Jean Chrysostome/Sur les afflictions
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ANALYSE.
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1° L’orateur, dans un exorde où il montre que le chrétien qui souffre dans l’espérance d’un bonheur futur, a un grand avantage sur le laboureur, sur le pilote et sur le soldat, annonce qu’il va expliquer ces paroles de l’Apôtre : Non seulement, mais nous nous glorifions encore dans les afflictions ; mais que, pour jeter un plus grand jour sur ce passage, il reprendra d’un peu plus haut, avant de s’en occuper. Il fait donc un tableau des persécutions violentes auxquelles étaient exposés les premiers fidèles. – 2° Saint Paul, pour les consoler, ne cessait de les nourrir de l’espérance des biens futurs, et de leur rappeler aussi les avantages dont ils jouissaient dès ce monde. – 3° Après leur avoir détaillé ces biens et ces avantages, l’Apôtre ajoutait que, non-seulement ils ne devaient pas se laisser abattre par les afflictions, mais que même ils devaient s’en réjouir. – 4° Saint Jean Chrysostome prouve la vérité de ces paroles par l’exemple de saint Paul lui-même, par celui des autres apôtres, et par le courage des martyrs, qui étaient satisfaits et joyeux au milieu des plus cruelles souffrances. Saint Paul se glorifiait surtout de ses afflictions, et c’est ce qui lui faisait dire : Non seulement, mais nous nous glorifions encore dans les afflictions. Et pourquoi nous glorifier dans les afflictions ? c’est qu’elles nous éprouvent et nous fortifient, qu’elles nous donnent une vigueur qui nous affermit contre toutes les disgrâces. Plusieurs exemples, prie dans la nature, montrent combien cet avantage est important. Nous devons donc, pour notre propre intérêt, supporter courageusement toutes les peines de cette vie.
On ne peut fixer la date de ce discours, ni même savoir s’il a été prononcé à Antioche ou à Constantinople.
1. Il est pénible pour le laboureur d’atteler ses bœufs, de traîner sa charrue, de tracer des sillons, d’y jeter les semences, d’en éloigner le torrent des eaux qui les submergent, de relever les rives des fleuves, de creuser des fossés, de former des canaux au milieu de son champ ; mais toutes ces fatigues, toutes ces peines, deviennent légères et faciles, lorsqu’il voit en espérance une moisson verdoyante, sa faux aiguisée, son champ couvert de gerbes, et les blés mûrs transportés avec joie dans sa maison. Ainsi le pilote affronte les orages et les tempêtes, brave l’incertitude des vents, la fureur des flots, ne craint pas d’entreprendre des voyages de long cours, lorsqu’il pense aux diverses marchandises dont son vaisseau sera chargé, aux ports qui les recevront, aux richesses immenses qu’elles lui produiront. Ainsi le soldat supporte les blessures, reçoit les grêles de traits, endure le froid, la faim, l’éloignement de sa patrie, s’expose aux dangers des batailles, lorsqu’il songe qu’il en résultera pour lui des victoires, des triomphes et des couronnes. Et quel est mon but, en rapportant ces exemples ? C’est de vous inspirer de l’ardeur pour écouter mes paroles, de vous donner du courage pour supporter les peines qui accompagnent la pratique de la vertu ; car si chacun de ceux dont je viens de parler regarde ses fatigues comme légères, dans l’espoir des biens qu’il attend, quoique les biens qu’il peut obtenir, se terminent avec la vie ; à plus forte raison devons-nous être aussi empressés à entendre des instructions spirituelles que courageux pour supporter les peines et