Journal d’une enfant vicieuse/1-07

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Jean-Claude Lattès, collection Les classiques interdits (p. 103-127).
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CHAPITRE VII

Comment je m’amusais au dortoir
avec Valentine

Jai eu grand peur lundi dernier. Comme la mère venait de dire la prière et avait éteint la lampe du dortoir, je m’étais glissée dans mon lit où je me préparais à dormir. Soudain j’ai senti un corps près de moi ; j’ai été tellement saisie que j’en tremble encore maintenant quand je songe à l’émotion que j’ai éprouvée. J’allais pousser un cri perçant, mais deux mains me bâillonnèrent, tandis qu’une voix bien connue me disait de ne pas être épouvantée. C’était Valentine. Elle avait traversé tout le dortoir pour venir me trouver :

— Quelle imprudence, lui dis-je.

— Bah ! fit-elle, tu crains toujours d’être punie : personne ne s’avisera de me voir.

Nous étions bien serrées dans mon lit, mais cela m’amusa d’avoir le corps de mon amie contre le mien. Elle m’embrassa je l’embrassai à mon tour, puis Valentine chercha à me chatouiller, en me passant un doigt le long du dos, sur les épaules, sous les bras. Elle rencontra l’endroit sensible… et j’étouffai mes rires.

Quelle peur nous eûmes, quand nous entendîmes la sœur surveillante se retourner dans son lit ! Heureusement que ce n’était qu’une fausse alerte. La bonne femme bientôt poussa des ronflements, tantôt embarrassés comme le grincement d’une clef rouillée dans une vieille serrure, tantôt légers et discrets comme le souffle d’un poupon qui mange de la bouillie. Nous nous amusâmes beaucoup de la respiration de la religieuse ; puis, lassées d’écouter son bruyant sommeil, nous jouâmes à nous toucher entre les jambes, de la même manière que lorsque nous étions à la maison. Je crois qu’on nous eût joliment fouettées si on nous avait surprises, mais c’est si bon de se caresser ainsi, et puis la sœur dormait trop profondément, la chambre était trop obscure et nous faisions trop peu de bruit pour qu’il y eût rien à craindre. Valentine avait son doigt entre mes jambes, tandis que moi j’avais le mien entre les siennes et j’avoue que je lui fis plus de plaisir que lorsque nous étions dans le bois de Château-Rouge. Elle me dit elle-même que j’avais fait des progrès dans cet exercice et que mon doigt était beaucoup plus habile qu’autrefois.

Quand nous fûmes bien diverties, nous restâmes la tête sur l’oreiller un moment à nous reposer, puis Valentine tout d’un coup me dit à voix basse :

— Tournons-nous le dos.

Sans savoir ce qu’elle veut faire, je me tourne et elle se tourne aussi. Elle avance le fessier, puis je sens qu’elle le gonfle et qu’elle écrase le mien ; enfin, elle me presse si bien le derrière qu’elle en met la jointure sur mon cul, trou contre trou, je sens qu’elle pousse toujours, tout d’un coup un vent sifflant m’arrive dans le derrière et vient éclater à l’entrée. Je ris :

— Fais comme moi, dit Valentine, nous allons jouer au jeu d’échange-vent, c’est très amusant, tu vas voir.

Je me suis prêtée à son caprice, et les fesses unies, nous nous sommes poussé des vesses dans le cul l’une de l’autre ; parfois successivement, et parfois nous poussions ensemble. Certes nos voisines n’ont pas dû sentir une odeur agréable, d’autant plus que la cuisine des religieuses, consistant, en grande partie, de légumes et de fromage, fait les vents postérieurs forts et odorants. Mais toutes nos condisciples dormaient. Pourtant l’une de nos vesses a dégénéré en un gros pet et a rendu un ronflement épouvantable, et après avoir ri un moment, nous avons craint d’être découvertes. En effet, nous entendîmes à côté de nous des rires étouffés, mais on pouvait croire que ce pet avait échappé et on ne pouvait savoir, en somme, qui l’avait fait. Nous avons résolu, toutefois, de terminer là nos divertissements, mais Valentine, après m’avoir embrassée, m’a demandé de dormir avec moi :

— Oh, mais cela est impossible ! Et si la sœur te voit demain dans mon lit, que va-t-elle dire ?

