chasse et pêche miraculeuses… Des lions noirs, des aigles, des hippopotames qui ressemblent à des enfants nègres !!! Le jour où nous aurons des machines agricoles, il nous faudra des flottilles de bateaux pour vous expédier le trop plein de nos greniers… » Inutile de parler des autres richesses qui sont sans nombre.

On dit que Christophe Colomb chercha le Paradis terrestre aux Antilles. Zola, plus fort, le trouve au Soudan.

« Enfin, nous sommes pasteurs, nous avons des troupeaux, sans cesse renaissants, dont nous ne connaissons pas même le nombre de têtes. Nos chèvres, nos moutons à longue laine sont par milliers, nos chevaux galopent librement dans des parcs grands comme des villes, nos bœufs à bosse couvrent une lieue de berges, lorsqu’ils descendent boire au Niger… » Les ânes, ou plutôt, les cochons de la mère-patrie, avec ou sans bosses, qu’ils voulussent boire ou non, couvriraient assurément, une étendue beaucoup plus vaste.

Telle est « la France de demain », si on veut le savoir. Ah ! sans doute, il y a des obstacles. L’Algérie ne sera pas reliée à Tombouctou, dès demain matin. Peut-être pas même dans cinq cents ans. N’importe. « Nous pullulerons là-bas et nous emplirons le monde… Venez donc avec moi, puisque vous êtes trop entassés. (Ne dirait-on pas qu’il parle à des harengs). J’ai de la place pour tous, j’emmène les hommes, j’emmène les femmes… etc., etc., etc. »

Je demande pardon pour ces citations imbéciles, mais il m’a semblé utile et même… patriotique de dénoncer une Réclame qui rappelle si bien ces torrents d’or qu’on fît autrefois couler sous les yeux des souscripteurs du Panama. — Gratuite, sans doute, Zola étant plus bête encore qu’il n’est canaille. Mais les capitalistes, infimes ou grands, doivent toujours être protégés. Ne sont-ils pas les petits boyaux de la France ?

Tout ce lyrisme de camelote écarté, il reste ceci que le jeune bavard est fils de celui des fils du reproducteur qui vient de conquérir l’Afrique. Ce conquérant, qui n’a pas l’air de s’embêter, a eu dix-huit enfants et le farceur actuel en a lui-même quatre déjà. Dans une vingtaine d’années, ils seront peut être six cents. Voilà ce que c’est que d’avoir foi en la vie. On a des enfants et des bœufs à bosse à ne pouvoir les compter. On a aussi le Niger et ses archipels. Jusqu’à l’inconnu qui devient fécond. « La semence de l’inconnu étant jetée, elle pousserait en une moisson de fabuleuse puissance ».

Tout cela, est-il besoin de le dire ? se passe « gaillardement, sous le brûlant soleil des tropiques ».

Là-dessus, la vieille ancêtre féconde se lève, juste le temps de renouveler sa litière : « À la santé de celles qui aimeront, dit-elle, qui enfanteront, qui créeront le plus de vie !!! » Cette culasse antique est persuadée, sur la foi d’Émile, qu’on CRÉE la Vie.

Le gala terminé, il y a un dernier triomphe autour des très vieux époux féconds. « C’était le flot de la fécondité victorieuse qui les assaillait de sa joie… Eux, dans leur grand âge, dans l’ÉTAT DIVIN D’ENFANCE où ils retournaient, ne reconnaissaient pas toujours les gamins ni les gamines… Puis, il y avait là des mères en train de nourrir, qui donnaient le sein, assises sous les arbres, s’égayant entre elles, la gorge libre, dans une sérénité fière. C’était la décisive victoire de la maternité féconde sur la virginité tueuse de vie. »

Puis, encore le refrain :

« Le lait ruisselait sans fin des gorges nourricières, sève éternelle de l’humanité vivante. Et ce fleuve de lait charriait la vie à travers les veines du monde, et il se gonflait, et il débordait, pour les siècles infinis ». Idiot.


7. — On m’apporte enfin le dernier feuilleton de « Fécondité ». Dieu soit loué dans tous les siècles des siècles !

Quelques citations :

« Le plus de vie possible, pour le plus de bonheur possible. Tel était l’acte de foi en la vie ». Un million, j’offre un million à celui qui m’expliquera ces mots.