les combats qui nous feront parvenir à un bonheur sans fin. Le laboureur, le pilote et le soldat n’ont que des espérances incertaines et passagères ; ils arrivent souvent à la mort sans jouir des biens qu’ils ont attendus, sans voir l’accomplissement des grandes espérances dont ils se sont nourris, et pour lesquelles ils ont essuyé ce qu’il y a de plus rude. Par exemple, après beaucoup de travaux et de peines, le laboureur quelquefois, au moment même où, aiguisant sa faux, il se préparait à la moisson, voit ses blés détruits, ou par la nielle, ou par des insectes produire les variations de l’air ; il s’en retourne dans sa maison les mains vides, privé du fruit de toutes ses peines, et frustré de toutes ses espérances. Le pilote, de même, lorsqu’il se réjouissait du grand nombre de marchandises dont il avait chargé son vaisseau, lorsqu’après avoir tendu avec joie ses voiles pour le retour, il avait parcouru une vaste étendue de mer, jeté souvent, à l’entrée du port, sur quelque rocher, ou sur un écueil à fleur d’eau, ou, se trouvant en butte à quelque autre accident imprévu, voit périr l’espoir de sa fortune, et sauve avec peine sa personne du milieu des périls. Enfin, le guerrier ; après avoir échappé à mille combats, après avoir triomphé de ses ennemis et repoussé leurs bataillons, voit souvent trancher ses jours à la veille d’obtenir une victoire complète, sans avoir tiré aucun avantage de ses fatigues et de ses dangers. Il n’en est pas de même de nous. Nous sommes soutenus dans nos afflictions par des espérances éternelles, fermes, inébranlables, qui ne finissent pas avec la vie présente, mais qui ont pour terme une vie dont la félicité est sans mélange et sans bornes ; des espérances qui ne sont sujettes ni aux variations de l’air, ni aux incertitudes des événements, ni même aux coups inévitables de la mort.
Mais en ne considérant que les espérances meules ##Rem, on peut voir quel est leur fruit merveilleux dans les divers accidents de la vie, et la récompense abondante dont elles nous paient. Aussi le bienheureux Paul s’écriait-il : non seulement, mais nous nous glorifions encore dans les afflictions. (Rom. 5,3) Ne passons point légèrement, je vous en conjure, sur cette parole fort simple ; et puisque le discours nous a conduits dans le port que nous offre Paul, cet illustre pilote, arrêtons-nous à une parole qui, dans sa brièveté, renferme un grand fonds de doctrine. Que veut-il donc dire, et qu’entend-il par ces mots : non-seulement, mais nous nous glorifions encore dans les afflictions ? Remontons un peu, si vous voulez, pour nous instruire, et nous verrons un grand jour se répandre sur ce passage de saint Paul, nous en verrons sortir une grande force de pensées et de réflexions utiles. Mais qu’aucun de nous ne montre de négligence et de mollesse ; que le désir d’entendre des instructions spirituelles soit comme une rosée qui nous récrée et nous ranime. Nous allons vous entretenir de l’affliction ; du désir des biens éternels, de la patience dans les maux, de la récompense qu’obtiennent ceux qui ne succombent pas dans les peines de la vie. Que veulent donc dire ces paroles : non seulement ? Celui qui les emploie annonce qu’il a déjà parlé de beaucoup d’autres avantages, auxquels il ajoute celui qu’on peut tirer de l’affliction. Aussi le même apôtre disait : non seulement, mais nous nous glorifions encore dans les afflictions. Écoutez-moi, je vous prie, je vais travailler à éclaircir sa pensée, et à développer tout ce qu’elle renferme.
