Journal d’une enfant vicieuse/1-04

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Jean-Claude Lattès, collection Les classiques interdits (p. 65-81).
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CHAPITRE IV

Les pêches volées

Comme Manon était malade, elle a demandé à partir dans sa famille. Cette séparation m’a causé beaucoup de peine, Manon m’aimait tant ! Nous avons pleuré ensemble.

— Je reviendrai quand je serai bien, mamz’elle, m’a-t-elle dit.

En attendant, la servante qui la remplace me fait horreur. C’est une grande ricaneuse, qui a l’air de se moquer de moi. Qu’elle marche droit, ou sinon j’avertirai ma tante. Mais, j’y songe, ma tante voudra-t-elle m’écouter ? J’ai remarqué depuis quelques temps un grand changement dans ses manières d’être avec moi. Sans doute elle n’a jamais été bonne, ni douce, mais si elle m’adressait des reproches, c’était tranquillement et sans une menace, comme elle fait à présent. Elle me donnait bien parfois, et même assez souvent, des claques, mais c’était par vivacité, elle le regrettait presque ensuite, et si elle me menaçait du fouet, elle ne me l’avait jamais donné qu’une fois, quand j’étais toute petite et du temps que ma pauvre maman vivait. Or, maintenant je vois qu’il suffirait d’un léger manquement à mon devoir pour qu’elle m’administrât la correction. Manon prétend que c’est l’abbé Plancheteau, le confesseur de ma tante, qui est cause de ce changement. Il est venu, il y a quelques jours, à la maison, et Manon a entendu une partie de la conversation qu’ils ont eue dans le salon.

— Elle est paresseuse, désobéissante, emportée, a dit ma tante en parlant de moi.

— Eh bien ! a répondu le Plancheteau, il faut lui donner le fouet. Vous savez les paroles du roi Salomon : « N’épargnez point la correction à l’enfant ; vous le frapperez avec la verge, et vous délivrerez son âme de l’enfer. »

— Vous avez raison, mon père, a repris ma tante, je vois que je ne l’ai pas traitée jusqu’ici avec assez de sévérité. Mais soyez sûr que dans l’avenir vous n’aurez rien à me reprocher.

Le vilain homme ! je le déteste. Je n’étais pas trop malheureuse chez ma tante, et maintenant je sens que la vie va être terrible pour moi… c’est ce méchant prêtre qui en sera la cause.

Moi qui m’amusais tant à jouer au fouet avec Valentine et la petite Mathurine, voici que l’idée que je puis le recevoir pour tout de bon me couvre de honte et me gâte mes plus agréables récréations. L’autre jour, ma tante, en se mettant à table, devant Rosalie, cette nouvelle domestique que je hais de plus en plus, a tiré de dessous son manteau un martinet de cuir :

— Je l’ai acheté pour vous, Mademoiselle, m’a-t-elle dit, je vois que la bonté ne vous profite point, et que, n’étant pas meilleure que les autres enfants, vous avez besoin comme eux de certains remèdes cuisants que je ne me ferai pas faute de vous appliquer. Oui ! vous sentirez la vertu de ces lanières, je vous le prédis, si vous continuez à vous conduire comme vous l’avez fait jusqu’ici. Voyez, les bas que je vous avais donnés à tricoter, ils ne sont pas encore achevés ! Si, ce soir, vous ne les avez pas finis, vous aurez du martinet, soyez-en sûre. Pour le moment, qu’il vous suffise de regarder l’instrument, vous saurez ainsi à quoi vous vous exposez par votre paresse et votre désobéissance.

Jamais je n’avais été si humiliée, je ne touchai pas au dîner, malgré les ordres et les menaces de ma tante. Je sentais arrêté sur moi le regard narquois de Rosalie, et j’eusse voulu rentrer sous terre. Aussi je travaillai toute la journée à ces bas, sans oser lever les yeux. Quand le soir je les eus achevés, je les montrai à ma tante qui me dit :

— Allons, c’est bien, quand vous vous conduirez comme vous le devez, vous savez que vous n’aurez rien à craindre de moi, je ne serai sévère que lorsque vous m’y contraindrez.

Malgré ces paroles, l’impression du matin ne s’est pas dissipée, je sens que je suis au pouvoir d’une femme qui peut, d’un moment à l’autre, m’infliger une punition ignominieuse, et j’en suis anéantie. Je me suis couchée à la hâte, baissant ma chemise avec soin sur mes jambes, comme pour me garantir des coups à venir, et me blottissant dans mon lit, me faisant bien petite, j’ai essayé de m’endormir.

