Journal/Année 1887

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ANNÉE 1887


Jeudi 6 janvier.


Mon journal m’assomme tellement que je n’ai as eu le courage de le faire et que c’est Fernande qui écrit sous ma dictée — (aussi c’est que de sa main gauche ça ne va pas trop vite)1 — et pendant ce temps, elle ne peut pas faire le sien. J’ai tellement de choses à dire que je ne sais pas par où commencer.

D’abord, mon journal de communion, je le ferai séparément. Je crois bien que je mens moins. mais en revanche, je ne sais pas si je deviens moins paresseuse.

J’ai eu des quantités de choses pour le premier de l’an :

I. Maman : 1° Un coffret à bijoux bois d’olivier, appliques de nickel avec cuvettes, capitonné satin et velours. 2° Monocle avec vues. Quand nous sommes allées à Nîmes, maman en a acheté 6 qu’elle m’a données.

II. Tante Gabrielle, Tonton Lionel z Une boîte à gants maroquin rouge, coins nickel travailles. Au milieu, mon initiale très bien gravée.

III. Tante Alice z Carnet de visites rouge, coins d’acier.

IV. Les Tantes : boîtes de bonbons à doubles battants.

V. Tante Hélène : jeu de solitaire, jeu de dames, échiquier, cheval blanc.

VI. Alexandrine : sac de bonbons.

VII. Jeanne : porte-monnaie semblable au carnet de visites.

I. Observation de Fernande. VIII. Monsieur et Madame Vernhette : bonbons.

Je te remercie beaucoup Fernande. Va faire ton journal et dispense-toi de rire à cause de ton abcès. Merci, Fernande.

Vendredi 21 janvier.

Enfin, maintenant, j’espère que je manquerai moins mon journal car, comme je puis me servir de ma main droite, je serai moins paresseuse.

Lundi, Tante est partie pour Cherbourg, Tonton devant arriver le mercredi ; en effet, ce même jour, pendant le dîner, nous avons reçu une dépêche qui annonçait son arrivée, nous avons tous été bien contents en apprenant qu’il se portait très bien, et je lui ai écrit hier matin, j’y ai passé presque toute la matinée. Fernande et Henriette ont aussi écrit ; mais pendant ce temps, Mlle  Doseille1 est revenue du Havre et elle a dit à sa marraine : « Tais-toi, toi n ; alors, je lui ai dit que j’allais chercher maman, elle en a plus peur que du Charbonnier.

Je fais mon dernier mois de cours; je voudrais tant être 1re. Le mois dernier, j’ai été 2e, mais personne ne l’a su. Voici comment cela s’est passé : Mlle  Clavel me donne mon bulletin, je suis 4°, mais elle a oublie de marquer l’histoire naturelle. Alors, maman est allée la trouver et lui a tout expliqué en disant qu’avec cette branche, je devais être 2€. En effet, je l’étais, mais comme cela faisait changer toutes les places, maman n’a pas voulu qu’on le dise.

En ce moment, Fernancle apprend son Histoire, moi, je viens de le faire. Maman est à faire de la musique avec Mme Robert. (Je pense à présent que Charlemagne aurait bien voulu écrire comme moi qui n’écris pas déjà si bien que cela), car jeudi elle doit chanter à la chancellerie, c’est-à-dire chez M. Chancel 2, Maman y va tous les jeudis et chante toujours du Meyerbeer car M. Chancel en est entiché.

1. La petite Madeleine Corrard, cousine germaine et filleule de Marie. dite Douille quand elle n’était pas sage. 2. Recteur de l’Université. Voilà bien des jours que je fais mal ma prière, mais très mal. je tâche cependant d’y faire bien attention et comme je ne réussis pas, je ne peux pas m’empêcher d’admirer un saint dont on nous a parlé au catéchisme, qui s'accusait de n'avoir pas été attentif dans ses prières environ la durée d’un Are Maria, en six mois! C’est moi qui voudrais en faire autant! Malheu- reusement, je ne suis pas une sainte.

Vendredi 4 février.

Comme je fais mon journal irrégulièrement! Du 21 janvier au 4 février! Mais maintenant il va être plus régulier, voilà pourquoi : dernièrement, j’ai eu un peu de fièvre, en sorte que maman ne me fera apprendre pour le cours qu'une leçon par jour, Par conséquent, il en résultera que j’aurai beaucoup plus de temps, et je suis bien résolue de le passer à faire mon journal ; maman, à qui je viens de lire ce que j’ai écrit, se moque de moi en disant que je passerai ce temps à jouer.

Il y a une épidémie de rougeole à Montpellier et Carle a eu et a même encore un peu de fièvre, de sorte qu’on a eu très peur, croyant que c’était la maladie épidémique, les petites Chivaud l'ayantl. Henriette et Madeleine ont bien vite déménagé et sont allées à l’hôtel du Midi. Madame Legros les surveillait. Hier, tante Alice est venue les chercher. Elle est arrivée le matin et repartie ce matin; j'ai été avec maman à sa rencontre à la gare, j'ai déjeuné avec elle à l’hôtel ; nous avons été l’après-midi faire des courses et le soir nous avons dîné ensemble. Après le dîner, on a délibéré sur la rougeole, mais maman a fait chercher un landau et nous avons été chez Mme Vernhette où l'on a continué la conversation toujours croyant que Carle avait la rougeole. Là, enfin, nous avons vu ce que c’est qu’un moine pour chauffer les lits. Maman n’en avait jamais vu ; comme ça faisait gonfler un peu les couver

À l’étage au-dessus de l'appartement des Dauriac. tures, j’ai cru que c’était Kroumir, et je me suis demandé comment Mme Vernhette laissait coucher ce chien dans son lit. Hier, voici quels ont été nos repas à l’hôtel :

DÉJEUNER. DÎNER. Olives, clovisses. Potager Galantine truffée. Croquettes de volaille. Omelette. Croquettes de poisson. Noix de veau sauce champignons Noix de veau. Chicorée. Thon grillé. Gigot. Côtelettes, pommes de terre. Raves. Dessert. Dindonneau. Dessert.

Bref, c’était exquis.

Je crois que ça n’a pas été trop mal au moral : je fais mieux mes prières ; ah ! ce n’était pas de luxe !

Il faut que je termine pour raccommoder des boutons à mes pantoufles.

Lundi 7 février.

je n’ai qu’un tout petit bout de temps car nous allons dîner, alors je commence vite. Je suis assez contente de moi aujourd’hui, je n’ai pas perdu mon temps; seulement, je crois avoir fait une ou deux petites craques assommantes qui viennent me gâcher ma journée. En ce moment, Fernande fait son règlement de vie; moi, je viens d’avancer un bon bout de mon devoir de Monsieur le Curé. J’e5père le finir après-demain et le recopier jeudi.

Hier, j’ai lu dans Victor Hugo Lahon’s. En somme, c’est son histoire ; son éducation a été faite par un prêtre qui lui enseignait son à 12m près, car, comme il le dit, toutes les religions sont des à peu près et qu’un brise l’esprit des enfants en la leur enseignant, mais qu’heureusement il ne leur en restait pas toujours tant que cela, preuve : Voltaire. Où a-t-il la tête ? Eh bien, est-ce que c’est la chose que Voltaire a fait de mieux ? Est-il permis de penser comme cela? Dans Ses poésies, il a bien recours à Dieu ! Pourquoi blâme—t-il son culte ? Ce n’est pas non plus, lui aussi, ce qu’il a fait de mieux. Maintenant qu’il est mort, il ne doit plus penser comme cela. Ah ! ça, j’en ai bien la conviction.

Dimanche 13 février.

Encore une nouvelle entreprise ! Espérons qu'elle réussira ! J'ai entrepris de faire un idéal de la vie que je tâcherai de suivre autant que possible, mais je ne promets rien.

Fernande et moi, nous avons fait quelque chose qui a dû bien faire rire le diable ; qu'il a dû être en fête ! mais en revanche, pas nous : nous avons appelé Augustine « caux », et quand elle nous a demandé ce que cela voulait dire, nous avons répondu : « moqueuse » !

Lundi 14 février.

Oh ! que je suis contente! que je suis contente ! Voilà que quand je suis rentrée, maman m’a dit de remonter, parce qu'elle a des choses à ramasser ; moi, je remonte tout tranquillement, puis, voilà que quand je viens faire mon journal, je vois que maman a oublié une boîte sur la table. Je vais, je regarde, qu'est-ce que je vois ? un ravissant onglier, mais ravissant ! ravissant ! Aussi, tout à l’heure, je vais l’essayer et j’essayerai de tout ! de la lime, des ciseaux, de la brosse et de la peau. Plus tard, quand il y aura de la poudre dans la boîte à poudre, je ne manquerai pas de m’en servir.

Je viens de lire à maman les cinq lignes de là-haut, et voilà que nous sommes obligées par maman — (qui dit qu’il n’y a qu’une manière de réparer ces choses-là) — de dire à Augustine la véritable signification du mot « co » 1 — (pas caux, c a u x,

I. Terme de plaisanterie employé dans la famille de Marie Lenéru pour désigner les protestants: co-religionnaires. mais co c o). C’est ça qui n’est pas amusant ! Oh ! mon onglier est ravissant, et maman me l’a donné pour me récompenser d’avoir été 1re ; aussi je tâcherai d’avoir toujours de bonnes notes.

Je suis très contente de maljournéemorale d’aujourd’hui. Je n’ai pas fait de craques, j’ai bien fait ma pl’lère et je crois avoir été assez gentille, aussi, je suis bien contente. Pourvu que demain ce soit comme cela ! je l’espère.

Madame Legros est partie il y a quelques jours et nous a invitées à dîner pour quand nous passarons à Paris. Tant mieux, car elle est très aimable, mais elle est un peu drôle ; Par exemple, elle appelle son gendre ; « monsieur a) et lui l’appelle « madame » ; puis, elle a une horreur profonde pour l’embrassage. Ah ! quelle typesse !

