Journal d’un bibliophile/À propos d’autographes

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Imprimerie « La Parole » limitée (p. 49-52).


XI

À propos d’autographes


Le bureau d’hygiène de la ville, dans une de ses tournées d’inspection, avait visité une maison de pension et avait découvert, dans un grenier, une quantité de valises et de boîtes remplies de papiers.

L’ordre fut intimé aux propriétaires d’avoir à nettoyer ce grenier qui était un danger permanent pour le feu et pour la santé publique.

Sachant que j’étais amateur de livres, ces gens vinrent me chercher pour me vendre deux valises remplies de livres et de manuscrits.

Ces valises appartenaient à un professeur malheureux qui les avaient déposées là temporairement, mais qui, depuis son départ, n’avait plus donné signe de vie.

Elles contenaient, en grande partie, de bons classiques français et quelques ouvrages sur le Canada. Je gardai ces derniers, mais, quant aux autres, j’en donnai une bonne partie au couvent Villa Augustina et le reste à des amis.

Dans ces livres, il y avait nombre d’autographes signés par des auteurs de renom, autographes que j’avais gardés tout en les laissant voir à des amis. J’avais cru, pour quelque temps, posséder un autographe de Victor Hugo et j’en témoignai ma joie à ces derniers.

Un jour, un riche Américain s’amène à la maison et me dit :

— Vous avez des autographes d’auteurs français ?

— Oui.

— Avez-vous celui de Victor Hugo ?

— Je le crois.

— Si vous avez cela en main, dit-il, je vous donnerai cent dollars.

J’allai chercher les autographes, car, de plus en plus, je croyais m’apercevoir que j’avais affaire à un enragé collectionneur.

En effet, quand je lui remis ces papiers, c’est avec des mains agitées qu’il les saisit, dans ses yeux se jouaient de petites étincelles et toute sa figure reflétait tour à tour les nuances les plus diverses.

Il sort une loupe de sa poche de veston et se met à examiner les autographes. Il s’arrête longuement sur celui de Victor Hugo mais, tout à coup, il lâche un juron et me dit :

— Malheur ! ceci n’est pas un autographe, c’est un imprimé des mieux réussis, si bien réussi, que c’est à s’y tromper !

Il parut très contrarié, continua en bougonnant à manœuvrer quelques feuilles à lui, puis il partit.

Je passai à la cuisine regarder l’heure, j’étais en retard pour le travail. Quand je revins pour ranger mes papiers et les remettre en place, je m’aperçus que mon autographe de Victor Hugo avait disparu et qu’il ne serait jamais plus question des cent dollars.

J’avais eu affaire à un adroit filou.

À propos d’autographes, le « Manchester Union » disait : « La Collection Lambert, propriété de l’Association Canado-Américaine, contient des ouvrages datés du seizième siècle, entre autres : « Nouvelle découverte d’un grand pays situé en Amérique », par le Père Louis de Hennepin. »

Ce livre, publié à Amsterdam en 1681, a appartenu à François-Joseph Talma, né en 1763, qui a été l’un des plus fameux tragédiens de son temps et qui avait fait ses débuts à la Comédie-Française en 1787.

Un autre livre intéressant, publié à Paris en 1753, sur un voyage par ordre du roi de France, en 1750-51, pour rectifier les cartes de l’Acadie et de l’Île Royale de Terreneuve, contient un autographe et a appartenu à Jacques Viger, premier maire de Montréal. Il n’y a que deux exemplaires de cet ouvrage qui sont connus exister en Amérique.

Un Américain me dit un jour : « Votre collection que détient l’Association Canado-Américaine reste en terre américaine. C’est une petite semence qui profitera avec le temps. Vous n’êtes pas sans savoir que des sommes énormes sont dépensées tous les ans pour enrichir le pays de toutes les vieilles choses qu’on peut se procurer. Avec le temps, de plus en plus, on se rendra compte de la beauté de votre œuvre. »

Je lui dis un merci, non pas pour moi-même, mais pour l’œuvre que j’ai cherché à édifier.