Lorsque les apôtres prêchèrent le saint Évangile, et qu’ils parcoururent le inonde, semant la parole divine, déracinant de tout côté l’erreur, abolissant les lois anciennes de l’impiété, chassant l’iniquité de toutes parts, purgeant la terre, engageant les hommes à renoncer aux idoles, aux temples, aux autels, aux fêtes et aux cérémonies d’une religion fasse, à reconnaître un seul Dieu maître de l’univers, et à attendre les espérances futures ; lorsque ces mêmes apôtres annonçaient le Père, le Fils et l’Esprit-Saint, qu’ils raisonnaient sur la résurrection, qu’ils parlaient du royaume céleste alors on vit s’allumer la plus affreuse, la plus cruelle de toutes les guerres ; toutes les villes, toutes les maisons, tous les peuples, les lieux habités et inhabités, étaient pleins de tumulte, de sédition et de trouble, parce qu’on ébranlait d’anciens usages, qu’on attaquait des préjugés établis depuis longtemps, et qu’on introduisait une doctrine nouvelle, dont personne n’avait encore ouï parler ; les princes sévissaient contre cette doctrine ; les magistrats s’emportaient contre elle, les particuliers se troublaient, les places publiques se soulevaient, les tribunaux s’animaient, les glaives s’aiguisaient, les armes se préparaient, les lois usaient de toute leur rigueur. De là les peines, les supplices, les menaces, et tout ce qu’il y a de plus terrible parmi les hommes. Toute la terre était comme une mer furieuse, prête à enfanter les plus tristes naufrages. Le père, par religion, renonçait à son fils, la belle-mère se séparait de sa belle-fille, les frères étaient divisés, les maîtres s’armaient contre leurs esclaves, la nature, pour ainsi dire, était soulevée contre elle-même, la guerre s’allumait dans toutes les cités, dans toutes les familles, et non-seulement les citoyens étaient déclarés contre les citoyens, mais les parents contre les parents ; car la parole divine pénétrant comme un glaive, et séparant les parties gangrenées des parties saines, excitait en tout lieu des divisions et des débats, suscitait de toutes parts aux fidèles une multitude d’ennemis et de persécuteurs. De là les uns étaient jetés en prison, les autres traînés devant les tribunaux ou au supplice ; les biens de ceux-ci étaient confisqués, ceux-là étaient chassés de leur patrie,et souvent privés de la vie même. Une foule de maux venaient fondre de tout côté sur les chrétiens ; ils avaient à craindre et à combattre au dedans et au-dehors de la part de leurs ennemis, de la part des étrangers, de la part de ceux mêmes qui leur étaient unis par le sang.
2. Le précepteur du monde, le docteur d’une science céleste, le bienheureux Paul, qui voyait la persécution s’allumer contre l’Église, qui voyait que les maux étaient présents et en réalité, tandis que les biens n’étaient que futurs et en espérance, je veux dire le royaume des cieux, la résurrection des morts, ce bonheur infini, qui est au-dessus de toutes les pensées et de toutes les expressions ; saint Paul qui voyait d’un côté que les chevalets, les glaives, les tourments, les supplices, les morts de toutes les espèces n’étaient pas seulement attendus, mais se faisaient sentir en effet ; et de l’autre, que ceux qui devaient combattre contre ces afflictions, venaient de quitter les autels du paganisme, de renoncer aux idoles, aux délices à l’intempérance et à l’ivresse, pour embrasser la foi ; que peu accoutumés encore aux grandes idées d’une vie éternelle, ils étaient attachés aux choses présentes, et que probablement plusieurs d’entre eux manqueraient de force et de courage, succomberaient aux peines qui viendraient les assaillir chaque jour ; d’après ces réflexions, que fait le grand Apôtre à qui les secrets célestes avaient été révélés ? Considérez la sagesse de Paul. Il leur parle sans cesse des choses futures, il leur met sous les yeux les prix, les couronnes ; les consolant, les animant par l’espoir des biens éternels. Eh ! que leur dit-il ? Nous pensons que les souffrances de ce monde n’ont aucune proportion avec la gloire qui sera un jour découverte en nous. (Rom. 8,18) Que me parlez-vous, dit-il, de violences, de tourments, de bourreaux, de supplices, de prisons, de chaînes, de proscriptions, de la faim et de la pauvreté ? Imaginez ce qu’il y a de plus affreux parmi les hommes, vous ne me citerez rien qui ait quelque proportion avec les prix, les couronnes et les récompenses réservées à la vertu courageuse. Les souffrances se terminent avec la vie présente, les récompenses se prolongent sans fin dans l’éternité. Les unes