Journal d’un bourgeois de Paris/Introduction

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Texte établi par Alexandre TueteyH. Champion (p. xi-liv).
INTRODUCTION.

La chronique anonyme des règnes de Charles VI et de Charles VII, que les érudits désignent traditionnellement sous le nom de Journal d’un bourgeois de Paris, est depuis longtemps connue et appréciée. On sait, grâce aux curieuses investigations de M. Longnon[1], que dès l’année 1596 Étienne Pasquier, dans ses Recherches de la France, mit en œuvre cet important document, mais ce fut en 1653 seulement que Denis Godefroy inséra, dans son recueil des historiens de Charles VI[2], une suite d’extraits empruntés au Journal parisien ; les passages dont Godefroy a publié le texte sont généralement tronqués, souvent même arrangés à la fantaisie de l’éditeur et la langue en est rajeunie. La première édition complète du Journal parut en 1729, par les soins de l’académicien La Barre, et remplit les 208 premières pages du volume intitulé : Mémoires pour servir à l’histoire de France et de Bourgogne ; c’est la seule qui ait reproduit le texte intégral de la chronique parisienne, mais de nombreuses incorrections déparent ce texte. Les auteurs des grandes collections historiques publiées de nos jours, comme Buchon, Michaudet Poujoulat, n’ont fait que copier l’édition de La Barre, en lui donnant une physionomie plus moderne.

Notre introduction sera divisée en deux parties : l’une sera consacrée à une étude des manuscrits du Journal qui sont parvenus jusqu’à nous et à la recherche de ceux qu’ont connus les anciens éditeurs ; l’autre aura pour but d’établir la personnalité de l’auteur anonyme de cette précieuse chronique parisienne.


I.

LES MANUSCRITS.

§ I. — Manuscrits de Paris.

i) Bibliothèque nationale, collection Dupuy, n° 275. Mémoires pour l’histoire du roi Charles VI.

Ce titre ajouté par Pierre Dupuy est celui d’un extrait entièrement écrit de la main de Claude Dupuy, et communiqué par son fils, Jacques Dupuy, prieur de Saint-Sauveur, à Denis Godefroy, qui le publia mot pour mot, en 1653, à la suite de son édition de Juvenal des Ursins[3], en y comprenant même les listes des évêques, prévôts de Paris, prévôts des marchands, jointes en appendice par Claude Dupuy. La seule indication chronologique que porte cet extrait est celle placée au-dessous du titre par Pierre Dupuy, indication se rapportant a l’année 1630.

Indépendamment de l’extrait de Claude Dupuy, on possède la transcription exécutée sous les auspices de Pierre de l’Étoile, reproduisant fidèlement la copie partielle de Dupuy ; cette transcription se trouve aux folios 23 à 61 du manuscrit 10,303 du fonds français[4].

Quant à l’exemplaire complet dû aux soins de Claude Dupuy, dont parle Godefroy[5], nous n’avons pu en découvrir aucune trace.

2) Bibliothèque nationale, fonds français, n° 10,145 (ancien supplément 1984 bis) ; petit in-folio sur papier, reliure moderne.

Il y a tout lieu de croire que la copie du Journal parisien, conservée sous le n° 10,145 du fonds français, a servi de base à l’édition de La Barre ; en effet, plusieurs des leçons défectueuses données par le premier éditeur du Journal appartiennent à ce manuscrit et ne se retrouvent ni dans le manuscrit de Paris dont nous parlerons plus loin, ni dans le manuscrit de Rome.

Voici quelques exemples qui permettront de se rendre compte de l’analogie existant entre l’édition de La Barre et le manuscrit en question :

La Barre, p. 91 : et d’une celle aspre gelée, leçon fautive du manuscrit 10,145, tandis que la bonne leçon est : et dura celle aspre gelée.

P. 92 : grant contencion, leçon du manuscrit 10,145, lisez grant tençon.

P. 94 : Or bien quel dommage, leçon du manuscrit 10,145, la vraie leçon est : Or voyez quel dommage.

P. 105 : ces larrons reposoient, leçon du manuscrit 10,145, au lieu de reperoient.

P. 125 : plus ne jetassent, version du manuscrit 10,145, lisez ne gastassent.

P. 130 : et ne trouvoient ne femme ne enfant qu’ils ne prinssent, leçon du manuscrit 10,145, la bonne leçon est n’esparnoient.

P. 174 : tumberel à voire la journée, suivant le manuscrit 10,145, tandis qu’il faut lire tumberel à boue.

P. 181 : Apres eux ne venoit rien ne que après feu, version du manuscrit 10,145, vraie leçon : ne demouroit.

P. 186 : le roy de France estoit le droit ourine aux larrons, d’après le manuscrit 10,145, lisez droit ourme.

Comme le montre cet examen comparatif, une certaine conformité paraît exister entre le texte de La Barre et celui du manuscrit 10,145, et elle est assez grande pour que l’on puisse rattacher l’édition de La Barre à ce manuscrit.

Afin de déterminer la date de la transcription représentée par le no 10,145, nous remarquons que la même main qui a copié ce manuscrit du Journal a également pris soin de reproduire, très vraisemblablement à la même époque, les vers qui figurent en tête du manuscrit de Rome sous le titre de Bataille du Liège ; cette copie forme une plaquette conservée sous le no 10,154 du fonds français. À la fin de ce petit volume on lit la note suivante :

Ces vers sont tirés d’un manuscript qui a pour titre : Bataille du Liège, cotté 813,769, ce manuscript a appartenu à Jehan Maciot, ensuite à la reine de Suède, et enfin est dans la bibliothèque Vaticane.

Cette note ne peut s’appliquer qu’au Journal parisien précédé, ainsi que nous le verrons, de poésies qui répondent bien au titre en question, et terminé par la signature de ce Maciot, visé dans la note ci-dessus.

Il semblerait résulter de cet ensemble de faits que la copie du Journal et celle des pièces de vers initiales, constituant les no 10,145 et 10,154, ont dû être exécutées, vers la fin du XVIIIe siècle, d’après le volume actuellement conservé dans les collections du Vatican.

3) Bibliothèque nationale, fonds français, n° 3480. In-folio sur papier, reliure moderne. Mémoires de Paris soubz Charles VI et VIIe du nom.

Ce manuscrit s’ouvre par un recueil de dépêches diplomatiques relatives aux négociations de la paix de Vervins, en 1598 ; ces correspondances comprennent les 259 premiers folios du volume ; les folios 260 à 262 sont occupés par deux harangues, la première adressée en 1639 à M. de Gassion par un député de la ville de Caen, la seconde sous forme de lettre de l’archevêque de Rouen au Cardinal, en date du 29 décembre 1639.

Au folio 264, sous ce titre : Mémoires de Paris, etc. commence une copie intégrale du Journal parisien, exécutée selon toute apparence dans la première moitié du xviie siècle. Le texte fourni par le manuscrit 3480 est incontestablement celui qui se rapproche le plus de la version primitive. Quoique le manuscrit débute, comme celui de Rome, par une pièce de vers relative à la bataille de Liège, quoiqu’il se termine de la même façon, et qu’il contienne identiquement les mêmes lacunes que le manuscrit de Rome, il n’en est point la reproduction pure et simple, on peut même affirmer qu’il nous offre une transcription, sinon de l’original lui-même, au moins d’un exemplaire du Journal plus complet que celui qui est représenté par le volume du fonds de la Reine.

Une collation attentive de ce nouveau manuscrit avec le texte contenu dans le manuscrit de Rome nous a permis de rétablir un passage assez étendu se référant aux événements de l’année 1438 ; pour faire juger de l’importance de cette restitution, il suffira de dire que le passage en question comprend six folios du volume du fonds français. Bien que le manuscrit 3480 soit à certains égards plus complet que celui du Vatican, il nous fournit cependant un texte beaucoup moins correct, par suite de l’inintelligence des scribes qui ont dénaturé le sens de nombreux passages, nous disons des scribes, parce que l’on remarque deux écritures distinctes, l’une qui va du folio 264 au folio 351 inclus, l’autre du folio 352 à 464.


§ 2. — Manuscrit de Rome.

Le volume catalogué sous le n° 1923 du fonds de la reine de Suède est un petit in-folio sur papier, revêtu d’une reliure rouge assez commune, il comprend 187 folios et non 250 comme l’a imprimé M. Paul Lacroix dans sa notice[6]. Les onze premiers folios du manuscrit contiennent une assez longue pièce de vers en deux parties intitulées : la Bataille du Liège et les Sentences du Liège. Cette insipide poésie, relative à la prise d’armes des Liégeois contre leur évêque en 1408, n’est guère qu’une fastidieuse énumération des seigneurs bourguignons envoyés par Jean Sans-Peur pour réprimer cette rébellion ; elle commence ainsi : À l’onneur de toute noblesse et en exaussant gentillesse.

La pièce en question sert pour ainsi dire de prologue au Journal et paraît n’avoir été mise en tête du volume que pour accompagner le récit tronqué par lequel débute l’extrait de Godefroy. Ce fragment de Journal, qui se trouve au folio 12 de notre manuscrit, se rapporte à la fin de l’année 1408 et au commencement de l’année 1409 ; il a précisément trait à la révolte des Liégeois contre leur évêque, en septembre 1408, et à l’entrée solennelle de Charles VI à Paris, le 17 mars suivant. C’est seulement au folio 13 que commence le Journal parisien proprement dit, tel que nous le lisons dans La Barre et tel que l’ont reproduit tous les éditeurs subséquents. À partir de là le Journal se continue sans interruption dans l’ordre chronologique et finit bien à l’année 1449, par le passage qu’avait déjà indiqué M. Paul Lacroix.

L’écriture du manuscrit de Rome est sans conteste du xve siècle, néanmoins nous ne saurions considérer ce texte comme l’original de la Chronique parisienne si intéressante pour l’histoire des règnes de Charles VI et Charles VII. Voici l’ensemble des déductions sur lesquelles repose notre opinion. En premier lieu, la présence de ces poésies qui n’ont qu’un rapport bien indirect avec le Journal parisien, ensuite une interversion dans la suite des événements qui font l’objet du Journal. Comme nous l’avons déjà remarqué, la Bataille et les Sentences du Liège sont suivies d’un fragment incomplet du commencement, se rattachant aux faits des années 1408 et 1409 mentionnés plus haut, ce fragment se termine par un lambeau de journal relatif à un orage épouvantable survenu à Paris le 30 juin 1411. Telle est la matière d’un folio, le douzième du manuscrit ; au folio suivant, nous tombons sur un passage que tous les éditeurs sans exception ont rapporté à l’année 1408, tandis qu’en réalité les événements racontés par le chroniqueur appartiennent à l’année 1405. L’auteur du Journal parisien relate, entre autres faits, l’arrivée de l’évêque de Liège à Paris ; or ce voyage, au dire de chroniqueurs bien informés[7], eut lieu au mois de septembre 1405 et nullement en septembre 1408, époque à laquelle le prélat aux prises avec une situation extrêmement critique ne pouvait songer à un aussi lointain voyage.

Il n’est point possible d’admettre, pour le manuscrit original d’une œuvre historique, une semblable confusion dans le récit des événements. On nous objectera peut-être que ce défaut de suite peut provenir de lacunes causées par des mutilations dont le manuscrit aurait eu à souffrir ; mais ce n’est pas le cas en ce qui concerne ces folios 12 et 13, aucune trace de lacération n’est visible. À ce point de vue spécial, le manuscrit de Rome a été de notre part l’objet d’un examen attentif ; comme les éditeurs s’accordaient à signaler des feuillets déchirés et que généralement ces lacunes coïncident avec des fins de pages, nous avons vérifié avec le plus grand soin les endroits incomplets et nous avons pu constater qu’aucun feuillet n’avait été arraché. Ce qui a levé tous nos doutes à cet égard, c’est que l’une des lacunes, relative à la publication de la paix faite à Paris le 1er avril 1412, existe dans le manuscrit en haut du folio 22 v°, et ne peut par conséquent provenir que d’un exemplaire du journal déjà incomplet, dont notre volume ne serait que la reproduction. Une nouvelle particularité viendrait non seulement à l’appui de cette thèse, mais tendrait encore à faire admettre un original aujourd’hui perdu. La main d’un annotateur du xvie siècle signale entre les folios 60 et 61 l’absence de trois feuillets, et cependant l’œil le plus exercé ne peut apercevoir la moindre trace de lacération ; il faudrait donc supposer, ou que ce chiffre est donné au hasard et d’une façon purement approximative, ou que l’auteur de la note avait connaissance d’un manuscrit plus complet. La lacune dont il s’agit est d’autant plus regrettable qu’elle porte sur un passage contenant le récit de la mort de Jean Sans-Peur ; peut-être ce passage a-t-il été supprimé dans le texte primitif, en raison des attaques violentes à l’adresse des Armagnacs, dont l’auteur du Journal, bourguignon passionné, avait dû entremêler sa narration.

Un dernier argument à faire valoir en faveur de l’existence d’un manuscrit original se tire du fait suivant que personne n’a relevé jusqu’ici.

Le chroniqueur parisien raconte, à la date du 6 juin 1429, la naissance d’un enfant phénoménal à Aubervilliers, et joint à la description de ce monstrueux produit un dessin qu’il mentionne à deux reprises en ces termes : Ainsi comme cette figure est, comme vous voyez. Le manuscrit de Rome ne contient à cet endroit aucun genre d’illustration ; le copiste, ne se sentant probablement aucun goût artistique, s’est contenté de ménager dans la marge la place nécessaire pour l’exécution du croquis, place qui est restée en blanc[8].

Dans ses ingénieuses conjectures sur l’auteur du Journal parisien, M. Longnon a montré tout l’attrait que ce précieux document avait pour les érudits dès la seconde moitié du xvie siècle ; on voit à ce moment ce vieux livre, lu et relu, passer de main en main[9]. La couche épaisse de crasse qui recouvre les bords du manuscrit de Rome témoigne en effet d’un fréquent usage. De nombreuses annotations remplissent les marges de ce volume ; elles sont dues à deux mains différentes. L’une des écritures, assez grosse et assez nettement tracée, offre beaucoup d’analogie avec les premières pages d’un manuscrit du fonds français (n° 24,726) intitulé : Veilles et observations sur la lecture de plusieurs autheurs françois par Claude Fauchet. Aussi nous n’hésitons pas à lui attribuer la paternité de ces notes, et surtout de la remarque suivante, si souvent reproduite, qui se trouve au folio 181 v° dans la marge de droite : « Il semble que l’autheur ait esté homme d’église ou docteur en quelque faculté, pour le moins de robe longue. »

Elle est certainement du président Fauchet et permet d’établir avec certitude la provenance du Journal, qui des mains de Fauchet passa en celles de Petau pour entrer ensuite dans la bibliothèque de la reine Christine.

Une autre écriture, avons-nous dit, se remarque encore sur les marges, celle-ci est beaucoup plus ténue et présente tous les déliés des écritures courantes du xvie siècle. Elle doit être en effet de la seconde moitié de ce siècle, et postérieure en tous cas à l’année 1567, car l’une des observations du commentateur, consignée en marge du manuscrit, à propos d’un vent violent qui s’éleva à Paris le 7 octobre 1434, porte ce qui suit :

Vent pareil à celuy qui fut l’an 1567, le lundi, mardi et mercredi, 14, 15 et 16 de juillet et le dimenche 7 septembre.