« Il ne s’est pas fait dans l’Histoire un seul pas en avant, sans que ce soit le nombre qui ait poussé l’humanité en sa marche ».

Il n’y a jamais eu de grands hommes, de tuteurs de peuples — avant Émile. C’est bien entendu. On croit, à Médan, que César est un mot assyrien qui signifie multitude. C’est admirable comme les idées basses vont à cette caboche de rétameur littéraire accoutumé à gueuler son industrie dans les quartiers pauvres !

« Le travail obligatoire. Il n’est pas vrai qu’il soit imposé aux hommes en châtiment du péché… Il est, au contraire, l’âme même du monde (???) Que des enfants poussent, ils ne seront que des instruments de richesse ». Ainsi parlent en chuchotant, quand il leur reste un semblant d’âme, les marchands d’esclaves.

« Et c’est la vie encore qui aura vaincu, la renaissance de la vie, honorée, adorée ; de cette religion de la vie, écrasée sous le long, l’exécrable cauchemar du catholicisme ».

Le culte de l’avenir, c’est « la femme féconde et la terre féconde ». Voilà. Dans chaque ville ou village, deux temples : le temple du Travail et le temple du Cul. Autour du premier, à la place des ordinaires boutiques d’objets de piété, des marchands de triques, de fouets, de cravaches, d’aiguillons, de licous, de nerfs de bœuf, etc. Dans le voisinage du second, un humble commerce d’éponges hygiéniques, de bidets, d’irrigateurs, de cartes transparentes, de préservatifs même, en général de tous les accessoires que peut désirer une piété sage, quoique ardente. Ce sera bougrement plus beau, en effet, que le Christianisme, — n’est-ce pas, Francis de Pressensé ?

« Matthieu et Marianne finissaient en héros de la vie. Et, dans leur grandeur de héros, il y avait aussi tout le désir dont ils avaient brûlé, le divin désir, fabricateur et régulateur du monde qui les avait visités en coups de flamme ». Ah ! cela fait du bien de la retrouver, une dernière fois, cette bonne vieille connaissance de phrase !

Il paraît que les deux vieillards pensent beaucoup au cimetière, où leurs innombrables enfants accompagneront, sans doute, avec allégresse, de si tenaces gâteux. « Ils espéraient s’y coucher ensemble, le même jour, car ils ne pouvaient concevoir la vie (!) l’un sans l’autre ». Ai-je bien entendu, Seigneur ? Est-ce que ces deux momies vont faire encore des enfants, dans leur sépulcre ?…

Quel peut bien être le fond, la pensée intime de ce misérable esprit, de ce transcripteur nuisible de lieux communs, de cet imbécile à faire pleurer ? Il me semble que le mot vie qu’on rencontre presque à chaque ligne dans ce dernier feuilleton et qui remplit tout le roman, pourrait bien être la clef de l’endroit.

Ici, je demande pardon aux chrétiens, à toutes les catégories de chrétiens, depuis les héroïques, s’il en est encore, — mais ceux-là ont mieux à faire que de me lire — jusqu’aux rondouillards et aux pachydermateux. Il y a, je le sais trop, des rapprochements d’idées qui sont horribles et des accointances de mots qui ressemblent à des blasphèmes.

Pourtant, la vérité doit être dite.

Or, nous savons, par l’Évangile, que c’est Jésus qui est la Vie, et que c’est lui-même qui nous l’enseigna : Ego sum vita. Tout le christianisme est là pour les intelligences capables de l’Absolu.

Certes, ce serait outrager indiciblement les Esprits agiles et incandescents des cieux, de supposer à Zola, le temps d’un éclair, une pareille intelligence. Mais, sans comprendre, il a pu lire ou entendre dire qu’on croyait cela parmi les chrétiens, il a pu voir là, avec ses gros yeux sans lumière, une sorte de formule pieuse qu’il y avait moyen d’utiliser, en la profanant, en la mettant à pourrir, comme une fleur désespérée, dans la boue épouvantable de ses entrailles. Il est bien connu, d’ailleurs, qu’un instinct venu d’En Bas, avertit toujours, infailliblement, ces domestiques du Démon.