sont temporelles et passagères, les autres sont immortelles comme le souverain Être qui en est le principe et le terme. Et c’est ce que le même apôtre fait encore entendre dans un autre endroit : Le moment si court et si léger de nos afflictions (2Co. 4,17), dit-il, diminuant la gravité des maux par leur petit nombre, et adoucissant leur rigueur par le peu de temps qu’ils durent ; en effet, comme les peines que les chrétiens avaient alors à souffrir étaient rudes et pesantes, il diminue leur poids par la brièveté de leur durée : Le moment si court et si léger, dit-il, de nos afflictions, produit est nous le poids éternel d’une souveraine et incomparable gloire, pourvu – que nous ne considérions pas les choses visibles, mais les invisibles, parce que les choses visibles sont passagères, et que les invisibles sont éternelles. Et nous ramenant Île nouveau à l’idée de la grandeur des biens d’une autre vie, il introduit les créatures même inanimées qui sont dans le travail de l’enfantement, qui gémissent des afflictions présentes, et qui désirent avec ardeur les biens futurs comme infiniment avantageux. Durant cette vie, dit-il, les créatures gémissent et sort dans le travail de l’enfantement. (Rom. 8,22) Pourquoi gémissent ? pourquoi sont dans le travail de l’enfantement ? parce qu’elles attendent les biens futurs, et qu’elles désirent un changement favorable. Les créatures, dit-il, seront délivrées de l’asservissement à la corruption, pour participer à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. Lorsque saint Paul dit que les créatures gémissent, qu’elles sont dans le travail de l’enfantement, ne croyez pas qu’il parle de créatures raisonnables, mais apprenez quelle est fa langue de l’Écriture. Quand Dieu veut annoncer aux hommes, par la bouche de ses prophètes, quelque événement agréable et extraordinaire, il représente les êtres même inanimés, comme sensibles à la grandeur des prodiges qui s’opèrent. Ce n’est point que ces êtres soient vraiment sensibles, mais c’est pour exprimer la grandeur des prodiges, en donnant à des créatures dépourvues de raison, les sentiments que les hommes éprouvent. C’est ainsi que lorsqu’il arrive quelque malheur insigne, nous avons coutume de dire que la ville même est affligée, que le sol est devenu plus triste. Et lorsqu’on veut parler d’un de ces hommes féroces qui sèment au loin l’épouvante, on dit qu’il a ébranlé les fondements mêmes des maisons, que les pierres mêmes ont redouté sa présence. Ce n’est pas que les pierres aient vraiment redouté sa présence, mais c’est pour donner une idée exagérée de la fierté de son âme, et de la férocité de son cœur. C’est pour cette raison que David, ce prophète admirable, racontant les biens qu’ont éprouvés les Juifs, et la satisfaction qu’ils ont ressentie dans leur délivrance de l’Égypte disait : Lorsqu’Israël sortit de l’Égypte, et la maison de Jacob du milieu d’un peuple barbare, Dieu consacra le peuple juif ci son service, et établit son empire dans Israël. La mer le vil et s’enfuit, et le Jourdain retourna en arrière ; les montagnes bondirent comme des béliers, et les collines comme les agneaux des brebis, à la présence du Seigneur. (Psa. 113,1-4) Cependant on ne lit nulle part que ces merveilles soient arrivées. La mer, il est vrai et le Jourdain sont retournés en arrière ; mais les montagnes et les collines n’ont jamais bondi. Mais, je le répète, c’est parce qu’il voulait représenter les transports de la joie que ressentirent les Hébreux au sortir de l’oppression sous laquelle ils gémissaient en Égypte, que David fait sauter et bondir les êtres même inanimés, comme s’ils partageaient le bonheur et la satisfaction de ce peuple. Ainsi, lorsque l’Écriture veut annoncer quelque événement triste occasionné par nos fautes, elle s’exprime en ces termes : La vigne et les arbres seront dans le deuil (Isa. 24,7) ; et ailleurs : Les rues de Sion sont dans le deuil. (Lam. 1,4) Elle fait même verser des larmes aux êtres insensibles : Pleurez, murs de Sion, dit-elle ; elle dit que les contrées mêmes de la Judée sont dans la douleur, qu’elles sont enivrées de tristesse. Ce n’est pas que les éléments soient sensibles ; mais, sans doute, les prophètes voulaient nous représenter la grandeur des biens dont Dieu nous comble, et la rigueur des punitions qu’il inflige à nos crimes. C’est pour cela que le bienheureux Paul lui-même introduit les créatures qui gémissent, qui sont dans le travail de l’enfantement, afin d’exprimer les grandes faveurs que Dieu nous réserve au sortir de ce monde.