Quelle est au point de vue historique la valeur du manuscrit qui renferme la version la plus ancienne du Journal parisien. Le texte contenu dans ce manuscrit est-il, comme le présume M. Paul Lacroix, beaucoup plus ample que celui de l’édition donnée par La Barre ? Il est hors de doute que plus d’une rectification pourra, grâce à cet exemplaire, être apportée au texte du Journal parisien, et que des omissions assez importantes seront réparées ; mais il serait illusoire de chercher à combler des lacunes qui se remarquent dans toutes les éditions. Ces lacunes regrettables existent également dans le manuscrit de Rome ; elles ne sont point le résultat de lacérations opérées sur ce volume, mais proviennent, nous l’avons dit, d’une cause toute différente.

§ 3. — Manuscrit d’Aix.

Le manuscrit 316 de la bibliothèque d’Aix, que M. Quicherat nous a signalé d’après le catalogue récemment publié par M. U. Robert[10], fait partie de la collection Méjanes et provient de la bibliothèque d’un amateur également célèbre, Charles de Baschi, marquis d’Aubais, comme le montre une étiquette à ses armes, collée à l’intérieur de la couverture. C’est un volume in-folio de 364 pages, mesurant 30 cent. de haut sur 21 cent. de large, relié en maroquin rouge, avec armoiries dorées sur les plats et sur le dos, assez difficiles à déterminer, mais qui sembleraient avoir quelque analogie avec celles de la maison d’Aumont[11]. Au premier folio se lisent les mots : Ch. Charost. 1721. Le titre inscrit au dos du volume est : La bataille du Liège.

Le manuscrit d’Aix appartient à deux époques différentes, ou plutôt il se compose de deux transcriptions distinctes qui ont été juxtaposées. L’écriture des 28 premières pages et des pages 197 à 364 se rapporte au milieu du xviie siècle ; quant à celle des folios 29 à 196, suivant l’opinion d’un érudit distingué, M. Tamizey de Larroque, elle serait de la fin du xvie siècle. La portion du Journal transcrite au xviie siècle se réfère aux années 1411 à 1427, tout le reste de la chronique est du xvie siècle.

Ce volume comprend absolument les mêmes matières que les autres manuscrits du Journal parisien, c’est-à-dire : 1° un poème sur la bataille du Liège, fol. 1 à 16 ; 2° les Sentences du Liège, fol. 17 à 22 ; 3° le Journal du prétendu bourgeois de Paris, sous cet intitulé : Charles VI, roi de France, IIIIc VIII, fol. 28 à 364.

La chronique débute par cette phrase tronquée concernant la défaite des Liégeois : « Dont il leur print mal, car il en mourut là plus de XXVI mil. » Il se termine au fol. 364 par le paragraphe relatif « au moult bel eschaffaut fait en la grant rue Saint-Martin devant la fontaine Maubué. »

Le texte du Journal parisien contenu dans le manuscrit d’Aix n’est pas sans valeur, parce qu’il nous donne ce curieux passage de l’année 1438, en déficit dans le ms. de Rome, que nous publions pour la première fois d’après le volume 3480 du fonds français ; il doit par conséquent dériver soit de ce manuscrit, soit plutôt d’un original qui ne nous est point parvenu. Une collation attentive de ce fragment, faite par les soins de M. Ch. Joret, professeur à la faculté des lettres d’Aix, ne nous a fourni que des variantes de peu d’importance ; grâce à l’obligeance du même érudit, nous avons pu constater que les lacunes si regrettables du manuscrit de Rome ne seront point comblées par celui de la Méjanes.

Tels sont à notre connaissance les manuscrits du Journal parisien qui subsistent aujourd’hui. Il nous semble nécessaire de donner une classification de ces manuscrits et d’indiquer ceux qui nous ont servi pour l’établissement de notre texte. En première ligne, se place un original inconnu dont la trace est perdue. De cet original plus ou moins mutilé dérivent trois manuscrits : le premier, copié au xve siècle, c’est celui du Vatican ; le second, transcrit au xviie, aujourd’hui le manuscrit 3480 du fonds français ; le troisième, en deux parties à peu près d’égale étendue, écrites, l’une au xvie, l’autre au xviie siècle, constitue le manuscrit d’Aix. C’est du manuscrit de Rome que semblent dériver la copie du fonds français n° 10,145, ainsi que les divers extraits conservés sous les nos  275 de Dupuy et 10,303 du fonds français.

Le manuscrit de Rome, qui a conservé l’orthographe du xve siècle se rapprochant le plus de la version originale, a servi de base à notre texte ; mais nous avons relevé avec le plus grand soin, dans le n° 3480 du fonds français, les variantes de nature à compléter ou rectifier le texte fourni par le manuscrit du fonds de la Reine. Tous les passages que nous avons mis entre crochets indiquent les lacunes fort nombreuses du manuscrit de Paris.

Nous manquerions à tous nos devoirs, si avant de terminer cette partie de notre introduction nous ne reconnaissions le zèle et le dévouement avec lequel MM. Robert de Lasteyrie et Aug. Longnon nous ont aidé de leurs conseils, le premier pour l’établissement du texte, le second pour la révision des épreuves. Qu’ils veuillent recevoir ici l’expression de notre vive et profonde gratitude.


II.

L’AUTEUR DU JOURNAL PARISIEN.

§ i. — Opinions émises jusqu’à ce jour.

Dès la fin du xvie siècle, les érudits ont cherché à soulever le voile sous lequel se cache l’auteur de l’intéressante chronique, depuis longtemps connue sous le nom de Journal d’un bourgeois de Paris. Etienne Pasquier et le président Fauchet appelèrent les premiers l’attention sur ce précieux document qu’ils attribuèrent à un personnage ecclésiastique, homme d’église ou théologien ; c’est notamment Fauchet qui inscrivit en marge du plus ancien manuscrit de notre Journal la note suivante : « Il semble que l’autheur ait esté homme d’église ou docteur en quelque faculté, tout au mains de robe longue. » Cette mention se trouve précisément en regard du passage tant de fois cité où le narrateur se met en scène au milieu des clercs qui argumentèrent contre Fernand de Cordoue, ce jeune Espagnol, dont le savoir prodigieux émerveilla l’Université.

Au milieu du xviie siècle, Denis Godefroy inséra dans son recueil consacré au règne de Charles VI, des extraits de notre chronique et la donna comme l’œuvre d’un bourgeois de Paris.

Au xviiie, l’académicien de La Barre, à qui nous sommes redevable de la première édition complète du Journal parisien, fort embarrassé de concilier l’attribution de ce texte à un bourgeois de Paris avec le passage signalé plus haut, trouva commode d’imaginer deux auteurs successifs, l’un bourgeois de Paris pour la première partie, l’autre suppôt de l’Université pour la seconde, à partir de l’année 1431. Bien que cette opinion ait été adoptée sans conteste par les éditeurs des collections historiques, tels que Buchon et Michaud, elle ne saurait soutenir la discussion : comme l’a très justement observé M. Jules Quicherat[12], le Journal parisien n’a qu’un style, qu’un esprit et qu’un auteur.

De nos jours de nouvelles hypothèses se sont produites et pour la première fois l’on a essayé de dénommer l’auteur présumé du Journal. MM. Vallet de Viriville et de Beaucourt[13], se fondant sur le chapitre de la chronique de Mathieu d’Escouchy, relatif au josne clerc natif des Espaingnes, ont cru pouvoir considérer comme l’auteur de la chronique des règnes de Charles VI et Charles VII un théologien bien connu, Jean de l’Olive, l’un des docteurs de l’Université qui assistèrent à la dispute du collège de Navarre ; mais la seule présence de Jean de l’Olive à l’examen du clerc espagnol dans une assemblée comptant, au dire de l’auteur du Journal, plus de cinquante des plus parfaits clercs de l’Université suffit-elle pour justifier des conclusions aussi affirmatives ? Nous ne le pensons pas.

Récemment, l’un de nos chercheurs les plus ingénieux et les plus heureux a repris la question, et dans un intéressant mémoire[14] a émis de nouvelles conjectures qui méritent un plus sérieux examen.

En effet, grâce au rapprochement fort habile de certaines particularités recueillies çà et là dans l’œuvre qui nous occupe, grâce surtout à une coïncidence remarquable entre un passage du Journal qui nous montre le chroniqueur animé de sentiments peu bienveillants à l’égard de l’évêque Denis du Moulin et un procès intenté par ce prélat au curé de Saint-Nicolas-des-Champs, M. Longnon n’est pas éloigné de penser que l’auteur du Journal parisien serait Jean Beaurigout, qui exerçait en 1440 les fonctions curiales à Saint-Nicolas-des-Champs.

Cette attribution nouvelle qui repose sur un ensemble de faits rigoureusement déduits, n’a soulevé jusqu’ici aucune objection. Est-ce à dire que l’on doive accepter sans discussion les conjectures de M. Longnon et considérer désormais le curé Beaurigout comme ce conteur plein de verve, auquel nous devons l’une des plus curieuses chroniques du xve siècle ? ce n’est point notre sentiment. Notre tâche d’éditeur nous impose l’obligation de soumettre à une impartiale critique les résultats obtenus par M. Longnon et de voir s’ils concordent en tous points avec les données de notre Journal.

M. Longnon s’appuie tout d’abord sur le récit d’événements qui se passèrent à Paris, au mois d’août 1413 et au mois de février 1414, pour placer la demeure du prétendu bourgeois de Paris dans le quartier de la ville situé sur la rive droite de la Seine, son jugement est fondé ; mais, après avoir conclu d’une mention, spécieuse à la vérité, de Saint-Nicolas-des-Champs, que l’auteur du Journal demeurait en 1413 à proximité de cette église, notre confrère trouvant, sous l’année 1435, le récit d’un événement particulier au cimetière de Saint-Nicolas[15], en arrive à considérer que le personnage ecclésiastique auquel on doit le Journal était vraisemblablement le curé de cette paroisse. N’est-ce pas là un peu s’aventurer, et, avant de tirer parti d’incidents se rattachant au séjour du chroniqueur à Paris, pendant les années 1413 et 1414, avant de les faire entrer dans l’argumentation qui permet d’attribuer le Journal parisien à Jean Beaurigout, curé de Saint-Nicolas-des-Champs en 1440, ne fallait-il pas démontrer que, dès 1413, ce personnage se trouvait investi de fonctions pastorales dans cette église ; là est le côté faible de la thèse de M. Longnon, côté que ce critique n’a pas au reste cherché à dissimuler lorsqu’il dit lui-même n’avoir pas rencontré de mention nominative de Beaurigout comme curé de Saint-Nicolas antérieure à l’année 1440.

Aussi notre premier soin a-t-il été de fixer autant que possible le temps pendant lequel ce curé de Saint-Nicolas-des-Champs a conservé le gouvernement de sa paroisse et de rechercher en même temps le nom de son prédécesseur. La tâche était ardue, les archives du XVe siècle ne fournissant que des renseignements très vagues et très clairsemés sur la personnalité des curés de Saint-Nicolas-des-Champs. On savait jusqu’ici que, le 18 mai 1399[16], les paroissiens de Saint-Nicolas-des-Champs, voulant agrandir leur église et construire trois chapelles, entrèrent en arrangement avec leur curé, Guillaume de Kaer, chanoine de Notre-Dame, docteur en décret, qui venait de succéder à Pierre Mignot.

Au commencement du XVe siècle, le curé de Saint-Nicolas-des-Champs était donc Guillaume de Kaer ; durant quel laps de temps exerça-t-il les fonctions curiales ? Les registres capitulaires de Notre-Dame ne nous renseignent que sur l’existence du chanoine, mais ne nous apprennent rien sur le curé de Saint-Nicolas-des-Champs, aussi serait-on en droit de supposer une résignation de sa cure au profit de Jean Beaurigout, si de longues et minutieuses investigations dans les archives du chapitre de Notre-Dame ne nous avaient fait découvrir un document décisif qui lève tous les doutes à cet égard. En 1416, Guillaume de Kaer se trouvait engagé dans un procès contre un épicier de Paris, Philippe Boussac, procès qui fut porté devant l’officialité de Sens ; comme Guillaume de Kaer, en sa qualité de chanoine de Notre-Dame était exempt de la juridiction épiscopale, l’official de Sens adressa, le 12 octobre 1416, une requête au chapitre de Notre-Dame, à l’effet de faire citer devant son tribunal Guillaume de Kaer, lequel dans ce document est qualifié de curé de Saint-Nicolas-des-Champs[17] ; aussi sommes-nous en droit de penser qu’il conserva le gouvernement de sa cure jusqu’à sa mort, arrivée le 29 septembre 1418. En présence d’un texte aussi formel, que deviennent toutes ces déductions basées sur les différents passages où l’auteur du Journal indique en quelque sorte le lieu de sa demeure ? elles tombent forcément et ne peuvent d’aucune façon s’appliquer à Jean Beaurigout, puisque à cette époque il n’avait rien de commun avec Saint-Nicolas-des-Champs et que rien n’autorise à croire qu’il aurait fixé son domicile à proximité de cette église.

Si jusqu’en 1418 Jean Beaurigout semble absolument étranger à Saint-Nicolas-des-Champs, l’on ne saurait mettre en doute qu’il fut le successeur immédiat de Guillaume de Kaer et qu’il resta curé de Saint-Nicolas-des-Champs pour toute la durée de la domination anglaise ; c’est ce qui ressort d’un acte de désaisine du mois de juillet 1421, pour une maison sise rue Saint-Martin et vendue à Anceau Langlois, prêtre, acte où nous voyons intervenir « vénérable et discrète personne, messire Jehan Beaurigot, curé de S. Nicolas des Champs[18]. » On peut donc affirmer avec certitude que c’est le même personnage qui, en 1429, se déclara publiquement l’un des adhérents de la politique anglaise, en jurant devant le Parlement l’exécution du traité de Troyes. Ce fait vient à l’appui de la thèse soutenue par M. Longnon, et il semblera tout naturel d’établir un rapprochement entre les actes de ce curé parisien, partisan non déguisé de la domination étrangère, et le Journal de ce prétendu bourgeois de Paris où percent à chaque page les sentiments de haine acharnée que nourrit l’auteur contre la faction des Armagnacs.

Gardons-nous toutefois de céder à cet entraînement, reprenons le texte du Journal parisien et poursuivons l’examen des particularités qui semblent aux yeux de M. Longnon justifier l’attribution du Journal au curé Beaurigout.