Samedi, maman va au bal du recteur ; elle sera superbe. Quand je l’aurai vue, je donnerai la description de sa toilette.

Mercredi 16 février.

Je tiens aujourd’hui à écrire longuement ; nous sommes allées au cours comme a l’ordinaire ; c’est Marie qui nous y a conduites avec Carle. Nous étions arrivées trop tôt, Mademoiselle n’y était pas. Comme il fallait que Carle se promène, Marie a dit à Fernande : « Mademoiselle, nous n’avons pas le temps d’attendre, Madame m’a donné une lettre pour remettre à Mlle  Clavel, voulez-vous la lui donner ? — Certainement, dit Fernande. Mais voilà qu’elle reconnaît l’écriture de Tonton, et bien vite, elle s’empresse d’ajouter : (K Mais, après tout, Marie, puisque maman vous a dit de la remettre vous-même, vous le ferez ! »

D’où venait que Fernande changea si vite, dès qu’elle reconnut l’écriture de son père ? C’est que depuis longtemps, Tonton Lionel trouve qu’on nous donne trop à faire et qu’il a dit qu’il l’écrirait à Mlle  Clavel, de sorte que toutes deux, nous avons eu très peur en pensant à l‘accueil qu’elle allait faire à cette lettre : sûrement, elle va faire sa bouche! Heureusement qu’elle l’a lue pendant la leçon de M. Cabane et que je ne l’ai pas vue le faire, mais quel changement ! Voilà qu’elle a été charmante : une pluie de a minette » ce qui ne lui arrive pas tous les jours, et de plus, j’ai décroché un 10 pour mes dates, mais avec Mlle  Clavel, ça ne pouvait pas se passer comme cela ; nerveuse comme elle l’est — et maman l’a bien vu. En allant lui dire au revoir elle avait une palpitation si forte qu’elle en était toute tremblante. Elle a répondu à Tonton Lionel — je voudrais bien savoir ce qu’elle lui dit. Pauvre Mlle  Clavel !

La leçon de M. Cabane a été très intéressante ; elle était sur Molière; mais ce que je trouve de très triste c’est que ce pauvre Molière ait terminé sa vie comme pour rire, en jouant le malade imaginaire. C’est tout de même bien heureux qu’il soit français, car aucun pays ne peut lui opposer un rival ; il est universel comme disait un Anglais (mais ça n’empêche pas qu’il est toujours bien français).

Au point de vue morale, je ne me suis pas trop mal comportée, sauf encore quelques horribles petites craques qui m’assomment. Depuis avant-hier, je ne puis pas réussir à ne pas craquer au moins une fois, mais demain aussi faudra voir. J’ai oublié de dire qu’avant-hier soir, nous sommes allées au concert.

jeudi 17 février.

Un mot seulement, avant de dîner : la guerre ! On n’entend parler que de cela. Mon Dieu, mon Dieu ! que ce soit franc au moins ; si ça doit être la guerre, qu’on le sache, qu’on le dise ! — (que j’écris mal, aussi, je suis si pressée) — mais après tout, je ne crois pas que l’on connaisse l’avenir, sans cela, cette bavarde de presse aurait, il y a longtemps, crié cela sur tous les toits ; mais s’il y a la guerre et que je ne puisse servir qu’à faire de la charpie, c’est cela qui ne m’irait pas ! Encore si je pouvais aller dans les ambulances ; maman y aurait été si je n’étais pas là ; quelle scie patriotique ! Comme les enfants sont gênants tout, de même. Mais maman pourrait bien m’y mettre avec elle. Voilà tous les avantages que ça aurait : 1° rendre beaucoup de services ; 2° que maman pourra satisfaire l’envie qu’elle a d’y aller ; 3° et la mienne de pouvoir servir à quelque chose ; 4° de m’habituer à Voir du sang, à entendre les détonations et à ne pas servir à rien.

Les désavantages ? — Que ce serait très triste ; Il n’y en a pas d’autres. Il faut espérer cependant que la guerre ne viendra pas nous troubler, car, combien de gens mourraient ! Pourquoi vouloir toujours avoir tant de terrain que cela ? À quoi ça sert-il ?

Lundi 21 février.

Oh ! je me suis bien amusée aujourd’hui ! D’abord, en me levant, j’ai pris un bain de pieds, lorsque Fernande est arrivée avec tante Gabrielle et habillée en dame des pieds à la tête ! Moi, voyant cela, je me suis aussi déguisée avec une robe à maman et un jersey à tante Gabrielle, et nous sommes descendues chez Madame Vernhette avec Carle déguisé en bandit de l’Estramadure et avec un véritable poignard qui tue, me dit Fernande. De chez madame Vernhette, nous sommes montés chez madame Blanc, Didy était couchée avec une bronchite. Ayant fini nos visites, nous sommes redescendus et moi me laver, car dans ma précipitation, j’avais négligé mon lavabo. je finissais de me rhabiller, lorsque nous avons encore eu la visite de Fernande, qui vient nous dire que M. Gachon[1] était là. Et nous étions encore déguisés ; c’est pour le coup que j’ai été attrapée ! C’était à qui entrerait la dernière ! Mais nous n’avons pas eu de leçon de géographie, car on venait de décider que nous passerions la journée à Palavas, que nous partirions par le train d’une heure et que pour cela, il fallait déjeuner de suite. Lundi 28 février.

Aujourd’hui, je suis allée me confesser avec Fernande et maman ; je crois que j’ai fait des progrès, et j’en Suis bien contente : voilà assez de temps que j’aurais dû en faire.

Nous avons aujourd’hui composé en style ; le sujet n’était pas bien amusant : la description du café ; enfin, je crois que je ne m’en suis pas trop mal tirée.

L’autre jour, je m’étais arrêtée dans mon récit de la journée, aussi vais-je le reprendre. Nous sommes donc allées cette journée à Palavas, où nous nous sommes bien amusées et d’où j’ai rapporté des pierres et des coquillages.

Je trouve que j’ai beaucoup de mérite, parce que mon journal m’assomme ! que j’aimerais bien mieux lire les Quatre Filles du Docteur Marsch, que je suis même montée les chercher et en redescendant j’ai continué mon journal. Maintenant, il est vrai que je n’en ai pas dit bien long, mais je quitte pour lire.

Mercredi 2 mars.

Aujourd’hui, nous avons eu M. Cabane ; enfin, il n’a pas été trop ennuyeux. La leçon était sur Molière. Il m’a interrogée sur l’Avare. C’était de la chance; j’ai eu 9. Quant à mon Histoire, je me suis mise à la fin pour ne pas la réciter, car je ne la savais pas très bien. J’ai fait la désolée et, à vrai dire, j’étais enchantée.

Je crois qu’à part cette espèce de petit mensonge d’aujourd’hui, et j’en suis même sûre, je n’ai pas menti depuis ma confession. Ah ! si, pourtant ! Le jour même, j’ai dit que j’avais écrit ma composition de style aussi serré qu’une certaine chose que j’avais montrée à maman, et pas du tout ; je n’avais pas du tout écrit comme cela. Mais quel besoin a-t-on de mentir ? C’est assommant ! À quoi ça me servait-il ? Il faut absolument que je me corrige. Fernande qui croit même ne pas avoir exa été depuis sa dernière confession ! A propos de confession, ça me fait penser que je n’ai pas fait ma pénitence, aussi, tout à l’heure, vais-je la faire.

Hier, je suis allée au lycée de filles avec Tante et Fernande. C’est très bien organisé, mais la cuisinem’en fait horreur ! Je ne sais pas comment Tante a eu le courage d’en goûter ! J’ai beaucoup admiré l’ameublement de la directrice. Maintenant, j’ai fait assez de mon journal. Comme je veux assez m’avancer pour après-demain, entre autres, faire une lettre aux tantes, je quitte.

Vendredi 4 mars.

Je viens de finir ma lettre aux tantes ; j’ai bien peur qu’elle ne soit terminée en queue de rat ; mais en?n j’ai signé, et je ne puis pas la continuer.

Ce soir, qu’est-ce que je vais faire ? Je crois que je ferais bien de commencer mon histoire. Alors, il faut que je quitte. Puis, du reste, j’ai peur de me faire mal au poignet.

Mercredi 6 mars.

C’est épouvantable ! Mon quinquina diminue, ça, il n’y a pas de doute. Ce matin, j’ai fait une marque avec Fernande sur le papier, j’ai lavé mon verre. Ce soir, nous venons de nous apercevoir qu’il a sensiblement diminué, c’est intolérable !

Vendredi 18 mars.

Décidément, mon journal ne marche plus depuis quelque temps, il faut à présent qu’il soit d’une régularité à toute épreuve.

Hier jeudi, il a fait horriblement froid, aussi ne sommes-nous pas sorties ; j’en ai pro?té pour bien m’amuser ; d’abord, j’ai lu des quantités d’histoires dans le petit livre de Daudet qu’a Tante. Tous ces contes sont ravissants. Ceux que j’aime le mieux sont : la Dernière classe, les Vieux et le Sous-préfet aux Champs.

Dans les Vieux, il semble qu’on voit ces deux vieilles gens, les deseriptions sont si bien faites ! Ensuite, nous avons joué à. un jeu stupide ; Carle et moi nous étions des rats et Fernande, Raminagrobis. De temps en temps, elle venait nous surprendre, alors c’étaient des cris et des hurlements formidables. On dit bien que quand on parle du loup, on en voit la queue : hier, pendant que nous jouions aux rats, Fernande entre dans le cabinet de toilette pour nous surprendre. Qu’est-ce qu’elle voit... une souris qui dormait bien tranquillement dans la cuvette. Après, pour nous reposer, j’ai proposé que nous fassions une assemblée vertueuse et nous l’avons organisée.

Naturellement, Car le n’a pas voulu en être. Le code de cette assemblée est dans le livre que maman m’a acheté pour faire des vers.

Que nous avons fait de choses depuis que je ne continue plus mon journal !

Brest, samedi 21 mai.