3. Mais, dira-t-on, ces faveurs ne sont qu’en espérance, et l’homme faible et malheureux, nouvellement arraché à l’idolâtrie, incapable de raisonner sur les choses futures, et peu propre à être touché de ces discours, devait chercher quelque consolation dans la vie présente. Aussi l’Apôtre, ce grand maître, instruit de cette disposition de l’homme, ne le console pas seulement par l’espoir des biens futurs, il l’anime par la vue des avantages présents. Et d’abord il lui expose les bienfaits qui avaient été accordés à la terre ; bienfaits qu’elle ne voyait pas en espérance, mais dont elle jouissait dans la réalité ; bienfaits, en un mot, garant le plus solide et le plus frappant des biens futurs et attendus ; il parle fort au long de la foi ; il cite l’exemple du patriarche Abraham qui espéra de devenir père malgré la nature qui ne lui permettait plus de l’être, et qui le devint parce qu’il crut fermement qu’il le serait. De là, il exhorte l’homme à ne pas se laisser abattre par la faiblesse des raisonnements humains, mais à s’animer, à se soutenir par la grandeur de sa foi, et à prendre des sentiments élevés. Après cela, il lui parle des biens qu’il a déjà reçus de Dieu. Et quels sont ces biens ? Dieu a donné, pour des serviteurs ingrats, son Fils unique et chéri. Nous étions chargés du poids de nos iniquités sans nombre, accablés sous la multitude de nos fautes ; il ne nous en a pas seulement affranchis, il nous a rendus justes ; et sans exiger de nous rien de difficile, rien de pénible, en ne nous demandant que la foi, il nous a rendus justes et saints, enfants de Dieu, héritiers de son royaume, cohéritiers de son Fils unique ; il nous a promis la résurrection et l’incorruptibilité de nos corps, le bonheur dont jouissent les anges, qui est au-dessus de toutes les pensées et de toutes les paroles, le séjour dans le royaume des cieux, la jouissance de lui-même ; il a répandu sur nous, dès ce monde, les grâces de son Esprit, il, nous a délivrés de la tyrannie du démon, nous a arrachés à son empire ; il a détruit le péché, anéanti la malédiction, et, brisant les portes de l’enfer, il nous a ouvert le ciel ; il a envoyé, pour opérer notre salut, non un ange, non un archange, mais son Fils unique lui-même, comme il le dit par la bouche d’un de ses prophètes : Ce n’est pas un ambassadeur, ce n’est pas un ange, c’est le Seigneur lui-même qui nous a sauvés. (Isa. 63,9) Ne sont-ce pas des avantages préférables à mille couronnes, d’avoir été sanctifiés et justifiés, de l’avoir été par la foi, de l’avoir été par le Fils unique de Dieu venu du ciel pour nous, de l’avoir été par le Père qui a donné pour nous son Fils chéri, d’avoir reçu l’EspritSaint, et, avec la plus grande facilité, d’avoir joui d’une grâce et d’une faveur ineffable ? Après s’être expliqué en peu de mots sur tous ces avantages, il revient à l’espérance, par laquelle il termine son discours ; car, après avoir dit : Justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous a donné aussi entrée par la foi à cette grâce, en laquelle nous demeurons fermes, il ajoute : Et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire des enfants de Dieu. (Rom. 5, 1-2) Après donc qu’ira parlé ##Rem des avantages que nous avons obtenus et de ceux qui nous sont promis : être justifiés, avoir accès auprès du Père par le Fils immolé pour nous, jouir de cette grâce et de cette faveur, être délivrés du péché, acquérir la paix avec Dieu et participer à l’Esprit-Saint, tels sont les avantages que nous avons obtenus ; ceux qui nous sont promis, c’est cette gloire ineffable qui nous est réservée au sortir de ce monde, comme le dit saint Paul lui-même, lorsqu’il ajoute : Cette grâce en laquelle nous demeurons fermes, et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire des enfants de Dieu ; après dis-je, qu’il a parlé de tous ces avantages, comme l’espérance, ainsi que je l’ai déjà dit, n’est pas suffisante pour fortifier, pour raffermir un auditeur chancelant et faible ; voyez ce que fait saint Paul, considérez quelle est la force de son âme et sa grande sagesse. C’est des objets mêmes qui paraissent affliger, troubler, décourager son auditeur, qu’il forme les couronnes qui font sa consolation et sa gloire. Écoutons-le lui-même, et voyons ce qu’il ajoute à ce qu’il a déjà dit ; car il ne se contente pas de dire que nous avons été sanctifiés et justifiés, que nous l’avons été par le Fils unique de Dieu, que nous avons joui de la grâce, de la paix, des plus grandes faveurs, de la rémission des péchés, de la communication de l’Esprit-Saint, et