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Journal d’un habitant de Nancy pendant l’invasion de 1870-1871/07

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Page:Lacroix - Journal d'un habitant de Nancy, 1873.pdf/50 Page:Lacroix - Journal d'un habitant de Nancy, 1873.pdf/51 d’abandon saura-t-elle nous tirer de l’extrémité où elle nous a conduits, et conjurer notre ruine qui entraînera inévitablement la sienne ? On voudrait bien le croire encore, mais l’abattement est tel qu’on n’a plus la force d’espérer.

Dans ce moment d’angoisse, je pense au capitaine Petit, et l’idée me vient de l’aller visiter à l’hôpital militaire. J’étais allé le voir assidûment la semaine dernière, autant que me le permettaient les travaux de notre session d’examen. Dans les premiers jours, il était calme et patient, et sa blessure allait aussi bien que possible. Aujourd’hui je l’ai trouvé dans une agitation fiévreuse qui certainement compromet sa guérison. Il s’attend à l’arrivée prochaine des Prussiens, et comme il ne veut pas être prisonnier de guerre, il s’est fait apporter son revolver chargé, pour casser la tête au premier Allemand qui mettra la main sur lui. J’essaie en vain de le calmer. Il n’en veut pas démordre, et je suis obligé de lui laisser son arme, dont je sais bien, du reste, qu’on l’empêchera de se servir.

À côté de lui, dans le second lit de la chambre qu’il occupe, il y a un nouveau venu. C’est un chef de bataillon d’un de nos régiments de ligne, le 47e je crois, qui a reçu un coup de feu à la jambe dans une des rencontres qui ont précédé la bataille de Reichshoffen. Une voiture qui se trouvait là par hasard l’a transporté à Nancy avec quelques autres blessés. Ce commandant est un homme d’une figure mâle et douce à la fois ; son front incliné, ses yeux baissés, qui ne se relèvent pas quand il parle, lui donnent cet air absorbé que l’on a quand on cherche la solution d’un problème. Ce problème qui le préoccupe, c’est celui de savoir comment des soldats français ont pu être vaincus, « Figurez-vous, me dit-il, que nous n’étions que quatre divisions contre dix, et encore nous n’avions que l’artillerie de trois divisions. C’est avec leur artillerie qu’ils nous ont écrasés. Ah ! sous ce rapport, ils sont mieux armés que nous ; encore ont-ils besoin de la supériorité du nombre pour nous vaincre. Quant, à leur infanterie, elle nous craint, et n’a pas osé se montrer. Pourtant, si le général de Failly ne s’était pas trompé de chemin, s’il avait pu nous rejoindre à temps, qui sait ce qui serait arrivé ? De leur côté, il leur venait toujours de nouveaux renforts, tandis que nous étions décimés et que les munitions nous manquaient. »

C’est là une partie de la vérité, mais ce n’est pas la vérité tout entière. En entendant ce brave officier expliquer à sa manière notre défaite, je me disais que la faute en est à tout le monde, à nos généraux, administrateurs et soldats, qui vont à la guerre comme on va à la noce, qui s’imaginent que le courage et l’élan suppléent à tout, qui négligent tout le reste pour ne songer qu’à bien faire pendant l’action et qui oublient que sans l’ordre, la vigilance, la discipline, la science stratégique et topographique, la plus brillante valeur n’aboutit à rien. Or, sur tous ces points, notre armée, comparée à celle de l’ennemi, lui est aussi inférieure que par le nombre. Aussi nos revers sont-ils aussi faciles à expliquer qu’ils étaient inévitables. Ces réflexions que je faisais à part moi, je me gardai bien de les exprimer tout haut pour ne pas attrister mon brave commandant, et je me contentai, après quelques paroles de réconfort, de lui serrer la main avec une respectueuse sympathie.

En le quittant, j’allai dans la salle des soldats. C’étaient pour la plupart des Turcos qui avaient donné au combat de Wissembourg. Plusieurs n’avaient que des blessures légères et pouvaient se promener en se soutenant d’un bâton. Eux aussi avaient l’air triste et humilié ; quelques-uns portaient sur leur visage quelque chose de sombre et de farouche qui semblait dénoter la haine et le désir de la vengeance. On voit qu’ils songent à une revanche, mais à en juger par ces débuts, il est douteux qu’elle vienne de sitôt.