Le seul fait que l’on puisse signaler pour la période comprise entre les années 1418 et 1436 est celui qui est relaté à la date de septembre 1435, et encore concerne-t-il non l’église de Saint-Nicolas-des-Champs, mais son cimetière. Il s’agit d’un seigneur anglais, le neveu du sire de Falstaff, tué à l’assaut tenté contre la ville de Saint-Denis, et dont les restes furent enterrés dans le cimetière de Saint-Nicolas, après avoir subi une sorte de cuisson dans une chaudière pour séparer les os de la chair. Il est certain que l’auteur du Journal entre dans des détails minutieux sur cette opération ; mais, parce que le cimetière de Saint-Nicolas-des-Champs est désigné comme lieu de sépulture de ce chevalier anglais, est-ce suffisant pour en conclure que le curé de Saint-Nicolas était vraisemblablement l’auteur du Journal ? Notre anonyme ne rapporte-t-il pas un trait absolument analogue en 1429, lorsqu’il raconte la mort de Glasdale, dont le corps fut également ramené à Paris, « despecé par quartiers, boullu, embasmé » et mis dans une chapelle à Saint-Merry ? L’auteur ne compte-t-il pas le nombre des cierges qui brûlaient nuit et jour devant le corps de ce capitaine ? Il faut convenir que ces détails recueillis par le narrateur et qui ne pouvaient guère intéresser que le clergé de Saint-Merry n’ont pas plus d’importance que ceux dont notre chroniqueur nous entretient à propos de la mort du neveu de Falstaff. Voilà donc en quoi se résume, pour la période postérieure à 1418, le seul et unique fait relatif, non à l’église, mais au cimetière de Saint-Nicolas. En continuant à raisonner dans l’hypothèse qui permettrait de rattacher à Jean Beaurigout le Journal parisien, l’on est involontairement frappé du profond silence que garde ce curé dans le cours de son existence sur tout ce qui peut toucher son église. Comment s’expliquer, par exemple, que dans un laps de temps qui comprend plus de vingt années, il n’ait pas trouvé une particularité digne de fixer son attention et de prendre place dans un memento composé de notes journalières, lorsqu’une grande partie de la chronique n’est remplie que de ces incidents de la vie quotidienne, de ces menus détails auxquels se complaît l’auteur ? Il est vraiment surprenant que l’anonyme auquel nous devons le Journal parisien, s’il doit s’identifier avec le curé de Saint-Nicolas-des-Champs, ne souffle mot de la réédification de son église, qui eut lieu en 1420, et qu’il ne parle point d’une transaction conclue le 25 janvier 1421, entre le curé joint aux marguilliers de Saint-Nicolas d’une part, et les religieux de Saint-Martin-des-Champs d’autre part, au sujet de la construction d’un nouveau presbytère attenant à l’église[19]. Si Jean Beaurigout, curé de Saint-Nicolas-des-Champs de 1419 à 1440 (au moins), est bien l’auteur de notre Journal, comment se fait-il que sa chronique ne renferme aucune allusion à un fait assez curieux qui se passa au mois de janvier 1439, et qui dut fortement émouvoir la personne du curé de Saint-Nicolas, à raison du scandale causé dans son église ? Voici de quoi il est question. Vers le milieu de janvier 1483, un libelle diffamatoire visant le prieur de Saint-Martin-des-Champs et plusieurs autres personnages fut placardé dans l’église de Saint-Nicolas ; l’officialité, saisie de l’affaire, lança un monitoire contre les auteurs inconnus de ce méfait.

Le dimanche 8 février, un sermon fut prêché à Saint-Nicolas-des-Chàmps, par un religieux jacobin, qui exposa « en quel inconvenient de conscience s’estoient mis ceulx qui avoient fait ung libelle diffamatoire. » Suivant le compte du receveur de Saint-Martin-des-Champs[20], auquel nous empruntons ces détails, après le sermon le prieur de Saint-Martin fit offrir une collation au prédicateur « en attendant le disner, en l’ostel du Gros Tournois, devant l’église de Sainct Nicolas. » Toutes ces particularités, qui ne présentent à nos yeux qu’un intérêt très restreint, avaient une tout autre importance dans le milieu où vivait un homme d’église du xvie siècle. Pour le curé de Saint-Nicolas-des-Champs, l’apposition d’un libelle diffamatoire dans son église, le sermon prêché par ce jacobin, étaient autant d’événements de nature à produire impression sur son esprit et qu’il n’eût pas manqué de rappeler dans sa chronique.

Or, comme il est facile de s’en convaincre, l’auteur du Journal parisien, pour toute l’année 1439, ne mentionne même pas l’église de Saint-Nicolas-des-Champs, pas plus qu’il ne s’en occupe en 1440 et 1441, au moment où le curé Beaurigout était en procès avec son évêque. Nous touchons ici au principal argument, dont s’est servi M. Longnon, pour justifier l’attribution du Journal parisien à Jean Beaurigout ; à première vue, il paraît décisif, tellement le jugement sévère porté par notre chroniqueur sur l’évêque de Paris cadre bien avec l’animosité que Beaurigout devait nourrir à cette époque contre Denis du Moulin, son adversaire en cour du Parlement. Mais, en relisant le passage sur lequel s’appuie M. Longnon et que ce critique reproduit en entier dans ses Conjectures, on constate facilement qu’il comprend plusieurs détails sans lien aucun avec le procès soutenu par Jean Beaurigout au Parlement de Paris ; ce n’est que très incidemment, en effet, que l’auteur du Journal arrive à dire que Denis du Moulin « avoit plus de cinquante procès au Parlement et que de lui n’avoit on rien sans procès. » Par quel enchaînement d’idées cette réflexion est-elle amenée, s’agit-il dans ce qui précède de l’église de Saint-Nicolas-des-Champs et de son curé ? Nullement, le chroniqueur commence par nous apprendre qu’en 1440, le cimetière des Innocents fut mis en interdit pendant quatre mois, et ce par suite des prétentions exagérées de l’évêque de Paris, qui réclamait une somme d’argent dépassant les ressources de l’église des Innocents ; c’est donc l’église des Innocents et non celle de Saint-Nicolas-des-Champs qui est en question. Comprendrait-on dans la bouche du curé de cette dernière église une diatribe à propos du cimetière et de l’église des Innocents qui lui sont absolument étrangers, tandis que lui-même, en procès pour sa propre paroisse, garderait le silence sur ce qui l’intéresse personnellement ; ce n’est pas admissible, à moins de prétendre que l’auteur de notre Journal ait voulu cacher avec un soin jaloux sa personnalité. Plus loin, après avoir montré l’esprit processif et cupide de l’évêque Denis du Moulin, le chroniqueur insiste longuement sur certains procédés vexatoires imaginés par ce prélat et ses officiers pour extorquer de l’argent, en faisant rendre compte d’exécutions testamentaires, dont la trace s’était perdue. Quel rapport cela a-t-il avec le procès du curé Beaurigout et l’administration de la paroisse de Saint-Nicolas-des-Champs ? Les préoccupations du chroniqueur sont de tout autre nature. S’il nous parle du cimetière des Innocents, s’il jugea propos de nous entretenir des testaments et de leur exécution, c’est que ses intérêts personnels étaient en jeu, tandis que la cure de Saint-Nicolas-des-Champs, comme le prouve surabondamment l’ensemble de son Journal, devait lui être complètement étrangère. Un point qui n’est pas sans importance et que M. Longnon a laissé dans l’ombre est celui qui touche à la personne de l’auteur du Journal, considéré comme membre de l’Université de Paris. Jean Beaurigout ne nous apparaît dans la dissertation de M. Longnon que comme un homme d’église assez obscur d’ailleurs ; nulle part on n’entrevoit le suppôt de l’Université, et cependant, à moins de tenir l’auteur du Journal parisien pour l’un de ces « clercs enflés de science » , qu’il tourne en ridicule dans quelque endroit de ses mémoires, nous devons croire qu’il occupa un rang assez élevé dans le corps universitaire, puisqu’il se met au nombre « des parfaits clercs » qui prirent part à la dispute du collège de Navarre. Beaurigout était-il un théologien, ou appartenait-il à quelque autre faculté, comme beaucoup de gens d’église de son temps qui n’étaient que simples maîtres ès-arts ou bacheliers en décret ? rien ne nous renseigne à cet égard ; en tout cas, il faut bien que son rôle ait été singulièrement effacé pour que pendant plus de quarante ans il soit resté en dehors de tout ce qui s’est passé au sein de l’Université.


§ 2. — Opinion personnelle du présent éditeur.


On le voit, l’opinion émise par M. Longnon soulève certaines objections auxquelles il nous paraît difficile de répondre, et nous ne saurions considérer comme irréfutable l’attribution du Journal au curé Beaurigout. Reprenons l’examen de notre chronique et voyons si le texte conforme aux manuscrits ne peut nous apporter aucune donnée nouvelle. Dans plusieurs passages déjà signalés par la critique, l’auteur du Journal parle de sa personne, mais en termes si ambigus qu’il ne laisse point pénétrer son individualité. Ainsi l’on savait bien jusqu’à présent qu’en mai 1427, il se trouva parmi les personnages ecclésiastiques qui accompagnèrent une procession jusqu’à Montmartre ; mais quel parti peut-on tirer d’un renseignement aussi vague ? Ici le manuscrit de Rome devient d’un précieux secours, et nous permet de restituer ce passage de façon à introduire un élément nouveau dans la discussion[21]. En effet il n’est pas indifférent de savoir qu’au lieu d’eschevins enfondrez, il faut lire chemins effondrés, qu’il s’agit d’une cérémonie exclusivement religieuse et que, le lundi qui précéda l’Ascension (26 mai 1427), ce fut la procession de Nostre-Dame qui se rendit à Montmartre. En présence de déclarations aussi explicites, n’est-il pas permis de supposer avec quelque vraisemblance que l’auteur du Journal parisien, qui est, ne l’oublions pas, un homme d’église, pouvait bien faire partie du clergé de Notre-Dame, soit à titre de chanoine, soit à titre de chapelain ? On nous objectera sans doute que cette procession, comme la plupart de celles qui avaient lieu à cette époque, pouvait comprendre non seulement les prêtres de Notre-Dame, mais encore ceux d’autres églises.

Nous répondrons que notre chroniqueur n’entend point parler d’une de ces processions générales qui mettaient en mouvement toute la population parisienne, et où l’on voyait cheminer côte à côte prêtres, suppôts de l’Université, magistrats et bourgeois, celles-là sont toujours bien clairement désignées dans notre Journal ; l’auteur n’a en vue qu’une procession ordinaire du clergé de Notre-Dame, qui se rendait chaque année à Montmartre, le jour de la fête des Rogations, cérémonie particulière à l’église cathédrale, à laquelle ne devaient participer que les prêtres appartenant au corps de Notre-Dame[22].

Le passage du Journal relatif à la procession du 26 mai 1427 avait déjà frappé l’attention du plus ancien possesseur connu du manuscrit de Rome, le président Fauchet, qui inscrivit en marge de son volume la réflexion suivante : « Il semble que l’autheur fut du corps de Nostre Dame. » Du moment que notre chroniqueur, auquel on ne peut refuser la qualité d’homme d’église, se met en scène parmi les prêtres qui prirent part à une procession spéciale au clergé de Notre-Dame, n’est-il pas rationnel de croire qu’il appartenait lui-même à ce clergé ? Bien que Beaurigout ait été l’un des chapelains de l’autel Saint-Léonard en l’église cathédrale, sa personne semble a priori devoir être écartée ; en effet, les registres synodaux de Notre-Dame[23] qui à partir de 1428 donnent les noms de tous les chapelains année par année, ne nous montrent Jean Beaurigout comme titulaire de cette chapellenie qu’à une époque qui ne saurait être antérieure à l’année 1435[24]. Eu égard au rang important que l’auteur du Journal devait occuper dans l’Université, c’est plutôt dans le corps des chanoines que dans celui des chapelains que ce personnage doit être recherché.

Nos investigations ont donc forcément dû prendre une autre direction ; à force de compulser les registres capitulaires de Notre-Dame et de comparer les données que nous y avons recueillies avec le texte de notre chronique, nous croyons pouvoir établir que l’homme d’église, à qui nous sommes redevables du Journal parisien, est précisément un chanoine de Notre-Dame, Jean Chuffart, successeur de l’illustre Gerson dans le poste de chancelier de l’église de Paris.

Cette nouvelle hypothèse surprendra peut-être au premier abord, mais elle est basée sur de longues et patientes recherches, et peut se défendre par des arguments non moins sérieux et non moins probants que ceux dont on s’est servi jusqu’à ce jour. A l’appui de nos conjectures nous avons relevé à divers points de vue de nombreux indices qui permettront de se former une opinion sur l’individualité de notre chroniqueur ; pour plus de clarté nous grouperons ces témoignages de nature différente sous un certain nombre de propositions ou de théorèmes que nous essayerons de démontrer.

a. L’AUTEUR DU JOURNAL PARISIEN APPARTIENT AU CLERGÉ DE NOTRE-DAME.

Nous attribuons, avons-nous dit, le Journal parisien à Jean Chuffart, chanoine de Notre-Dame de Paris ; examinons d’abord si l’époque de son existence peut concorder avec les années extrêmes de notre Journal. Jean Chuffart, originaire de Tournai, maître ès arts et licencié en droit canon, succéda le 8 mai 1420 à Jean de Saint-Verain, décédé, et mourut le 8 mai 1451, chancelier de l’église cathédrale[25] ; ces dates cadrent parfaitement avec la période qu’embrasse la chronique anonyme des règnes de Charles VI et Charles VII. Reste maintenant à examiner si le texte même de ce document ne contrarie point notre hypothèse. De 1420 à 1449, il n’est pour ainsi dire pas une année du Journal qui ne contienne quelques particularités relatives à Notre-Dame ou au corps capitulaire. L’auteur trahit involontairement sa qualité, soit qu’il décrive avec un véritable luxe de détails la cérémonie des obsèques de Charles VI, la réception du régent à Notre-Dame en 1424, le sacre du jeune roi d’Angleterre en 1431, soit qu’il parle des processions de 1426, 1427, 1429, 1431, soit qu’il mentionne les élections des différents prélats qui se succédèrent sur le trône épiscopal de Paris, élections auxquelles il dut prendre part comme chanoine de Notre-Dame. S’il consacre un paragraphe à l’élection de Nicolas Fraillon demeurée sans résultat, c’est que Nicolas Fraillon fut choisi et recommandé par le chapitre, qui par ce choix se mit en opposition avec le gouvernement anglais[26].

Dans diverses occasions , l’auteur du Journal parisien nous entretient de cérémonies religieuses qui se passaient à Notre-Dame et qui n’intéressaient que le clergé de la cathédrale ; nous voulons parler des ordinations faites par l’évêque de Paris à la fin de la semaine sainte. A deux reprises différentes, en 1433 et 1439, il mentionne la venue à Paris d’un prélat étranger pour la célébration des offices de la semaine sainte et la collation des ordres ; il observe même à l’année 1433 que cet évêque « les fit si matin que grande partie de toutes ordres à ce jour faillirent. » Ces détails dans la bouche de notre chroniqueur ne peuvent s’expliquer qu’en admettant sa présence habituelle au sein du clergé de Notre-Dame, seul au courant de toutes ces particularités.