cela avec la plus grande facilité, sans aucune peine, sans aucun travail, par la seule foi ; il ne se contente pas de dire que Dieu nous a envoyé son Fils unique, qu’il nous a accordé cette faveur, qu’il nous en a promis une autre, une gloire ineffable, la résurrection et l’incorruptibilité des corps, le partage des anges, la société de Jésus-Christ, le séjour dans le ciel (car voilà tout ce que renferment ces mots : Et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire des enfants de Dieu) ; il ne se contente pas, dis-je, de rapporter les avantages que nous avons obtenus, et ceux que nous devons obtenir, mais ce qui est regardé dans le monde comme des peines et des afflictions, les tribunaux, les prisons, les différentes espèces de morts, les menaces, la faim, les tourments, les chevalets, les fournaises, le pillage, les guerres, les attaques, les combats, les divisions, les querelles : il met tout cela au nombre des faveurs et des bienfaits. Non, ce n’est pas seulement des biens que nous avons reçus ou que nous espérons, que nous devons nous réjouir ; nous devons même nous glorifier de nos maux, suivant ce gué dit saint Paul : Je me réjouis maintenant de ce que je souffre pour vous, et j’accomplis dans ma chair ce qui manque aux souffrances de Jésus-Christ. (Col. 1,24) Vous voyez une âme forte et courageuse, un cœur sublime et invincible, qui ne se glorifie pas seulement des couronnes, mais qui se plaît dans les combats ; qui ne se réjouit pas des récompenses, mais qui s’applaudit des difficultés qu’elles lui coûtent ; qui est moins satisfait des prix qu’on lui réserve que glorieux de tous les assauts qu’il lui faut soutenir. Ne me parlez pas de royaume céleste, de couronnes incorruptibles, de prix réservés à la persévérance ; présentez-moi les peines, les afflictions de cette vie, et je pourrai montrer qu’on doit s’en glorifier plus que de tout le reste. Dans les jeux profanes, lorsqu’un athlète a à lutter contre un autre athlète, le combat lui coûte autant de peine que la couronne lui cause de plaisir. Il n’en est pas de même dans les luttes spirituelles : les combats procurent plus de gloire que les couronnes. Pour vous en convaincre, considérez tous les saints de toutes les générations, comme dit l’apôtre saint Jacques : Prenez, mes frères, prenez pour exemple de patience dans les maux, les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur. (Jac. 5, 10) Celui même qui nous propose maintenant des combats utiles, qui nous ouvre une carrière spirituelle, je veux dire saint Paul, après avoir détaillé les afflictions sans nombre que les saints ont eues à souffrir, et qu’il ne serait pas facile d’exposer dans un discours, ajoute ces paroles : Ils erraient vêtus de peaux, manquant de tout, affligés, persécutés, eux dont le monde entier n’était pas digne (Héb. 11,37-38) ; et cependant ils étaient satisfaits au milieu de toutes leurs peines. C’est ce qu’on voit encore lorsque les apôtres étaient renvoyés après avoir été mis en prison, accablés d’injures et battus de verges. Que dit l’Écriture ? Ils sortirent du conseil remplis de joie de te qu’ils avaient été jugés dignes de souffrir des opprobres pour le nom de Jésus. (Act. 5,41)
4. C’est ce que nous avons vu de nos jours ; et pour reconnaître la vérité de ce que je dis, on peut se rappeler ce qui est arrivé dans le temps des persécutions. Attachée au chevalet, cruellement tourmentée et déchirée, toute couverte de sang, une vierge tendre, faible et délicate, était comme une jeune épouse, couchée sur le lit nuptial ; le désir du royaume céleste lui faisait supporter toutes ses souffrances avec satisfaction, et elle était couronnée au milieu même du combat. Examinez quel spectacle c’était de voir un tyran escorté de tous ses gardes, environné d’armes et de glaives menaçants, vaincu par une jeune vierge. Vous voyez donc que l’affliction même fournit un grand sujet de se glorifier ; et vous pouvez rendre témoignage à la vérité de mes discours. Avant que les martyrs aient reçu leur récompense, le prix de leurs combats et la couronne, lorsque leurs corps viennent d’être réduits en cendre et en poussière, nous accourons avec le plus grand empressement pour les honorer, nous convoquons une assemblée spirituelle, nous les proclamons vainqueurs, nous les couronnons pour les blessures qu’ils ont reçues, pour le sang qu’ils ont répandu, pour les afflictions, les peines et les tortures qu’ils ont essuyées. Tant il est vrai, je le répète, que les afflictions fournissent un sujet de se glorifier, même avant la récompense.