Je vais rappeler d’horribles moments ; heureusement que je viens de voir mon amie Valentine et que cette visite m’a fait un peu oublier les douloureuses émotions que j’ai ressenties avant-hier.

Je commençais à oublier les menaces de ma tante et à retrouver ma gaieté que Manon, en partant, semblait avoir emportée avec elle. Ma misérable gourmandise m’a perdue.

Ma tante, qui voulait donner un dîner à plusieurs amies, gardait pour ce repas plusieurs belles pêches qu’elle laissait à l’espalier, et qu’elle se proposait de cueillir seulement le jour de son dîner. Sans m’avoir défendu particulièrement d’y toucher, je savais qu’elle ne me permettait jamais de manger des fruits sans sa permission, seulement je ne devais pas prendre ceux du jardin, mais encore ceux de l’office, dont d’ailleurs je n’avais pas la clef.

Mais comme je me promenais dans le jardin et que je voyais ces belles pêches, je ne pus m’empêcher de vouloir en manger une ou deux : leur peau empourprée les rendait si appétissantes ! Je pensais que comme on avait souvent parlé devant moi de maraudeurs qui volaient tout dans le pays, on serait porté à mettre le vol des pêches sur leur dos, et qu’on ne me soupçonnerait point, je choisis donc un moment où ma tante n’était pas à la maison pour cueillir les pêches. Non seulement j’en pris deux comme j’en avais d’abord l’intention, mais six des plus belles. Je les cueillis à la hâte et me sauvai pour les manger dans les latrines dont je fermai la porte à clef. Puis, m’asseyant sur le siège, je savourai ces fruits qui étaient excellents. Comme je mangeais la dernière pêche, voici que j’entends ma tante qui descendait dans le jardin. Elle appela Rosalie qui se trouvait dans la cuisine :

— Vous avez pris les pêches, Rosalie ?

— Oh ! Madame, fit Rosalie d’une voix indignée.

Je commençais à avoir peur et à trembler de tous mes membres ; je résolus de ne pas sortir des latrines avant que ma tante ait quitté le jardin, et comme j’avais un besoin pressant, je profitai de l’endroit. Je relevai mes jupes et me soulageai. Je finissais à peine quand j’entends ma tante demander à Rosalie où j’étais.

— Mamz’elle est dans les latrines, répond la fille.

Aussitôt ma tante m’appelle à grands cris. J’étais morte de peur ; je laisse tomber mes jupes, sors vivement et me mets à courir pour retrouver ma tante, qui me dit en m’apercevant :

— C’est vous, Mademoiselle, qui avez volé ces pêches ?

Malgré ma frayeur, je prends un air d’innocence et lui réponds sans hésitation :

— Non, ma tante, c’est Rosalie qui les a volées, je l’ai vue…

Tant d’assurance de ma part égare ses soupçons ; elle ordonne à Rosalie de venir :

— Vous entendez, lui dit-elle, on vous accuse.

— Faut-il mentir pareillement ! s’écrie la fille, j’ai vu, de mes yeux vu, mamz’elle Rose cueillir les pêches, les mettre dans ses poches et se cacher pour les manger dans les latrines… Et tenez, ajouta-t-elle, en v’là la preuve.

À ces mots elle a pris sur moi un noyau qui s’était accroché dans les plis de ma robe. Je ne pouvais nier. Je ne savais où me mettre, tant j’avais de frayeur à l’idée de ce qui allait se passer : je prévoyais une scène terrible. En effet, ma tante, après une minute d’étonnement et de silence, éclata :

— Ah ! petite misérable, c’est ainsi que vous joignez la désobéissance au vol et à la calomnie ! mais vous allez expier tout cela, je vous le promets. Agenouillez-vous d’abord devant Rosalie et demandez-lui pardon de votre abominable mensonge.

Je voulus me révolter contre l’humiliation qui m’était imposée, de m’agenouiller devant une domestique, et je restais debout, mais ma tante, d’une main me prit l’oreille, et de l’autre, pesant sur mes épaules de toutes ses forces, me força de m’agenouiller.

— Voulez-vous demander pardon ? dit-elle. Mais comme je restais muette, elle me donna un soufflet en pleine figure. J’éclatai en sanglots.

— Voulez-vous demander pardon ? fit-elle encore en me donnant un second soufflet.

Pour du coup, je dis d’une voix étouffée :

— Pardon !

— Mieux que cela, fait ma tante, il faut dire : pardon ma bonne Rosalie.