Lorsque l’auteur du Journal nous apprend qu'au mois de juillet 1427 l’évêque de Paris interdit à toute femme l’entrée du chœur du « moustier » pendant la durée des offices, de quel « moustier » veut-il parler, si ce n’est de l’église cathédrale, et qui pouvait connaître ce règlement transitoire en dehors des chanoines et chapelains ? Une réflexion analogue vient à l’esprit en lisant ce paragraphe où le chroniqueur prend soin de noter que le dimanche 26 janvier 1428 (v. st.) on commença à dire les heures canoniales à Saint-Jacques de la Boucherie comme à Notre-Dame, et il est permis de se demander pour qui un détail aussi insignifiant pouvait présenter quelqu’intérêt, si ce n’est pour un prêtre de Notre-Dame ? On pourrait en dire autant de l’article du Journal relatif à la refonte de la grosse cloche de Notre-Dame, connue sous le nom de Jacqueline : l’exactitude des renseignements donnés par notre auteur n’indique-t-elle pas jusqu’à un certain point la source officielle à laquelle ils sont puisés ? D’après les délibérations capitulaires de cette époque, Jean Chuffart fut précisément l'un des commissaires désignés par le chapitre pour présider à divers travaux préliminaires, veiller notamment à ce qu’il ne fût distrait aucune portion de métal provenant de la cloche brisée[27] ; ce fut le même personnage qui fit marché avec un charpentier pour la descente de la cloche Jacqueline.

Lors de l’entrée du régent à Paris le i8 décembre 1434, notre chroniqueur met dans son récit qu’à la bastide Saint-Denis se tenaient « les enfans de cuer de Nostre Dame qui moult chantoient mélodieusement ». Cette mention qui, en elle-même, n’offre pas grand intérêt, mérite cependant d’être remarquée, parce que les registres capitulaires témoignent de la sollicitude avec laquelle le chancelier de l’église de Paris s’occupait des enfants de chœur de Notre-Dame et de leurs intérêts[28], sollicitude qui ne se démentit pas un instant ; par son testament, Jean Chuffart laissa aux enfants de chœur de Notre-Dame une maison sise rue Saint-Denis, en même temps qu’il légua son hôtel du Bourget à ceux de Saint-Germain l’Auxerrois[29].

La main d’un prêtre de Notre-Dame mêlé aux incidents de la vie capitulaire se retrouve à tout instant dans la rédaction du Journal parisien, il est facile de s’en rendre compte en parcourant un recueil d’actes dressé pendant la domination anglaise par le notaire du chapitre de Notre-Dame, Nicolas Sellier ; ce recueil nous permet de compléter le récit de quelques menus faits rappelés sommairement dans notre Journal. Ainsi en 1426, le chroniqueur parle en termes assez vagues d’une procession à Saint-Magloire au sujet de certains hérétiques plus amplement mentionnés dans une portion de son Journal aujourd’hui perdue. Le protocole de Nicolas Sellier contient les principales pièces de la procédure instruite contre ces hérétiques et rend intelligible une suite de faits dont l’ensemble est difficile à saisir. D’après ce registre, un clerc du nom de Guillaume Vignier, et ses associés, maître Ange Jouen, Jean l’Amy, Ambroise Maloisel de Gènes et Philippe de Roques se laissèrent circonvenir par un prêtre nommé Rodigue, qui, pensant leur extorquer de l’argent, leur fit espérer la découverte de trésors au moyen de sortilèges ; ces malheureux furent l’objet de poursuites dirigées par Jean Graveran, inquisiteur de la foi, et tinrent prison une année durant. Par suite d’un conflit de juridiction que souleva l’évêque de Paris, le pape Martin V dut intervenir et désigner des commissaires chargés de juger le procès ; savoir, les évêques de Noyon et de Thérouanne ; lors de la vacance du siège épiscopal de Paris, le chapitre se vit obligé de suivre cette affaire et de prendre en main la défense des droits de l’évêque. Cette intervention du corps capitulaire explique jusqu’à un certain point la mention spéciale consacrée par l’un de ses membres à d’obscurs hérétiques[30].

Sous la date du 25 mai 1431, l’auteur du Journal donne tout au long le texte des indulgences accordées par le pape Martin V en l’honneur de la fête du Saint-Sacrement ; nous n’avons pas été peu surpris de retrouver ces mêmes indulgences reproduites mot pour mot à la fin du protocole de Nicolas Sellier[31].

Dans sa relation des obsèques d’Isabeau de Bavière, notre chroniqueur constate que l’abbé de Sainte-Geneviève célébra l’office des morts à Notre-Dame ; si ce détail a pris place dans son récit, c’est qu’il s’agit d’un fait exceptionnel, en dehors des traditions de l’église de Paris. En effet, le même protocole nous a conservé la teneur d’une déclaration de l’abbé de Sainte-Geneviève portant que la célébration du service funèbre par lui faite en vertu d’une autorisation du chapitre de Notre-Dame ne préjudiciera en rien aux immunités du même chapitre[32].

Nous arrivons maintenant à ce curieux passage du Journal qui est un des arguments les plus importants de la thèse de M. Longnon. On ne saurait se dissimuler la coïncidence remarquable qui existe entre la sortie véhémente du chroniqueur parisien dirigée contre Denis du Moulin et le procès soutenu à la même date par Jean Beaurigout, curé de Saint-Nicolas-des-Champs, contre son évêque ; mais loin de contrarier notre système, ce rapprochement tendrait plutôt à le fortifier et nous confirme dans l’opinion que notre anonyme doit être un membre du clergé de Notre-Dame, et non Beaurigout. Si l’auteur du Journal a inséré dans son récit quelques lignes visant particulièrement l’évêque et ses procès au Parlement, c’est que le chapitre de Notre-Dame, dont il était membre, se trouvait personnellement engagé dans le procès de Beaurigout, qu’il avait pris fait et cause pour ce curé de Saint-Nicolas-des-Champs, l’un des chapelains de l’église cathédrale ; il y avait là une affaire d’exemption intéressant le corps capitulaire tout entier. Il suffit de parcourir les délibérations des chanoines pour juger de l’importance que le chapitre attachait à ce débat ; de mars à mai 1441, c’est presque à chaque séance que l’on s’occupe de cette fastidieuse question, soit de la procédure au Parlement entre l’évêque et le chapitre « sur le fait de l’exemption de Notre-Dame », à propos du curé de Saint-Nicolas-des-Champs. Tantôt, le corps capitulaire propose de s’entendre avec l’évêque pour la nomination d’arbitres, tantôt il désigne des chanoines chargés de conseiller le curé de Saint-Nicolas-des-Champs et de recueillir les ressources nécessaires pour la poursuite du procès, ou bien encore il délègue quelques-uns de ses membres auprès du premier président du Parlement[33]. Bref, il est incontestable qu’au début de l’année 1441, cette affaire préoccupa vivement, passionna même les chanoines, surtout le chancelier Jean Chuffart, que nous voyons figurer en 1438, 1439 et 1440 parmi les chanoines munis de pleins pouvoirs à l’effet de suivre les causes du chapitre au Parlement, et aux requêtes du palais[34]. Ce point établi, doit-on éprouver quelque surprise de rencontrer dans le Journal parisien une allusion à l’esprit processif de Denis du Moulin ? Quant aux développements que consacre notre chroniqueur « à la pratique bien estrange » imaginée par l’évêque de Paris « ou ses très deloyaulx complices » peut-être paraîtront-ils moins extraordinaires dans la bouche du chanoine Jean Chuffart qui remplit les fonctions de commissaire délégué par l’évêque de Paris pour les causes testamentaires dans la ville et le diocèse de Paris et qui, par conséquent, eut dans ses attributions le règlement des diverses questions que pouvait soulever l’exécution des testaments[35], nul doute que le caractère inquisitoire de la mesure prise par l’évêque de Paris dans un but purement fiscal n’ait fortement indisposé Jean Chuffart. En voyant l’auteur présumé du Journal parisien nous mettre dans la confidence de ses griefs contre l’évêque Denis du Moulin et manifester son mécontentement, l’on a moins de peine à s’expliquer le décousu de cette partie de notre chronique.

Il n’est pas indifférent de déterminer le quartier de Paris habité par le chanoine Jean Chuffart. Rien ne nous empêche d’admettre, conformément aux conclusions de M. Longnon, que, pour la période de sa vie antérieure à 1420, il ait élu domicile sur la rive droite de la Seine, un peu plus tard nous constatons son établissement définitif dans la Cité. En effet, peu de temps après sa réception comme chanoine de Notre-Dame, il acquit moyennant 200 écus d’or la maison du cloître qu’occupait son prédécesseur Jean de Saint-Verain[36] ; c’est là que s’écoula toute son existence. La maison claustrale de Jean Chuffart, située non loin du port Saint-Landry, était attenante à la maison du chanoine Pasquier de Vaulx, derrière laquelle se trouvait un jardin aboutissant à la rivière ; cette proximité du fleuve explique les détails circonstanciés que donne l’auteur du journal à partir de 1420 sur les débordements de la Seine du côté de l’île Notre-Dame, des Ormeteaux et de la Grève, dont plus que personne il était à même de suivre les progrès.

Dans l’hypothèse qui place l’habitation de notre chroniqueur près de Notre-Dame, on conçoit qu’il s’attache à relater tout ce qui concerne l’église cathédrale, le Palais, la Sainte-Chapelle, l’Hôtel-Dieu sur lequel il est bien informé, puisqu’il se fait l’écho des doléances des malades au sujet des maigres reliefs du sacre de Henri VI et qu’il nous fait connaître le chiffre des malades enlevés par l’épidémie de 1439. On comprend également que l’ouverture d’un marché devant l’église de la Madeleine en 1436 ait frappé son attention, de même que le baptême de l’enfant phénoménal né à Aubervilliers, baptême qui eut lieu dans l’église de Saint-Christophe en la Cité. Le curé de cette église étant à la nomination du chapitre et faisant partie du clergé de Notre-Dame, il ne serait point extraordinaire que notre chanoine eût été curieux d’assister à cette cérémonie, pour examiner à son aise et tenir entre ses mains le phénomène en question, comme on le voit par le récit du journal parisien. Un passage inédit de notre chronique (année 1438) signale dans le voisinage immédiat de la maison habitée par notre anonyme la chambre de maître Hugues ; ne s’agirait-il point ici d’une de ces chambres dépendant des maisons canoniales et qui servaient de logement au clergé inférieur de Notre-Dame[37] ? Il est difficile de vérifier jusqu’à quel point cette assertion pourrait se trouver fondée.

Tels sont les principaux arguments qui nous permettent de rattacher l’œuvre du prétendu bourgeois de Paris à un membre du clergé de Notre-Dame, le chanoine et chancelier Jean Chuffart.


b. l’auteur du journal parisien, anglo-bourguignon d’abord, se rallie en 1436 au partie national

De tous les chroniqueurs des règnes de Charles VI et Charles VII dont les écrits ont été conservés, aucun ne se distingue par une couleur aussi accentuée que l’auteur de notre journal. Fervent bourguignon dès l’origine et partisan déclaré de la faction des bouchers, il embrasse la cause anglaise et ne prend pas la peine de déguiser son aversion profonde pour les Armagnacs qu’il rend responsables de toutes les calamités qui désolèrent Paris sous la domination étrangère. Ce caractère si nettement accusé de la chronique anonyme de 1405 à 1449 doit selon nous se retrouver chez son auteur et dans les principales phases de son existence ; la persistance de ses sentiments hostiles à l’égard des Français ou Armagnacs permet de le compter au nombre de ces représentants du clergé parisien qui, dans maintes occasions solennelles, affirmèrent hautement leurs sympathies pour le gouvernement anglais. Cette pensée était venue à M. Longnon lorsqu’à l’appui de sa thèse il nous montrait le curé de Saint-Nicolas-des-Champs (c’est-à-dire Jean Beaurigout) jurant le 26 août 1429 l’exécution du traité de Troyes ; nous suivrons son exemple et nous chercherons le chanoine de Notre-Dame auquel nous attribuons le journal parisien dans les rangs des prêtres anglo-bourguignons. Bien que la plupart des personnages ecclésiastiques qui prêtèrent serment entre les mains du Parlement ne soient désignés que par leurs titres de curés ou de prieurs, nous avons cependant remarqué deux noms inscrits en tête de la liste donnée par le greffier Fauquembergue, ceux de Pasquier de Vaulx et de Jean Chuffart, tous deux chanoines de Notre-Dame. Jean Chuffart, que M. Quicherat, dans la table des Procès de Jeanne d’Arc, appelle un notable de Paris, est bien le dignitaire du chapitre que nous connaissons ; il peut donc prendre place parmi ces membres du clergé qui n’attendirent point qu’on vînt leur demander le serment de fidélité, mais qui s’empressèrent de consacrer par une adhésion spontanée le fameux traité de Troyes. À cette même époque, le chanoine Jean Chuffart était, paraît-il, fort bien vu du gouvernement anglais, si l’on en juge par un mandement du roi Henri VI, à l’adresse du Parlement de Paris, portant évocation d’une cause pendante entre le chapitre de Saint-Marcel et le même personnage, mandement dans lequel le roi le qualifie de « nostre amé »[38]. Néanmoins, il ne faut pas se dissimuler que Jean Chuffart, tout en acceptant comme beaucoup d’autres la domination anglaise, ne devint point anglais de cœur et d’âme ; bourguignon il était, bourguignon il resta, et lorsque le traité d’Arras rétablit la paix depuis si longtemps rompue entre le roi de France et le duc de Bourgogne, il suivit sans hésitation le parti du souverain légitime ; nous en donnerons plus loin une preuve non équivoque.

Les mêmes fluctuations se remarquent chez l’auteur du journal parisien, à partir de la reddition de Paris à Charles VII ; autant le chroniqueur se montre précédemment adversaire intraitable des Armagnacs, autant il se radoucit et change de ton. Les Armagnacs disparaissent complètement de la scène politique et deviennent les Français ; quant à Charles de Valois, il n’est plus nommé que le roi de France. Pour expliquer une aussi rapide évolution, est-il nécessaire de recourir au système de l’académicien La Barre qui concluait à l’existence de deux auteurs distincts, ou bien doit-on admettre un remaniement de l’œuvre primitive ? Nous ne le pensons pas. Rien de plus simple, de plus facile à concevoir avec l’hypothèse que nous émettons plus haut. Après la soumission de Paris aux Français, l’homme d’église, quel qu’il soit, auquel nous devons le journal parisien, au lieu de quitter la capitale à la suite des Anglais, se rallie à la cause nationale, ainsi que le dénote l’apaisement de son esprit ; s’il conserve encore quelqu’animosité, ce n’est point contre la personne de Charles VII, mais contre celle du Dauphin et des « faulx gouverneurs » dont les exactions répétées ruinaient les Parisiens, gens d’église et autres ; c’est contre les gens de guerre et leurs chefs, dont le brigandage s’exerçait en toute liberté aux portes mêmes de Paris. Il a compassion de la situation misérable faite à Paris, à cette ville qu’il aimait par-dessus tout ; il déplore toutes ces oppressions, toutes ces tailles, toutes ces males gaignes, toute cette cherté dont personne n’avait souci, le roi moins que personne.