Songez combien Paul était grand, lorsqu’il habitait les prisons et qu’il était traîné devant les tribunaux ; songez combien il était illustre et distingué aux yeux de tous les hommes, et surtout de ceux qui lui faisaient la guerre et qui le persécutaient. Que dis-je, illustre aux yeux des hommes ? n’était-il pas plus redoutable aux démons lorsqu’il était battu de verges ? C’est lorsqu’il était chargé de liens et qu’il faisait naufrage : c’est alors qu’il opérait les plus grands prodiges, qu’il triomphait pleinement des puissances qui lui étaient opposées. Comme donc il était intimement convaincu que les afflictions sont profitables à l’âme, il disait : C’est lorsque je suis faible que je suis fort. Ensuite il ajoute : Aussi je sens de la satisfaction et de la joie dans les faiblesses, dans les outrages, dans les nécessités où je me vois réduit, dans les persécutions, dans toits les maux que je souffre, afin que la puissance de Jésus-Christ habite en moi[2]. (2Co. 12,10) C’est par cette raison encore qu’ayant à parler avec force contre des hommes qui avaient fixé leur séjour à Corinthe, qui s’estimaient beaucoup eux-mêmes, et qui condamnaient les autres, que, se trouvant obligé de prendre un ton de fierté dans son épître, et de nous tracer un portrait avantageux de lui-même, il ne se loue ni par les prodiges et les miracles qu’il a opérés, ni par les honneurs qu’il a obtenus, ni par la vie paisible qu’il a menée, mais par les prisons où il a été conduit, par les tribunaux devant lesquels il a paru, par la faim, le froid, les guerres et les persécutions qu’il a essuyées. Sont-ils ministres de Jésus-Christ ? dit-il ; quand je devrais passer pour imprudent, j’ose dire que je le suis plus qu’eux. (2Co. 11,23) Et comment prouve-t-il qu’il l’est plus qu’eux ? comment établit-il sa supériorité ? J’ai plus souffert de travaux, plus reçu de coups, plus enduré de prisons, je me suis souvent trouvé près de la mort, et le reste. S’il faut se glorifier, dit-il encore\it, je me glorifierai dans ma faiblesse. Vous voyez qu’il se glorifie de ses tribulations plus qu’on ne s’applaudit des plus brillantes couronnes, et qu’il dit en conséquence : non seulement, mais nous nous glorifions encore dans les afflictions. Que signifie non-seulement ? c’est-à-dire, non-seulement nous ne nous laissons pas abattre par les afflictions et par les peines, mais nous nous glorifions de ce qui nous arrive de fâcheux, comme d’un moyen de parvenir au comble de l’honneur.