— Pas de danger, à répondu Valentine, je serai levée une heure avant le réveil. Tu sais que je me réveille quand je veux.

Nous avons pourtant bien failli être prises. En effet, après tous ces jeux, nous nous sommes endormies très profondément. Il faisait grand jour quand nous avons ouvert les yeux. Valentine, toute effrayée, est vite descendue de mon lit et a gagné le sien. Personne ne l’a vue, heureusement ! Mais il n’y avait pas cinq minutes qu’elle était couchée, que la mère a ouvert ses rideaux et a sonné la cloche du réveil. Nous l’avons échappée belle ! Mais cette espiègle Valentine n’a-t-elle pas voulu recommencer le jeu la nuit suivante :

— Ah ! non, lui ai-je dit, tu sais, je ne tiens pas à recevoir le fouet comme l’a reçu cette pauvre Thérèse. Libre à toi, si ça t’amuse, d’avoir le derrière meurtri.

— Es-tu lâche, ma pauvre Rose, m’a dit Valentine en haussant les épaules.

Elle n’a cependant pas insisté et est allée s’amuser toute seule dans son lit.

Il faut que je fasse le portrait de la Mère Sainte-Eugénie qui nous apprend l’histoire et l’arithmétique. Elle a un gros nez retroussé et tout rouge, aux narines béantes, de grands yeux d’un bleu pâle dont les paupières sont sans cesse baissées ; elle croit ainsi se donner des airs de modestie et de sainteté, mais son visage a surtout une expression d’arrogance et de mépris. Elle est à peu près sourde, de sorte qu’il faut lui crier aux oreilles pour qu’elle entende ; et elle se fâche tout rouge quand elle n’entend pas. À force d’être tendues, ses oreilles forment deux larges tuyaux en dehors de sa coiffe, ce qui lui donne une figure si drôle qu’on ne peut pas s’empêcher de rire quand on la voit pour la première fois. Mais il faut s’observer quand on est en sa présence, car elle ne plaisante pas, et le martinet qu’elle porte toujours sous son bras rappelle à celles qui pourraient l’oublier qu’elle n’a point peur de punir les délinquantes. La pauvre petite Agathe Sifflet, la fille du fermier-général, qui est très timide et n’ose pas parler, doit presque tous les jours recevoir les caresses de ce terrible instrument, qui a dix branches de cuir, terminées par de gros nœuds et dont la Mère Sainte-Eugénie se sert avec une vigueur et une cruauté qui passent l’imagination.

Ce qu’il y a de plaisant, c’est que la Mère Sainte-Eugénie, qui corrige ainsi la petite Agathe pour ne pas parler assez haut, parle elle-même tout bas. C’est seulement au moment où nous faisons nos devoirs sous sa surveillance qu’elle se laisse entendre, et malgré elle. Elle a coutume, en effet, de dire, son chapelet pendant que nous écrivons, et pour ne pas nous troubler, elle le récite soi-disant à voix basse, mais les mots sortent de ses lèvres avec un sifflement et elle produit un bruit de bouche, comme une vieille jument à qui on donne à manger. J’ai eu le temps de la connaître, depuis que je suis au couvent et j’ai grand-peur de son martinet ; mais, malgré l’habitude où je suis de son visage et la crainte que j’ai de ses corrections, je ne puis pas la regarder sans rire ; sa physionomie parfois a de si plaisantes grimaces que je dois me cacher la tête sous mon pupitre pour éclater à mon aise. Où elle est absolument divertissante, c’est à l’étude de deux heures ; elle vient de dîner, et il faut voir avec quelle majesté son vaste séant se repose sur sa chaise trop petite, hélas ! pour lui ! Plus rouge encore que d’ordinaire, avec mille mouvements de la gorge et de la bouche, la sœur essaie d’étouffer les rots qui lui montent de l’estomac, mais ses efforts tournent mal, car ils déterminent sur le côté opposé de son corps des décharges retentissantes qu’elle lâche avec d’autant plus d’aisance qu’elle ne les entend pas.