Cependant la ville, où je rentre après cette visite, est toute pleine de confusion et de rumeur. Il y règne la même agitation que la veille, avec un redoublement de bruit et d’alarmes, car on sent que l’invasion est inévitable et imminente. Or, si l’on a eu de la peine à se faire à l’idée de la guerre, on en a bien plus encore à se faire à celle de l’invasion. Cette nouvelle menace, surprenant les esprits dans l’irréflexion de la peur, les livre à toutes les craintes imaginaires qui grossissent la réalité d’un danger, et l’on s’épouvante à l’idée des scènes de violence, de meurtre, de pillage que l’on regarde comme le cortége inséparable d’une invasion. Aussi bon nombre d’habitants rassemblent leurs bijoux, leur argenterie, leurs valeurs, et s’ingénient à leurs trouver de sûres cachettes. Il y a des pères qui font partir leurs filles, et des maris qui se séparent de leurs femmes pour mettre leur honneur en sûreté.

Ce soir même, je vais dîner avec ma mère chez M. René Constantin, directeur de l’usine à gaz, mon propriétaire depuis 17 ans, et avec qui je vis depuis ce temps dans les meilleurs rapports de bon voisinage et d’amitié. L’invitation avait été faite avant nos malheurs et elle n’avait pas été décommandée. Mais l’acte de manger se trouva être alors au-dessus de nos forces. La même préoccupation oppressait nos cœurs et resserrait nos estomacs ; à la lettre, il nous était impossible d’avaler. On abrégea le plus possible, et l’on se sépara pour aller vaquer aux nécessités de la situation.

J’emploie toute la soirée à prendre mes mesures de précaution. Je mets dans un coffret tout ce qui peut tenter l’ennemi et être l’objet d’un coup de main. Je rassemble mon argent de manière à pouvoir le fourrer à l’instant dans ma poche, en cas de surprise. Ma mère m’assiste dans ces tristes soins, se préoccupant surtout de son reliquaire et de ses chers souvenirs de famille. Il est tard. Onze heures ont sonné à toutes les horloges de la ville. Le silence et la solitude ont enveloppé tout le faubourg, et nos pensées n’ont fait que s’assombrir avec le progrès de la nuit.

Tout-à-coup une fanfare furibonde se fait entendre, accompagnée de tambours battant la charge au pas redoublé. — « Voilà les Prussiens, m’écriai-je, en me précipitant vers la fenêtre. — Oui, ce sont eux, dit ma mère, je les reconnais, c’est tout-à-fait comme en 1815. » — Et nous restons collés aux vitres, regardant, les yeux troublés, défiler cette troupe qui s’engouffre rapidement sous la voûte de la porte Saint-Georges.

Cependant la bande avait disparu dans la ville et le silence s’était rétabli dans la rue. Quelques voisins étaient descendus et causaient tranquillement sur le trottoir. Je vais les rejoindre et j’apprends d’eux que la troupe, cause de cette alerte, n’était autre chose qu’un bataillon du 12e de ligne, quittant son campement de la prairie voisine pour aller à Châlons ou à Metz. — « Fort bien, murmurai-je en rentrant, mais à quoi bon tout ce vacarme à une pareille heure ; ne pouvaient-ils pas décamper sans tambours ni trompettes ? Quand on fait tant de bruit, il est à craindre qu’on ne fasse pas beaucoup de besogne. — »

Ce détail fera sourire le lecteur à mes dépens. Mais je l’avertis qu’il n’en aura pas l’étrenne, car j’ai été le premier à rire de moi-même tout à mon aise, et il ne reste plus rien à faire à cet égard. L’accès d’hilarité folle qui nous saisit, ma mère et moi, quand nous nous retrouvâmes en face l’un de l’autre, produisit une réaction salutaire qui nous mettra désormais en garde contre les paniques.