Ensuite, après avoir dit que les afflictions sont la voie qui conduit à la plus grande gloire, un sujet de se glorifier et de s’applaudir, comme sans doute la gloire procure du plaisir, parce qu’il n’y a pas de vrai plaisir sans gloire ni de vraie gloire sans plaisir ; après avoir montré, dis-je, que les afflictions donnent de la splendeur et du lustre, sont un sujet de se glorifier, il rapporte un de leurs avantages, le plus important, un des fruits, le plus précieux et le plus rare qu’on en peut attendre. Voyons quel est ce fruit, cet avantage : Sachant donc, dit-il, que l’affliction produit la patience, la, patience l’épreuve, l’épreuve l’espérance ; et cette espérance n’est pas trompeuse. (Rom. 5,3-4) Qu’est-ce à dire : Sachant que l’affliction produit la patience ? Un des grands fruits de l’affliction est de rendre plus fort celui qui la souffre. En effet, comme les arbres qui sont entretenus à l’ombre et placés à l’abri des vents, quoique beaux et agréables à la vue, sont tendres et faibles, et ne tardent pas à être endommagés par les moindres orages ; au lieu que ceux qui sont placés sur le sommet des hautes montagnes, qui sont fréquemment battus par les aquilons, exposés sans cesse aux variations de l’air, agités par les plus violentes tempêtes, souvent frappés par les neiges, sont plus forts et plus durs que le meilleur fer ; comme aussi les corps qui sont nourris dans les délices, qui goûtent les plaisirs de toutes les espèces, qui sont revêtus d’habillements somptueux, qui font habituellement usage de bains et de parfums, et qui, sans besoin, choisissent les nourritures les plus délicates, ne sont nullement propres aux peines et aux fatigues que demande la pratique de la vertu, ne sont faits que pour les supplices rigoureux dont l’Écriture menace les pécheurs : de même, parmi les âmes, celles qui recherchent une vie douce et tranquille, à l’abri des maux, qui sont attachées par inclination aux biens présents, qui préfèrent de couler des jours exempts de douleur à l’avantage de souffrir, comme les saints, pour le royaume céleste ; ces âmes, plus faibles et plus molles que la cire, sont de nature à devenir l’aliment d’un feu éternel ; celles, au contraire, qui pour Dieu ne craignent ni les périls, ni les travaux, ni les tribulations, qui sont : nourries dans les afflictions et dans les peines ; ces âmes, dis-je, rendues plus fermes que le fer ou que le diamant, deviennent plus courageuses par l’habitude de souffrir sans cesse, et acquièrent un certain tempérament de force et de patience qui les fait triompher de tous les assauts des hommes et des événements. Et, de même que ceux qui s’embarquent pour la première fois éprouvent des vertiges et des nausées qui troublent leur tête et affadissent leur cœur, tandis que ceux qui ont parcouru de vastes étendues de mers diverses, qui ont bravé mille fois les flots, qui ont essuyé de fréquents naufrages, entreprennent avec confiance des voyages maritimes ainsi l’âme qui a passé par de fréquentes épreuves et de grandes afflictions, exercée dès lors à souffrir, ayant acquis l’habitude de la patience, n’est point tremblante et craintive, ne se laisse point troubler par les événements fâcheux ; mais, fortifiée par une fréquente étude et un continuel exercice des accidents de la vie, elle supporte sans peine les plus grands maux et les plus violentes persécutions. C’est ce que ce directeur habile d’une vie céleste voulait nous faire entendre par ces mots : non seulement, mais nous nous glorifions encore dans les afflictions. Il voulait nous apprendre que, même avant d’obtenir le royaume des cieux et les couronnes immortelles qui nous sont promises, nous tirons des afflictions continuelles cet important avantage, qu’elles rendent notre raison plus ferme et notre âme plus patiente.
Pénétrés de toutes ces vérités, mes très-chers frères, supportons courageusement les peines de cette vie, et parce que c’est la volonté de Dieu, et parce que c’est notre intérêt. Ne perdons pas l’espérance ; ne nous laissons pas abattre par la violence des tentations ; mais armons-nous de courage, et rendons grâces à Dieu pour toutes les faveurs dont il nous comble, afin que nous jouissions des avantagés présents et que nous obtenions les récompenses futures, par la grâce, la miséricorde et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l’empire, avec l’Esprit-Saint, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.