Alors apparaît une phraséologie, stupéfiante et, surtout incompréhensible, aussi longtemps que l’idée de sacrilège par l’abus de la Parole ne se présente pas à l’esprit.

Ainsi, et seulement ainsi, peuvent s’expliquer les assemblages de mots, si stupides autrement, tels que : « la foi en la vie… la victoire de la vie, … la religion de la Vie… les héros de la vie, … la vie exigeant l’héroïsme, … l’insatiable vie qui veut qu’on lui donne tout », … et, pour terminer, « la cité de paix, de vérité et de justice, c’est-à-dire « le règne uniquement désirable de la Vie souveraine, maîtresse enfin du temps et de l’espace »…

Remplacez le mot « vie » par le Nom terrible, in quo omne genu flectatur cœlestium, terrestrium et infernorum, et voyez si ce n’est pas à faire peur !…

On m’a raconté qu’un belge, extrêmement emballé par les œuvres du Crétin, résolut, un jour, de le voir.

Incapable de se contenir, il vole à Paris, puis à Médan, et, sur le point de sonner à la grille de cette maison disgracieuse qui ressemble à un roman de la série, il s’avise tout à coup d’un homme grave, en bretelles, et au front austère sillonné de plis innombrables,… en train de vomir du haut d’une fenêtre ou d’un balcon.

— Quel est ce porc ? demanda l’enfant de la Meuse à un paysan.

— C’est monsieur Zola, répondit le rustre.

Que de lumière dans ce récit !

Ai-je tout dit de ce malheureux qui va mourir, sans savoir qu’il fut quarante ans un imbécile et quarante ans un malfaiteur ? Peut-être. Cependant je ne voudrais pas m’éloigner sans lui avoir fait l’aumône.


Mon pauvre Émile.

Il va donc falloir nous quitter !…

Rien de bon, hélas ! ne peut être cru ni même supposé d’un individu tel que toi qui n’eus jamais une pensée noble ni un mouvement généreux. Souviens-toi de ton océan d’ordures… En ce qui concerne Dreyfus, comment veux-tu qu’on présume le désintéressement d’un avocat qui avait tant à gagner et si peu à perdre ?

Tout le monde ne sait-il pas, depuis une génération et demie, que tu es une indicible crapule, infiniment difficile à classer et tout à fait innommable ? Jules Barbey d’Aurevilly, le haut artiste qui refusa si obstinément de te laisser frotter son parquet, l’a beaucoup trop dit pour qu’on l’ignore. Qu’y puis-je ?

Si je te parle, Zola, si je trouve la force de surmonter l’horrible dégoût que tu m’inspires, c’est que je pense, tout de même, à ta pauvre âme.

Tu veux absolument qu’on t’admire pour avoir défendu ce capitaine, pour avoir accusé — les autres !…

Oh ! la vision douloureuse qui m’est venue, dans l’humble église de Kolding, en faisant le Chemin de Croix, au moment où je priais devant une image barbare de la XIIe station !

Quelqu’un qui a le malheur de te lire et que je ne veux pas nommer, m’avait exprimé, peu de jours auparavant, le plus fier dédain pour les êtres — indignes de tout intérêt — que tes livres ont pu souiller, c’est-à-dire, au fond, le dédain pour les petits, les pauvres, les faibles, les vaincus, les écrasés. « Qu’importe, m’écrivait-il, à côté d’un si grand rôle et lorsqu’on a un si puissant levier (la plume de l’auteur de J’accuse, bien entendu), qu’importe l’imbécile roman Fécondité ? »

Ce dédaigneux, qui est une des conquêtes les plus récentes et les plus déplorables de l’Alexandre des boutiquiers, a passé au fond de moi, dans un sombre sillon de ma mémoire. Et, au même instant, à la même seconde, sans que ma prière en fût troublée, je crus voir un des écrasés de tout à l’heure, dans une île de l’Abîme, tenu par des chaînes spirituelles plus fortes que le fer, séquestré dans une infernale privation d’espoir, et dont le procès ne pouvait, ne devait jamais être revisé par aucun homme.

Le Mercier de ce cauchemar se nommait Émile Zola. Il gagnait quatre cent mille francs par an à vendre la mort, et n’avait jamais fichu un sou à personne. En conséquence, plusieurs millions de sots ou de chenapans le considéraient à l’égal d’un très grand homme, et il conchiait à son aise un peuple, autrefois chrétien, que la justice de Dieu avait mis par terre.