8 et 9 août. — Cependant la session du baccalauréat continue toujours. Mais le danger presse, nous avons hâte d’en finir pour n’être pas surpris, avec nos candidats, par l’arrivée des Prussiens. Aussi nous brusquons les dernières séries et d’accord avec le Recteur, qui venait de remettre à la fin des vacances la distribution des prix du lycée, nous trouvons, comme à Metz, le moyen de faire en deux jours la besogne de quatre. Bonne fortune pour les candidats. On les reçoit par fournée. Sauf trois ou quatre malheureux qui nous obligèrent à les éliminer pour leurs compositions détestables, tous furent admis à l’épreuve orale. Il s’agissait avant tout de s’en débarrasser au plus vite et de les renvoyer à leurs familles. Le mardi 9 au soir, tout est fini, et nous sommes libres de disposer de notre temps et d’aller passer nos vacances où nous voulons.

10 août. — Il était convenu de longue date entre mon frère et moi que nous nous retrouverions en famille, pour le 15 août, au lieu où nous passons ordinairement nos vacances. C’est un assez gros bourg situé dans une contrée riante, au bas d’une longue descente bien connue de tous ceux qui ont parcouru la grande route de Soissons à Laon, et qui s’appelle Chavignon. Nous n’avions pas pensé un seul instant, ma mère et moi, à renoncer à ce rendez-vous, et notre projet était resté jusqu’à ce matin à l’ordre du jour. Si bien que la session terminée hier soir, nous avons fait descendre nos malles pour les charger. Et cependant nous ne partons pas et nous prenons la résolution de rester à Nancy et d’y attendre de pied ferme l’invasion.

Ce n’était pas de l’héroïsme ; c’est tout simplement du bon sens. Il nous a paru qu’il n’est pas sage d’abandonner son domicile lorsqu’on sait que la meilleure manière de le faire respecter est d’y rester ; qu’il n’est pas généreux de livrer à elles-mêmes notre bonne domestique Joséphine, et sa fille Louise, que nous avons chez nous depuis plus de 16 ans, au moment où l’idée de notre départ les plonge dans la consternation ; qu’il n’est pas convenable d’augmenter par sa fuite la panique générale qui entraîne au chemin de fer le flot éperdu des émigrants ; enfin qu’il n’est pas expédient d’aller au loin et à l’aventure, en laissant derrière soi tant de sujets d’inquiétude, et cela sans être sûrs d’aller au devant de la sécurité. Bref, nous sommes décidés à rester chez nous, à Nancy ; nous nous sentons même satisfaits de notre résolution, et nous espérons bien que nous n’aurons pas à nous en repentir.

Il n’y a donc plus pour moi qu’à observer les événements, qu’à étudier cette crise terrible d’histoire contemporaine, et à en dégager les enseignements qu’elle renferme. Une première remarque à faire, c’est le peu de solidité de ce gouvernement impérial que nous croyions si fermement établi. Il disparaît en ce moment sous nos yeux pièces par pièces comme un château de cartes. Nous le voyons s’écrouler dans son administration qui se détraque, dans ses services qui se désorganisent, dans ses armées qui se débandent. Déjà on ne peut plus compter sur la poste, ni sur le télégraphe : tout ce qui tient à l’armée se replie vers l’intérieur. Les gendarmes disparaissent. Bientôt nous n’aurons plus de police, et nous serons livrés à tous les malfaiteurs du dedans, comme à tous les ennemis du dehors.

En attendant, M. Rouher ose dire en plein Sénat, au moment où les Vosges sont franchies par les Allemands, et après que Marsal est tombé entre leurs mains, qu’aucune de nos défenses naturelles ou de nos forteresses n’est entre les mains de l’ennemi, et les journaux répètent que le maréchal Mac-Mahon n’a pas reculé plus loin que Saverne et qu’il ferme à l’ennemi tous les défilés de notre frontière. La vérité est que l’armée de Mac-Mahon est en pleine déroute, et que ce brave et malheureux capitaine, à qui l’opinion publique n’a rien retiré de la confiance et de l’estime qu’inspirent ses talents et son courage, opère rapidement sa retraite en tournant le département de la Meurthe pour aller chercher ailleurs l’occasion d’une glorieuse revanche. Ainsi toute notre contrée est découverte, et les Prussiens ont débouché au nombre de 200 000 dans la vallée de la Seille.