La sœur est d’une gourmandise honteuse. Manon de Chastelain m’a dit qu’au commencement de l’année, la sœur la fouettait aussi souvent que la petite Agathe, mais qu’elle avait réussi à adoucir son bourreau en lui donnant toutes les boîtes de dragées et de bonbons que sa famille lui envoyait. Quand on lui remplit le ventre, elle n’a plus de main pour frapper.

Aujourd’hui j’ai glissé en arrivant en classe, et je suis tombée, et en tombant, ma robe, qui est fort courte, s’est retroussée et on a vu mon derrière, ce qui a provoqué les rires de toute la classe. J’ai cru que cette vue allait mettre la sœur en humeur de fouet, mais elle s’est contentée de dire qu’il était de la dernière indécence de se promener ainsi sans avoir rien sous sa robe et elle m’a dit de me rendre immédiatement à la lingerie afin de me faire prendre mesure pour un caleçon. Ici, en effet, toutes les élèves en portent, on ne s’était pas aperçu que j’en manquais, et moi qui n’en portais jamais à la maison, je ne m’étais pas plainte de n’en pas avoir. Enfin on va emprisonner mon derrière, non point pour le protéger du froid, mais pour que sa vue ne choque point les yeux, et pourtant je me demande si on doit tant veiller à ce qu’il ait une couverture quand on prend soin si souvent de le découvrir. Que je le montre moi-même par maladresse ou qu’on me le fasse montrer avec intention pour m’infliger un châtiment, cela ne revient-il pas au même ? il est vrai qu’on veut peut-être, en nous le faisant toujours tenir caché, augmenter notre honte quand on nous force à le dévoiler.

La sœur Sainte-Eugénie ne peut avoir d’autres raisons, car il ne se passe point de jour qu’elle ne prenne l’une de mes camarades par l’oreille, la force à avancer au milieu de la classe, lui ordonne de s’agenouiller et après lui avoir levé successivement les jupes, la robe et la chemise, lui fasse tomber son caleçon et lui mette à nu ses fesses. Nous ne sommes que quatre jusqu’ici qui ayons échappé au châtiment, et hélas ! je tremble chaque jour que mon tour ne soit venu. Quand je récite mes leçons, quand je lis mes devoirs, j’en ai des battements de cœur. Valentine qui est toujours gaie se moque de moi. Mais pourtant n’est-ce pas terrible une correction comme celle que la sœur Sainte-Eugénie vous inflige ? Quelle honte d’abord de se voir troussée ainsi en pleine classe et d’étaler l’endroit de notre corps qui est si souvent sale, puis la douleur du fouet est atroce. On a pour trois jours à ne pouvoir s’asseoir sans souffrances. La sœur frappe d’abord avec ses mains, comme si elle avait plaisir elle-même à toucher notre derrière, puis elle prend son martinet et fouette les pauvres fesses qu’elle a sous sa justice jusqu’à ce qu’elles soient rouges, parfois jusqu’à ce qu’elles soient sanglantes. Surtout si vous avez un gros derrière, on dirait qu’elle ne se sent pas de joie de le meurtrir et elle ne se retient plus. La colère qu’elle avait en prononçant votre punition se change en jouissance, dès qu’elle vous l’inflige. Ni larmes, ni sanglots, ni cris, — dois-je le dire, ni incongruités des postérieurs maltraités ne l’arrêtent : elle tape comme une sourde qu’elle est. Et si l’élève fait mine de résister, si elle se débat, aussitôt la sœur saisit une grosse cloche qui est sur son pupitre pour appeler les sœurs tourières qui accourent, déshabillent l’indisciplinée et la maintiennent dans la position la plus propre à bien recevoir et à bien sentir la correction. Elles lui passent sous le ventre une tringle soutenue par deux tiges en fer qu’elles enfoncent dans des trous creusés exprès au milieu de la classe. Cette tringle et les deux tiges sont munies de courroies. Les sœurs tourières attachent la récalcitrante par la ceinture, à la tringle et par les jambes aux tiges en fer. De façon qu’elle ait le derrière bien en l’air et bien tendus, les jambes et les fesses très écartées. Puis, comme la sœur dit que les méchantes filles ne sont pas dignes de lever la tête et ne doivent que montrer ce qui indique leur honte, le haut du corps de la victime est en bas, son ventre repose à terre, et on attache ses mains à des anneaux qui sont scellés aux dalles. Enfin, pour augmenter l’humiliation de l’élève corrigée, et permettre à toute la classe de lire sur ses traits la honte qui l’accable et la douleur dont elle souffre, un hausse-col en fer fixé sous le menton lui tient la tête relevée et montre son visage à toutes ses camarades.