Donc, encore une fois, je pense que le comble de la bêtise est de croire que tu aies pu être magnanime, une seule heure, que tu aies pu faire quelque chose de généreux. Ta nation n’est pas ainsi, ta nation apostate et dégénérée. Si tu as paru accomplir un acte propre, c’est que tu avais ou croyais avoir un intérêt à l’accomplir, — cet intérêt ne dût-il être manifesté qu’au Dernier Jour.

Voyons, vieux caresseur du Tiers État, vieil excitateur du phallus des gens patentés, avoue que tu te souviens de ton article publié par le Figaro, à la date du 18 janvier 1896, et que tu avais intitulé : « Le solitaire ». Ce solitaire, c’était toi, l’homme pourtant des troupeaux, des multitudes, mais la logique te visite peu. Tu te croyais, alors, un sanglier. « Tout écrivain, disais-tu, qui ne gagne pas d’argent est un raté ». Shakespeare en gagnait fort peu et le Dante moins encore. Tu leur es donc très supérieur. Voilà qui est entendu. L’article, d’ailleurs, était horriblement écrit.

Conviens-en, tu as toujours le même cataplasme sur ce qui te sert de cœur. Oui, sans doute, je comprends, tu souffres d’être cru, par les jeunes — peut-être aussi par quelques vieux de mon espèce — un jean-foutre et un gaga. Ta probité vénitienne te força de confesser, dans le dit article, cette tablature sans grandeur. Il ne te fut pas possible de cacher que tu gueulais en bavant, à la seule pensée que les jeunes hommes, qui lisaient passionnément des poètes pauvres tels que Barbey d’Aurevilly, Villiers de l’Isle-Adam et Paul Verlaine, te considéraient comme une vieille truelle à merde. Était-ce ma faute ? je te le demande.

Il te fallait, à tout prix, une revanche, et l’affaire Dreyfus, heureusement, s’est présentée. « Dans ton grand âge, dans l’état divin d’enfance où tu retournais », c’était bien naturel que tu voulusses paraître un héros. Tu as donc défendu, sauvé Dreyfus qui est, maintenant, lépreux de toi et qui aimerait mieux son île du Diable, s’il te connaissait.

À mon avis, le crime le plus authentique, rémunéré de l’expiation la plus infamante, est préférable à une innocence avérée par toi. Mais voici ce qui est à faire reculer la croupe des constellations :

L’auteur de La Terre et de tant d’autres saletés, devenu le vengeur de l’Innocence opprimée ! le revendicateur de la Justice !! le témoin de la Vérité !!!

La voilà, la honte dernière ; le voilà, le dernier outrage pour la France !

Vivent les morts !

La France était ivre de gloire militaire, depuis Napoléon, surtout. La guerre de 1870 l’a dessoulée d’une façon terrible. Quelque chose, pourtant, reste encore de l’ancienne ivresse. Le renouveau de gloire du grand Empereur, dans ces dernières années, le prouve bien.

On démontre, aujourd’hui, à cette malheureuse nation que ses généraux sont des brutes ou des scélérats, que sa grandeur militaire n’existe plus… Et voilà la France au désespoir !

Quelle occasion pour toi, Émile ! Tu ne l’as pas ratée. C’est une justice à te rendre.

Mais maintenant, ô misérable, maintenant que ton grief de très bas voyou est concédé, aujourd’hui que l’Occident des Saints et des Héros est dans ton ordure, penses-tu, vraiment, que mille galériens innocents, récupérés par ta sale prose, pourraient te faire pardonner cette profanation inexprimable ?

Écoute, si tu es capable d’écouter et de comprendre. Tu es né, on ne sait où, comme naissent les inexistants. Soit. On dit que tu es une relavure de Venise. J’y consens. On naît où on peut et on est ce que Dieu veut.

Mais être absolument dénué de ce qu’on nomme, depuis des siècles, l’esprit français ; être un cul de plomb, un balourd congénital et continental, aussi incapable de dérider le front des autres que de déplisser le sien ; et, en même temps, … régner sur la France ! voilà ce qui enfonce tout. Je suis forcé de le reconnaître.