Pauvre journal ! voilà bientôt trois mois que je ne l’ai fait ! Depuis ce temps, que de choses se sont passées ! D’abord, nous avons quitté Montpellier. Ah ! Ce n’était pas gai ! Le pauvre Carle avait beau lutter contre le sommeil, il a été obligé d’aller se coucher, et plus tard, Fernande a fait de même. Je suis restée avec elle dans sa chambre,

M. Gachon est venu nous dire au revoir et nous sommes. allées voir madame Chivaud ; elle est énormément sourde. Tonton Lionel et tante Gabrielle sont venus nous conduire à la gare. Nous nous y sommes pesés dans la balance à deux sous ; je pèse 25 kg. 500.

En marge : Qui m’aurait dit, en sortant de chez elle, que je le deviendrais encore plus qu’elle !

Le voyage a été assez agréable ; nous avions dans notre compartiment des gens qui étaient à Menton au moment du tremblement de terre. A Paris, j’ai vu Marguerite ; la pauvre fille ! En voilà une qui n’a pas de chance ! Prise de la rougeole juste au moment de sa première communion !

Arrivée à Brest, j’ai eu la rougeole ; ce n’est pas agréable du tout, surtout je mourais de soif. Je l’ai attrapée avec Alice Mathicu chez qui nous avons dîné.

Madame Michaud est arrivée pendant que j’avais la rougeole de sorte que je l’ai beaucoup moins vue. Ils sont repartis avant-hier en nous faisant promettre que nous irions à Brutul cet été.

Le premier jour que je suis descendue, j’ai trouvé deux magnifiques plants : un rosier de madame Michaud et un azalée de Tante.

Pendant ma rougeole, Catherine1 est venue très souvent me voir, elle m’a apporté deux petites corbeilles de fleurs et donné deux amours de petits serins. Maman m’a acheté une magnifique cage ou ils sont admirablement. Je les ai appelés Jeannot et Colinette. Malheureusement, je crois que je serai obligée de les séparer, car ils ne font que se battre.

Tonton m’a rapporté deux vases ravissants et il m’a donné le portrait de la Lionne et celui d’une chasse qu’il donna à des pirates. Tonton a pris des quantités d’armes aux pirates dont i1 orne son ancien bureau qui est maintenant le petit salon. Il y a des coupe-cous2, des revolvers, des fusils, des sabres, des lances, des hallebardes et des pavillons à hampes de cinq mètres que, naturellement, on a été obligé de scier.

En ce moment, il vient d‘arriver un horrible accident à bord du Duguesclin que commande M. Mecquet. En prenant le corps-mort il y a eu une manœuvre maladroite, et il y a eu trois hommes de tués et trente-huit de blessés dont dix-huit grièvement.

r. Catherine, nourrice de la mère de Marie Lenéru. 2. Coupe-coupes.

Dimanche 22 mai, 10 heures.

Je crois qu’il fera beau aujourd’hui. J’en serais bien contente, car vraiment, hier, le temps était abominable. Ce matin, Catherine est venue nous voir. Alain ne va pas mieux, c’est désolant. J’ai été bien contente, parce qu’elle m’a dit que ce n’était pas la peine de séparer mes oiseaux ; il paraît que les siens se battent tout autant.

Ce matin, maman m’a donné pour ma confirmation une

ravissante broche en or qui représente la foi, l’espérance et la charité ; elle est très belle, elle est en or massif, elle peut aussi se mettre en médaillon, j’en suis ravie.

Tonton Albert et tante Alice m’ont dit que ce serait demain qu’ils me donneraient leur cadeau ; j’en suis bien contente, car ils avaient d’abord dit que ce serait le premier jour de la retraite.

Ce matin, je n’ai pas fait ma prière, parce que je me suis dit que je la ferais à la messe. (Fernande m’avait dit qu’elle le faisait) et j’ai complètement oublié ; aussi je la ferai tout à l’heure. Je suis assez contente de moi, parce que je n’ai pas eu de distraction à. 1a messe, ce qui, malheureusement, est bien rare; mais j’espère que maintenant, je n’en aurai plus du tout.

Gabrielle B. de B. a eu une éruption de sorte qu’elle ne sort pas encore et que je ne l’ai pas vue depuis ma rougeole.

L’autre jour, maman a demandé à Monsieur le Curé s’il pouvait venir dîner le jour de ma confirmation. Il a répondu que ce jour-là, il n’avait pas beaucoup de temps, car il fallait qu’il reste au confessionnal, mais que s’il avait un peu de temps, il tacherait de s’échapper et de venir avec nous.

Maintenant, il faut que je laisse mon journal ; je pense que je le reprendrai plus tard, mais j’ai mon catéchisme à apprendre, car pour me mettre au courant, j’apprends tous les jours 5 leçons.

Mercredi 1er juin.

Je suis bien ennuyée, car nous ne serons pas con?rmées. Monseigneur est très, très malade, mais nous espérons que nous le serons vers la fin de l’année, sans cela, il faudrait attendre 2 ans, et c’est bien long. D’un autre côté, je n’en serais pas fâchée, si ce n’était la maladie de Monseigneur qui y mettait obstacle, car je ne me trouve pas assez sérieuse et assez instruite de ce sacrement, car malgré ce que j’en ai lu, je n’ai pas suivi le catéchisme, et je me suis surtout occupée de la communion.

Hier, c’était l’examen ; j’y suis allée, mais je n’ai vu ni Gabrielle, ni Mathilde ; j’espère qu’elles ne sont pas malades; Monsieur le Curé nous a interrogées deux par deux; la petite fille qui était en même temps que moi et qui était de 38 communion, a dit qu’il y avait 5 dieux, et a longtemps cherché avant de dire que c’était le baptême qui effaçait le péché originel. Je ne pouvais que bien passer, les questions sont si faciles.

Tonton Albert va me donner des leçons d’arithmétique tous les mercredis. Nous commencerons donc aujourd’hui ; la leçon sera Sur les fractions. Depuis lundi, je descends tous les jours à 9 heures pour aider Henriette à apprendre ses leçons, mais ce n’est pas bien régulier, car Tante étant couchée à cause de son vaccin, ne peut les lui faire réciter.

Il fait un temps superbe.

jeudi 2 juin1.

À deux heures, aujourd’hui, j’aurai donc 12 ans. Je veux commencer cette nouvelle année par plus d’application à me corriger de mes défauts et de régularité dans mon journal ; c’est aussi dans l’année de mes douze ans que je serai confirmée. Je veux donc bien me préparer à ce grand acte, car c’est un sacrement qu’on ne reçoit qu’une fois et qui imprime dans l’âme une marque ineffaçable; je ferai encore ma deuxième

En marge : 12 ans. Ajouté postérieurement. communion, ma troisième avec Carle ; je suivrai le catéchisme de persévérance; si, avec tant d’aide, je n’arrive pas à. m’améliorer un peu, je serai bien coupable.

Hier, j’ai appris avec peine que Monseigneur était mort. Pourvu que Monsieur le Curé n’aille pas le remplacer ! Mais c’est égal, je serais bien contente d’être confirmée par lui.

Hier, j’ai été sur le cours, j’y ai vu Gabrielle et Mathilde et en rentrant, j’ai fait la connaissance de madame Agnan. Je trouve qu’elle a une bien grande facilité d’elocution. Elle nous a raconté d’un curé de l’île d’Aix qui avait entrepris sa conversion. C’était à mourir de rire.

Demain, nous irons à bord de la Tempête. Quelle chance, nous nous amuserons bien.

Vendredi, 3 juin.

Hier, lorsque je suis rentrée, maman m’a dit : <1 J’ai quelque chose pour toi » et elle m’a donné un ravissant bracelet d’argent qui brille comme des diamants ; j’étais d’autant plus contente que maman m’avait dit que mon cadeau de confirmation étant très beau, il serait à 1a fois celui de mes douze ans. Pour le dîner, il y a eu deux gâteaux délicieux, j’en ai eu une part énorme et le plat à gratter, et puis, nous avons bu à la santé de toute la famille.

Hier, je suis allée au catéchisme. On a distribué des images et Monsieur le Curé, pour les écouler, a posé des questions, et quand on y répondait, on avait une image ; mais je n’ai pas osé me lever. M. Talabardou m’a donné tout de même une image. Monsieur le Curé nous a raconté la mort de Monseigneur. Il est mort comme un saint, il n’a pas manqué une fois de dire la messe quoique malade. Il l’a même dite le jour de sa mort. Comme il sentait qu’il allait mourir, il est allé dans une de ses salles de réception, revêtu de ses habits sacerdotanx. On est venu en procession lui porter le viatique. Il était entouré de beaucoup de prêtres et de personnes. Après leur, avoir dit adieu, il a pris sa croix, l’a embrassée, puis, quelques instants après, il rendit le dernier soupir. Il a eu sa connaissance jusqu’au bout ; cependant, par moment, il avait le délire et ne faisait que parler de confirmation. Le jésuite qui nous prêchera la retraite assistait à sa mort, c’était de lui que M. le Curé avait eu tous ces détails.

Après le catéchisme, au lieu du Pater et de l’Ave qu’on dit généralement, nous avons dit un De Profundis pour Monseigneur.

Samedi 4 juin.

Hier, je suis donc allée à bord ; malheureusement, Henriette n’est pas venue, car elle avait un pensum. Je trouve la Tempête un très beau bateau. J’aime beaucoup son pont troué et toutes ses passerelles ; il y en a quatre ; à l’avant tout à fait, il y a une immense grue qui sert à remettre les ancres en place. Derrière, il y a une tour dans laquelle est deux canons. En faisant tourner la tour, on peut diriger les canons comme on veut ; après, commence l’espèce de coupée et enfin, à l’arrière de chaque côté, il y a une passerelle. Comme la grue gênerait pour le tir des canons, en temps d’attaque, on la baisse, et c’est justement cet exercice que Tonton a fait faire hier. Nous avons visité l’intérieur du bâtiment escortés de deux marins tenant une bougie, car c’est très sombre. C’est un bateau bien curieux que cette Tempête. Elle est divisée en compartiments séparés les uns des autres par une grande porte en fer. Donc, si la Tempête était fendue par le milieu, il n’y aurait qu’un petit compartiment de perdu, l’avant et l’arrière du bateau en formeraient deux séparés.