Presque toutes celles qui passent sous le martinet de la sœur Sainte-Eugénie ne peuvent se défendre de pleurer et de pousser des cris, et si perçants parfois, qu’on les entend du fond de la cour de récréation qui est pourtant bien éloignée de notre classe. Parfois aux cris d’en haut, se mêlent les soupirs d’en bas, auxquels la nourriture du couvent, la position où l’on nous met, la façon dont on nous tient les fesses, la douleur, la colère, l’insolence, l’espièglerie nous disposent. Le fouet nous est administré pour les moindres peccadilles. De plus, en dehors de la grande correction au milieu de la classes, à cul nu, comme disent mes amies, il y a d’autres fessées qui sont presque aussi douloureuses et parfois plus humiliantes. La sœur passe dans nos rangs pendant que nous sommes à faire les devoirs qu’elle nous a donnés, et si l’une de nous ne paraît pas attentive à son travail, elle lui lance un ou plusieurs coups de férule par-dessous la robe et l’élève punie sent d’autant mieux la férule que nous sommes forcées de tendre toujours le derrière quand nous sommes assises à écrire, parce que les bancs qui ne sont pas mobiles sont très éloignés des pupitres et nous obligent de courber le corps. Parfois aussi, elle nous fait lever, nous force à nous incliner le haut du corps sur le pupitre, et troussant seulement nos jupes, elle nous donne la férule sur notre caleçon ; nous devons ensuite rester, tout le temps que dure la classe, agenouillées sur le banc entre nos camarades et tenant nos jupes relevées par-dessus la tête pour que nous ayons plus de honte. Malheur alors à celle dont le caleçon n’est pas d’une irréprochable propreté. Comme cela est arrivé à Agathe, un jour qu’elle était pressée et qu’elle n’avait pu se munir de papier pour aller aux latrines en pleine classe. Elle a eu la honte de se décaleçonner et de se laver le postérieur aux grands éclats de rire de nous toutes, pendant que la sœur avec des verges lui donnait le fouet pour activer sa besogne et balayer sa maison de derrière, disait-elle.

Jugeant que la férule et le martinet ne faisaient pas assez de mal, sœur Sainte-Eugénie est arrivée un matin avec une sorte de pelle en bois à manche court, percée de trous, qu’elle brandissait avec un singulier sourire. Elle s’en est servie le jour même aux dépens des fesses de la pauvre Thérèse qui a hurlé à en perdre la voix. Elle lui avait relevé seulement les jupes et administrait la correction par-dessus son caleçon, mais après l’avoir bien battue, elle l’a forcée, pour l’exemple, de découvrir ses fesses et notre pauvre amie, les yeux en larmes, a dû baisser son caleçon au milieu de sanglots, et, en se tournant contre le mur, nous faire voir les grosses chairs toutes rouges de son derrière, marbrées de taches bleues et où la pelle à trous avait soulevé de larges cloques. C’était lamentable à voir et pourtant quelques élèves ont eu le courage de rire. Loin de les punir la sœur semblait elle-même les encourager par ses méchantes plaisanteries.