Qui le croirait, cependant ? Cela ne te suffit pas. Il te faut les siècles à venir. Tu as écrit à Mme Dreyfus que tu étais un POÈTE et qu’à cause de cela, une postérité lointaine observerait tes consignes !…

Comment est-il possible, mon pauvre garçon, que tu n’aies pas un ami pour t’apprendre que dans l’heure qui suivra ta mort, probablement aussi prochaine qu’ignominieuse, il ne se trouvera pas un être humain capable de dire ce que tu as écrit ou ce que tu n’as pas écrit ; et qu’un peu plus tard, tes acheteurs s’évanouissant et les goguenots eux-mêmes découragés par l’immensité de ton bouillon, tu deviendras une très mauvaise affaire ?

Triste Zola, il ne te restera plus que les Pères Augustins de l’Assomption et leur « trou d’balle[12] » !

Ceux-là, j’ose l’espérer, connaîtront bientôt ce qu’ils te doivent et seront peut-être, — ayant, enfin ! lâché leurs soutanes, — tes derniers lecteurs.

Ici, Émile, tu ne comprendrais plus. Je te lâche donc et je parle à d’autres.


Il faudrait une parole plus qu’humaine pour apprécier comme il faut l’avilissement sacerdotal représenté par ces effroyables religieux. Le scandale récent du journal La Croix, pour ne rien dire de quelques autres feuilles de piété, est à reclouer le Sauveur.

L’ignorance et, surtout, l’impiété modernes, on le sait, tiennent beaucoup à ne voir qu’un homme dans le Prêtre. C’est, je crois, la plus basse des idées du siècle, la plus universellement préconisée, par conséquent. Il était donc inévitable que les ravages d’un tel esclandre fussent énormes chez un peuple qui eut, tant de mois, le spectacle sans nom d’un groupe de prêtres acharnés sur un pauvre homme dont ils savaient l’injuste condamnation, et chaque matin, — la bouche pleine du Sang du Christ — léchant les bottes, crottées de sang, des tourmenteurs !

Ils sont rares, aujourd’hui, les chrétiens qui savent que le christianisme est tout entier dans le Sacerdoce !

J’ai pour ami, une sorte de mathématicien qui, par un de ces miracles dont l’entendement des hommes est déconcerté, a pu garder une âme vivante et une intelligence capable d’un certain nombre de vibrations[13]. Ce brave garçon vient de m’écrire une lettre de démence pour me déclarer qu’après l’inconcevable turpitude offerte par ces religieux qui espèrent ainsi se faire bien venir d’un gouvernement athée, il ne sentait plus aucun besoin de la médiation d’aucun prêtre entre Dieu et lui.

Combien d’autres que je ne connais pas ! Rien à faire évidemment. Le scandale donné par des hommes qui ont reçu le pouvoir de consacrer le Pain et le Vin et de mettre en fuite les démons, est un scandale certain, une contamination que rien n’efface.

… Et ce serait du délire d’essayer de faire pénétrer dans une boîte crânienne de la fin du siècle, cette évidence rudimentaire que la certitude mathématique n’est pas ébranlée par l’indignité d’un géomètre ou de dix mille géomètres, et qu’il n’est au pouvoir d’aucun mauvais prêtre d’infirmer l’autorité des Commandements de Dieu ou des Commandements de l’Église.

Cela excède la capacité du cerveau contemporain.


Cette affaire Dreyfus, d’ailleurs, dont j’ai parlé fort à contre-cœur, uniquement à cause de Zola, est, sans contredit, une des plus étranges du monde. Je ne dis pas des plus grandes, mais des plus étranges.

De même que les catastrophes célèbres, elle a servi à cribler les âmes. Déchet immense, épouvantable. On a su le nombre infini des imbéciles, des lâches, des renégats, des esclaves, des prostitués, des bourreaux, et que ce nombre est également réparti des deux côtés.

Comme si quelque chose de profond et de tout à fait intime était en danger, on a vu des multitudes perdre la raison, non seulement en France, mais en Europe et par toute la terre. Je cherche une époque où le délire du mensonge, de la sottise furieuse et de la férocité hypocrite ait été plus universel.