C’est demain que commence la retraite ; elle se fera encore avec plus d’ordre que l’année dernière, car M. Kerloëgen a prié toutes les maîtresses de lui faire savoir dimanche à midi, le nombre exact de bancs nécessaires pour leurs enfants.

Aujourd’hui, malheureusement, le temps n’est guère beau,

pourvu que ce soit autrement jeudi.
Dimanche 5 juin.

Je n’ai que bien peu de temps, car il est 6 h. et quart, mais je tiens à venir dire que j’ai été à la retraite. Le prédicateur est bien mieux que celui de l’année dernière ; aujourd’hui, il nous a parlé de l’influence de la 1re communion sur toute la vie et pour que tous nous la fassions bien ou la renouvelions bien, il nous a demandé de dire tous les jours un Ave les uns pour les autres.

Aujourd’hui, l’église était toute tendue de noir, à cause de Monseigneur ; c’est demain à 8 heures qu’on dira un office pour lui, alors on manquera le premier exercice. »

Samedi 11 juin.

Je fais donc maintenant partie du catéchisme de persévérance ; j’en suis bien contente. Il est probable qu’Henriette fera sa première communion l’année prochaine ; ce serait très agréable, je ferais ma troisième en même temps qu’elle.

Jeudi, M. et Mme  Willotte, Anne, M. le Curé et Mme  Agnan sont venus dîner. Plus je vois M. le Curé, plus je le trouve bon et aimable.

J’ai eu bien peur mercredi de ne pas avoir la contrition parfaite, mais maman m’a dit que, puisque je désirais beaucoup l’avoir, et que je faisais tout ce que je pouvais pour l’avoir, c’est que je l’avais ; alors, cela m’a rassurée. Je suis invitée aujourd’hui à aller passer la journée au jardin de Gabrielle Delorme et de rester dîner chez elle.

M. Gatine est arrivé hier soir.

Dimanche 26 juin.

Je suis extrêmement paresseuse pour faire mon journal et aujourd’hui je ne cache pas qu’il m’assomme. Ce n’estvpas comme Mlle  Courbebès qui, en trois mois, en avait écrit 1.500 pages. Décidément, j’ai honte de moi ; je ne sais pas faire un point ; hier, maman a surfilé la doublure d’une robe qu’elle me fait ; j’ai mis une heure à faire 1 m. 80.

Aujourd’hui, je crois que Tonton nous mènera à la campagne.

Je cesse. Peut-être reprendrai-je plus tard ; mais comme j’ai fait beaucoup de piano, j’ai peur d’avoir mal au poignet.

Lundi 27 juin.

Aujourd’hui je me sens très bien diSposée pour faire mon journal ; pourvu que ça dure longtemps comme ça, c’est tout ce que je demande.

J’ai bien hâte d’être confirmée, mais je trouve que dans les livres de piété, on ne parle pas assez de la Confirmation ; c’est pourtant, à mon avis, le plus grand sacrement ; le Baptême, qu’aussi on ne reçoit qu’une fois, n’est pourtant pas aussi grand, car on n’a pas encore sa connaissance ; l’Eucharistie est certes bien important, mais on peut le recevoir plusieurs fois ; il ne reste donc à lui comparer que l’Ordre ; mais l’Ordre n’est pas la descente du St-Esprit dans le cœur, donc c’est bien la Confirmation qui est le plus grand de tous les sacrements.

Cependant, dans le livre de Mme de Flavigny, on parle de la Confirmation et on cite trois paroles de l’Écriture Sainte : « N’éteignez pas le St-Esprit ». On éteint le St-Esprit par le péché mortel ; donc, je veux dès maintenant me corriger de mes défauts, de peur de commettre un péché mortel et de ne plus avoir le St-Esprit.

« Ne contristez pas le St-Esprit. » On contriste le St-Esprit par le péché véniel et comme malheureusement il est impossible de ne pas commettre de péché, le seul remède que je vois, c’est d’aller se confesser très souvent. J’irai tous les mois.

La troisième parole est : « Ne résistez pas au St-Esprit. » C’est-à-dire de ne pas faire toutes les bonnes œuvres que le St-Esprit nous fait voir qu’il faut faire ; donc je veux m’habituer à faire tout le bien possible, pour que quand je serai confirmée, je ne puisse pas résister au St-Esprit.

Les péchés dont j’ai à me corriger sont : le mensonge, car quoique je trouve que je mente beaucoup moins, je déguise souvent la vérité, par exemple pour donner plus d’intérêt à une histoire que je raconte ; puis, je ne suis pas toujours gentille pour mes amies et pour Henriette, mais en particulier pour Mathilde qui m’agace. Il y a des moments où j’ai envie de la claquer. Ainsi, avant-hier, nous jouions à la corde ; je disais de la faire grande à cause de mon chapeau, et la voilà qui s’amuse adonner des coups de poing dessus. Je ne fais pas non plus assez attention aux observations que maman me fait et c’est pourtant une des choses qui devraient m’aider à me corriger. Puis, je trouve que je m’occupe de l’effet que je peux produire, et je trouve que c’est peut-être mon plus gros péché, car il peut vous faire poser et il n’y a rien dont j’ai plus horreur que ça. Je devrais plutôt m’attacher à plaire au bon Dieu.

J’ai encore un autre défaut ; c’est que je ne fais pas assez attention dans mes prières, et quand je suis à l’église. Voilà donc beaucoup de péchés, et pourtant, je ne suis pas encore bien vieille ; il faut absolument que je me corrige, car dans un sermon de la retraite, on nous a dit que, plus l’on allait, plus les péchés s’aggravaient. Mais ce qui est encore bien pis, c’est que quand je vais me confesser, je ne regrette pas assez tous ces péchés-là ; aussi pour que j’aie la contrition parfaite dans la confession qui précédera ma Confirmation, je dirai tous les jours, matin et soir, une dizaine de chapelet.

Maintenant que j’ai vu tous mes défauts, il faut que je voie les vertus qui leur sont opposées pour que je les pratique, car, comme on nous l’a dit aussi pendant la retraite, il n’y a pas seulement des péchés d’action, mais il y a aussi les péchés d’omission. Désormais, je pratiquerai donc toutes les vertus que je pourrai, mais particulièrement la franchise, la charité, l’obéissance, la piété et la simplicité, et je viendrai tous les jours à mon journal dire le résultat de mes bonnes résolutions.

Mardi 28 juin.

Je suis bien contente de ma journée d’hier ; pourtant, je trouve que j’ai un peu fait des embarras ; aussi aujourd’hui, je compte faire bien attention, car c’est un défaut que je ne peux pas voir chez les autres.

Je compte demander à maman d’aller me confesser, mais je ne sais pas trop comment le lui demander ; pourtant j’en ai bien besoin.

Vraiment, je ne sais pas jusqu’où ira la République ; voilà que maintenant, on oblige les séminaristes à aller se battre, Mgr Freppel avait bien raison de dire : « C’est dommage qu’on n’ait pas encore admis les ecclésiastiques au ministère de la guerre. »

Ma littérature est délicieuse. Aujourd’hui, j’en ai appris l’introduction ; le style est élégant, léger, net et poétique. Il y a une description de la Grèce ; c’est quelque chose de ravissant. Maintenant, je laisse mon journal pour aller au piano.

Mercredi 29 juin.

Hier soir, j’ai demandé à maman d’aller me confesser. Naturellement, elle m’a dit oui. Jamais ça ne m’a tant ennuyée d’aller me confesser que cette fois-ci, aussi j’ai hâte d’en être débarrassée. Je ne suis pas si contente de ma journée d’hier que de celle d’avant-hier. J’ai fait quelques petits mensonges. Mon Dieu ! que c’est ennuyeux ce péché-là. Je n’ai pas non plus bien fait mes prières ; tout ça, je suis sûre que c’est parce que je n’ai pas fait de lecture religieuse, aussi, de suite après mon journal, j’en ferai.

Il faut que je demande à maman de m’expliquer les sept dons du St-Esprit, car je ne les comprends pas du tout, et pourtant, il faut bien que je les comprenne, puisque je vais être confirmée.

Gabrielle B. de B. a copié une comédie que nous devons jouer sur le Cours[2] ; elle s’appelle La Journée de la Princesse, ce sera très amusant.

Jeudi 30 juin.

Gabrielle m’a donné sa comédie pour que je copie mon rôle ; je fais une grande-duchesse.

Je suis assez contente de ma journée d’hier, quoique je me sois assise sur un banc et que maman me le défendait. Combien la Sainte Vierge devait être heureuse ! quand je pense que dans toute sa voie, elle n’a pas commis un seul péché.

Mon petit morceau de Schumann commence à très bien venir. Maman dit que je ne le jouerai pas mal du tout.

Hier, j’ai bien ri ; j’ai été acheter des bonbons au vieux bonhomme : je lui ai demandé de me donner des roses, il me donne des blancs ; je lui répète : « Non, des roses » — alors il me met des violets. Henriette qui était là, me souffle qu’il ne sait pas ses couleurs. Je pars d’un formidable éclat de rire ; le pauvre vieux me regarde, et pour ne pas qu’il croie que ce soit de lui que je riais, j’ai dit à Henriette : « Veux-tu bien ne pas faire tant de grimaces. »

Vendredi 1er juillet.

Voilà donc un nouveau mois qui commence ; je veux prendre de bonnes résolutions, et pour tâcher de bien les suivre, je lirai dans le livre de Mme  de Flavigny le règlement de vie pour le mois. Je compte aujourd’hui entrer à l’église pour mettre mon mois sous la protection du Ciel et pour tâcher de me bien préparer à une communion que je voudrais faire le 15 août ; mais si je ne me trouve pas assez bien préparée, je ne le demanderai pas à maman. Je suis bien contente de pouvoir commencer ce mois en disant dans mon journal qu’hier, j’ai fait une bonne action, car j’ai résisté à Gabrielle B. de B. qui me turlupinait pour que j’achète une glace et maman m’avait défendu d’en prendre sans lui en demander la permission. Je suis contente de mon journal d’hier, car je ne vois pas ce que j’aurais pu faire.