— Eh bien, disait-elle, mademoiselle, j’espère que vous prendrez, à l’avenir, un peu plus de soin de votre derrière. Il est si gros que j’aurais pensé, sans qu’il soit besoin de vous faire d’observation, que vous y veilliez vous-même, à sa prospérité, mais je vois qu’il aime trop la pelle à bois et que cela finira par le rendre bien laid. Il n’avait pas besoin de cela pourtant. J’aurais grand-honte, si j’étais à votre place, de le montrer ainsi à mes camarades. Nous avions assez du visage d’en haut, d’autant plus qu’il ressemble tellement à celui d’en bas qu’il nous dispense de le voir.

Mais si la sœur maltraite nos postérieurs, en revanche nous nous amusons parfois bien d’elle. Je veux raconter ici le tour que lui a joué Charlotte Coutheau. Il faut dire que sœur Sainte-Eugénie est extrêmement peureuse ; elle craint les revenants, les fantômes, les sorciers et principalement le diable. Or, il y a quelques jours nous formâmes le projet de nous divertir à l’effrayer. Nous étions allées à la porte du couvent avec elle, pendant une récréation pour aider les sœurs à transporter des caisses de livres qui arrivaient de Paris. Un vieux mendiant qui avait une barbe énorme, accompagné d’un chien tout noir, d’une extrême maigreur, vint à passer et à demander la charité à la sœur. La sœur ne lui répondit pas. Alors l’homme fit un geste de menace, marmotta je ne sais quoi entre ses dents, et s’éloigna avec son chien qui lança un aboiement sourd et suivit son maître. La sœur devint toute tremblante :

— L’avez-vous vu, dit-elle, il avait l’air d’un sorcier. J’ai peur qu’il n’ait lancé un sort à l’une de vous.

— Oh ! ma sœur, pourvu que ce ne soit pas à vous, dit Charlotte, mais je crains que ce ne soit à moi, car il m’a regardé avec attention, et je me sens toute drôle depuis ce moment-là.

— Alors, fit la sœur, allez vite demander de l’eau bénite à sœur Sainte-Ildegonde, et priez-la de vous en asperger tout le corps pour conjurer le sort ou chasser le démon.

Charlotte sortit et pendant son absence, nous nous mîmes à raconter à la sœur toutes les histoires de diablerie que nous savions. La sœur en fut si touchée qu’elle ne tarda pas, elle aussi, à aller faire des prières et à s’asperger d’eau bénite de la tête aux pieds. À trois heures la classe commença, et la sœur nous dictait plusieurs problèmes sur la division, quand voilà Charlotte qui, au lieu d’écrire, monte sur un banc et se met à chanter. La sœur à qui l’arithmétique avait fait oublier le sorcier et le diable, descend de sa chaise, le martinet à la main et se dispose à punir avec rigueur une pareille dissipation, mais Charlotte se met alors à courir autour de la classe et puis par de légères pirouettes échappe à la sœur au moment où celle-ci croit la tenir. Dire comme nous riions serait impossible ! Il arriva qu’en courant sœur Eugénie glissa et s’étala par terre. Je laisse à deviner sa fureur lorsqu’elle se releva. Sans continuer une poursuite qui lui réussissait si mal, elle saisit sa grosse cloche pour appeler les sœurs tourières, et celles-ci, un moment après, arrivaient, s’emparant de Charlotte et, sur l’ordre de la sœur Eugénie, la forçaient de s’agenouiller au milieu de la classe, lui troussaient ses jupes, baissaient ses caleçons et lui levaient sa chemise. Mais alors, elles poussent un cri effroyable, jettent les verges qu’elles avaient apportées et se sauvent de la classe. La sœur Sainte-Eugénie ne comprenant rien à ce qui se passe, s’approche de Charlotte, mais elle pousse comme elles un grand cri et se sauve dans la cour en appelant à l’aide.

