Journal (Eugène Delacroix)/11 octobre 1848

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 394-395).

Jeudi 11 octobre. — À Fécamp l’après-midi.

Nous allions surtout pour voir Mme Laporte[1] ; j’y suis arrivé seul, en attendant Bornot et sa femme. La pauvre dame ne voulait d’abord recevoir personne, mais en apprenant mon nom, elle m’a fait venir près d’elle ; je l’ai trouvée dans ce qui était sa salle à manger sans doute, parce que cette pièce est au rez-de-chaussée et plus à portée pour les soins que son état exige, mais seule dans un petit lit, toute diminuée elle-même et dans un grand état de maigreur. Elle a éprouvé beaucoup de sensibilité en me voyant ; je lui rappelais des moments et des personnes disparus depuis longtemps, au moment où elle sent bien qu’elle va tout quitter à son tour. J’ai tenu avec plaisir sa main maigrie et ridée.

Bornot et sa femme sont survenus. Elle nous a parlé de ses maux, ce qui est tout simple, mais avec une grande liberté, plaisantant même avec cette humeur qu’elle a toujours eue. Nous l’avons quittée au bout de quelques instants. Ce spectacle m’a beaucoup touché.

Nous sommes entrés un instant dans ce salon où elle ne doit plus rentrer et où nous avons passé des moments si gais avec le bon cousin, avec Riesener, avec tous les originaux qui composaient sa société, et qui m’ont bien l’air de ne guère s’informer d’elle à présent.

Nous allions vers le port, au-devant de Gaultron. Nous sommes revenus sans avoir été jusqu’à la mer, ce qui a été pour moi une mystification.

Passé assez de temps à voir chez un orfèvre des pendeloques anciennes du pays, et revenu plus tard à Valmont par une pluie qui me gâte bien ce pays-ci.

  1. Madame Laporte, veuve de l’ancien consul de France à Tanger.