J’hésitais, on m’administra un troisième soufflet en même temps qu’un vigoureux coup de pied dans le derrière qui me fit pousser un cri de douleur.

Enfin, menacée de nouveaux coups, je m’exécute, puis, me relevant aussitôt, je m’apprête à m’enfuir.

— Voulez-vous venir ici ! dit ma tante.

Je reviens sur mes pas, mais voyant qu’on prend un balai, et me doutant de ce qu’on se propose d’en faire, je me mets à courir dans la direction de la porte à claire-voie qui donne sur la route. Ma tante alors court après moi et me rattrape par ma robe au moment où j’allais me sauver.

— Ah ! vous croyez que c’est fini pour vous, misérable petite voleuse ! vous vous trompez. Il y a trop longtemps que votre derrière n’avait goûté des verges ! cette fois du moins il ne se plaindra pas : il aura sa pitance.

Et comme Rosalie veut s’en aller, ma tante continue :

— Revenez Rosalie : il faut que vous assistiez à la correction de cette peste-là. Ah ! vous voulez vous enfuir, eh ! bien, pour que vous ne vous échappiez pas, vous aurez le fouet ici dans le jardin, devant votre servante, devant tous les gens qui passent sur la route et qui vont vous voir corriger pour votre plus grande honte. Allons ! à genoux !

Une seconde fois me voici forcée de m’agenouiller sur le sable qui me pique la peau. Il me faut baisser la tête jusqu’à terre et comme je ne veux pas rester dans cette position, Rosalie reçoit l’ordre de me tenir les mains et de m’administrer un bon soufflet toutes les fois que je ferai mine de me relever. Cette menace est la plus horrible : Être battue par les mains sales d’une servante ! J’en rougis encore.

Cependant ma tante s’est placée au-dessus de moi, ses jambes enserrant mon corps, elle se courbe vers mon derrière, elle relève mes robes et mes jupes d’une main preste et s’apprête à me relever aussi ma chemise. Mais alors un spectacle peu agréable s’offre à ses yeux. J’étais sortie si brusquement des latrines que je n’avais pas pris soin de m’essuyer le derrière ; il y restait de la crotte et le coup de pied que m’avait donné ma tante avait enfoncé ma chemise entre mes fesses où elle restait poissée. À cette vue, ma tante devint plus furieuse encore.

— Vilaine sale, abominable dégoûtante, dit-elle, je vous apprendrai à vous présenter ainsi devant moi. Regardez-moi cette horreur !

Mais la crotte ne l’empêcha pas de décoller ma chemise, de la relever et de découvrir mon derrière. Quel coup elle me donna pour commencer, mais j’avais à peine eu le temps de le sentir que j’en reçus un second, puis un troisième, et une vingtaine comme cela sans interruption. Je poussais des cris déchirants. Je ne pouvais faire un mouvement, ayant les mains et les épaules maintenues par Rosalie, le ventre tenu par ma tante, et je devais laisser mes fesses en l’air, bien ouvertes, souffrir cet épouvantable supplice du fouet dont j’avais pu, je me demande comment, quelques jours avant m’amuser. Je hurlais comme une possédée et dans ma douleur je faisais de si grands efforts pour échapper à mes bourreaux que je parvenais à me remuer un peu, mais sans profit pour moi. Les coups tombaient sur la fesse gauche au lieu de m’atteindre sur la droite, ou même sur la peau sensible du trou ou de l’entre-cuisses, et c’était tout ce que je gagnais. À la fin, ma tante m’enserra si étroitement de ses bras que je ne pus remuer ; tous les mouvements qui m’étaient permis de faire c’étaient ceux d’ouvrir ou de fermer mon pauvre cul, d’écarter ou de rapprocher les cuisses. La honte à laquelle j’avais été si sensible d’abord disparaissait devant la souffrance ; et j’étais si indifférente alors à toute idée d’amour-propre que sans y prendre garde je lâchai au nez de ma tante deux pets qui la mirent hors d’elle-même. Je n’eus conscience de son incongruité qu’à la figure de Rosalie qui ne put s’empêcher d’éclater de rire de leur retentissement malhonnête. La position où j’étais, les jambes écartées et la tête en bas, le vent qui me soufflait au derrière, la façon dont ma tante me pressait le ventre, tout cela ne m’eût pas permis de retenir mes vents, ma tante en fut pourtant indignée.

— Puante ordure, fit-elle, c’est trop fort de me manquer à ce point !

