Jolis péchés des nymphes du Palais-Royal/12

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Chez Korikoko, Libraire du Palais (J.-J. Gay) (p. 67-69).

CONFESSION

DE FRASCA LA FOLICHONNE

Telle que vous me voyez, dit vivement Frasca, j’ai été élevée jusqu’à l’âge de seize ans comme une sauvage ; peut-être plus d’une parmi vous se dira malignement que je suis singulièrement changée à cet égard. Vous connaissez ce petit roman intitulé : la Cachette à mon oncle ; eh bien ! de même un cruel ravisseur me déroba à mes parents dans mon enfance et me rendit le point de mire de ses bizarres spéculations d’amour. J’étais alors l’Élève de la nature ; je la suis maintenant du plaisir. La mort de mon ravisseur me rendit au monde et à la liberté : que d’or me valut ma stupide ignorance ! C’était à qui aurait la jolie sauvage ; dans mes bras, l’homme se croyait à cet heureux âge d’or où la beauté n’avait d’autre voile que sa chevelure. J’étais une nouvelle Ève pour ces nouveaux Adams ; et l’on croyait retrouver en moi toute l’innocence et la fraîcheur du premier âge. Je m’enrichissais à un tel point, que, loin de paraître faire des progrès en civilisation, j’affectais de conserver mes manières furtives, mon air égaré. Je déchirais mes vêtements comme des voiles importuns, et courais embrasser avec passion le premier homme qui me tombait sous la main. Ce caractère extraordinaire séduisait, enchantait ; on me prodiguait les présents, et le soir, quand la farce était jouée, je faisais ma caisse, non en sauvage mais en personne d’esprit qui sait parfaitement calculer. On m’avait souvent parlé d’un personnage qui aimait à la folie les beaux ongles ; les miens étaient absolument comme de la nacre de perle : que d’or j’eus encore de cet entreteneur ; malheureusement vive, légère, étourdie, sans prévoyance, et vraiment folichonne, comme on m’avait surnommée, j’étais un véritable tonneau des Danaïdes. Plus je recevais, plus je dépensais. L’engouement de ma personne se passa ; car, vous le savez, tout passe. Je finis par tomber dans les bas grades de la galanterie, jusqu’à ce moment où je me relevai dignement, en entrant comme aspirante dans l’établissement fastueux de la Destain… On me demanda si je saurais bien jouer le rôle et les airs d’une bourgeoise de bon ton, et même d’une femme de qualité ; je répondis que, puisque j’avais fait la sauvage, je pourrais, à plus forte raison, jouer la bégueule. On m’admit donc, et après quelques épreuves difficiles, dans lesquelles je fis un rusé négociant, me trouvant d’une bonne force d’amateur, je fus reçue enfin au grand salon de compagnie. Là, je ne traitais qu’avec le colonel ou le magistrat, le comte ou le baron. Je savais élever mes manières au degré de ma position, et personne, mieux que moi, n’a soutiré une bague en brillants des mains d’un amant. Mes affaires allaient donc à ravir ; mais malheureusement pour moi, j’eus la bêtise de m’amouracher d’un auteur qui mangea mes économies, en attendant le succès équivoque de ses pièces ; la galerie me tendait encore les bras, je m’y jetai à corps perdu, comme dans le sein d’une mère. Depuis, vous le voyez, je me promène en folichonnant vis-à-vis la rotonde, en mystifiant les sots, en accueillant les jolis garçons, et en faisant : Je t’en ratisse, aux vieux qui n’auront jamais l’honneur de tâter de ma personne. D’ailleurs, honnête coquine, j’ai le cœur sur la main et demande humblement pardon de mes fautes de jeunesse.

Le ton semi-sérieux, semi-badin de Frasca plut beaucoup, et on l’assura qu’on la traiterait avec indulgence dans le jugement définitif.