Loin de perdre au départ de l’étranger, le chanoine Jean Chuffart, quoique compromis par une profession de foi anglaise faite publiquement, y gagna un siège de conseiller-clerc au Parlement de Paris, qu’il obtint le 12 novembre 1487[39]. On observera que cette réception de Jean Chuffart en qualité de conseiller suivit de très près le retour du Parlement de Poitiers à Paris, que mentionne l’auteur du journal, en l’accompagnant de réflexions en faveur du régime nouveau qui rappela « aucuns bourgoys par doulceur, leur pardonnant tout très doulcement, sans reprouche et sans mal mettre eulx ne leurs biens. » Au début de l’année 1442 le chroniqueur constate que le Parlement interrompit ses plaidoiries et ne les reprit que le 21 février ; le motif de la suspension des séances touche tellement à la vie intime du Parlement et offre si peu d’intérêt pour tout autre qu’un parlementaire que celui qui en a pris note devait tenir par un lien quelconque à cette cour souveraine. Voici en effet ce que nous apprend le registre des plaidoiries à la date du 19 février 1442 : « Ce jour est recommencié le Parlement à tenir, lequel avoit et a cessé par faulte de paiement de gaiges depuis le venredi avant Noël derrainement passé jusques à huy[40]. »

Un fait caractéristique, sur lequel personne n’a insisté jusqu’ici, est l’esprit d’opposition qui anime l’auteur du journal parisien sous tous les régimes qui se sont succédé à Paris de 1409 à 1449. Durant la domination anglaise, bien qu’il se montre l’ennemi acharné des Armagnacs, il ne cesse d’attaquer les personnages du parti anglo-bourguignon chargés de la direction des affaires, notamment l’évêque de Thérouanne, chancelier de France pour les Anglais, qu’il qualifie « d’homme très cruel, moult hay du peuple ». Après la réduction de Paris sous l’autorité de Charles VII, il s’en prend aux « faulx gouverneurs » et surtout au connétable de Richemont qu’il ne craint pas d’accuser de trahison. Quelle est la cause de cette hostilité systématique ? D’où vient que notre chroniqueur parle toujours avec une certaine aigreur de ceux qui sont au pouvoir, tout en respectant la personne du souverain ? À nos yeux, le chroniqueur resta toute sa vie homme d’opposition, parce que dévoré d’une ambition démesurée qu’il ne put jamais satisfaire, il brigua constamment les charges officielles sans arriver au but de ses désirs ; son rêve, on le voit bien, était d’entrer dans le conseil du roi, et son langage trahit plus d’une fois cette secrète envie. Ouvrez notamment le journal à l’année 1439, vous y verrez notre anonyme se plaindre de l’absence prolongée du roi de France « qui se tenoit tousjours en Berry par les mauvais conseils qu’il avoit » ; en 1441, déplorant les excès commis par les gens de guerre, excès encouragés par leurs chefs, il s’écrie : « Ainsi estoit ce roy Charles le VIIe gouverné, voire py que je ne le dy, car ilz le tenoient comme on fait ung enfent en tutelle. »

Le chancelier Jean Chuffart nous paraît, mieux que tout autre, répondre à ces données du Journal ; la haute situation qu’il occupait dans le monde ecclésiastique et universitaire lui permettait de prétendre aux faveurs du souverain dont il avait embrassé la cause après l’expulsion des Anglais. Avec une habileté remarquable, Jean Chuffart avait longtemps d’avance préparé les voies ; dans un mémoire politique adressé à la reine Isabeau de Bavière, mémoire qui semble devoir lui être attribué, nous le voyons tracer tout un programme de gouvernement à l’adresse du roi de France[41]. Ce fut peine perdue, jamais Charles VII ne daigna jeter les yeux sur lui et ne songea à l’appeler dans ses conseils ; ce prince avait trop conscience du rôle néfaste joué par sa mère pour introduire dans son entourage l’un des conseillers les plus intimes de cette reine ; on comprend que mis à l’écart et méconnu, notre anonyme n’ait jamais manqué l’occasion de battre en brèche tous ceux que Charles VII honorait de sa confiance.

c. l’auteur du journal parisien fait un voyage au siège de meaux.

Entre toutes les chroniques du xve siècle, le Journal parisien des règnes de Charles VI et de Charles VII est celle qui nous fournit les informations les plus précises et les plus détaillées sur le siège de Meaux par les Anglais. Dans le récit palpitant d’intérêt que nous a laissé notre anonyme, il y a une variété et une abondance de renseignements vraiment surprenante, et l’on se demande comment un Parisien, un homme d’église surtout, pouvait connaître avec cette exactitude minutieuse les moindres incidents de ce siège, notamment les exploits sinistres du bâtard de Vauru, racontés dans ce style coloré qui rend si attachante la lecture de notre journal. Ne serait-on pas tenté de croire que notre chroniqueur était témoin oculaire des faits qu’il rapporte ? Tout lecteur attentif du journal parisien remarquera l’insistance que met l’auteur à rappeler la présence du roi d’Angleterre au siège de Meaux ; à deux reprises différentes il répète que Henri V y passa les fêtes de Noël et des Rois ; or nous voyons par les registres capitulaires de Notre-Dame que Jean Chuffart, à qui nous attribuons le journal parisien, fut précisément l’un des chanoines qui, vers le milieu de janvier 1422, eurent mission de se rendre auprès du roi d’Angleterre afin de lui présenter des lettres du chapitre concernant l’élection de Jean Courtecuisse comme évêque de Paris, élection qui n’avait point l’agrément du souverain anglais. N’est-il pas curieux de constater que dans la partie du journal parisien qui coïncide avec l’époque de ce voyage, l’auteur, après avoir dépeint la situation désespérée des laboureurs de la Brie ruinés par les déprédations des Anglais, nous entretient précisément de Jean Courtecuisse, cet évêque de Paris élu par l’Université, le clergé et le Parlement, qui ne pouvait prendre possession de son siège, parce qu’il n’était pas dans les bonnes grâces du roi d’Angleterre ? N’est-ce point là une allusion transparente à la mission que venait de remplir le prêtre à qui nous serions redevable du Journal parisien ? Si d’une part il est difficile d’admettre que le chroniqueur qui s’étend si longuement sur le siège de Meaux n’ait pas été à même de vérifier personnellement bien des faits, comment supposer d’autre part qu’un homme d’église de Paris se soit hasardé à entreprendre un voyage aussi périlleux en plein pays ennemi, sans être protégé par une délégation d’un caractère officiel analogue à celle dont les chanoines Perrière et Chuffart eurent la charge et l’honneur peu enviables dans ces temps troublés[42] ?


d. l’auteur du journal est un haut personnage de l’université de paris.

L’une des conditions essentielles que doit remplir l’auteur du Journal parisien est d’appartenir au corps universitaire, non à un titre infime, mais dans un rang éminent ; c’est du reste ce que laisse entrevoir le passage bien connu où le narrateur se compte lui-même parmi les membres les plus considérables de l’Université. D’après le sentiment du président Fauchet, exprimé dans une note mise à la marge du manuscrit de Rome, l’auteur de notre journal devait être un homme d’église ou docteur de quelque faculté. Si tout chez notre chroniqueur annonce l’homme d’église, il ne s’ensuit pas nécessairement, comme l’ont supposé Etienne Pasquier et Denis Godefroy[43], qu’il doive être un théologien ; on pourrait citer plus d’un chanoine de Notre-Dame n’ayant aucun grade en la faculté de théologie. Ceci posé, voyons si le chanoine-chancelier de Notre-Dame se trouve dans les conditions requises.

Lors de sa réception comme chanoine en 1420, Jean Chuffart prend le titre de maître ès-arts et licencié en décret. Dès cette époque il occupait dans le corps universitaire une situation considérable, car l’année suivante il était appelé au poste de recteur pour le quartier d’octobre à décembre (1421). À cette occasion, Jean Chuffart fît demander aux chanoines ses confrères la continuation des distributions capitulaires qu’il devait perdre en prenant possession de sa dignité, Jean Voignon et Nicolas Fraillon furent chargés le 15 octobre 1421 de conférer avec le nouveau recteur qui obtint gain de cause et vint le 30 octobre remercier le chapitre de la faveur qu’on voulait bien lui accorder[44]. Ce n’est que le 30 juillet 1437 que Jean Chuffart, depuis longtemps déjà chancelier de l’église de Paris[45] et jouissant en cette qualité du privilège de faire passer les examens de la maîtrise ès-arts[46] et de la licence en théologie[47], se fit recevoir docteur en décret. La veille du jour fixé pour la cérémonie, il pria ses confrères d’assister à la dispute scolastique ainsi qu’au dîner qui devait couronner la fête, le chapitre répondit évasivement que tous feraient de leur mieux pour se rendre à son invitation[48].

Une fois en possession du titre de docteur, Jean Chuffart ne borna point là son ambition et voulut entrer dans le corps enseignant. Après la mort de Jean Hubert, il devint régent en la faculté de décret ; le 20 octobre 1437 il acquit des exécuteurs testamentaires de ce même Jean Hubert une maison située dans le haut de la rue du Clos Bruneau à l’enseigne de Saint-Eustache, et servant d’école de décret. C’est là qu’il ouvrit ses cours et qu’il professa jusqu’à sa mort, en 1451 ; par son testament il légua cette maison avec ses bancs et pupitres « à la vénérable faculté de Décret en l’université de Paris » qui lui avait procuré « plusieurs prouffiz » et fait « grant courtoisie » lors de sa réception comme docteur.

Jean Chuffârt appartenait à la nation de Picardie, qui l’aida dans sa carrière, et que notre chanoine, en fils reconnaissant, obligea plus d’une fois de ses deniers ; dans l’expression de ses dernières volontés, il ne l’oublia pas et l’inscrivit pour un legs de 20 écus d’or[49].

On le voit, le chancelier Jean Chuffart répond à toutes les exigences de notre journal. Non seulement il occupait dans l’université un rang élevé, mais encore il faisait partie du corps enseignant ; aussi pouvait-il, sans orgueil exagéré, se compter au nombre de ces parfaits clercs qui soutinrent au collège de Navarre une discussion publique contre Fernand de Cordoue. En rehaussant ainsi la valeur de sa personne, Jean Chuffart obéit probablement à un sentiment d’irritation motivé par les attaques dont il fut l’objet au sein de l’université. La faculté de théologie ne put jamais lui pardonner son élévation au poste de chancelier de l’église de Paris et ne cessa de demander que le chancelier de Notre-Dame fût choisi à l’avenir parmi les maîtres en théologie à l’exclusion de tous autres ; elle finit par triompher et, le 4 mai 1444, fit présenter au chapitre les bulles d’Eugène IV faisant droit à cette réclamation[50].


e. l’auteur du journal est l’un des clercs attachés a la maison d’isabeau de bavière.

Le Journal parisien renferme çà et là quelques mentions relatives à Isabeau de Bavière dans la dernière période de son existence, à un moment où, reléguée dans l’hôtel de Saint-Paul, cette reine était en quelque sorte oubliée de tous ; il nous paraît difficile de croire que certaines de ces mentions soient un pur effet du hasard. À la rigueur on comprend qu’un chroniqueur, un chroniqueur parisien surtout, ait inséré dans son récit ce qui a trait aux funérailles de la reine déchue, qu’il se soit trouvé à même de remarquer les larmes versées par Isabeau de Bavière lors du passage de son petit-fils devant l’hôtel de Saint-Paul ; mais il n’est guère admissible qu’une personne étrangère à son entourage ait pu écrire ce que rapporte l’auteur du Journal à l’année 1424, alors qu’Isabeau de Bavière se consumait dans la pauvreté et dans l’abandon.

Voici au reste en quels termes s’exprime notre chroniqueur :

En icellui temps, estoit la royne de France demourante à Paris, mais elle estoit si pouvrement gouvernée qu’elle n’avoit tous les jours que viii sextiers de vin tout au plus pour elle et son tinel, ne le plus de Paris qui leur eust demandé : « Ou est la royne ? » ilz n’en eussent sceu parler.

Tant en tenoit on pou de compte, que à paine en challoit il au peuple, pour ce que on disoit qu’elle estoit cause des grans maulx et douleurs qui pour lors estoient sur terre.

Item, la royne de France ne se mouvoit de Paris, ne tant ne quant, et estoit aussi comme se ce feust une femme d’estrange pais enfermée tout temps en l’ostel de Sainct-Paul… et bien gardoit son lieu comme femme vefve doit faire.

Ce langage n’est pas celui d’un indifférent, c’est le langage que pouvait tenir l’un de ces clercs qui vivaient autour de la reine et qui formaient son conseil ; quel autre pouvait savoir que la veuve de Charles VI était rationnée au point qu’on lui mesurait la quantité de vin nécessaire à la consommation de sa maison ? Ces clercs honorés de la confiance d’Isabeau de Bavière, pendant cette domination anglaise qui pesait si lourdement sur elle, étaient Jean Chuffart, son chancelier, et Anselme Happart, son confesseur. Tous deux sont nommés dans le testament que fit la reine le 2 septembre 1431 et figurent au nombre de ses exécuteurs testamentaires[51]. De ces deux personnages, le premier seul se trouve en harmonie avec les données essentielles de notre Journal, car Anselme Happart, connu comme maître en théologie de l’université de Paris et gouverneur de l’hôpital Saint-Gervais, ne semble pas avoir rempli de fonctions curiales à Paris et surtout ne fit point partie du clergé de Notre-Dame. Reste donc la personne de Jean Chuffart, chancelier et principal conseiller d’Isabeau de Bavière, qu’il convient de soumettre à un examen sérieux.

Le chancelier de la reine Isabeau n’est pas un inconnu ; sa personnalité a déjà été mise en lumière par notre regretté maître, feu Vallet de Viriville, qui, dans une notice servant d’éclaircissement à un mémoire politique intitulé : Advis à la reine Isabelle[52] s’est attaché à démontrer que cet intéressant document ne pouvait être attribué qu’à l’un des deux conseillers désignés plus haut. Le savant historien de Charles VII, basant son appréciation sur divers indices, notamment sur la connaissance familière des coutumes et pratiques de la chancellerie que dénote ce mémoire, n’est pas éloigné de croire que ce « traicté pour le gouvernement de la maison du roy et du royaulme de France » fut rédigé sous les auspices du chancelier d’Isabeau de Bavière. Cette attribution nous semble parfaitement justifiée ; il est en effet naturel de supposer que celui qui vaquait tous les jours aux affaires de la reine et jouissait de toute sa confiance était mieux que personne en situation d’énoncer un ensemble de vues politiques et de faire goûter ses conseils. Sans nous arrêter davantage sur ce point difficile à éclaircir, voyons si l’époque de l’entrée en fonctions du chancelier d’Isabeau coïncide avec les détails que fournit l’auteur du Journal parisien sur l’aïeule du roi d’Angleterre et sur son genre de vie. Lors de l’élection de Nicolas Fraillon à l’évêché de Paris, c’est-à-dire vers la fin de 1426, Jean Chuffart est mentionné dans les registres capitulaires de Notre-Dame, avec le titre de chancelier de la reine[53] ; mais il n’est pas douteux qu’il occupait déjà ce poste en 1425 ; à la date du 9 novembre, le chanoine Jean Chuffart présenta au chapitre un vase précieux au nom d’une personne qui voulut garder l’anonyme, mais qui très vraisemblablement était la reine Isabeau[54]. Il y a donc de fortes présomptions pour que notre chanoine fût en rapport avec Isabeau de Bavière dès l’année 1424, ce qui permettrait d’expliquer le profond respect et la déférence toute particulière que manifeste l’auteur de la chronique parisienne lorsqu’il est amené à parler de la reine déchue. Ajoutons que Jean Chuffart est désigné dans le testament d’Isabeau de Bavière parmi ses exécuteurs testamentaires, non à titre purement honorifique, comme les évêques de Thérouanne, de Paris, de Noyon et de Meaux, mais comme l’un de ceux dont le concours fut jugé indispensable. Aussi, plus de onze ans après la mort de la reine (le 28 février 1447), nous le voyons à titre d’exécuteur testamentaire demander au chapitre de Notre-Dame l’inscription de l’obit d’Isabeau de Bavière[55]. Constatons enfin que suivant le témoignage de Jean Chartier, l’historiographe officiel de Charles VII, lorsque la dépouille mortelle de la pauvre reine fut transportée à Saint-Denis sur un petit bateau, quatre personnes seulement l’accompagnèrent à sa dernière demeure, « comme se c’eust esté la plus petite bourgoise de Paris[56] » et que l’un de ceux qui conduisaient le deuil était précisément le chancelier Chuffart ; aussi n’est-il pas sans intérêt de rappeler que dans le récit des obsèques d’Isabeau de Bavière inséré par notre anonyme dans sa chronique, cette circonstance du voyage funéraire à Saint-Denis par la Seine n’est pas oubliée. En présence de tous ces indices, il nous semble impossible que le prêtre de Notre-Dame, à qui nous attribuons le Journal parisien, ne soit pas en même temps sinon le chancelier, au moins l’un des conseillers les plus intimes de la reine Isabeau.
f. l’auteur du journal se rattache au clergé de sainte-opportune, de saint-germain-l’auxerrois, de saint-laurent et saint-eustache.