J’ai peut-être dit deux ou trois petites choses “qui n’étaient pas l’exacte vérité, mais sans avoir l’intention de tromper. Je vais très probablement faire partie de l’œuvre de la propagation de la foi ; voilà une belle œuvre. Je voudrais qu’il y eût tant de monde à en faire partie et que les missionnaires puissent avoir tant de secours, qu’il n’y ait plus dans le monde entier que des catholiques. Voilà au moins une œuvre qui contribue à la gloire du bon Dieu ! Je serai bien contente quand j’en serai.

Samedi 2 juillet.

Voilà déjà quelque temps que je fais mon journal assez régulièrement, aussi j’ai beaucoup plus de goût à le faire.

Je vais, à partir de maintenant, m’occuper énormément de mes fleurs. Hier, j’ai trouvé mon pauvre rosier en proie à des milliers de petits pucerons ; j’en ai ôté pas mal, mais Mme Lavise m’a dit qu’un seul puceron faisait huit petits par jour ; donc, en admettant que j’en aie laissé 8, aujourd’hui il y en aura 56 ; par conséquent, il faut que je recommence encore aujourd’hui la même histoire, alors, j’y vais.

Dimanche 3 juillet.

Nous revenons de la messe ; moi qui m’étais tant promis d’être bien attentive, je m’y suis très mal tenue ; j’ai gigoté tout le temps ; j’ai laissé tomber mon livre, je n’ai presque pas lu ou bien je lisais autre chose ; il est vrai par exemple que j’étais fatiguée. Enfin, dimanche prochain, je m’y tiendrai mieux.

Hier, je me suis bien amusée ; nous sommes allées à Kergleuz. Nous avons fait le chemin avec Mme  et Mlle  D. Nous avons passé presque toute notre après-midi chez Mme  de la P. En revenant, nous avons rencontré M. A. et V. Mlle  D. ne les aime pas, elle les trouve trop poseuses, du reste, je ne les aime pas davantage.

Je quitte mon journal pour aller à mes plants. Ma foi, voilà Henriette qui monte faire le sien, alors je continue. Qu’est-ce que je pourrais bien dire ? Ah… probablement, j’irai au cours Salvagnac ; je le voudrais bien ; au moins là, je ferai du travail sérieux.

Lundi 4 juillet.

Aujourd’hui, je vais dire tout ce que j’ai envie de savoir : 1° Avoir pas mal d’instruction. 2° Être extrêmement forte en piano. 3° Savoir l’anglais. 4° Savoir un peu de dessin. 5° Etre très forte en ouvrage manuel et 6° savoir suffisamment de cuisine ; j’aurais bien de la peine à savoir tout ça, j’ai si peu de temps ! Aussi je ne perdrai pas un instant, et sitôt après mon journal j’irai étudier mon piano.

Maman a trouvé mon journal d’hier trop court ; il faut donc que je fasse celui-ci plus long, mais je ne sais que dire, ma foi, aussi je m’arrête.

Mardi 5 juillet.

Hier, j’ai lu dans l’Enéide, un passage de Pêcheur d’Islande. J’ai trouvé cela très joli[3]. Justement, en regardant l’Illustration anglaise, j’ai vu une image qui représentait de pauvres gens chassés de leur chaumière parce qu’ils ne pouvaient pas la payer, et je me suis dit qu’il fallait que je fasse une histoire là-dessus — (puisque j’ai la manie d’en faire) — au lieu de faire toujours des aventures belliqueuses ; alors, après mon journal, je ferai le plan de mon histoire ; je la soignerai le mieux que je pourrai, car c’est un joli sujet et qui mérite d’être bien traité ; avant de commencer à m’y mettre, je ferai une petite prière au bon Dieu pour lui demander de m’inspirer et que je ne fasse pas trop mal mon livre.

Depuis quelques jours, je suis assez contente de moi : seulement, je ne fais pas très bien ma prière du matin, parce qu’Alexandrine entre dans la chambre, et que je n’aime pas faire ma prière quand il y a quelqu’un là.

Hier soir, nous sommes allées sur le Cours avec Tonton et nous nous sommes bien amusées, parce qu’il y avait beaucoup de monde. Malheureusement Gabrielle n’y était pas.

Mercredi 6 juillet.

Enfin ! j’ai fait le canevas de mon histoire ; je trouve qu’elle sera très jolie ; aujourd’hui, il s’agit de la commencer, c’est à mon avis la chose la plus difficile. Tous les lundis, je prendrai l’habitude de corriger l’ouvrage que j’aurai fait dans la semaine, et j’espère que comme ça, je réussirai à faire quelque chose de pas trop mal ; je dédierai mon histoire à Fernande. Hier, nous sommes allées sur le Cours — (le soir, bien entendu) — je m’y suis bien amusée ; je trouve que mes jambes reviennent, mais pourtant pas complètement. Depuis déjà quelque temps, je suis assez contente de moi au moral, et j’espère que ça durera.

Jeudi 7 juillet.

Je suis excessivement contente ; je vais entrer au cours Salvagnac ; je serai dans la même classe que les Gouzien et qu’Emma Mousnier, et puis, j’apprendrai le dessin ; voilà qui est amusant ! Ce matin, j’ai mis en prose une fable de La Fontaine. Je suis très contente de ce devoir, je crois qu’il est bon. Si j’ai fait ce petit bout de journal, c’est pour pouvoir dire que je l’ai fait, mais maintenant, je Vais aller à mon piano, car je veux être très forte.

Vendredi 8 juillet.

J’oubliais littéralement de faire mon journal ; il est vrai qu’il m’ennuie énormément ! je ne sais que dire. Je suis contente de moi au moral et j’espère que ça continuera. Je quitte pour aller au piano. J’étudie l’accompagnement de Dites, la jeune belle, où voulez-vous aller ?

Dimanche 10 juillet.

Hier, j’ai complètement oublié de faire mon journal. Ce n’était pas par paresse, dame ; mais j’ai complètement oublié. C’est égal, comme avant j’avais fait un devoir très long et si, après, j’avais fait mon journal, mon poignet s’en serait peut-être ressenti. Ce matin, nous sommes allées à la messe ; j’avais ma messe que pendant l’évangile. C’est insupportable d’être comme cela, enfin, dimanche prochain, nous verrons.

Maman me lit les Girondis alors je laisse ; c’est-à-dire non, je continue, parce que maman m’a dit que si je ne continuais pas, elle ne me laisserait pas mon petit thé de porcelaine de Saxe que tante Gabrielle m’a donné et qu’Alexandrine est en train de chercher ; et comme j’en ai une envie bleue, je continue donc, mais je ne sais pas que dire.

Je m’occupe plus que jamais de ma collection de timbres ; j’ai changé à Amélie Gautier un timbre des États de l’Église pour un timbre du Pérou et un autre de Suisse ; maman avait reçu d’une carte de Mme  Bertin deux timbres du Japon ; j’en ai changé un à Gabrielle, mais elle ne me l’a pas encore rendu.

Marie de Champeaux m’a promis un timbre du Japon rose ; j’ai hâte qu’elle me l’apporte.

Lundi 11 juillet.

Maman m’a donc laissé mon petit thé, il est ravissant et très complet ; il y a une cafetière, une théière, un pot à lait, un sucrier et puis une espèce de grand saladier pour mettre les fruits et tout cela est intact. Je trouve Mathilde plus gentille depuis quelques jours ; aujourd’hui, je dois lui apporter la Petite Duchesse ; hier, elle me l’a demandé.

Nous nous amusons beaucoup sur le Cours avec les bancs, nous installons des chevaux. C’est excessivement commode et amusant, il ne nous manque que les rênes, mais ce n’est pas grand’chose, car on les fait très bien avec un bout de ficelle.

Dimanche 17 juillet.

C’est aujourd’hui la fête de N.-D. du Mont-Carmel ; hier, je suis allée me confesser ne comptant pas du tout communier aujourd’hui, mais M. le Curé m’a dit que je ferais bien de le faire, et j’ai donc communié ce matin ; je m’y suis préparée le mieux possible naturellement. Cependant, je trouve que je n’aime pas assez N.-S. Jésus-Christ, pourtant je l’aime beaucoup, beaucoup. Mais à mesure que je grandirai, je connaîtrai mieux le bon Dieu, et je l’aimerai mieux.

Je suis très contente parce que mardi, nous devons aller passer la journée à Kergleuz et y rester dîner ; je m’amuserai bien. Malheureusement, Anne-Marie D. n’y sera pas ; mais c’est égal, je ne risquerai pas de m’ennuyer ; j’espère aussi que M. Burle sera mieux, car alors tout le monde sera plus gai. M. et Mme  Caubet ne vont pas tarder à partir et je crois que c’est pour cela que nous allons à Kergleuz. Quoique ce ne soit pas une très jolie campagne, je l’aime beaucoup et pendant ma rougeole, je ne faisais qu’en parler ; et puis, on va jouer chez Mme  de la Porte où il y a une balançoire et où l’on peut se faire des maisons.

Mardi 26 juillet.

Voilà bien des jours que je n’ai fait mon journal, et absolument par pure paresse, car j’en avais bien le temps et encore aujourd’hui, si je le fais, c’est, parce que maman m’y a forcée ; mais à présent, je suis bien disposée, car je me suis fait une bague et je me suis dit que pour que je sois digne de porter cette bague-là, il faut que Je mène une Vie exemplaire. Pourtant, elle n’a rien d’extraordinaire, c’est une bague toute simple, blanc mat et rose, mais à cause de l’importance que j’y ai attachée, j’espère qu elle m’aidera à être plus sage.

Mercredi 27 juillet.

C’est demain la distribution des prix à l’école des frères ; elle sera présidée par l’abbé Dulong ; nous irons tous ; Mme  Agnan aussi.

