Journal (Eugène Delacroix)/26 août 1854

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 423-424).

26 août. — Tous les matins, je vais sur la plage ou vers les rochers à fleur d’eau, quand la marée est basse. Un de ces jours, fatigué beaucoup en m’avançant jusqu’au sable où de pauvres femmes ramassaient des équilles, en creusant avec une sorte de trident.

Dans la journée, reçu une lettre du cousin Delacroix que j’ai ajourné au 20 septembre et qui attend une réponse. Également une lettre de mon cher Rivet, qui me parle d’aller passer quelque temps avec sa famille au bord de la mer et me donnant des informations. Il me dit dans sa lettre beaucoup de choses qui m’ont touché et flatté.

Le soir, en me promenant sur la plage, rencontré Chenavard[1] que je n’attendais guère là. Sa vue m’a fait plaisir, et sa conversation m’est d’une grande ressource. Il m’accompagne jusque chez Mme Scheppard, où j’allais passer la soirée et où je me suis ennuyé excessivement.

En sortant vers dix heures et demie, j’ai été jusqu’à la Douane, sur le quai, pour secouer toute cette insipidité. J’ai vu là ces bateaux à vapeur anglais dont la forme est si mesquine. Grande indignation contre ces races qui ne connaissent plus qu’une chose : aller vite ; qu’elles aillent donc au diable et plus vite encore avec leurs machines et tous leurs perfectionnements, qui font de l’homme une autre machine !

  1. A propos des relations de Delacroix et Chenavard, Baudelaire écrivait : « Chenavard était pour Delacroix une rare ressource. C’était vraiment plaisir de les voir s’agiter dans une lutte innocente ; la parole de l’un marchait pesamment, comme un éléphant en grand appareil de guerre, la parole de l’autre vibrant comme un fleuret, également aiguë et flexible. » (L’art romantique. L’œuvre et la vie d’Eugène Delacroix.)