Jolis péchés des nymphes du Palais-Royal/07

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Chez Korikoko, Libraire du Palais (J.-J. Gay) (p. 40-44).

CONFESSION

DE ROSE-POMPON

Rose-Pompon s’avançant donc d’un pas vif et léger, montrant sur son joli minois toute la piquante friponnerie d’une charmante grisette, déclara d’abord que cette épithète de Rose-Pompon n’était qu’un nom de guerre qu’on lui avait donné sous les baraques du Palais, lorsqu’elle portait le fin carton en ville, étant dans ce temps chez une marchande de modes. Son véritable nom était Félicia…

À ce nom célèbre et sacré parmi les filles de Félicia, toutes se levèrent d’un mouvement spontané, comme pour témoigner leur profond respect et rendre hommage à la réputation d’une héroïne qui, dans les fastes de la galanterie, occupait une si glorieuse place. Notre nouvelle Félicia, après s’être également inclinée, confessa les erreurs polissonnes de sa plus tendre enfance, puis sa jeunesse ; après avoir fait une énumération prodigieuse de tous ses amants, qu’elle compta au moyen de son collier de petites perles à trois rangs, ce qui faisait à peu près sept à huit cents perles, et conséquemment autant d’amants, elle raconta en ces termes une espièglerie des plus ingénieuses qui lui était venue à l’esprit, lorsqu’elle était entretenue, rue du Mont-Blanc, par le sire Abraham, vieux juif de profession. Laissons-la donc parler elle-même ici.

— J’étais, dit-elle, au sein du luxe et du faste, rien ne manquait à ma félicité, l’or pleuvait des mains de mon juif, et j’étais devenue l’objet de l’envie et de la jalousie des femmes les plus huppées de la Chaussée-d’Antin ; équipages brillants, table exquise, meubles somptueux, maison de campagne, tous mes caprices les plus coûteux satisfaits à la minute ; rien ne manquait à mon bonheur, si ce n’est un homme selon mon cœur et mes passions favorites, car sire Abraham, dans son état de caducité, ne pouvait être cet homme-là. Quel supplice, par exemple, que celui de ses caresses ! et surtout quelle patience ! le chemin de Cythère était toujours semé pour lui d’obstacles invincibles ; et ce trajet charmant, qu’on fait sur les ailes du plaisir en quelques minutes, cette course si rapide, dans laquelle on s’approche de l’empire des dieux, n’était pour mon sexagénaire qu’une tâche laborieuse, fatigante, durant laquelle je pouvais bien lire cinq à six chapitres de roman, ou tirer des noyaux de cerises au plancher…

Lisette, ma femme de chambre, vraie soubrette de comédie, m’aida merveilleusement à m’indemniser avec un joli cavalier des dégoûts de mes cruels devoirs ; tantôt nous cachions notre jeune premier dans l’alcôve, tantôt dans l’armoire où je plaçais mes robes : il me vint une fois la folle idée de me le faire apporter par des gens dans un vaste sultan de satin rose, garni de fleurs ; blotti dans cet étui de soie dont les flancs étaient très amples, il se trouvait entièrement caché sous les garnitures bouffantes d’une robe de bal : sire Abraham applaudissait lui-même à mon bon goût, car pour la dépense il n’épargnait rien, vantait le travail de ces sultans qui sont devenus de galantes corbeilles de noces, et lui-même fit transporter par les valets, dans mon boudoir, ce grand meuble élégant qui contenait le plus aimable des fripons. Vous jugez quels étaient nos éclats de rire, nos délices, lorsque, nous dérobant à tous les regards, seuls dans le boudoir, je faisais sortir mon amant de sa prison de fleurs et de soie !… Le plaisir, on le sait, est centuplé par les obstacles ; un matin que nous étions à rire à gorge déployée aux dépens de notre vieille dupe, je l’entends qui frappe à la porte du boudoir, et, un filet de fils d’argent à la main, riant comme un vrai Cassandre, il m’annonce aussitôt d’un air moitié sérieux, moitié ricaneur, qu’il faut que ma pudeur se prête aux chaînes qu’elle doit porter pendant le temps d’un voyage qu’il a à faire…

Ici on conçoit toute l’attention que prêtaient nos nymphes assemblées au récit ; elles ne comprenaient pas comment on pouvait mettre des entraves à la volupté, elles qui n’en avaient jamais connues ! Enfin Félicia expliqua le procédé florentin dont prétendait se servir son payant :

— D’abord, continua-t-elle, sire Abraham me fit monter sur un sopha. Pendant ce comique manège, Dorival s’était caché adroitement derrière l’étui de ma harpe. Ensuite, m’ayant investi la ceinture d’un charmant réseau composé de mailles de fils d’or et d’argent enrichi de belles pierreries, il y fixa un cadenas sur le côté de la hanche gauche, côté du cœur, et se disposa, en tirant de sa poche une jolie petite clef, à fermer entièrement la porte aux amours… Je riais comme une folle ; l’idée de ce vieillard me paraissait si comique !… Prétendre interdire dans une femme tout accès au plaisir me paraissait d’ailleurs une entreprise si ridicule !

— Vous croyez, lui dis-je, en portant un doute injurieux sur ma fidélité, que de cette manière il me deviendrait impossible de…?

— Oui, de cette façon, ma petite, je serai bien plus tranquille sur ta vertu pendant mon absence…

— Le plus joli de l’histoire, ajouta follement la rusée Félicia, c’est que Dorival me baisait la main avec ardeur pendant cette vraie scène de comédie, et me montrait une seconde petite clef que le même artiste, qui se trouvait être un de ses intimes amis, lui avait fabriquée.

Toute l’assemblée battit des mains à cette fine espièglerie, en convenant que c’était le tour du meilleur ton que jusqu’alors on avait passé en revue. Félicia ajouta encore une nouvelle confession sur un procédé fort curieux qu’elle avait employé avec un autre entreteneur, pour le tromper ; c’était une coulisse pratiquée dans une boiserie et qui communiquait dans le logement de l’ami du cœur ; mais l’intérêt qu’elle avait inspiré dans ses narrations étant épuisé, elle borna là avec discernement ses aventures, tel qu’un grand artiste qui ne veut pas survivre à sa gloire, et fait une savante retraite au plus fort même de ses succès.

C’était à la sentimentale Adeline à faire connaître les détails de ses langoureuses amours ; mais comme il était déjà près de dix heures du soir, l’assemblée se sépara pour se livrer à tous les travaux de la nuit.

On ne manqua pas de se réunir le lendemain, séance tenante, et Adeline, tenant une guitare dans ses mains, fit entendre cette plaintive romance :