Les Lusignans de Poitou au trône de la Petite Arménie

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ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL.
(Séance du 11 mai 1906.)

les lusignans de poitou au trône de la petite arménie.

En 1096 la première croisade entra en Cilicie.

La dynastie arménienne de ce pays venait à peine d’y être formée, les Arméniens étant gouvernés par des princes indépendants.

Le pouvoir était alors entre les mains du baron Constantin (1095-1099) qui, à cause de son dévouement pendant les croisades et les secours qu’il donna aux Croisés pendant le siège d’Antioche, reçut des Francs les titres de « comte » et de « marquis ».

Constantin ne refusa pas de donner sa fille en mariage à Joscelin de Courtenay, comte d’Édesse : et son frère Thoros, accorda volontiers la main de sa fille Arda, à Baudouin de Boulogne, frère de Godefroy de Bouillon.

Et ainsi le premier lien entre les Francs et les Arméniens fut établi.

Les Lusignans de Poitou, comme toutes les noblesses de l’Europe, prirent part aux croisades. Mais il faut ajouter que, même avant l’arrivée des Croisés, un des Lusignans, Robert, était entré en Terre-Sainte (en 1062) pour protéger, contre les attaques des Infidèles, les pèlerins se rendant à Jérusalem.

En 1210, Léon Ier « le Magnifique », premier roi de la Ciiicie arménienne, qui avait épousé, en 1189, la princesse Isabeau d’Antioche et qui avait marié sa sœur Doleta ou Dalita avec Bertrand de Gibelet, épousa, après son divorce, en secondes noces, Sibylle, fille d’Amaury de Lusignan, roi de Chypre. Le fruit de cette union fut une fille unique, Isabelle, qui hérita du trône royal et épousa un Franc, Philippe d’Antioche ; ce dernier recueillit la succession du royaume d’Arménie (1222-1225), en régnant avec sa femme.

Cette union franco-arménienne fut consolidée par le fait qu’un des Lusignans, Guy, fut appelé plus tard au trône d’Arménie (1342-1344). Guy était le neveu de Henri II, roi de Chypre, et le fils d’Amaury de Lusignan.

Le second prince de Lusignan qui occupa le trône d’Arménie, était l’infortuné Léon V, appelé par erreur Léon VI, dernier roi d’Arménie, mort à Paris, en 1393.

Par conséquent, deux et seulement deux princes Lusignans ont régné en Arménie, et non cinq, comme on prétend à tort jusqu’à présent.

L’historien bien connu, Étienne de Lusignan, dit dans ses ouvrages, par exemple, dans son Histoire des royaumes de Jérusalem, Chypre, Arménie, etc. (p. 32’) et dans sa Description de l’île de Chypre (p. 201’), qu’il y avait en Arménie cinq rois Lusignans, qui sont :

1o Hugues, fils d’Amaury de Lusignan, seigneur de Tyr et de Sidon ;

2o Jean, fils de Hugues, qui abdiqua et entra dans l’ordre des Franciscains ;

3o Léon, neveu de Jean et fils d’Amaury, connétable d’Arménie ;

4o Liuon (Léon), troisième fils de Hugues, c’est-à-dire frère de Jean et du connétable Amaury ; enfin

5o Léon, le dernier roi d’Arménie.

Du Cange, conservant le même nombre, donne une autre généalogie[1] :

1o Guy, fils d’Alméric de Lusignan ;

2o Constant ;

3o Constantin ;

4o Drago, et

5o Léon, le dernier roi d’Arménie.

Dulaurier commit la même erreur, en donnant, comme les précédents, cinq rois[2] :

1o Juan-Constantin ;

2o Guy, frère de Juan ;

3o Constantin, fils de Baudouin ;

4o Pierre Ier, roi de Chypre, et

5o Léon, le dernier roi d’Arménie.

