Journal (Eugène Delacroix)/12 avril 1854

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 328-329).

Champrosay, 12 avril. — Parti pour Champrosay. La pluie a commencé juste au moment où nous quittions Paris pour aller à Champrosay. La sécheresse vraiment extraordinaire qui dure depuis six semaines affecte les campagnards.

Ce soir, promenade avec Jenny vers Draveil parla plus belle lune du monde. Le temps est entièrement remis.

J’ai emporté avec moi la fin de l’article de Silvestre[1], qui me concerne. J’en suis très satisfait. Pauvres artistes ! ils périssent si on ne s occupe pas d’eux. Il me met dans la catégorie de ceux qui ont préféré l’opinion de la postérité à celle de leur époque.

Avant dîner, nous avions été avec Jenny voir la fontaine. Baÿvet a fait ébrancher ces beaux saules et ces beaux peupliers que j’admirais tant l’année dernière et qui étaient la grâce de toute cette plaine.

  1. Théophile Silvestre fut certainement avec Thoré et Baudelaire le critique qui écrivit les articles les plus judicieux et les plus impartiaux sur l’œuvre d’Eugène Delacroix. Il s’agissait ici de la notice d’après nature publiée par Silvestre, qui fut réimprimée ensuite dans l’Histoire des artistes vivants français et étrangers.
    Après avoir lu cet article, Delacroix écrivait au critique : « J’ai grandement à vous remercier d’une appréciation si favorable : c’est de l’apothéose de mon vivant. Malgré mon respect pour la postérité, je ne puis m’empêcher d’être fort reconnaissant d’un aussi aimable contemporain que vous. Veuillez à votre tour ne point considérer comme une flatterie banale les compliments que je vous adresse ici sur la valeur que vous y montrez : c’est un art de dire ce que vous voulez et d’exprimer les nuances, qui est fort rare dans ce temps-ci, quoique ce soit là une de ses grandes prétentions. " (Corresp., t. II, p. 111-112.)