Si je suis venue faire mon journal, c’est pour pouvoir dire que je l’ai fait, car je ne sais trop que dire.

Je me suis mis dans la tête d’élever une fougère ; il me semble que ce sera très amusant ; je la soignerai énormément jusqu’à ce qu’elle soit devenue un arbre ; je compte la demander à Mme  Biacabe, qui en a des masses dans ses bois.

Dimanche 31 juillet.

Mon journal m’assomme littéralement ; seulement maman m’avait dit de le faire ce matin, et comme je ne l’ai pas fait, elle veut que je le fasse maintenant, ce qui m’ennuie beaucoup, car Henriette devait monter et que nous aurions planté un noyau de pêche. Heureusement qu’après mon journal j’irai la chercher et je compte bien m’amuser, car elle ne monte pas bien souvent.

Je suis excessivement contente, parce que Tonton Lionel, tante Gabrielle, Carle et Fernande viendront passer l’été prochain avec nous à Douarnenez. Comme nous nous amuserons ! Voici ce que nous ferons : Maman et moi irons à la communion de Carle à Montpellier ; nous ramènerons Fernande, puis, quelque temps après, Tonton, Tante et Carle viendront et nous partirons pour Douarnenez où nous passerons tout l’été, et quand tout le monde s’en ira, maman et moi partirons avec eux ; je suis folle de joie ! Aussi je vais tâcher, par une vie exemplaire, de bien mériter ce bonheur.

L’autre jour, Gabrielle B de B. m’a fait bien plaisir ; il paraît qu’une petite fille ne doit pas tendre la main la première quand elle va dire bonjour, et elle ne voulait pas me dire que je le faisais, parce qu’elle ne voulait pas que maman le sache, et qu’elle m’a dit que si on me le demandait, j’étais trop franche pour ne pas dire la vérité.

Mardi 2 août.

Avant-hier, j’ai fait un bien horrible journal ; mal écrit, et qui n’a pas de sens ; aussi j’étais tellement pressée d’aller planter mon noyau de pêche ! Mais aujourd’hui, que je n’ai rien à planter, je vais bien le faire.

Hier, comme de coutume, je suis allée sur le Cours. Nous avons naturellement joué à la dame. Gabrielle et Henriette étaient nos sœurs, nous nous amusions beaucoup ; nous faisions semblant d’aller à bord d’un bâtiment que commandait Mathilde ; mais voilà qu’en revenant à terre, elle dit à Gabrielle et à Henriette de marcher devant. Gabrielle ne veut pas et reste de mauvaise humeur ; chez nous, elle pousse Henriette — (pour jouer, bien entendu) — et la fait tomber par terre. Mathilde lui ordonne d’aller dans sa chambre pour la punir et aussi en lui disant que les enfants ne restaient pas toujours sur le dos des parents. Gabrielle se fâche, dit qu’elle a seize ans, que Mathilde est tout le temps à lui faire des observations — (c’est un peu vrai, mais aussi Gabrielle veut tout commander) — enfin, elles se brouillent ; moi, je ne disais rien, je trouvais que toutes les deux avaient raison, ou plutôt tort. Je tâchais simplement de les racommoder car moi, ça ne m’amusait pas du tout. Nous ne jouions pas, elles ne se parlaient pas, ou, si elles se parlaient, c’était pour se dire des choses désagréables. Ça ne pouvait pas durer comme ça, et pourtant ça a continué jusqu’à la fin de la journée, et quand je suis partie, elles n’étaient pas encore réconciliées ; mais Gabrielle m’a promis qu’avant que Mathilde parte, c’est-à-dire tout à l’heure, à 10 heures, elles se raccommoderont.


Dimanche 7 août.

Vraiment, aujourd’hui, sauf que je n’ai pas bien fait ma prière, je suis très contente de moi ; j’ai été très attentive à la messe et j’ai pris de bonnes résolutions et je vais tâcher de finir ma journée comme je l’ai commencée ; d’abord, aujourd’hui, comme c’est dimanche, il faut que je sanctifie bien ma journée ; je lirai quelques bons livres et au lieu de dépenser mes deux sous j’irai en mettre un dans le tronc des pauvres, ce ne sera pas grand’chose, mais ce sera toujours une privation que je me serai infligée et qui, j’espère, fera plaisir au bon Dieu.

Je suis bien ennuyée, car Fernande a pour la troisième fois la fièvre typhoïde et il paraît que le système nerveux s’en mêle ; mais cette pauvre Fernande a du moins un grand plaisir, c’est qu’elle a deux religieuses comme gardes malades et moi qui la connais, je suis sûre que ça la fera peut-être moins malade.

Lundi 8 août.

En résumé, la journée dont je viens rendre compte a été assez bonne ; j’aurais dit tout à fait, s’il n’y avait pas eu un ou deux petits écarts des sentiers de la vérité, mais ça a été bien peu de chose, aussi je dois avouer que sur ce point, j’ai remporté une victoire presque complète. Reste à faire ainsi de tous mes autres défauts et alors, je serai contente. J’ai aussi à me reprocher d’être depuis quelques jours, fort paresseuse pour mon piano et comme maman désire que je le fasse, ça devient donc aussi de la désobéissance. Ah ! j’ai bien besoin d’aller me confesser, mais je ne sais jamais comment demander cela à maman ; pourtant, je ne suis pas comme cette pauvre Fernande ; je suis sûre qu’on me dira oui ; enfin, je compte m’exécuter aujourd’hui et le demander à maman.


Mardi 9 août.

Aujourd’hui, j’irai me confesser, mais comme je compte communier le jour de l’Assomption, j’y retournerai dans quelques jours. J’ai préféré y aller deux fois pour que la seconde fois, je n’aie à m’occuper que d’avoir la contrition. Je veux très bien me préparer à ma communion et pour cela je m’imagine que mon âme est un jardin, que les qualités sont des feuilles et les vertus des fleurs, que les sacrements, la messe, les prières et les bonnes œuvres sont les treillages, les tuteurs ; que la terre, ce sont les mérites de N.-S. Jésus-Christ et que l’eau qui arrose les plantes, c’est la grâce ; les loches, la mauvaise herbe, toutes les choses nuisibles, ce sont les défauts ; que les instruments aratoires sont les prières que les saints et les anges font pour nous et qu’enfin le grand jardinier du jardin, est N.-S. Jésus-Christ. Il y a à ce jardin une grande porte qui est la volonté ; il faut fermer cette grande porte au monde pour ne pas que les défauts et les vices y entrent. Il ne faut pas non plus que j’oublie de dire que Fernande va beaucoup mieux ; nous en sommes tous bien contents.


Brutul. Lorient, samedi 20 août.

Je dois avouer que si je suis venue faire mon journal, c’est que maman m’y a obligée, car je n’étais pas du tout disposée à le faire ; je jouais au croquet, seule, il est vrai, mais je m’amusais beaucoup et l’idée de le quitter ne me réjouissait guère ; enfin, puisque maintenant j’y suis, ce que j’ai de mieux à faire c’est de ne pas le bâcler.

Nous sommes donc parties le mardi matin à 10 heures. Alexandrine est venue nous conduire et Tonton nous a rejoints à la gare. Mme de P. et sa fille partaient aussi ; je crois qu’elles changeaient de résidence, car elles avaient six malles et trois ou quatre colis, le renouvellement du Voyage de M. Perrichon. Nous avons fait le trajet jusqu’à Kerhuon ; nous avons changé de train à Landerneau ; nous étions dans le même compartiment qu’un monsieur et une dame qui bien des fois m’ont donné envie de rire ; ils faisaient un voyage d’agrément pour visiter le pays, ils prenaient des notes et comme il n’y avait qu’un crayon, ils s’en servaient chacun à leur tour. Le monsieur était obèse et la dame n’était pas à plaindre. En s’asseyant, elle avait, relevé sa robe presque jusqu’aux genoux en sorte que j’ai pu bien juger de son embonpoint ; à un moment, j’ai cru qu’ils allaient se disputer ; malheureusement, ils se sont tus ; ça m’aurait tellement amusée de les entendre… La dame, comme son de voix et comme manière de porter la tête m’a un peu rappelé Mme Buz… mais en plus mal ; puis le monsieur a mangé du pain et de la galantine truffée dans des petites assiettes de poupée, et la dame, une tarte aux mirabelles. Nous, nous étions les mieux partagées ; nous avions emporté des gâteaux, des pêches et du raisin.

À Quimper, il est monté un monsieur-tout parfumé et qui se peignait la moustache avec un peigne encore de poupée ; il était accompagné d’un soldat, comme lui tiré à quatre épingles ; ils ont tout le temps causé armée et politique ; ce qui m’a fait le bien juger, c’est qu’à Rosporden ils ont jeté de l’argent à un joueur de cornemuse. Ils sont descendus à Quimperlé. Maintenant, assez parlé des compagnons de voyage. Parlons un peu de nous et de nos impressions. En quittant Brest, j’avais emporté un jeu de taquin auquel j’ai joué, mais sans réussir. Il ne faut pas oublier non plus de dire que j’avais un voile et que j’en étais très fière. La route a été délicieuse ; d’abord, la magnifique vue qu’on a sur la rade et ensuite l’intérieur des terres, les propriétés, etc., etc. Mais ce qui m’a le plus frappée, ce sont les environs de Chateaulin ; c’est quelque chose de charmant, ces petits coteaux tout verdoyants et cette jolie vallée où passe la rivière toute bordée de peupliers. L’horizon était excessivement pur, ce que j’ai fait observer à maman qui m’a raconté que M. Delorme lui avait dit qu’aux environs de je ne me rappelle plus quelle ville près de Nancy, l’horizon est tellement clair que l’on voit d’un côté le soleil se jouer sur les vitraux de la cathédrale de Metz qui est à 15 lieues.

