Journal (Eugène Delacroix)/29 juillet 1855

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 61-62).

29 juillet. — Journée insipide, faute de m'être mis à faire quelque chose de bonne heure ; je dîne au Palais-Royal avec le cousin, dans ce même salon où je dînai un jour avec Rivet, Bonington[1] et compagnie. Il fut beaucoup question de la D…

Le cousin me conte l’histoire des Vauréal ; le père de celui que je connais aurait été un comte de Vauréal ; c’était un roturier, bossu et assez disgracié, mais capable d’aimer, puisqu’il s’était épris de la Menard, danseuse célèbre et que le comte d’Artois, je crois, favorisait. Le comte était mal reçu de la dame ; mais le prince lui ayant conseillé de s’humaniser quelque peu, elle déclara à son soupirant qu’elle ne pouvait lui appartenir que quand elle serait comtesse de Vauréal. Le mariage se fait ; le soir des noces, la mariée disparaît. Elle ne revient sur l’eau qu’à la mort du comte de Vauréal et pour entrer en usufruit des biens ; le comte avait un fils qui s’arrange tellement quellement avec sa belle-mère. Elle le maria à la fille d’un colonel Bonneval, mais avec interdiction de coucher avec sa femme, laquelle n’aurait eu la possession de son mari qu’à la mort de la Menard. C’est du père ou du grand-père Vauréal que mon grand-père, qu’on appelait le grand Claude, aurait été régisseur ; leurs biens étaient considérables. Ils auraient, je crois, appartenu à l’évêque de Reims.

  1. Bonington était entré en 1819 dans l’atelier de Gros, où il rencontra le baron Rivet, qui devint son ami. C’est de la même époque que date aussi son intimité avec Delacroix.
    Delacroix professait la plus grande estime pour le talent de Bonington. Dans une lettre adressée à Soulier en 1831. il écrit : « J’ai eu quelque temps Bonington dans mon atelier. J’ai bien regretté que tu n’y sois pas. Il y a terriblement à gagner dans la société de ce luron-là, et je te jure que je m’en suis bien trouvé. » (Corresp., t. I, p. 116.)