Toutes ces erreurs proviennent de ce que tous ces historiens, comme Étienne de Lusignan, Du Cange, Le Laboureur, Millin, Lenoir, Dulaurier, Langlois et bien d’autres, lisent dans l’épitaphe du dernier roi d’Arménie : « Leon de Lusignan, quint roy latin ». — Et Dulaurier, pour appuyer sa thèse, ainsi que celle de ses prédécesseurs, parle du testament de ce dernier roi, qui aurait été écrit ainsi : « Léon de Lusignan, quint roy latin du royaume d’Arménie[3] ».

Quoique Étienne de Lusignan soit un auteur ancien, il est curieux de constater qu’il ignore les faits qui se sont passés presque à son époque. Par conséquent, je n’hésite point à dire avec Saint-Martin qu’il y a « beaucoup d’incertitude » dans ses ouvrages[4]. — Cet historien raconte, par exemple, que Léon de Lusignan a préparé son testament en 1396 et qu’il est mort en 1404[5]. Mais nous lisons dans l’épitaphe de ce roi qu’il est mort en 1393 ; d’autre part nous savons que Léon avait préparé son testament un an avant sa mort.

Quant à Du Cange, Dulaurier et d’autres qui se basaient sur l’épitaphe et sur le testament de Léon, ils se sont certainement trompés ; car en faisant moi-même des recherches sur les lieux, je n’ai pas trouvé le texte rédigé ainsi : « Léon, quint roy latin du royaume d’Arménie », avec une ponctuation après « Léon », ni dans son épitaphe, ni dans son testament. Même si elle existait, d’après ces historiens, Léon serait le sixième roi latin d’Arménie, le premier ayant été Philippe d’Antioche.

Voici ce que dit l’épitaphe de Léon : « Cy gist très noble et excellēt prince, lyon de lizingñe quīt roy latī du royaume darménie qui rēdī lame a dieu a paris le .xxixe. jour de nouēbre lan de grâce .m.ccc. iiii. et xiii. pries pour lui. » Le tombeau de Léon se trouve actuellement à l’abbaye de Saint-Denis, parmi les tombeaux des rois et des hommes illustres de France.

Le testament, ou plutôt la copie du testament de Léon, conservée aux Archives nationales de France (LL. 1505), ne dit pas que Léon était le cinquième roi latin d’Arménie, mais cet acte est mentionné ainsi qu’il suit dans un inventaire provenant des Célestins de Paris : « Testament authentique du bon Roy Léon de Lusignan quint roy latin du Royaume d’Arménie[6]. »

On voit nettement que dans aucun document Léon n’est nommé « Léon, quint roy latin ». Cette erreur sera aisément réparée, si nous lisons : « Léon de Lusignan quint, roy latin du royaume d’Arménie ». Ceci est indiscutable, car l’histoire d’Arménie du moyen âge nous apprend qu’il y eut quatre Léon, rois d’Arménie, avant le dernier Léon de Lusignan ; par conséquent celui-ci est bien le cinquième du nom. — Dardel, qui était le confesseur de Léon V, ne cite, dans sa Chronique d’Arménie, que deux rois Lusignans en Arménie : ce sont Guy et son neveu Léon, et il appelle ce dernier « Léon V ». Je dois mentionner aussi que M. Ch. Kohler, chargé de la rédaction du tome II des Documents Arméniens du Recueil des historiens des Croisades, est du même avis que moi.


Pour compléter mon esquisse sur les Lusignans d’Arménie, je présente la liste généalogique des rois de la Petite Arménie, liste qui diffère de toutes celles dressées jusqu’à présent. Cette liste ne comprend que les princes ayant occupé le trône d’Arménie.

GÉNÉALOGIE DES ROIS DE LA PETITE ARMÉNIE.
Généalogie des rois de la Petite Arménie (XIIIe-XIVe siècles)
Généalogie des rois de la Petite Arménie (XIIIe-XIVe siècles)
  1. Familles d’Outre-mer, édit. Ray, p. 146-154.
  2. Rec. Croisades, Doc. Armén., t. I, p. 703-714 et p. 735, note 3.
  3. Dulaurier, op. cit., p. 735. n. 3.
  4. Cf. Mém. Acad. Ins. et B.-L., 1836, vol. XII. p. 149.
  5. Description, etc., fol. 202’.
  6. Archives Nat., Layette A, liasse G15.