Enfin, nous sommes arrivées à Lorient ; Mme  Lejeune, Mme  Michaud, Charles, Hélène et Jeanne nous y attendaient. La famille Michaud nous a laissées pour rentrer à Lorient et nous nous sommes rendues à Brutul. On déplore aussi la sécheresse : rien ne peut pousser. Comme j’ai la main fatiguée, je m’arrête, mais je continuerai demain.


Dimanche 25 septembre.

Comme je fais mon journal avec peu de régularité, je devrais en être toute honteuse ; je ne le suis pourtant pas ; je ne prends pas mon journal assez au sérieux, cependant, j’y mets bien tout ce que je fais et tout ce que je pense, mais le rôle que j’ai à jouer dans la vie est si secondaire que je ne fais rien de bien important… C’est mal, ce que je dis, car c’est me plaindre de la vie que je mène, qui pourtant est une des plus heureuses que je connaisse et il ne tient qu’à moi de la rendre plus importante. Ce que je dis ici n’est point de l’orgueil, car si je désire avoir une vie plus importante, ce n’est pas pour qu’on parle de moi, au contraire, mais c’est pour ne pas être « un inutile fardeau pour la terre ».

Mardi 27 septembre.

En ce moment, il tombe une pluie torrentielle, si torrentielle que j’ai été obligée de laisser mes plantes que je soignais, de rentrer mon bégonia et mon pélargonium et de couvrir mes oiseaux. Je dois beaucoup remercier le bon Dieu de cette bonne pluie — (bon, il faut que j’aille chercher des serpillières ; Veau coule à torrents des fenêtres) — car sans elle, je serais restée sur le balcon et je n’aurais pas fait mon journal. Heureusement, ce n’était qu’un grain ; voilà la pluie finie, le nuage parti, le soleil nous inondant de lumière et le ciel d’un indigo admirable. De la fenêtre où j’écris, on ne voit pas un seul nuage. Mon Dieu, comme votre ciel est beau ! Maintenant, je vais découvrir mes oiseaux et sortir mes plantes, car il faut bien que tout le monde profite du beau temps que le bon Dieu nous envoie.

Va, ma pauvre France, Le bon Dieu te punit ! Tu le chasses de partout, de tes villes, de tes campagnes, eh bien ! Lui, vient de faire arriver l’horrible incident de la frontière qui va peut-être nous amener la guerre ; c’est horrible d’y penser. Mon oncle nous a dit hier que dans une partie de chasse qu’avaient fait plusieurs officiers sur la frontière française, il a été tué un piqueur et estropié un officier de dragons par des balles venues de la frontière allemande. L’officier a perdu les deux jambes. Les docteurs qui ont soigné ces pauvres gens ont reconnu que les balles étaient des balles de guerre et on pense qu’elles ont été tirées par des douaniers.

Moi, s’il y a une guerre, mon rôle est tout trouvé ; d’abord, pendant que maman travaillera aux vêtements de soldats ou à autre chose ; je tiendrai la maison, je ferai des bandes et je les roulerai, et je tâcherai d’être capable de faire des vêtements, ANNÉE 1887 53

mais ce que je voudrais et que je désire ardemment, c’est d’al- ler dans les ambulances.

Vendredi 30 septembre.

Maintenant que voici la saison des catéchismes recommencée je tiens absolument à faire bien régulièrement mon journal, car non seulement je serai contente deretrouver ces détails pieux plus tard, mais ils pourront peut-être intéresser Fernande qui n’a pas comme moi le bonheur de suivre la Persévérance.

C’est cette année qu’Andrée Lefèvre fait sa première com- munion, nous ne sommes donc pas seules au catéchisme. Hier, j’étais entre Henriette et elle, car comme il n’y avait pas de bancs à la sacristie, Les troisièmes et les suivantes étaient dans l’église ; pour le premier jeudi tout le monde est réuni. Du reste, cela n’a pas d’importance, puisqu’on ne fait que don- ner les places, prendre les noms et faire les recommandations, C’est M. Kerloëguen qui a parlé. Il nous a dit d’être bien atten- tives et bien pieuses à l’église, puis nous avons fait une petite prière pour que l’année du catéchisme soit bien bonne. Je me suis assez bien tenue, seulement j’ai un peu ri pendant les cantiques, car nous nous trompions presque tout le temps.

(Je trouve que j’ai beaucoup de mérite car pendant que je fais mon journal, Henriette apprend son credo en latin, tout haut, et que je lui dis ce qu’il faut dire sans m’impatienter. J’en ai pourtant bien envie.)

J’irai demain avec maman et Henriette me confesser. Ça m’ennuie même un peu, parce que hier, nous nous sommes un peu moquées du petit D. Pas précisément moqué, car Louise Gouzien dit même que nous n’avons pas commis de péché, mais c’est égal, j’aime mieux m’accuser. Je viens de faire mon examen de conscience et je suis désolée de voir que je retombe toujours dans les mêmes fautes ; il est vrai que je les fais bien moins grandes ; par exemple quand je mens, c’est en exagéra- tion ou en enjolivant un fait et ainsi pour tout. Mais ce qu’il faudrait, c’est m’en corriger complètement. Eh bien, je ne désespère pas, surtout si je fais tous les jours un peu de lecture religieuse. Je voudrais bien que ce que disait un saint prêtre fût vrai : « Je réponds du salut d’une enfant qui ferait tous les jours 5 minutes de méditation. »

Gabrielle B. de B. est arrivée mardi ; elle a entrepris de m’apprendre l’anglais ; je ne demande pas mieux. Annie doit être notre professeur de prononciation. Gabrielle voudrait tout faire comme moi : ou que je n’aille pas au catéchisme ou qu’elle y aille, Elle est toujours un peu brusque, mais aussi simple et aussi gentille que lorsqu’elle est partie.

Après-demain, commence le catéchisme de persévérance ; c’est M. Le Gall qui doit prêcher ; il nous l’a dit lui-même hier lorsque nous sommes allées au presbytère pour présenter Hen- riette à ces messieurs. Je ne l’ai pas encore entendu prêcher.

Maintenant je vais terminer mon journal ; d’abord je n’ai plus rien à dire et Henriette s’ennuie.

Samedi 1% octobre.

Comme il n’est que huit heures dix et que je ne me mets au piano qu’à 9 heures, j’ai un peu de temps pour écrire mon journal.

Il fait bien mauvais aujourd’hui, il pleut beaucoup ; je ne désire qu’une chose, c’est que cela continue ; c’est une drôle d’idée, mais voilà pourquoi : comme c’est aujourd’hui que je dois aller me confesser, après, il faudra que je m’observe beaucoup et comme c’est généralement sur la promenade que je fais des péchés, je serais bien contente si la pluie pouvait m’empêcher d’y aller ; demain, je n’aurai rien à craindre, puis- que j’aurai la messe et le catéchisme de persévérance. Pour jeudi prochain, j’ai appris mes leçons, puis j’ai lu la rédaction pour elles. Dans les premières Leçons, cette lecture ne me ser- vira pas beaucoup, maïs alors vers le milieu, je ne pourrai pas m’en passer.

Hier à diner, nous avons causé religion, et Tante m’a expliqué ce que c’était que les Jésuites ; moi, je trouve que c’est un grand soutien pour l’Église catholique et que si cet ordre n’existait pas, dans peu de temps la vraie religion serait abso- lument anéantie en France. Cependant, le jésuitisme fait bien tort au clergé séculier, en ce qu’il écrème tout ce qu’il y a d’in- telligent et qui voudrait se faire religieux. Les jésuites ne sont pas très francs non plus, cela les rend moins estimables.

On a aussi parlé de l’Apocalypse ; je voudrais tant lire cela. Je parie que cela me ferait peur et que j’en deviendrais meil- leure, Pour le moment, je me contenterai 4e lire mes livres de piété qui sont aussi bien bons.

C’est une pauvre femme bien intéressante que Mme Gous- guen : elle est veuve, sans pension, et a quatre enfants ; aussi, dès que j’aurai fini le « nuage » que je fais à maman, je lui ferai un ouvrage au crochet pour ses enfants et Henriette lui fera de même un jupon de laine.

Je me suis remise à mon journal, un peu aux dépens de mon piano, que je n’ai pas très bien étudié. Enfin demain je l’étu- dierai mieux. Non ! demain c’est dimanche, mais après-demain.

Mon Dieu, mon Dieu, que j’ai donc hâte à demain ; je n’au- rai plus un seul péché sur la conscience !

3 heures x /2. — Que je suis contente ! Je me suis tout à fait bien confessée, seulement, comme j’avais des choses qui m’en- nuyaient à dire, je me suis surtout occupée d’avoir le courage de les dire, en sorte que je ne me suis pas excitée à la contri- tion ; mais j’ai dit à M. le Curé que je trouvais que je ne regret- tais pas assez mes péchés, alors il m’a dit qu’il suffisait de de- mander de tout son cœur au bon Dieu de vous les faire regret- ter ; comme je le Lui ai bien demandé, je suis très tranquille. Je m’observe beaucoup, jusqu’ici je n’ai pas fait de péchés, mais je crois que je n’ai pas été tout à fait assez attentive en disant ma pénitence qui était une dizaine de chapelet. Je suis contente de moi, parce que j’ai su être complaisante en termi-

“nant à Andrée /a Bouillie de la comtesse Berthe qu’elle m’avait vivement demandée ; et en la recommençant à Marie Michet, Après tout, ce qu’il y a eu de difficile, c’est de m’y mettre, car après, ça n’a rien été et j’ai été bien contente.

En rentrant, nous avons été bien étonnées en voyant un grand rassemblement à l’entrée de la court ; j’ai su par Alexan- drine que c’était simplement un jeune matelot de la cour qui s’était grisé et que des agents de ville étaient venus le rame- ner, je crois. Je n’en écris pas davantage, car je vais aider Henriette à apprendre son Credo, auquel elle s’est mise bien gentiment quoique cela l’ennuyât beaucoup ; je n’ai eu besoin de lui dire de s’y mettre qu’une fois.

Dimanche 2 octobre.