Dès leur apparition dans les Vosges, la terreur s’est répandue parmi les paysans. Des familles tout entières émigrent dans la direction de Dabo et s’en vont chercher asile sur les crêtes et dans les défilés des montagnes. Le plus grand nombre, refoulé en avant par l’approche de l’ennemi, arrive de notre côté et commence déjà à encombrer notre ville, les uns avec des voitures où ils ont entassé leurs meubles, literies et provisions, les autres à pied portant tout leur avoir dans leur poche ; il y en a qui n’ont rien et qui se mettent déjà à mendier. Spectacle lamentable qui rappelle la scène d’émigration tracée par Goethe dans Hermann et Dorothée. C’est dans le faubourg Saint-Georges, tête de route de la vallée de la Seille, qu’ils stationnent presque tous. Quand on leur demande si les Prussiens les maltraitent et pourquoi ils se sont sauvés, ils répondent qu’ils n’ont pas encore vu les Prussiens, mais qu’ils en ont peur parce qu’ils prennent tous les hommes pour les faire marcher au-devant de leur armée. Cela n’a pas le sens commun et c’est la panique qui leur tourne la tête. Mais ils ne tarderont pas à se remettre. Encore deux ou trois nuits pluvieuses, comme celle qu’ils viennent de passer en plein air, et ils reconnaîtront, comme nous essayons de le leur faire comprendre, qu’ils feront bien de retourner sous leur toit et d’y affronter les véritables épreuves de l’invasion.

Quant aux citadins, ils peuvent émigrer tout à leur aise, le chemin de fer marchant encore, et ils ne s’en font pas défaut. Je me rends ce soir à la gare pour voir le départ du train qu’on dit être le dernier et serrer la main à quelques collègues et amis, à Chautard, à Margerie, qui s’en vont prendre leurs vacances dans leurs familles, l’un à Vendôme, l’autre en Limousin, où il n’est pas bien sûr que l’invasion n’ira pas les visiter. J’y trouve Paul Fliche, le sous-inspecteur des forêts, mon compagnon habituel de promenade et de causerie, qui a le bon esprit de ne pas s’effrayer outre mesure de l’avenir et qui a pris, comme moi, la résolution de rester à Nancy. Nous nous promettons bien de nous aider à supporter ensemble notre infortune. Car il ne faut pas se le dissimuler, le moment critique approche. — « Saluez ce train, me dit à l’oreille mon voisin, M. Lenormant, conseiller municipal de Nancy, c’est le dernier que vous verrez partir. Demain matin la voie sera coupée. De plus, ajouta-t-il en parlant plus bas encore, on a reçu l’ordre de faire sauter les ponts de la Meurthe à Tomblaine, à Essey et à Malzéville. Il s’agit d’arrêter la marche de l’ennemi et de favoriser la retraite de Mac-Mahon. Ainsi demain nous serons emprisonnés dans notre ville. — « Soit, me disais-je en rentrant dans mon faubourg, advienne ce qu’il pourra, mais j’aime mieux rester chez moi, que d’aller errer et trembler je ne sais où. — »

Jeudi 11 août. — Le lendemain on n’a point encore fait sauter les ponts, ni coupé le chemin de fer. Mais le désarroi officiel est plus grand que jamais, et tout achève de se désorganiser. Gendarmerie, douane, génie, intendance, tout jusqu’aux infirmiers de l’hôpital militaire se sont repliés, par ordre, vers l’intérieur. Le brave général de la Charrière qui était en retraite, et qui au moment du péril s’était chargé du commandement du département, est parti le dernier, tout à l’heure, comme un capitaine qui ne quitte son bord que quand tout l’équipage est sauvé. Mais ce mouvement s’exécute avec une précipitation qui le fait ressembler à une panique. On n’a rien fait pour garantir le matériel que l’on abandonne. On a noyé dans la Meurthe la provision de poudre que renfermait la Salpétrière. On a laissé à la manutention de grands amas de vivres et de fourrages. Il n’y a pas jusqu’à la buanderie militaire, contiguë à la maison que j’habite, qu’on a évacuée en y laissant plus de 500 livres de savon avec lesquelles MM. les Prussiens viendront bientôt se décrasser.