Tout cela dépasse infiniment le capitaine juif et ressemble au prodrome du Cataclysme. Depuis que l’immonde et stupide procès de Rennes est fini, comment douter que le malheur de cet homme ait été un prétexte pour les deux sortes de chiens qui se disputent la France à coups de gueule.

Le captif de l’îlot du Diable rendu à sa famille et buvant du lait n’intéresse plus personne. Nul ne parle plus de lui. La machine de guerre a cessé de fonctionner, l’ustensile est au rancart ; mais chaque troupe de maudits a gardé sa position de combat, sa ligne de bataille.

Et l’oubli complet de ce nom de malheureux dont on avait assourdi la terre, le silence venu soudain, après une si énorme clameur, ont je ne sais quoi d’effrayant.

On attend QUELQU’UN.





  1. Cinq mois. Cette publication a duré cinq mois ! !!
  2. On me dit que Huysmans vient de prendre, non pas le voile, mais l’habit bénédictin à Ligugé. Je ne suis pas pressé du besoin de féliciter la famille de saint Benoît. J’ai travaillé, plus de quatre ans, à ensemencer de christianisme ce romancier sorti de Médan. Terre ingrate et rude labeur !

    D’autres ont moissonné. Grande joie leur fasse ! Je ne la leur envie pas et j’attendrai, pour modifier mes sentiments ou mes vues, qu’il me soit prouvé que cette « oblature » est autre chose qu’un geste littéraire.


    Kolding, avril 1900.
  3. Syllogisme du parfait Mufle démocratique.

    Majeure. Les plus intelligents sont les moins féconds.

    Mineure. Or les enfants ne poussent jamais en aussi grand nombre que sur le fumier de la misère qui est, par conséquent, celui de la bêtise.

    Conclusion. Donc la supériorité intellectuelle consiste à gagner de l’argent par le moyen rudimentaire des enfants des pauvres.

    Monsieur Émile.
  4. Les tortures de l’exil de M. Zola qui fout le camp, après avoir raflé à ses amis une cinquantaine de mille francs, j’aime à le croire, car tel est le juste prix d’un roman-feuilleton de ce crétin désintéressé ! Voilà qui nous met furieusement loin de l’île du Diable où on s’amuse joliment, comme chacun sait !

    Démasque-toi donc tout à fait, égoïste et lâche cafard !

  5. Je me trompais tout à l’heure. Quand un homme dit : « Je suis protestant », c’est comme s’il disait : « Je refuse de laver la vaisselle » ou « j’aime mieux laver la vaisselle ». Cela dépend des natures et surtout des circonstances.
  6. Voyons ! Émile, tu fais par terre. Pourquoi ne tueraient-elles pas, ces femmes, si ça rapporte, puisqu’il n’y a pas de bon Dieu ?
  7. Les malheureux qui liront le volume verront qu’un reste de déférence pour le public et, surtout, mon personnel dégoût m’ont empêché, cette fois comme les autres, de citer le refrain entier.

    Mais ne pense-t-on pas qu’il vaudrait mieux être tout uniment un sale écrivain ? Zola répétant à satiété les mêmes phrases imbéciles, par impuissance d’imagination ou pénurie de pensée, pourrait, à l’extrême rigueur, être touchant. Mais le triste dindon se persuadant que c’est là une trouvaille d’art, et se mettant sur le croupion ces pauvres diablesses de phrases, et faisant la roue avec, ah ! vraiment.

  8. Jésus, autrefois, purifiait les lépreux par dizaines, en leur disant d’aller « se montrer aux prêtres ».
  9. Ce mot n’est pas d’Émile. Il est incapable de trouver une expression aussi originale.
  10. Il n’a pas osé écrire les âmes des justes.
  11. Cette locution fort usitée, dit-on, chez les marchands de lorgnettes, reparaît plusieurs fois, sans utilité vérifiable. C’est une attention exquise que tout autre qu’Émile eût oubliée.
  12. Voir plus haut, page 132. Même maison, Pèlerin, 24 septembre. En tête, l’Image de Marie au-dessous des mots : « Adveniat regnum tuum » et, en queue, un vaste pot de chambre. Idée du Père Bailly.
  13. Ai-je besoin de dire que ce mathématicien m’a lâché ?