Nous revenons de la messe de 9 heures : j’y ai été très atten- tive, j’ai lu tout le temps. En en revenant, nous sommes allées chez Dusseuil commander des gâteaux, puis chez Le Glio, m’acheter un caoutchouc. Ce caoutchouc est très joli, cepen- dant je lui en veux beaucoup, parce qu’il m’a fait faire un péché ; maman m’expliquait pourquoi elle l’avait acheté : que c’était pour préserver une très belle redingote neuve qu’elle va me faire faire. Cette redingote sera en peluche et j’ai commencé par dire que je l’aurais préférée en drap — (parce que la pe- luche grossit, mais je ne lai pas dit) — et à la fin, j’ai fait deux mensonges : d’abord en disant que je me représente toujours la peluche à longs poils — c’était un peu vrai, mais un peu seulement — alors maman m’a dit que la peluche était comme celle du manteau de tante Gabrielle, et j’ai fait sem- blant de croire que ce manteau était en fourrure, donc quatre péchés : celui d’avoir ergoté, celui de coquetterie puisque c’était pour paraître plus mince que j’en voulais un en drap) — et les deux mensonges.

Le prône dé la messe d’aujourd’hui a été lu par M. Kerloë- guen. Il n’y à pas eu d’évangile lu ; le prône n’a été simple-

1. Cour intérieure des anciennes maisons Hollard-Dauriac, rue de Siam. Nate 2007

ment que sur N.-D. du Rosaire — (autrefois N.-D. des Vic- toires) — dont c’était la fête aujourd’hui.

Demain, maman va à Morlaix chez l’abbé Dulong, mais comme elle ne veut pas que les bonnes le sachent parce qu’elles feraient de suite des commentaires, elle dira simplement qu’elle va faire une visite à la campagne, du côté de Lander- neau, ce qui, du reste, est vrai.

Lundi 3 octobre.

Je crois vraiment que le catéchisme de persévérance me fera beaucoup de bien. Je suis placée entre Nanine et Louise. Nous touchons l’autel de St-Joseph. Nous sommes tout un petit groupe composé des Gouzien, de Marie de Champeaux, de Mita Legros, de Marie de Sagäzan et de moi. En face de nous, il y a mademoiselle Lafaille et la demoiselle Lemoine qui habite en face de chez nous. J’ai été même très ennuyée de l’y voir, parce qu’autrefois, je lui avais tiré la langue, mais j’espère qu’elle l’a oublié.

C’est sur la chasteté, la simplicité et la modestie qu’a été le sermon. M. Le Gall prêche très bien. Il a tout le temps com- paré ces trois vertus à des fleurs, des sensitives extrêmement . délicates, et il nous a montré que parmi les saints, ceux que nous préférions étaient ceux qui avaient pratiqué ces belles vertus, comme Ste Cécile et St Jean l’Évangéliste. En effet, j’aime beaucoup ces deux saints. Et il me semble qu’il n’est rien de plus joli que la simplicité. On nous a bien recommandé d’aimer cette qualité et d’être tellement simple que ça aille jusqu’à être une vertu. M. le Curé, qui après est monté en chaire, nous a donné comme exemple Ste Cécile.

Mardi 4 octobre.

Hier soir, à diner, nous avons eu une bonne scène. Catherine est venue rapporter à maman l’argent des quelques objets qu’elle avait vendus dans la journée, Il paraît que Catherine ET à

avait rendu trop et maman voulait lui faire reprendre dix francs. Mais elle ne voulait pas accepter, disant qu’elle était déjà bien heureuse d’avoir eu vingt francs. Maman, de son côté, ne voulait pas les garder, de sorte que Catherine et elle se sont disputées. Maman lui disait qu’elle donnerait les dix francs à ses petits-fils si elle persistait à les refuser ; alors, Ca- therine a fait mine de se retirer et Tante l’a retenue par la robe et à la fin, elle a fini par céder, mais non sans dire qu’elle fai- sait là un vol manifeste. Puis, elle est allée faire des jérémiades à la cuisine, où, naturellement, personne n’a été de son avis,

Mais c’est égal, malgré tout, maman a eu bien plus d’argent qu’elle ne le pensait et elle m’achètera une table à ouvrage et un parapluie à manche d’ivoire, ce dont je suis très fière.

Ce matin, il y a eu un feu de cheminée dans le fourneau de la cuisine des Leroux et Léon et M. Kerbrat sont allés l’étein- dre. Cela n’a rien été, heureusement.

C’est aujourd’hui qu’on prend des livres à la bibliothèque Ste-Anne ; j’ai demandé à maman d’y aller, elle m’a dit que oui. Je voudrais bien prendre la vie de Ste Cécile si elle y est et si je peux la lire, puisque c’est cette sainte qu’on nous a donnée comme exemple à la Persévérance.

Hier, j’ai fait ma lecture de piété dans le livre de Mme de

” Flavigny ; j’aime beaucoup ce livre ; j’y ai lu les vertus à prati- quer et les deux vertus que je veux avoir sont la simplicité et la pureté, du reste l’auteur de l’Imitation a dit que c’étaient les deux ailes de l’âme pour voler au ciel. Aujourd’hui ma lec- ture sera sur la conscience, il y en a très long dans mon livre.

Au cours Salvagnac, jeudi 17 novembre.

Ce pauvre journal ! Maintenant que je suis au cours, je ne pourrai que bien rarement le faire ! Aussi vais-je supprimer les choses purement physiques et réduire mon journal à un simple compte rendu de mes actes.

Voici bientôt près d’un mois que j’ai pris une bien.sérieuse PR te

décision : c’est celle d’entrer en religion ; Andrée et Henriette sont mes deux confidentes. Combien j’ai hâte à l’été prochain, pour pouvoir confier mon secret à Fernande qui sait com- prendre ! Mais ce que jedésirerais bien vivement, c’est qu’après avoir passé mes années de jeunesse dans un ordre de mission- naires, une fois arrivée à un âge où je ne pourrai plus rendre au- tant de services, entrer en un cloître austère et me préparer à mourir en sainte. Si Dieu me trouvant assez bonne pouvait me décerner la palme du martyre, mes plus grands vœux seraient exaucés. Je crois devoir ces résolutions qui me semblent bon- nes au récit des persécutions des martyrs qu’on vient de nous faire au cours. Grâces leur en soient rendues que mon cœur n’écoutant que ma reconnaissance adresse à Dieu une prière qui augmente leur bonheur,

Ilme semble que j’ai fait d’énormes progrès — (on peut bien mettre cela dans son journal) — surtout au point de vue de la charité.

Pour la simplicité, je n’en ai pas fait autant que je l’aurais désiré. Malheureusement, je m’impatiente et je suis quelque- fois impolie avec maman.

Quoique j’aime beaucoup mon cours, je trouve qu’avec mes devoirs, je n’ai pas assez de temps pour penser, lire et m’étu- dier. Cependant, l’Évangile que nous y apprenons m’intéresse énormément. L’Écriture sainte contient des choses bien conso- lantes, mais elle en renferme aussi d’autres bien effrayantes, par exemple celle sur laquelle a roulé notre leçon de samedi.

« O Dieu, vous devant qui les Anges mêmes ne sont pas purs » et cette autre : « O Jésus qui n’avez pas horreur du cœur immaculé de Marie ». — Ce mot horreur, c’est bien à nous qu’il devrait se rapporter. Quand je pense que des créa- tures aussi peu dignes de considération comme nous ont trouvé le moyen de se révolter contre la volonté divine, tandis que des anges et des saints, êtres si sublimes, se sont courbés devant elle, je m’indigne contre moi-même. Si cette indigna- tion pouvait porter des fruits !

Le catéchisme d’aujourd’hui a roulé sur nos fins dernières JAN LL MARIL LIENLERKRU

et on nous a cité cette parole de l’Esprit-Saint : « Si les hommes pensaient toujours à leurs fins dernières, ils ne pécheraient jamais. » En effet, il n’est pas une pensée plus effrayante que celle-là, et c’est en y pensant que je me rends à mon devoir qui est de faire ma rédaction. Il faut donc que je quitte ce cher journal. J’ai bien peur d’en être séparée pour longtemps.

Lundi 28 novembre.

Maman a lu mon journal de jeudi ; je l’ai bien regretté, parce qu’elle s’est moquée de moi. Pourtant, je n’ai pas du tout changé d’avis pour la question des ordres, mais j’ai complète- ment changé sur ma façon d’envisager la religion ; tandis qu’avant, me fiant d’un peu de mérite pour gagner le ciel, m’appuyant sur la grande miséricorde de Dieu, il me semblait qu’il était absolument impossible d’aller en enfer, maintenant j’ai compris qu’il fallait travailler, travailler et persévérer, qu’il ne fallait pas se contenter du bien, qu’il fallait rechercher le mieux.

Maman me disait l’autre jour que les femmes mariées avaient bien plus de mérite que les religieuses. Jene comprends pas cela. Comment, voilà des filles qui quittent leurs parents, leurs amis, tout ce qu’elles ont aimé, qui renoncent aux plai- sirs, qui ne mènent qu’une vie de travail, qui font des chrétiens dans tous les pays, qui travaillent sans relâche pour la gloire de Dieu au péril même de leur vie ! je ne peux pas comprendre qu’une femme qui a son foyer, qui reste chez elle, se repose, sises enfants lui donnent de la peine à élever elle en jouit plus tard ! Non, je ne peux pas comprendre cela. Naturellement, je ne parle pas des religieuses cloîtrées ; elles ont tous les bonheurs et je trouve même dans plusieurs des entrées dans ces cloîtres une certaine nuance d’égoïsme et une certaine carmélite dont Tante nous a parlé hier est à mon avis une lâche, une ingrate, et une égoïste,

  1. Professeur de l’Université de Montpellier, qui avait entrepris de faire aimer la géographie par ses petites amies Fernande et Marie.
  2. Cours d’Ajot.
  3. Le texte manuscrit porte, sans aucune ponctuation, la phrase suivante : Hier j’ai lu dans l’Enéide un passage de pêcheurs d’Islande j’ai trouvé cela très joli.