Peu de clercs parisiens au XVe siècle eurent le talent de réunir autant de prébendes et de bénéfices que vénérable et discrète personne, Me Jean Chuffart. Quoiqu’il fût chanoine et chancelier de Notre-Dame, son ambition ne se trouva point satisfaite, et pour ainsi dire jusqu’à la fin de sa carrière, il ne cessa d’aspirer à de nouvelles dignités. Le 3 février 1433, Jean Chuffart fit exprimer par son protecteur, le cardinal de Sainte-Croix (mentionné à cette époque dans le Journal parisien), ses réserves au sujet d’un canonicat vacant dans l’église de Sainte-Opportune ; sept jours après, il fut reçu chanoine en remplacement de Jean des Prés qui échangea sa prébende contre la chapellenie de Saint-Éloi à Sainte-Geneviève, chapellenie dont Jean Chuffart était titulaire[57]. Jean Chuffart resta jusqu’à sa mort chanoine de Sainte-Opportune, et légua à cette collégiale la nue propriété de la maison qu’il possédait dans le cloître de Sainte-Opportune, avec 32 sous de rente sur un autre immeuble lui appartenant, sis rue Saint-Denis, à l’enseigne des Rats et de la Corne de Cerf[58].

Le canonicat de Sainte-Opportune, qui était des plus modestes, ne fut pour Jean Chuffart qu’un acheminement à de plus importants bénéfices. Un siège canonial s’étant trouvé vacant à Saint-Germain-l’Auxerrois par suite de la résignation d’Hervé Fresnoy, il l’obtint le 8 octobre 1438. Seulement ses visées étaient plus ambitieuses, il désirait non une simple prébende, mais la dignité de doyen que laissait libre la mort de Jean Vivien ; ses efforts furent couronnés de succès. L’élection de Jean Chuffart comme doyen suivit de très près sa réception comme chanoine ; nommé le 24 octobre 1438, il fut installé le 7 novembre suivant[59]. Ne s’estimant point satisfait, le même personnage, sur la fin de sa carrière, ajouta à ces nombreux bénéfices des fonctions pastorales à Saint-Laurent, où il remplaça Louis le Mercier le 3 janvier 1442[60], et à Saint-Eustache, où nous le voyons prêter serment comme curé le 27 décembre 1448[61].

Mais, nous objectera-t-on, l’accession de Jean Chuffart à toutes ces dignités n’a aucun rapport avec le Journal parisien ni son auteur ; nous répondrons que l’ensemble de ces particularités nous paraît fournir un nouvel argument en faveur de l’attribution de cette chronique au chancelier de Notre-Dame. Une lecture attentive de la portion du Journal comprise entre les années 1437 et 1449 met en évidence ce fait curieux, que pour cette seule période de douze années les mentions relatives à l’église et au cimetière des Innocents sont en nombre infiniment plus considérable que dans tout le reste du récit. Comment s’expliquer le soin minutieux avec lequel notre anonyme a noté tout ce qui intéresse l’église des Innocents, et pourquoi à cette époque plutôt qu’à une autre ? Pour quelle raison a-t-il inséré dans le journal de ces douze dernières années des détails d’un intérêt aussi restreint que l’inauguration d’une simple chapelle le 15 août 1437, tandis que pour une période bien plus étendue, il ne s’arrête qu’aux faits de nature à frapper l’attention de tout le monde, tels que la représentation picturale de la danse macabre, et le sermon prêché par le cordelier Richard ? Pour qu’à un certain moment de son existence, le chroniqueur parisien ait pris intérêt à fixer le souvenir de tout ce qui pouvait concerner l’église et le cimetière des Innocents, il faut que le cercle quotidien de ses occupations l’y ait en quelque sorte amené. Or, Jean Chuffart, chanoine de Sainte-Opportune depuis 1433, se trouvait par ce fait mêlé à l’administration intérieure de la paroisse des Innocents, puisque le chapitre de Sainte-Opportune avait non seulement le droit de présentation à cette cure, mais encore droit de collation des différentes chapellenies. Les délibérations capitulaires conservées depuis l’année 1451 nous montrent le chapitre nommant les chapelains des autels de Notre-Dame, de Saint-Denis et Saint-Antoine, de Saint-Michel, de Saint-Louis, faisant réparer la maison presbytérale, recevant un nouveau vicaire perpétuel ou curé des Innocents, réglant en un mot toutes questions ayant trait au spirituel et au temporel de l’église[62]. De plus, le vicaire perpétuel n’exerçait aucun acte de son ministère sans le soumettre au contrôle du chapitre[63]. Ces points établis, devrons-nous nous étonner de rencontrer dans le Journal parisien à la date de juin 1437 un long paragraphe relatif à la profanation de l’église des Innocents par des mendiants et à l’interruption du service divin, paragraphe rédigé avec une précision de détails qu’on aurait droit de trouver extraordinaire dans la plume de tout autre qu’un habitué de la paroisse ou d’un chanoine de Sainte-Opportune ?

Qu’on lise le récit de la « belle prédication » faite en 1449 aux Innocents par l’évêque Guillaume Chartier, et de la procession bien piteuse des enfants de toutes les écoles qui partirent des Innocents pour se rendre à Notre-Dame, et l’on nous dira si la personnalité du chanoine de Sainte-Opportune et de Notre-Dame ne semble pas s’y révéler à tous les yeux. Celle du chanoine et doyen de Saint-Germain-l’Auxerrois apparaît avec non moins de certitude dans d’autres circonstances dignes de remarque. Le chapitre de Saint-Germain-l’Auxerrois possédait d’ancienneté sur le cimetière des Innocents un droit de propriété foncière qui, souvent contesté, donna naissance à d’interminables procès ; c’est en vertu de ce droit qu’il se prétendait fondé à instituer les fossoyeurs, à accorder ou refuser les permissions de sépulture, à octroyer les autorisations nécessaires pour l’érection de croix, tombes et épitaphes dans le cimetière, sous les charniers et entre les piliers des charniers.

En nous rappelant que Jean Chuffart était chanoine et doyen de Saint-Germain-l’Auxerrois dès 1438, n’y a-t-il point quelque chose de caractéristique dans l’intérêt particulier que manifeste l’auteur du Journal parisien pour certains faits d’une importance secondaire relatifs au cimetière des Innocents, notamment en 1441, lorsqu’il nous apprend que quatre mois durant les inhumations y furent suspendues par suite des prétentions exagérées de l’évêque de Paris qui réclamait une somme d’argent excédant les ressources de l’église ? Si notre anonyme semble prendre à cœur cette affaire au point d’exprimer en termes amers tout le mécontentement qu’il en ressent, c’est qu’il est lui-même victime de la cupidité de l’évêque Denis du Moulin ; au lieu de voir dans ce passage, comme le fait M. Longnon, le langage d’un des adversaires de l’évêque en cour de Parlement, nous avons une explication plus naturelle à proposer.

Jean Chuffart, en sa qualité de chanoine de Saint-Germain-l’Auxerrois, se trouvait, ainsi que ses confrères, directement intéressé au débat soulevé par l’évêque, et surtout ne devait être que médiocrement satisfait d’avoir à s’imposer un sacrifice pécuniaire. L’extrait suivant des délibérations capitulaires de Saint-Germain-l’Auxerrois prouve que les chanoines de cette collégiale durent payer une certaine somme d’argent pour obtenir la « réconciliation » ou bénédiction nouvelle des lieux profanés :

Anno 1440, penultima die decembris, capitulantibus dominis, concluserunt quod magister Nicasius predictus (Nicaise Joye, l’un des chanoines) tradat pro prosequcione reconciliacionis cimisterii Sanctorum Innocentium, prout ceteri ad quos pertinet, vi solidos Parisiensium[64].

Poursuivant l’analyse de notre Journal, nous arrivons à ce passage bien connu où le chroniqueur parisien raconte sous la date du 11 octobre 1442 l’installation d’une recluse dans sa logette du cimetière des Innocents. Ici encore se dévoile l’individualité du chanoine de Saint-Germain-l’Auxerrois. Il semble que l’auteur du Journal, lorsqu’il nous parle de la recluse, soit parfaitement au courant de ce qui la concerne.

Effectivement, la nouvelle recluse des Innocents n’était pas une étrangère pour le doyen de Saint-Germain-l’Auxerrois, puisque dans la séance capitulaire tenue le 2 août 1442, Jeannette la Verrière fit demander par Jean Boileau, curé de l’église de Sainte-Croix en la Cité, la permission de construire dans le cimetière des Innocents, près de l’église, un réduit où elle se proposait de finir ses jours dans la prière. Les chanoines appelés à délibérer sur cette requête prirent en considération le pieux dessein de Jeanne la Verrière et accordèrent l’autorisation nécessaire[65]. Il n’est donc pas étonnant que, dans son Journal, notre chanoine ait mentionné la cérémonie imposante par laquelle la recluse était retranchée du nombre des vivants.

Jean Chuffart, si l’on se place à un point de vue personnel, voyait d’un œil sympathique ces pauvres cloîtrées ; il en donna un témoignage l’année même de sa mort. Dans l’expression de ses dernières volontés, il n’eut garde d’oublier les recluses de Paris qui étaient alors au nombre de trois, deux aux Innocents et une à Sainte-Marie l’Égyptienne, et laissa à chacune d’elles trois aunes de drap noir pour s’en faire une robe ou un manteau[66].

Le dépouillement attentif des registres capitulaires de Saint-Germain-l’Auxerrois nous révèle une particularité intéressante qui tendrait une fois de plus à confirmer l’attribution du Journal parisien au chanoine Jean Chuffart. Voici ce dont il s’agit. Le chroniqueur racontant l’entrée du connétable de Richemont à Paris en 1436 nous donne des détails d’une précision extraordinaire et que l’on ne rencontre nulle part ailleurs ; ainsi aucun texte contemporain ne mentionne le passage de Jean l’Archer par la rue Saint-Martin, ni le meurtre de ces deux bourgeois inoffensifs, très bons mesnagers et hommes d’honneur, qui furent massacrés devant Saint-Merry. Ne semble-t-il pas que le narrateur ait eu connaissance de ces menus faits par quelque témoin oculaire, car il tombe sous le sens que dans un moment aussi critique un homme d’église ne pouvait prendre plaisir à courir les rues sous les flèches des Anglais ? Or, voici ce que nous apprennent les registres capitulaires cités plus haut. Trois ans après l’expulsion des Anglais, le 30 avril 1440, une pauvre femme, sœur Gillette, veuve de Jean le Prêtre, appartenant à la communauté de la Chapelle Haudry, se présente devant le chapitre de Saint-Germain-l’Auxerrois, et, ce qui ne laisse aucun doute sur son identité, elle vient pour solliciter des chanoines le dégrèvement de quatre livres de rente qu’elle devait au corps capitulaire pour sa maison sise devant Saint-Merry, maison qui tombait en ruine[67]. Ne peut-on admettre que notre chanoine, avide de se renseigner sur les incidents peu connus du départ des Anglais, ait profité de cette occasion pour recueillir de la bouche de cette malheureuse veuve la relation de la fin tragique de son mari et des circonstances au milieu desquelles cette fin s’était produite ? Sans insister outre mesure sur une coïncidence qui n’est peut-être due qu’au hasard, nous ne croyons pas inutile de la signaler à l’attention des érudits.


g. l’auteur du journal appartient au clergé de la collégiale de saint-marcel.

De toutes les prébendes que recueillit Jean Chuffart dans le cours de sa longue existence, celle de Saint-Marcel fut la première dans l’ordre chronologique. Reçu chanoine de cette collégiale le 26 janvier 1432 au lieu et place de Jean Perrin[68], il obtint en 1487 le premier rang dans le chapitre. La date de sa réception comme doyen de Saint-Marcel peut se préciser par un acte du 7 septembre 1437, où nous voyons Jean Chuffart résigner la chapellenie de Sainte-Catherine en l’église paroissiale de Boulogne pour le doyenné de Saint-Marcel[69].

Le Journal parisien ne renferme que peu d’indications qui puissent se référer au chanoine de Saint-Marcel. Cependant nous citerons le paragraphe relatant une course des Armagnacs à Saint-Marcel dans la nuit du 7 mai 1433, c’est-à-dire à une époque où Jean Chuffart était déjà membre de la collégiale ; cette incursion, peu importante en elle-même, dut causer au chanoine des préoccupations d’autant plus vives qu’il possédait dans ce bourg une maison devant l’Hôtel-Dieu, au coin de la rue de Bièvre, avec terres labourables, jardin et vignes.

C’est en nous mettant au même point de vue que nous relèverons dans le Journal parisien une double mention concernant Vitry-sur-Seine ; la première, de l’année 1432, est relative à l’effondrement de l’église, qui fut foudroyée le jour de la Saint-Jean-Baptiste, au moment des vêpres ; la seconde, du commencement de l’année 1434, nous renseigne sur le pillage et l’incendie du village par les Armagnacs. Pour qu’un chroniqueur ait cru devoir conserver le souvenir d’accidents locaux relativement aussi peu importants, il faut que ses intérêts personnels ou ceux de la communauté à laquelle il appartenait se soient trouvés engagés. Or le chapitre de Saint-Marcel avait des possessions à Vitry, et lors de la répartition des gros revenus faite entre les chanoines le 22 février 1437[70], Vitry et les grands cens de Saint-Marcel furent attribués à Jean Chuffart qui, aux termes d’un bail passé le 24 août 1431, exploitait déjà sur le territoire de l’Hay et de Chevilly des biens d’une certaine importance[71].


h. l’auteur du journal parisien exploite des vignes à saint-marcel.

Un fait que l’on ne saurait mettre en doute, c’est que l’homme d’église à qui doit être attribué le Journal parisien se livrait à la culture de la vigne dans de vastes proportions et que la majeure partie de ses vignobles se trouvaient situés du côté de Saint-Marcel ; notre texte va nous permettre d’établir ces divers points.