Et m’écartant les fesses, elle me cingla la chair à l’endroit coupable, sur les parois mêmes du trou indiscret. Je rugis, je me tordis. Il fallut toutefois supporter aussi le fouet dans cette partie sensible, après avoir eu les fesses et les cuisses toutes meurtries. Le sang coulait, le balai était brisé, ma tante était fatiguée de me fouetter, elle cessa enfin la correction, mais avant de me laisser aller, elle se fit apporter un bol rempli de vinaigre et m’épongea le derrière. La cuisson fut horrible. Ma croupe fit alors un si brusque mouvement que le bol de vinaigre s’échappa des mains de ma tante et que je me relevai et m’enfuis au milieu des rires des gens du village qui venant à passer devant le jardin avaient assisté à ma correction et s’en étaient divertis. J’allai me cacher dans ma chambre, où je me jetai sur mon lit à plat ventre et pleurai : je ne pouvais plus m’asseoir sur mon postérieur, tant il me faisait mal. Pourtant malgré mes souffrances, mes yeux rouges et bien que je fusse condamnée au pain et à l’eau pour huit jours, je dus me présenter au dîner. Ma tante prit soin de dire à tous ses invités que j’avais reçu le fouet et la honte de voir tous ces regards railleurs attachés sur moi me fit presque autant souffrir que la correction que j’avais reçue dans la journée. Pour augmenter mon humiliation, à la fin du dîner, ma tante sentant une mauvaise odeur, s’imagina que je n’avais pas changé de chemise et que je ne m’étais pas lavé le derrière, et elle me troussa au milieu de tous ses invités qui purent voir, de la sorte, mes fesses rouges et rayées par les verges.

— Je crois qu’elle a eu une bonne fessée, dit-on autour de moi. On ne trouva pas d’autre parole de consolation.

Hier matin, comme je souffrais encore du fouet que ma tante m’avait donné la veille et que je restais au lit, elle est venue, le martinet à la main, et prétendant que je devais être levée à cette heure, elle m’a fait m’étendre sur le ventre, a repoussé le drap et levé la chemise et puis, sans égard pour mon pauvre cul, m’a appliqué sept ou huit coups qui ont augmenté encore ma souffrance.

— Puisque vous n’avez pas dans la tête la pensée de bien faire, il faut que vous l’ayez dans le derrière, a-t-elle dit. Vos fesses fouettées vous rappelleront votre devoir.

Je me levai, me retenant à peine de crier. J’étais anéantie, je n’osais lever les yeux ni la tête, et je craignais qu’elle me vît pleurer.

— Ah ! disais-je, si maman était là !

Aujourd’hui Valentine est venue, je ne lui ai point dit ce qui m’était arrivé, j’en aurais eu trop de honte ; quoiqu’elle eût remarqué mes yeux rouges, elle se doutait si peu de ce que j’avais reçu, qu’elle me demanda de jouer à la maîtresse d’école. Naturellement je refusai, je ne pouvais plus d’ailleurs m’amuser de ce que j’avais à craindre à présent à chaque instant, et je ne voulais pas non plus qu’elle sût que j’avais eu le fouet. Mais comme elle s’étonnait que j’eusse la démarche gênée, il a fallu que Rosalie qui passait dans la chambre lui en dît la raison. Valentine — et cela m’a rendu furieuse contre elle — s’est mise à rire de mon malheur :

— Alors tante a fait pan-pan sur le cu-cu, m’a-t-elle dit.

— Voyons, voyons comment tante a arrangé les fesses de Rose.

Et avant que j’eusse eu le temps de l’en empêcher, elle était à genoux derrière moi, me soulevant les jupes, et regardait mon postérieur. Aussitôt, voyant la trace des verges, elle s’est relevée et m’a embrassée.

— Ma pauvre chérie ! s’est-elle écriée.

Je lui ai rendu son baiser. Voici la conversation que nous avons eue alors.

— On ne t’a jamais fouettée, toi ?

— Jamais, a répondu Valentine.

— Ah ! tu es heureuse… Il est vrai que ça t’arrivera peut-être un jour.

— Je ne crois pas, ma belle-mère n’aime pas donner la fessée, elle le disait encore hier.

— Mais ma tante ne me fouettait jamais avant la semaine dernière.

— Oh !

— C’est la vérité.

— Moi, on n’oserait pas me fouetter, je mordrais, je donnerais des coups de pied, je pisserais, lâcherais des pets et même mieux que cela, je…

J’ai regardé Valentine : je l’aime bien, mais elle est si vaniteuse que je voudrais qu’elle fût fouettée comme moi, oui : je verrais alors la figure qu’elle ferait : cela m’amuserait.