Journal asiatique/1906/mai-juin/Bibliographie

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BIBLIOGRAPHIE.


M. Ismaël Hamet. Les Musulmans français du nord de l’Afrique. 1 vol., in-12 de 316 pages avec deux cartes (Paris, 1906, librairie Armand Colin, 5 rue de Mézières).

Dieu sait si l’on a beaucoup écrit sur l’Algérie depuis la conquête de 1830. À coup sûr, les ouvrages consacrés à notre colonie africaine suffiraient, à eux seuls, pour former une vaste bibliothèque. Le livre que publie, en ce moment, M. Hamet, nous serait une preuve qu’il restait fort à dire encore et que le sujet ne pouvait passer pour épuisé.

En effet, africain d’origine, musulman de religion et en même temps tout dévoué à la France dont il est devenu le fils adoptif, qu’il sert en qualité d’officier interprète, notre auteur se trouvait dans les conditions les meilleures pour bien juger ses compatriotes d’Algérie, se rendre compte de leurs tendances et de leurs aspirations. Aussi son livre contribuera-t-il, nous osons l’espérer, à dissiper plus d’un préjugé et parfaire, pour ainsi dire, l’éducation du public français.

L’ouvrage de M. Hamet se divise en trois parties intitulées : « Le passé, le présent, l’avenir ». Avec lui, nous assistons aux débuts, ainsi qu’aux progrès de la civilisation apportée dans le nord de l’Afrique par les Carthaginois d’abord, ensuite par les Romains. Puis vient l’invasion des Vandales dont la puissance éphémère sera bientôt brisée par les Byzantins. À ceux-ci ne tardent pas d’ailleurs à succéder les Arabes. La race indigène, avec sa flexibilité habituelle, accepte tour à tour le genre de vie et les croyances de ces vainqueurs successifs, mais tout en absorbant ces derniers, grâce à sa supériorité numérique.

Nous savons peu de pages plus propres à piquer la curiosité du lecteur que celles ou l’auteur fait un éloge, somme toute justifié, de l’esprit de tolérance dont firent longtemps preuve les Khalifes de Cordoue et de Bagdad. Les chrétiens d’ailleurs en bénéficièrent non moins que les Juifs. Bien souvent, leur politique sur ce point méritera d’être citée comme exemple aux puissances occidentales. Toutefois, il ne faut pas exagérer et nous demandons pardon à notre auteur s’il nous semble, sur ce point, un peu porté à voir les choses en beau.

Les Musulmans montrèrent souvent des tendances véritablement libérales dans leurs relations avec les dissidents. Niera-t-on que cet esprit de tolérance ne se soit trouvé parfois renfermé dans d’assez étroites limites ?

M. Hamet cite lui-même l’exemple de plusieurs chrétiens d’Espagne auxquels un esprit trop ardent de prosélytisme valut la couronne du martyre. Avouons que leur zèle les entraînait bien loin, puisqu’ils allaient prêcher contre l’Islam jusqu’à la porte de ses temples. Néanmoins, le châtiment semblera, croyons-nous, très sévère pour de simples manifestants et qui ne nourrissaient, à coup sûr, aucun désir d’inventorier dans les mosquées.

M. Hamet passe assez rapidement sur la question des emprunts faits par la chrétienté au monde de l’Islam, pendant le moyen âge. On ne saurait contester que, pendant deux ou trois siècles, les Arabes, héritiers de la culture grecque, n’aient joué vis-à-vis des Occidentaux, le rôle d’initiateurs, du moins dans le domaine scientifique. Toutefois, nous ne ferons pas à notre auteur, un reproche de sa brièveté. S’il avait voulu approfondir, plus en détail, chacune des intéressantes questions par lui traitées, quel serait le chapitre de son ouvrage qu’il n’eût fallut transformer en un gros volume ?

Ce qui concerne l’administration turque en Algérie nous a paru aussi complet qu’on peut le désirer, mais c’est là un point de nature à attirer l’attention des érudits de profession plutôt que celle du public.

Nous ne tiendrons pas le même langage en ce qui concerne l’établissement de cette féodalité maraboutique, laquelle se répand dans tout, le Maghreb, surtout à partir du xiie siècle. Elle constitue un des phénomènes historiques les plus curieux à étudier. Ajoutons que l’interdiction du mariage imposée par l’église romaine aux clercs fut sans doute ce qui contribua le plus à rendre impossible l’apparition d’un état de choses analogue en Occident.

Passons maintenant à des époques plus rapprochées de nous. M. Hamet n’hésite pas à signaler les fautes, les erreurs commises par nos gouvernants en ce qui concerne la colonisation de l’Algérie. Mais comment ne pas lui savoir gré de l’équité de ses appréciations et de la bienveillance, non imméritée d’ailleurs, avec laquelle il juge la nation française prise dans un ensemble ? À coup sûr, en dépit de leurs travers et de leurs faiblesses, les enfants de ces vieux Gaulois si empressés, nous dit Strabon, à prendre en main la cause du faible et de l’opprimé, se signalèrent toujours par leur génie vraiment sociable. Plus que toutes les autres nations, ils surent user de ménagements vis-à-vis des races inférieures que la victoire soumettait à leur domination, et bien rarement on les vit rester sourds à la voix de l’humanité.

C’est, du reste, ce dont les populations algériennes se sont vite rendu compte. Jouissant, en ce qui concerne la pratique de leur loi religieuse, d’une liberté que bien d’autres auraient peut-être sujet de leur envier, elles n’ont pas tardé à comprendre les avantages découlant de l’occupation européenne. La justice rendue d’une façon plus impartiale, la sécurité succédant à un état chronique de troubles et d’anarchie, voilà quels en furent les premiers fruits. Comme conséquences, signalons le développement de l’agriculture, du commerce et de l’industrie, les indigènes s’initiant petit à petit aux méthodes scientifiques les plus avancées. Les preuves les plus indéniables de progrès accompli, ne sont-ce pas tout à la fois, la disparition du nomadisme dans le Tell, où la vie agricole tend chaque jour davantage à remplacer l’existence errante du pasteur, et l’accroissement aussi rapide que constant de la population ? Le nombre des musulmans d’Algérie ne s’élevait pas en 1830 à plus de deux millions et demi d’âmes. Il dépasse aujourd’hui quatre millions.

Aussi, en dépit des prédictions d’écrivains tant soit peu pessimistes, M. Hamet ne désespère-t-il pas de voir dans un temps donné la fusion la plus complète s’établir entre musulmans et chrétiens d’Algérie. Ce jour-là, on ne comptera plus dans notre belle colonie au sud de la Méditerranée, que des Français de cœur aussi bien que de langue.

Nous aurions voulu nous pouvoir étendre davantage sur un livre si rempli de faits et d’aperçus nouveaux, mais il faut savoir se borner. Un vœu du moins, avant de déposer la plume. L’ouvrage sur les Musulmans français du nord de l’Afrique semble fort de nature à intéresser chez nous un public nombreux. N’y aurait-il pas lieu de souhaiter qu’il fût répandu en profusion, et qu’un exemplaire puisse en être déposé dans la plupart de nos bibliothèques de province ?
de charencey.


M. C. Madrolle a étudié, dans la Revue indo-chinoise de janvier et février 1906, les groupes thai du haut Tonkin. Ce travail, intitulé Les T’ai de la frontière indo-chinoise, est à la fois historique et descriptif. L’histoire des Nong, en particulier, est traitée avec un grand détail. Les caractères chinois sont donnés pour tous les noms propres.