Et le capitaine Petit, que devient-il au milieu de cette débâcle ? Je cours à l’hôpital militaire pour le savoir. Là aussi tout est en plein déménagement. On fait évacuer les blessés transportables et le capitaine est de ce nombre. En l’absence des médecins militaires, ce sont les docteurs Henrion et Delcominète qui disposent sa jambe pour le voyage et cela avec toute l’attention d’une mère qui emmaillotte son enfant. Pendant cette opération j’écris à la hâte une lettre d’adieux à mon frère, et le cœur gonflé, les yeux gros de larmes, je la remets au capitaine déjà placé sur son brancard et je l’embrassai douloureusement en me séparant de lui. Ce n’est qu’un mois après que j’ai appris que le capitaine était arrivé à bon port, et que ma lettre avait été reçue par les miens.

Voici ce qu’on lit dans les journaux sur la conduite des Prussiens dans les pays qu’ils occupent.

« Une dépêche du sous-préfet de Château-Salins, dit que la panique se calme à Dieuze ; qu’on rappelle les fuyards et que les Prussiens se conduisent bien en général. Ils avaient enlevé quelques hommes pour leur servir de guides seulement, et les ont renvoyés plus tard. Sur cette nouvelle, beaucoup d’émigrants venus à Nancy le matin et la veille, ont regagné le soir leurs villages respectifs. »

Citons encore cet autre passage emprunté au Courrier de la Moselle :

« Les Prussiens sont à Sarreguemines depuis hier. Ils se promènent tranquillement dans la ville, fumant, prenant leur café. Les populations ne sont de leur part l’objet d’aucune vexation. Le maire a été prévenu que si on les laissait librement circuler, ils ne feraient aucun mal. On leur prête l’intention d’annexer ce pays où, comme on sait, l’on parle encore allemand. »

Ainsi jusqu’à présent l’invasion n’a pas le caractère violent qu’on avait redouté. Mais ce n’est là qu’un exorde par insinuation, et quelle douleur de penser qu’il pourra bien avoir pour conclusion le démembrement de notre patrie !

Les grandes épreuves sont des corrections infligées aux nations, comme aux individus, pour leur rappeler qu’elles ont besoin du secours d’en haut et les ramener à Dieu par la prière. Aujourd’hui notre population a montré qu’elle a l’intelligence de cette vérité et que la vie de l’âme n’est pas éteinte en elle. On avait annoncé hier qu’il y aurait des prières publiques à Notre-Dame de Bon Secours, et que Mgr Foulon viendrait lui-même placer la ville et le diocèse sous la protection de la sainte Vierge. Une foule énorme s’est rendue à l’église, trop étroite pour la contenir, et ce fut en dehors et sur la place que le plus grand nombre dut assister à la cérémonie qui s’accomplissait à l’intérieur. C’était le moment où les soldats débandés de Mac-Mahon arrivaient à Nancy par la route de Lunéville, quelques-uns se traînant à pied, la plupart montés sur des voitures de campagne, tous délabrés, couverts de boue et presque sans armes. En passant devant l’église ils se découvraient respectueusement, et cette simple démonstration qui associait la foule et l’armée dans la même prière, ajoutait encore à l’effet de cette scène solennelle.

Le soir, au chemin de fer, dernier départ du dernier train. Il semble à voir l’empressement et l’effarement des fuyards que l’on soit menacé d’un nouveau déluge, et que ce train suprême soit l’arche de Noé, hors de laquelle il n’y a pas de salut. Dès qu’il eut disparu, je vis plus d’un employé de la gare prendre un air de satisfaction en pensant au repos dont ils vont jouir, après les fatigues de l’infernal service qu’ils font depuis près d’un mois. Cette nuit on doit faire évacuer tout le matériel sur Frouard, et couper la voie au-dessous de Nancy. Ainsi le gouvernement renonce à nous défendre, et nous allons devenir la part du feu.