Les nombreux lecteurs du Journal parisien savent avec quel soin minutieux l’auteur note les accidents climatériques, les variations de la valeur des denrées, l’abondance ou la rareté des plantes potagères et des fruits, le prix du vin et du blé ; mais personne n’a remarqué jusqu’ici l’importance extrême que notre chroniqueur semble attacher à la culture des vignes, ainsi qu’à tous ces détails qui ne peuvent guère intéresser qu’un vigneron, tels que l’époque de la floraison des vignes (en 1421), les gelées désastreuses qui, par parenthèse, le désolent au-delà de toute expression, la quantité de vin produite par un arpent, l’époque et le prix des vendanges, les dévastations systématiques des gens de guerre dans les vignobles. Si l’auteur du Journal enregistre maintes et maintes fois dans ses éphémérides la « grant foison » des hannetons, ce n’est pas, comme on pourrait le croire, dans un but futile, mais parce que ces insectes dévastaient les arbres plantés dans les vignes et jardins, tels que les amandiers et noyers. Il n’est pas d’année où l’on ne rencontre quelques lignes relatives aux vignes et vendanges, et plusieurs pages ne suffiraient pas pour relever tout ce qui a trait à ce sujet ; nous nous bornerons à citer en note les passages les plus caractéristiques[72].

De telles particularités, l’on est forcé d’en convenir, n’auraient point pris place dans le Journal parisien, si son auteur n’eût été directement intéressé dans la question ; un propriétaire de vignes pouvait seul se préoccuper du prix de la journée des vendangeurs et vendangeuses, et de l’octroi payé aux portes de Paris pour l’entrée des cuves des vendanges. Nous dirons plus, les vignes en question étaient sur le territoire de Saint-Marcel ; ce fait ressort d’une façon évidente d’un passage du journal où l’auteur parle des vendanges de l’année 1424, « les plus belles que oncques on eust veu d’aage de homme » ; après s’être étendu sur l’abondance exceptionnelle de la récolte et le renchérissement des futailles, il ajoute : « Tout homme de quelque estat, senon les gouverneurs, de tant de queues de vin qu’ilz cuillirent chascun paia très grant rançon, car tous ceulx qui avoient vin devers la porte Sainct-Jaques et celle de Bordelles, paoient de chascune queue iiii solz parisis, forte monnoye, et de poinsons, de caques, de barilz, au feur des queues. »

Il est clair que si le chroniqueur note le prix que devaient payer « tous ceulx qui avoient vin devers la porte Sainct-Jaques et de Bordelles », c’est que ses vignes à lui se trouvaient dans les parages de ces deux portes.

Il convient maintenant d’examiner si le chanoine Chuffart répond à ces données de la chronique parisienne.

Par décision du 26 mai 1427, le chapitre de Notre-Dame lui avait concédé à titre viager une maison dans le bourg de Saint-Marcel, moyennant une rente annuelle de six livres, et sous la réserve que toutes les terres que Jean Chuffart pourrait acquérir sur le territoire de Saint-Marcel seraient hypothéquées en garantie du revenu[73] ; le domaine en question se composant de maison, cour et jardin, était situé dans la grande rue du bourg, vis-à-vis l’Hôtel-Dieu, et comprenait des vignes d’une étendue assez considérable pour nécessiter l’établissement d’un pressoir dans l’immeuble appartenant au chapitre de Notre-Dame ; ce fait qui se produisit au début de l’année 1430 constituait une grave atteinte aux droits du chapitre de Saint-Marcel, lequel se réservait le pressurage de toutes les vignes comprises dans l’étendue de sa juridiction. Le 30 février 1430, Jean Chuffart annonça au chapitre de Notre-Dame son intention de tenir tête aux chanoines de Saint-Marcel qui exigeaient la démolition du pressoir nouvellement édifié[74], ajoutant qu’il n’avait agi de la sorte qu’en vue des intérêts de l’église de Paris, assertion qui s’écartait un peu de la vérité ; en effet, Jean Chuffart, en parlant ainsi, ne se proposait d’autre but que de se ménager l’appui de ses confrères. Le chanoine de Notre-Dame opposa une résistance d’autant plus vive qu’en l’année 1430 il y eut une récolte des plus abondantes et que les vins furent d’excellente qualité. Le procès s’engagea au Châtelet ; les chanoines de Saint-Marcel, dans leur séance du 21 septembre 1430, décidèrent qu’ils interjetteraient appel de tout jugement rendu au profit de Jean Chuffart qui l’autoriserait à faire usage pour sa vendange du pressoir litigieux[75]. Deux jours après, une sentence de la prévôté de Paris déclarait qu’il n’y avait pas lieu de tenir compte du délai de produire requis par le chapitre de Saint-Marcel[76]. Jean Chuffart eut donc gain de cause en première instance, mais les chanoines de Saint-Marcel ayant interjeté appel au Parlement, leur adversaire voulut absolument utiliser son pressoir pour les vendanges de l’année et fit rendre par provision un arrêt en date du 30 septembre 1430, par lequel il obtint de faire pressurer la vendange de ses vignes pour l’année courante, le droit de chacune des parties étant pleinement réservé[77].

L’affaire suivit son cours, et un mandement d’Henri VI, roi d’Angleterre, rendu le 11 décembre 1430 à la requête du chapitre de Saint-Marcel, ordonna au Parlement de procéder au principal dans la cause pendante entre Jean Chuffart et les chanoines. Dès la fin de janvier 1431, les chanoines de Saint-Marcel proposèrent d’entrer en arrangement, ce qui fut accepté, et le procès se termina par un accord homologué au Parlement le 11 avril 1431[78]. Les registres capitulaires de Saint-Marcel nous montrent comment intervint une transaction entre le chapitre et son adversaire ; Jean Chuffart vint en personne à la séance du 20 mars 1431 et, en présence de l’évêque de Paris appelé pour la circonstance, sollicita à titre gracieux l’autorisation de construire dans sa maison du bourg Saint-Marcel un petit pressoir sans arbre, et d’en faire usage, sa vie durant, pour la vendange de ses vignes. Le chapitre accéda à cette demande le 4 mai suivant, à charge d’une redevance annuelle de 12 deniers parisis, et, pour couper court à toute contestation, s’empressa l’année suivante d’admettre Jean Chuffart parmi ses membres[79]. Voilà donc un ensemble de faits qui établit catégoriquement la possession de vignes par notre auteur du côté de la porte Bordelles.

Indépendamment de ses vignobles de Saint-Marcel, le chanoine Jean Chuffart exploitait encore à Fontenay, depuis le 22 novembre 1426, quatre arpents de vignes qu’il s’était fait concéder par le chapitre de Notre-Dame, avec un pressoir refait à neuf et deux masures adjacentes, moyennant 8 livres parisis de rente annuelle[80] ; il possédait également des vignes sur le territoire de Villejuif. En 1430 le même chanoine récolta une partie des vins de Mons[81]. Au commencement d’octobre 1436, lors de la perception d’une taxe de quatre sols sur chaque queue de vin entrée à Paris, Jean Chuffart, qui remplissait alors les fonctions de chambrier clerc, saisit le chapitre de la question en ce qui concernait les vignes de Mons[82] et s’occupa avec ses confrères des voies et moyens à mettre en œuvre pour échapper à cet impôt. Ne peut-on rapprocher ce fait de ce passage du Journal relatif aux vendanges de 1436, où l’auteur se plaint longuement, et avec une certaine amertume, de la cherté de ces vendanges et des droits élevés que les gouverneurs de Paris faisaient percevoir aux portes de Paris sur chaque « hotteur » et sur chaque charrette amenant des cuves de vendange ?

Jean Chuffart, avons-nous dit plus haut, fut investi par le chapitre de l’office de chambrier clerc, et pendant plus de vingt années ne cessa de veiller sur le temporel de Notre-Dame. Lorsqu’au mois d’octobre 1433 les chanoines jugèrent à propos de centraliser entre les mains de quelques-uns d’eux l’administration de leurs biens qui ne faisait que péricliter, ils choisirent Jean Chuffart avec deux de ses confrères. On voit par le règlement rédigé à cette époque que les trois chanoines délégués avaient pour mission de recevoir tout ce qui appartenait à Notre-Dame, tant des offices de la chambre, des anniversaires, des matines, des stations, que des rentes et revenus afférents aux enfants de chœur et aux prévôtés ; ils devaient également faire déposer dans les greniers et celliers du chapitre les grains et vins amenés à Paris. Le 13 juillet 1444, Jean Chuffart, tant en son nom qu’au nom de ses collègues d’Orgemont et Moustardier, rendit compte de sa gestion et se fit délivrer quittance en règle.

La multiplicité et variété extrême des détails dans lesquels devaient entrer celui ou ceux des chanoines qui s’occupaient du temporel de Notre-Dame explique aisément pourquoi l’auteur du Journal, qui était, ne l’oublions pas, du corps de Notre-Dame, attache une si grande importance à toutes ces particularités relatives au prix du vin et du blé, à l’abondance ou à la rareté des biens de la terre, céréales, fruits et légumes ; on comprend mieux le soin avec lequel le chroniqueur note les accidents de la température, tels que les gelées de mai, les pluies excessives, les chaleurs prolongées, les dégâts des hannetons, tout ce qui en un mot pouvait compromettre les récoltes. L’auteur du Journal, quoique s’intéressant d’une façon toute spéciale aux vignes, ne néglige point les autres cultures ; aussi le voit-on s’apitoyer sur les malheurs des habitants des campagnes ruinés par les incursions des gens de guerre qui prenaient tout ce qui pouvait s’emporter et détruisaient le reste. Cette sollicitude n’est point une simple question d’humanité : Jean Chuffart faisait valoir des terres de labour aux environs de Paris, notamment à l’Hay et à Chevilly, au Bourget et à Blanc-Mesnil, il est tout naturel qu’il s’inquiète du sort des laboureurs.


i. l’auteur du journal appartient a plusieurs confréries parisiennes.

Dans maintes occasions, l’auteur du Journal témoigne d’un certain intérêt pour les confréries parisiennes, il connaît leur situation morale et pécuniaire ; il éprouve un réel chagrin lorsqu’il nous montre les confréries épuisant leurs ressources pour acquitter leur part des lourdes contributions imposées aux Parisiens. Ainsi, au mois de septembre 1437, notre chroniqueur ne manque pas de nous dire que les conseillers de Charles VII firent main basse sur l’argent monnayé « qui estoit ou trésor des confréries ». En 1441, lors du siège de Pontoise et de la venue du roi à Saint-Denis, notre Journal nous apprend que les confréries parisiennes furent menacées dans leur existence. « Les faulx conseilliers » du roi projetèrent non seulement de s’emparer de tout l’argent possédé par les confréries, mais encore d’en réduire le nombre ; ils réussirent à les diminuer de moitié et portèrent un coup funeste au service religieux. Notre chroniqueur ne se borne pas à nous entretenir des confréries à un point de vue général, il laisse parfois deviner ses préférences personnelles pour telle ou telle confrérie dont il devait être membre ; on remarque notamment que dans la relation fort succincte des obsèques de la duchesse de Bedford, il consacre une mention spéciale à la Grande Confrérie aux Bourgeois. Or nous savons par le testament de Jean Chuffart que ce chanoine était membre de la Grande Confrérie aux Bourgeois et de la confrérie de Saint-Augustin qui avaient leur siège à Notre-Dame, et qu’il faisait également partie de celle des merciers en l’église des Innocents. En pensant à cette dernière confrérie, il est difficile de ne point se reporter au long paragraphe de notre journal relatif à la mise en interdit de l’église des Innocents en 1487 ; pendant vingt-deux jours, dit le chroniqueur, le service divin fut interrompu, et les confréries qui avaient leurs services assignés dans cette église se transportèrent en la chapelle Saint-Josse.

Voici, pour nous résumer, les résultats que nous avons obtenus par l’étude attentive du Journal parisien.

En premier lieu, l’auteur du Journal se désigne au nombre des prêtres qui participèrent à une procession du clergé de Notre-Dame, circonstance qui permet au président Fauchet d’émettre cette opinion que notre chroniqueur devait appartenir « au corps de Notre-Dame » ; or, Jean Chuffart nous apparaît dès 1420 comme chanoine de cette église.

2° L’auteur du Journal, sympathique d’abord à la cause anglo-bourguignonne, abandonne cette cause et embrasse le parti de Charles VII après 1436 ; or nous voyons Jean Chuffart prêter serment aux Anglais en 1429, et se rallier ensuite au gouvernement français en acceptant dès 1437 un poste de conseiller au Parlement de Paris.

3° L’auteur du Journal s’occupe des moindres incidents du siège de Meaux et rapporte des particularités inconnues de tout autre chroniqueur ; or Jean Chuffart se rendit, en janvier 1422, auprès du roi d’Angleterre, avec une mission officielle du chapitre de Notre-Dame.

4° L’auteur du Journal se met en scène parmi les plus parfaits clercs de l’Université et montre par là qu’il devait occuper dans le monde universitaire une situation importante ; or nous constatons que Jean Chuffart fut recteur de l’Université en 1422 et qu’il fit partie du corps enseignant en qualité de docteur régent de la faculté de décret.

5° L’auteur du Journal se révèle dans plusieurs passages de sa chronique comme l’un des clercs attachés à la maison d’Isabeau de Bavière ; or, Jean Chuffart remplit pendant nombre d’années les fonctions de chancelier de cette reine.

6° L’auteur du Journal témoigne à une certaine époque d’un intérêt particulier pour l’église et le cimetière des Innocents ; or, à cette même époque, Jean Chuffart, soit comme chanoine de Sainte-Opportune, soit comme chanoine et doyen de Saint-Germain-l’Auxerrois, eut journellement à s’occuper de l’église et du cimetière des Innocents.

7°, 8° L’auteur du Journal parle souvent de Saint-Marcel et de la récolte des vins faite sur le territoire de Saint-Marcel ; or, Jean Chuffart, chanoine et doyen de la collégiale de ce nom, possédait et exploitait dans ce bourg des vignes d’une certaine importance.

Enfin l’auteur note dans son Journal le prix des denrées, les variations atmosphériques de toute nature, les dégâts causés aux récoltes ; or, Jean Chuffart, comme chambrier clerc de Notre-Dame, fut constamment chargé de veiller au temporel du chapitre et dut se préoccuper de tous ces accidents, de tous ces détails relatifs aux biens de la terre auxquels s’intéresse tout particulièrement l’auteur du Journal.

On voit que l’attribution du Journal parisien au chanoine Jean Chuffart peut se défendre par de nombreux et sérieux arguments.

Nous espérons donc que le public voudra bien accueillir nos conjectures sans défaveur, et que M. Longnon lui-même, si nous ne réussissons pas à le convaincre, reconnaîtra que ces conjectures s’appuient sur un ensemble de faits à tout le moins digne d’attention.