Ce qui avait causé toute cette épouvante, c’était le derrière de Charlotte qui n’était point blanc ni rose comme le reste de son corps, mais d’un noir brillant d’ébène, ce qui faisait ressembler ses fesses à deux boulets de canon.

Dès que les sœurs furent parties, Charlotte se releva et comme nous savions ce qu’il en était, nous n’eûmes point peur de ce derrière de négresse, que Charlotte s’était fait avec deux sols de suif et un sol de noir de fumée, et que la sœur Sainte-Eugénie avait pensé ne pouvoir appartenir qu’à un possédé du diable — ne s’imaginait-elle pas, en effet, que le diable noircit tous les corps qu’il a touchés ! Elle s’était tout d’un coup rappelé l’aventure du mendiant et elle était persuadée que Charlotte était devenue sa proie. Cependant, comme nous craignions que la Mère supérieure, moins crédule que sœur Sainte-Eugénie, ne s’aperçût du tour et ne punît sévèrement notre amie, nous lui conseillâmes de se laver le postérieur. Elle y consentit et avec l’eau et le linge qui nettoyait le tableau noir, elle se débarbouilla, à notre grand amusement, sa maison de derrière.

À peine cette opération était-elle finie que voilà les sœurs tourières, la sœur Sainte-Eugénie et la Mère supérieure qui entrent dans notre classe.

— Charlotte, venez ici, dit la Mère supérieure.

Charlotte de son banc, cette fois, sans rire et avec un léger tremblement, s’avança.

— Troussez-vous, continua la supérieure.

Charlotte obéit.

Quand elle eut mis ses fesses à nu, toutes les sœurs approchèrent leur nez du derrière de notre camarade et purent se convaincre qu’il était blanc comme une aile de poulet. — Les trois sœurs qui l’avaient vu d’un si beau noir il y avait un instant ne purent dissimuler leur étonnement, mais la Mère supérieure dit à sœur Sainte-Eugénie :

— Vous voyez bien, ma sœur, que ce derrière a une couleur chrétienne et que vous deviez avoir la vue brouillée quand vous l’avez regardé. Seulement je crois qu’il appartient à une espiègle et que vous ferez bien de lui mettre un peu de rouge avec votre martinet : ça lui profitera.

Là-dessus elle sortit.

Sœur Sainte-Eugénie resta quelque temps à réfléchir sur l’aventure, enfin comprenant qu’on l’avait jouée, elle vint au pupitre de Charlotte, prit notre amie par l’oreille et la fit s’avancer au milieu de la classe ; là elle la contraignit de trousser ses robes et ses jupes. Ma Charlotte n’avait pas l’air trop rassuré, mais elle essayait pourtant de garder une bonne contenance.

— Pour vous punir de m’avoir fait courir après vous, vous allez faire le tour de la classe à genoux, à mes côtés.

