Jean-Paul (Farley)/20

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Les clercs de St-Viateur (p. 193-196).


ÉPILOGUE

Les vacances se passèrent sans bruit. Le Père Beauchamp partit pour Lowell, où il devait remplacer un curé, ancien élève, en voyage de repos. Le mystère enveloppa Jean-Paul. Son deuil avait d’ailleurs mis autour de sa personne une atmosphère de discrétion.

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Vers le début de septembre, les professeurs commencèrent à revenir un à un. Et le cinq seulement, le jour même de la rentrée, le Père Beauchamp arrivait par le train du soir. La journée avait été froide et pluvieuse. Comme il se faisait tard, le Père, sans saluer personne, monta à sa chambre, voulant être à son poste de confesseur, dès la première entrée des élèves à la chapelle.

Sur son bureau, une volumineuse correspondance l’attendait : des lettres qui l’avaient cherché plusieurs semaines, des cartes postales d’élèves en voyage qui lui adressaient leurs saluts, etc. Le Père se contenta de les décacheter, de regarder la signature, les remettant là, en pile, pour les relire plus tard. Cependant une enveloppe parut le frapper. Nerveusement il l’ouvrit. Oui, c’était cela ; il lut :


Postulat des Pères Blancs, Québec.
Mon révérend et cher Père,

Me voici donc rendu au Postulat des Pères Blancs, bien décidé à devenir un missionnaire d’Afrique. Vous savez mieux que quiconque ce qu’il m’en a coûté pour faire un pareil sacrifice de mes rêves passés, mais vous ne savez pas moins avec quelle conviction personnelle j’ai choisi cette carrière. Depuis la séance du Cercle Saint-Michel dont je vous ai tant parlé, cet idéal s’est emparé de mon esprit et s’est imposé à ma conscience comme un appel de Dieu.

Ce qui a frayé le chemin à cette conviction, ce qui m’a haussé jusqu’à cette lumière, c’est la direction spirituelle. Dire que si longtemps j’ai suspecté cette méthode, j’ai soupçonné là une sorte de ruse ou un traquenard ! Maintenant que je vois les choses sous leur vrai jour, je voudrais crier à tous mes condisciples : le professeur le plus nécessaire au collège, c’est le professeur de vertu, celui qui nous révèle à nous-mêmes, oriente nos efforts et contrôle ensuite notre travail intérieur.

Je remercie Dieu de ses bienfaits et je vais m’efforcer de correspondre à ses précieuses faveurs.

Je vous prie d’agréer… etc.

Fr. Jean-Paul FOREST, d. P. B.


Droit, près de son bureau, le Père lisait à la clarté de la lampe fixée au plafond. Un sentiment mêlé de fierté et de tristesse envahissait tout son être. Il éprouvait l’émotion de l’artiste en face de

son œuvre ; mais aussi l’absence, la séparation définitive assombrissait son cœur. Malgré soi, on s’attache si profondément à ces petites âmes qui se donnent avec confiance. Il resta là, rêveur, les yeux perdus dans le vague, pendant qu’il tenait toujours la lettre. Puis il se mit à la relire, cherchant quelque chose qu’il ne pouvait découvrir. Non, il ne trouvait rien. Pas un mot de tendre souvenir directement adressé à sa personne, pas un mot de reconnaissance pour lui-même qui s’était tant dévoué ! Alors ce fut une impression d’abattement, de lassitude, comme un vertige déprimant et douloureux. Mais aussitôt il se ressaisit : « Non, non, se dit-il, non, c’est juste ! J’ai voulu donner cette âme à Dieu. Elle lui appartient ; je n’ai rien à réclamer. »

Il en était à ces réflexions quand la cloche sonna la montée à la chapelle. Elle sonna comme un clairon sonne. C’était l’appel. Vite, repoussant ses lettres, le Père Beauchamp partit d’un pas rapide. Les élèves défilaient. Il passa à travers les rangs ; et, arrivé au prie-Dieu de son confessionnal, il tomba à genoux… pour recommencer.


FIN