  1. Mém. de la Société de l’Histoire de Paris, t. II, p. 310 et ss.
  2. Histoire de Charles VI, roy de France, p. 497-528.
  3. Histoire de Charles VI, roy de France, p. 497-528.
  4. Cf. Mémoires-Journaux de Pierre de L’Estoile, t. VIII, p. 321.
  5. Histoire de Charles VI. — Cf. Mémoires de la Soc. de l’Histoire de Paris, t. II, p. 312, note 3.
  6. Champoilion-Figeac, Documents historiques, t. III, p. 275.
  7. Voici un passage de la Chronique de Jean Stavelot (p. 95) qui détermine nettement l’époque du voyage de Jean de Bavière : « Comment monsangneur de Liège s’en alat noblement a Paris. — L’an m cccc et v, le secon jour de septembre, soy partit monsangneur Johans de Bealwiers de Liège et chevalchat vers monsangneur le duc de Bourgongne à Paris, son seroige. »
  8. Le manuscrit d’Aix décrit plus loin contient un croquis très grossièrement exécuté et dénué de toute valeur artistique.
  9. Mémoires de la Société de l’Histoire de Paris, t. II, p. 311 à 313.
  10. U. Robert. Inventaire sommaire des manuscrits des bibliothèques de France, t. I, p. 9, n° 319.
  11. Suivant la description que nous devons à l’obligeance de M. Gaut, bibliothécaire de la ville d’Aix, l’écusson porte sept merlettes placées 2, 3, 2 ; il a pour supports des griffons, et pour cimier un casque avec une merlette.
  12. Procès de Jeanne d’Arc, t. IV, p. 461.
  13. Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. III, p. 97. — De Beaucourt, Chronique de Mathieu d’Escouchy, t. I, p. 72.
  14. Conjectures sur l’auteur du Journal parisien de 1409 à 1449, dans les Mémoires de la Société de l’Histoire de Paris, t. II, p. 310 à 329.
  15. Il s’agit du récit d’un mouvement populaire dirigé le 4 août 1413 contre la faction cabochienne, où nous voyons l’auteur du Journal nous dire que l’hôtel de Jean de Troyes fut pillé en moins de temps « que on ne seroit allé de Saint-Nicolas-des-Champs à Saint-Laurent. » M. Longnon estime qu’en prenant ainsi Saint-Nicolas pour point de départ, l’anonyme désigne l’édifice le plus rapproché de sa demeure.
  16. Arch. nat., S 3453.
  17. Voici les termes mêmes de la requête en question : « Venerabilem virum et discretum, magistrum Guillelmun de Kaer, presbyterum, decretorum doctorem, ecclesie Parisiensis canonicum, curatumque ecclesie parrochialis Sancti Nicholai de Campis Parisiensis. » (Arch. nat., L 408, no 129.)
  18. Arch. nat., S 14481, fol. 186 ve.
  19. Arch. nat., S 3453.
  20. Arch. nat., LL 1383, fol. 130 r°, 159 v°.
  21. Nous reproduisons le texte de notre chroniqueur, tel qu’il se trouve dans La Barre et dans toutes les éditions : « Le lundy devant l' Ascension de Nostre Dame et sa compaignie furent à Montmartre, et ce jour ne cessa de plouvoir depuis environ neuf heures au matin jusques à trois heures après disner, non pas qu’ils se musassent pour la pluie, mais pour certain les eschevins furent si très fort enfondrez entre Montmartre et Paris que nous mismes une heure largement à venir de Montmartre à Saint-Lad''Texte en italiquere. »
  22. Les registres capitulaires de Notre-Dame établissent constamment une distinction entre les processions propres à Notre-Dame et les processions générales ; dans la première catégorie peuvent être rangées les processions qui se faisaient traditionnellement chaque année à Saint-Martin-des-Champs et à Montmartre. Il suffit de parcourir les registres capitulaires du xve siècle pour rencontrer, pour ainsi dire chaque année, mention des processions de la fête des Rogations particulières à Notre-Dame. En voici quelques exemples : 1434. — « Veneris xx et ultima aprilis. Fiant processiones Rogationum, ut in anno precedenti. » (Arch. nat., LL 217, fol. 94.) 1435. — « Veneris xx maii. Fiant processiones in ebdomada proxime venienti ........ prout in anno preterito, propter guerras et pericula, et fiat statio ante Sanctum Nicolaum. » (Arch. nat., LL 217, fol. 147.) 1443. — « Veneris xxiv maii. Fiat die lune proxima processio Ecclesie apud Sanctum Montem martyrum. » (Arch. nat., LL 218, fol. 437.)
  23. Arch. nat., LL 446.
  24. Jean Beaurigout figure parmi les chapelains de Saint-Léonard à la date du 23 février 1436 dans le registre des chapellenies de Notre-Dame (Arch. nat., LL 192, fol. I).
  25. Arch. nat., LL 215, fol. 268 ; LL 220, fol. 40.
  26. D’après un recueil d’actes capitulaires conservé à la Bibliothèque nationale, Jean Chuffart fut l’un des trois chanoines délégués, le 11 novembre 1426, auprès du roi d’Angleterre, pour lui notifier le choix du chapitre et demander son agrément (Mss. latin 17740, fol. 262).
  27. Arch. nat., LL 216, fol. 191.
  28. On voit notamment que le 27 avril 1433, pendant la maladie de Raoul le Fourbeur, maître des enfants de chœur, Jean Chuffart et Pierre d’Orgemont furent chargés par le chapitre de pourvoir à la subsistance de ces enfants (Arch. nat., LL 217, fol. 42).
  29. Testament de Jean Chuffart, Arch. nat., S 851.
  30. Bibl. nat., ms. lat, 17740, fol. 261.
  31. Ibid., fol. 398.
  32. Ibid., fol. 24.
  33. Arch. nat., LL 218, fol. 82, 84, 85, 86, 93, 104, 105, 166.
  34. Bibl. nat., ms. lat. 17740, fol. 82, 124.
  35. C’est ce qui ressort de deux actes insérés dans le censier de Saint-Nicolas-des-Champs en date du 2 juillet 1435 ; ces actes sont : le premier une décharge donnée à un exécuteur testamentaire, le second la fixation d’une pension alimentaire. Arch. nat., LL 861, fol. 18, 19, 126.
  36. Arch. nat., LL 215, fol. 424 ; LL 216, fol. 3.
  37. Nous citerons comme exemple la chambre de la maison claustrale de Jean Gerson, habitée par un chapelain de Notre-Dame qui fut exclu pour indignité, et transmise le 9 septembre 1422 à Jean Ansel, chanoine de Saint-Jean-le-Rond (Arch. nat., LL 21 3, fol, 38i).
  38. Ce mandement, en date du 11 décembre 1430, est annexé à un accord homologué au Parlement de Paris le 11 avril 1431 (Arch. nat, Xic 141).
  39. Arch. nat., Xia 1482, fol. 40 ie.
  40. ibid., Xia 4799, fol. 30 ie.
  41. L’auteur de ce factum dévoile ses visées secrètes dans deux paragraphes consacrés à l’éloge des clercs que le souverain devrait appeler dans ses conseils : « Un roy, dit-il, doit savoir qui sont les meilleurs clercs de son royaume et universités et autrement, et les promouvoir… et doit le roy souverainement amer un clerc preudomme et est très grant trésor d’un tel homme. » Il ajoute plus loin « que le roy devroit avoir avec luy des meilleurs aagés clers, preudommes, saiges et expers et bien renommés qu’il pourroit finer » (Advis à Isabelle de Bavière, Bibliothèque de l’École des chartes, 6e série, t. II, p. 145, 150).
  42. « Mercurii quarta mensis februarii (1421), capitulantibus dominis, provisio medii mensis januarii novissime preteriti de gratia concessa est magistris G. Perrière et Jo. Chuffart qui nuper fuerunt in acie coram Meldis et régi Anglie presentaverunt litteras capituli super excusacione quod capitulum non promovit dominum electum Parisiensem venire et stare Parisius, sicut credebat ipse dominus rex. » (Arch. nat., LL. 215, 356.)
  43. Cf. A. Longnon, Conjectures sur l’auteur du Journal parisien, p. 311, 313.
  44. « Mercurii xv mensis octobris. — Magistri Johannes Voygnon et N. Fraillon loquentur cum magistro Chuffart qui huc accedens ex eo quod est rector Universitatis et non poterit accedere ad ecclesiam pro lucrando, ut solitus est, requisivit quod sibi darentur sue distribuciones, ac si veniret ad ecclesiam, oflerens se facturum pro ecclesia et singularibus. — Jovis, penultima mensis octobris. — Magister J. Chuffart, rector universitatis, regraciatus est dominos de gratia sibi facta et concessione provisionis IIIIor solidorum pro die. » (Arch. nat., LL 215, p. 342, 344, 345.)
  45. Jean Chuffart fut reçu chancelier de Notre-Dame le 7 septembre 1426 (ibid., LL 216, p. 173).
  46. En 1436 et 1442 le chancelier Chuffart obtint du chapitre l’autorisation de faire passer les examens de maître ès-arts dans la maison claustrale d’Albert le Rogneur (ibid., LL 217, p. 197 ; LL 218, p. 225).
  47. D’après le compte du bedeau de la faculté de théologie, Jean Chuffart conféra la licence le ier avril 1434 ; l’année suivante, à la date du 23 décembre, ce fut son délégué qui examina les licenciés (Bibl. nat., ms. lat. 5494, fol. 160, 177).
  48. « Lune XXIX julii 1437. — Hodie, magister J. Chuffart, cancellarius et canonicus ecclesie Parisiensis, qui die crastina intendit facere festum suum doctoris cum aliis doctoribus, supplicavit dominis capitulantibus ut vellent sibi et suis sociis facere honorem in scolis et in prandio, cui responsum est ut domini facient ut melius poterunt. » (Arch. nat., LL 217, p. 321.)
  49. Voici l’article du testament relatif à la nation de Picardie : « Item, je donne à ma mère, la nacion de Picardie en l’université de Paris, par le moyen de laquelle j’ay eu plusieurs promocions, vint escus d’or pour aider à avoir ung calice ou aucuns aournemens pour faire le service en lad. nacion, ou pour aidier à parfaire leurs escolles en la rue au Feurre. » (Arch. nat., S. 851.)
  50. Arch. nat., LL 218, p. 575.
  51. Arch. nat., Mémoriaux de la chambre des comptes, P 2298.
  52. Les renseignements donnés par M. Vallet de Viriville dans sa note-appendice sont généralement exacts. Le savant érudit est cependant tombé dans l’erreur en comptant parmi les dignités obtenues par Jean Chuffart celle d’abbé de Saint-Maur-des-Fossés, au moins pour les années postérieures à 1436 ; c’est à tort qu’il lui applique le passage satirique du Journal parisien concernant l’abbé de Saint-Maur, considéré comme général des aides ; à cette époque (en 1440) l’abbé de Saint-Maur était Jean le Maunier.
  53. Arch. nat., LL 216, p. 77.
  54. ibid. LL 216, p. 28.
  55. ibid., LL 219, p. 265.
  56. Chronique de Charles VII, édit. Vallet de Viriville, t. l, p. 211.
  57. Arch. nat., LL 498, fol. 4 vo.
  58. Testament de Jean Chuffart, Arch. nat., S 851.
  59. Arch. nat., LL 498, fol. 45, 60.
  60. ibid., L 417, No 57.
  61. ibid., LL 498, fol. 175 vo.
  62. Arch. nat., LL 96, fol. 6, ii vo, 33 vo.
  63. Exemple, la déclaration faite par Simon de Bergères le 28 octobre 1451 pour l’inhumation dans l’église du maître de l’hôpital Sainte-Catherine. ibid., fol. 14 vo.
  64. Arch. nat., LL 498, fo 87 Vo.
  65. « Licentia edificandi reclusagium in cimeterio Innocentium Johannete la Verrière. Anno Domini mccccxlii, die secunda mensis augusti. In eodem capitulo, pro parte Johannete la Veriere extitit dominis humiliter supplicatum per dominum Johannem Boyleau, curatum Se Crucis in Civitate, quod cum ipsa mota devocione intenderet vitam suam finire in reclusagio seu loco clauso, et locus valde aptus ad hoc apparuerat sibi fiendus in cimiterio Innocentium prope ecclesiam ejusdem loci, in quodam loco ubi est jardinum, quod placeret ipsis dominis dare licentiam edificandi ibidem aliquam parvum domum ubi ipsa posset habitare et in reclusagio vivere, et ipsa oraret Deum pro ipsis. Quiquidem domini, habita prius deliberacione super requesta hujusmodi, nolentes impedire devocionem dicte Johannete, ymo pocius eam ad meliorem vitam dirigere, sibi de gratia speciali hoc conccsserunt licentiam faciendi habitacionem ad hoc aptam sive opportunam dederunt, » (Arch. nat., LL 498, fol. 108 Vo.)
  66. Testament de Jean Chuftart, Arch. nat., S 851.
  67. « Anno Domini mccccxl, die penultima mensis aprilis, capitulantibus dominis. Venit ibidem soror Gileta, vidua deffuncti Johannis le Prestre, ad presens de Cappella Haudry, dixit et exposuit quod quedam domus que est sita ante Sanctum Medericum, quam ipsa possidet, ad presens est valde ruynosa, et ipsi domini consueverunt recipere supra ipsam domum. quatuor libras redditus, quem redditum non posset solvere de presenti, nisi per ipsos dominos fuerit de dicto redditu facta remissio ; quiquidem domini commiserunt magistrum Nicasium Joye et dominum Eustachium de Fonte ad conveniendum cum magistro dicte Cappelle Haudry super hoc et super xl solidos redditus quos ipsa Cappella recepit supra quamdam domum que pertinet ad communitatem ecclesie, et quicquid fecerunt habebunt repportare. » (Arch. nat., LL 498, fol. 79 vo.)
  68. Arch, nat., LL 34, fol, 95.
  69. Arch. nat., L 422, No 36.
  70. ibid., LL 35, fol. 18 Vo.
  71. Ce bail, sur parchemin, est revêtu du sceau de Jean Chuffart (Arch. nat., S 3iia, No 57). Nous saisissons cette occasion pour signaler à nos lecteurs la signature du même personnage qui se trouve plusieurs fois répétée dans le registre constatant les prêts de titres faits par le notaire du chapitre de Notre-Dame (Arch. nat., LL 460).
  72. « Item, en cellui an (1430) fut très bel aost et très belles vendanges et furent les vertjus hastifs, car aussitost qu’ilz estoient entonnez, ilz commençoient à boullir ou à gieter pour mieulx dire, et furent les vins très bons… Item… (en septembre 1436) on commença à vendenger, mais oncques mais les vendanges ne cousterent autant comme ilz firent celle année et si ne furent oncques mais vendangeurs et vendangeresses à si grant marché… En toutes les portes de Paris avoit ii ou iii sergens de par les gouverneurs de Paris, qui, sans loy et sans droit et par force, faisoient paier à chascan hotteur ii doubles, a chascune charrette qui amenoit cuves où il eust vendenge viii blans… »
  73. Arch. nat., LL 216, p. 94.
  74. ibid., LL 216, p. 189.
  75. ibid., LL 34, p. 90.
  76. ibid., Y 5230, fol. 75.
  77. ibid., Xia 1481, fol. 35 ro.
  78. Arch. nat., Xic 141 ; LL 216, p. 233.
  79. ibid., LL 34, fol. 91 vo 95.
  80. ibid., LL 216, p. 72.
  81. ibid., LL 216, p. 220.
  82. ibid. LL 217, p. 252.