À ces paroles, Charlotte, qui se crut quitte à bon compte eut l’idée de continuer pendant cette promenade ses espiègleries. La sœur la tenait par la main gauche et pour la faire avancer plus vite, elle lui lançait de temps à autre des coups de martinet sur les fesses, mais, comme elle était mal placée pour la fouetter, les coups n’arrivaient pas à destination ou ne lui faisaient pas grand mal, de sorte que cette punition, qui eût couvert une autre de honte, moi par exemple, ne produisait aucun effet sur Charlotte qui n’était guère sensible qu’à la douleur, s’en amusait plutôt et d’une façon fort incongrue comme on va voir. En effet, lorsque la sœur levait le martinet, Charlotte tendait le cul et lâchait un pet. On n’entendait que le cri de la sœur : « Voulez-vous avancer, insubordonnée », le flic, flac sur les grosses chairs des fesses et les prout, prout, courts, longs ou tonitruants qui partaient du postérieur molesté. Nous éclations de rire à cette musique et Charlotte, elle, riait sous cape. Sœur Sainte-Eugénie s’avançait la tête haute et si elle sentait certaines odeurs peu agréables lui monter au nez, ne pouvait en découvrir la cause, elle ne s’en préoccupait pas. Elle continuait donc à s’avancer avec sa joyeuse et venteuse victime, quand tout à coup comme Charlotte lançait un dixième ou onzième pet plus retentissant que les précédents, l’oreille de la sœur qui était mieux tournée, paraît-il, à ce moment, surprit cette explosion plus bruyante que les autres. Reconnaissant d’où elle venait, elle se baissa vivement et comme Charlotte après cet exploit se tournait vers ses voisines pour leur sourire, appliqua deux claques terribles au derrière malhonnête — une sur chaque fesse. Charlotte poussa un cri de douleur, mais manifesta encore plus son émotion. La surprise, la souffrance ou les efforts qu’elle avait faits pour pousser tous les gaz de son corps avait amené son étron à l’huis de ses fesses, tout à coup le cul s’entrouvrit et lança un boudin jaune et visqueux à la main de la sœur qui, justement, s’était mise en cet instant avec beaucoup d’imprudence à écarter les fesses de la fouettée et à taper sur cette ouverture malhonnête, soit qu’elle voulut châtier l’endroit coupable, soit que cette partie lui parût plus sensible.

Ce qui suivit ne dut pas être précisément du goût de Charlotte. Sœur Sainte-Eugénie avait pris encore une fois sa grosse cloche ; à ce signal, les sœurs tourières accoururent de nouveau avec les tringles que j’ai décrites et auxquelles on attacha la coupable, par les jambes et la ceinture, tandis qu’on lui mettait, sous le menton, le hausse-col de honte pour la forcer à lever la tête et à regarder ses camarades pendant le châtiment. Charlotte faisait maintenant une triste figure, et son gros derrière tout embrené était encore plus piteux. La sœur avait voulu qu’il restât ainsi souillé tout le temps que durerait la correction, pour que sa propriétaire en fût plus humiliée.

Avant la correction, Charlotte dut demander son pardon à la sœur, puis lécher sa propre ordure dont son derrière avait souillé la main, tandis qu’il recevait d’elle la fessée.

Ce fut alors que le châtiment commença. Les sœurs tourières l’administrèrent d’une main aussi rude que sœur Eugénie.

Charlotte reçut d’abord des coups de la pelle à bois qui lui firent pousser des râles sourds. Puis le martinet aux lanières de cuir venait zébrer de raies livides ses fesses déjà couvertes de cloques par le premier supplice. Elle eut beau serrer les fesses, les ouvrir, tendre le derrière, pleurer, crier, demander grâce, elle reçut du martinet une vingtaine de coups. Enfin comme elle croyait son châtiment fini, et pensait qu’on allait la détacher, elle aperçut les sœurs tourières qui étaient sorties un instant revenir avec des verges épineuses. Elle eut un tremblement qui ne nous échappa point, et poussa un gémissement affreux. Mais ce fut bien pis ensuite quand elle en sentit la première piqûre sur ses fesses déjà si endommagées, elle eut des hurlements extraordinaires, des cris d’animaux féroces, et sans pouvoir se contenir, dans d’horribles contorsions, péta, pissa et lâcha tout ce qu’elle avait encore dans le ventre.

Sœur Sainte-Eugénie à ce spectacle ne contint plus sa colère, elle se joignit aux deux tourières que les cris et les incongruités de l’élève fessée et peut-être le plaisir de la corriger excitaient au plus haut point, et les trois femmes se mirent ensemble à fouetter Charlotte, si bien que le sang ruissela sur les jambes de la victime. Enfin on la laissa aller toute sanglante et écorchée ; pour avoir voulu montrer un cul noir, elle eut le cul rouge.