Journal d’une enfant vicieuse/1-05

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Jean-Claude Lattès, collection Les classiques interdits (p. 83-88).
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CHAPITRE V

Valentine se brouille avec l’amant
de sa mère.

Paris, Novembre 1774.

Nous sommes de retour à Paris ainsi que Valentine.

J’ai bien cru qu’aujourd’hui elle allait le recevoir. J’étais chez elle, et nous jouions dans le salon aux dominos, sur le sopha, devant une petite table. Bientôt entrèrent dans la pièce, la belle-mère de Valentine et un jeune homme, vêtu d’un habit bleu de roi, ayant des bas de soie blancs et une cravate de dentelle. Ils s’assirent tous les deux au bord de la table, sans nous voir et sans que Valentine, occupée de construire des châteaux avec des dominos, se doutât de leur venue. Le haut dossier du sofa nous cachait à leur vue, et comme ils nous tournaient le dos, je pouvais me pencher en dehors du sopha et les regarder sans trop risquer d’être surprise. Ils n’avaient d’ailleurs pas l’air de vouloir faire attention à autre chose qu’à eux-mêmes, bien qu’ils ne se parlassent point. Le jeune homme était très empressé près de madame Dangevert et je crois qu’ils se sont donné un baiser lèvre à lèvre, comme nous faisons quelquefois Valentine et moi. Même j’ai vu qu’il lui mettait sa langue dans la bouche, puis il lui a pris la main et lui a fait toucher sa culotte qui était très gonflée. Mme Dangevert s’est mise alors à rire, tandis qu’à son tour le jeune homme avançait sa main entre les cuisses de son amie, J’observais la scène le cœur battant, je ne pouvais pas croire qu’ils fissent ce que je faisais moi-même avec Valentine et cependant le jeune homme se rapprochait, se rapprochait de plus en plus de madame Dangevert qui levait les yeux au ciel et poussait des soupirs. Tout d’un coup je la vis étendre la main brusquement vers le bas du ventre du jeune homme, la plonger dans une fente qui devait s’y trouver, la retirer violemment et secouer avec fureur quelque chose que je ne pouvais pas discerner. Mais à ce moment Valentine remua la table pour faire tomber le château de dominos qu’elle venait d’y élever, en criant :

— Voilà le tonnerre !

En même temps elle leva la cuisse et fit partir, sous ses jupes, un pet retentissant et tout chargé d’odeur. À ce bruit malhonnête, madame Dangevert et son ami se levèrent soudain de leur siège, mais après le premier moment d’étonnement et de confusion, ils se dirigèrent vers le canapé.

— Que faisiez-vous là, Mademoiselle ? dit madame Dangevert à Valentine.

— Mais nous jouions, maman, répondit Valentine.

— Et c’est vous qui avez fait ce pet ?… Oh ! bien, vous allez vous promener dehors, je vous apprendrai à être aussi malpropre !

— Ah ! mon amie, fit alors le jeune homme, tant que vous ne voudrez pas corriger cette méchante fille, elle en fera bien d’autres.

— La corriger, j’y consens, comment ?

— Ce n’est pas difficile, reprit le jeune homme. Vous la prenez sous votre bras, retroussez ses robes, levez sa chemise et lui donnez sur les fesses de bonnes cinglades de verges jusqu’à ce qu’elle demande grâce.

Valentine tremblait pendant cette conversation, et se voyait déjà recevant la fessée, mais elle en fut encore cette fois quitte pour la peur.

— Que vous êtes cruel, Henri, dit madame Dangevert !… eh puis ! si elle s’avisait de me péter au nez, pendant que je lui donnerais la fessée, croyez-vous que ce ne serait pas désagréable pour moi.

Ils se parlaient en riant sans faire attention à nous. Enfin, madame Dangevert vint prendre Valentine par l’oreille et lui dit en la mettant à la porte.

— Vous êtes avertie, mademoiselle. Si vous recommencez vos incongruités, vous aurez le fouet. C’est la cuisinière qui vous le donnera. Elle a la paume solide et rugueuse. Vous devez penser si en sortant de ses mains vous aurez les fesses en bon état.

Lui ayant parlé de la sorte elle referma la porte sur nous et je les entendis rire aux éclats. Valentine, en sortant du salon, demeura toute honteuse et n’osa plus jouer. Tout de même elle ne l’a pas encore eue la fessée ! Il paraît que le jeune homme qui était avec sa belle-mère lui en veut parce qu’elle est toujours à le regarder lorsqu’il est avec sa belle-mère.

Aujourd’hui ma tante a reçu une lettre de madame Dangevert. Elle lui disait que sa belle-fille devenait insupportable et qu’elle avait l’intention de s’en séparer et de la mettre dans un couvent dont elle connaissait la supérieure — femme religieuse et instruite. Ma tante avait aussi depuis longtemps l’idée de me mettre au couvent. Elle reculait pourtant toujours devant l’exécution de ce projet, partagée entre l’idée du soulagement qu’elle aurait à se débarrasser de moi et celle du plaisir qu’elle ressentait à gouverner elle-même mon éducation. Mais cette lettre l’a décidée. Elle est donc allée voir ce soir madame Dangevert et elle m’a déclaré que dans dix jours je quitterais la maison et que j’entrerais avec mon amie Valentine aux Dames Noires de Corbeil. Quelle chance ! La supérieure et les religieuses auront beau être sévères, elles ne le seront pas plus que ma tante, n’est-ce pas ? Et, puisque Manon n’est plus ici, je m’en irai sans regret.