Jean Narrache chez le diable/01

La bibliothèque libre.
Les Éditions de l’homme (p. 9-10).


MISE EN GARDE À MES LECTEURS



Par déférence pour le Frère Untel, j’ai mis mon joual à l’écurie. Il se pourrait fort bien, cependant, que vous l’entendiez hennir ou ruer pendant que vous me lirez.

Je n’ai pas écrit dans le but de vous instruire. Je laisse cela à d’autres, et Dieu sait qu’ils sont légion. Comme Montaigne, « je n’enseigne poinct, je raconte ». (Linotypiste, laissez « poinct » tel que l’a écrit Montaigne lui-même. Ce n’est tout de même pas ma faute si le bonhomme orthographiait en joual).

Donc, je n’ai pas écrit pour vous instruire. J’ai tenté tout simplement de vous amuser en vous laissant le choix entre rire de moi ou de ce que j’ai écrit. Faire rire de soi, rien de plus facile. Par contre, rire de soi avec les rieurs est un plaisir que trop de gens se refusent et que je veux m’accorder.

Quand vous fermerez ce livre, même sans avoir eu la patience de le lire jusqu’à la fin, vous serez probablement tenté à votre tour de m’envoyer chez le diable. Vous auriez bien tort de vous gêner.

Grâce au droit d’auteur que vous aurez contribué à me faire verser en achetant mon livre, je pourrai avant peu voyager avec tout le confort et le luxe d’un délégué de l’ONU ou à toute autre machine aussi inutile ; à un congrès de l’éducation, par exemple.

Enfin, si vous tenez réellement à ce que je retourne chez le diable, hâtez-vous d’inciter vos amis à acheter mon bouquin. Plus il s’en vendra, plus tôt je partirai.

Vous voyez, je fais ma propre publicité. Après tout, et même avant tout, on n’est jamais si bien servi que par soi-même.