Journal d’une enfant vicieuse/1-08

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Jean-Claude Lattès, collection Les classiques interdits (p. 129-160).
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CHAPITRE VIII

Comment fouettent les Ursulines
de Corbeil

Je viens de passer des journées d’humiliation et de douleur inoubliable ; je ne sais ce que me réserve la vie, mais je ne crois pas qu’on puisse souffrir dans l’âme et dans le corps plus cruellement que j’ai souffert durant cette dernière semaine. Heureusement ma peine est finie, et ce m’est presque un plaisir maintenant de la raconter. Il semble, tant le souvenir m’en afflige peu aujourd’hui, que c’est une autre que moi qui ai subi toutes les tribulations dont je vais parler dans ce journal.

Valentine et moi, en revenant d’une promenade qui s’était prolongée fort tard dans la soirée, comme nous étions seules au dortoir, nous aperçûmes la chatte de la sœur tourière qui nous suivait. Je crus qu’elle était très malade, tant elle poussait des miaulements et se frottait désespérément contre nos jambes, mais Valentine, à qui je fis part de ma crainte, me dit :

— Bête ! tu ne vois pas qu’elle est amoureuse.

Je rougis, très fâchée d’avoir montré ma sottise et mon ignorance à Valentine, mais Valentine, sans plus se moquer de moi, me dit à l’oreille :

— Prenons-la sous notre robe ; nous nous amuserons bien dans le lit cette nuit avec elle.

Cette Valentine fait de moi tout ce qu’elle veut. Après l’infériorité d’esprit dont je venais de témoigner, je n’osais pas d’ailleurs rien lui refuser. Je pris donc la minette sous ma robe, et aussitôt elle cessa ses miaulements et fit seulement entendre un ronron très sourd qui m’amusa beaucoup. Mais comme j’allais entrer au dortoir, je fus prise d’une frayeur :

— La sœur va nous voir, dis-je, et nous serons punies.

Ce à quoi Valentine répondit :

— Tu ne l’entends donc pas ronfler ? Va donc. Il n’y a rien craindre.

En effet, le dortoir était sombre… on n’entendait que les soupirs légers de nos camarades que dominaient les ronflements bruyants de la sœur surveillante.

Alors je me dirigeai à pas de loup vers le lit avec Valentine. Elle se déshabilla la première tandis que je tenais la chatte et que je la caressais, puis, me prenant l’animal des mains, elle se fourra dans les draps avec elle ; je me déshabillai à mon tour et me glissai à son côté. Nous avions entre nous la chatte qui se frottait la tête ou le derrière contre nos jambes, en continuant son ronron. À ce moment Valentine imagina d’aller chercher une tasse de lait qu’on l’avait autorisée à garder près de son lit, à cause qu’elle avait eu grand mal à la gorge ces jours-ci. Elle se lève donc avec mille précautions, va chercher la tasse, me la présente en me disant d’y tremper les doigts et de m’en frotter entre les cuisses ; je lui obéis en riant, mais comme à son gré je ne prenais pas assez de lait au bout de mon doigt, elle se charge elle-même de m’en mettre à mon petit bouton, et elle le touche avec une telle frénésie que je me pâme de plaisir sous sa caresse ; ensuite, saisissant une éponge dont je me servais pour ma toilette, elle la trempe dans la tasse et l’épreint sur ses cuisses, de façon à s’en inonder l’entre-jambes. Elle met le nez du chat dans ses cuisses, et voici la minette qui, de sa langue gourmande lui lèche la chair rose. Comme la chatte relevait la tête et qu’elle se léchait et se reléchait le poil, Valentine la prit par la peau du cou, la mit entre mes cuisses. La chatte me donna le plaisir qu’elle venait de causer à mon amie, bien que je trouvai sa langue un peu rude, mais le chatouillement était plus vif ; et puis j’étais si excitée à ce moment-là que le moindre attouchement m’eût causé une jouissance. Quand elle eut fini, et qu’elle se fut bien reléchée, elle leva le derrière et le tendit vers nous, la queue haute et gonflée. Je vis les deux trous qu’elle avait au milieu de son poil. Valentine lui introduisit alors le doigt dans le trou le plus éloigné de sa queue, et la chatte commença à lever et à baisser son arrière-train et à remuer l’une après l’autre ses pattes de derrière en miaulant. Tout à coup elle se roula sur le lit en poussant des cris horribles. J’étais effrayée, mais Valentine ne put se retenir de rire, et elle éclata. Mais, hélas ! autre chose que son rire éclata aussi.

La sœur, en entendant les cris de la chatte, s’était réveillée en sursaut ; elle avait allumé une chandelle et elle promenait ses yeux sur le dortoir. Mais nous étions fourrées sous les draps avec le chat, mais mon lit était très étroit, les rideaux en avaient été enlevés, et il était impossible, si l’on y regardait attentivement, de ne pas voir que je n’y étais pas seule. La sœur ayant remarqué le gonflement inusité de la couverture, se lève à la hâte. Ce fut une minute inoubliable. Quelle frayeur j’avais. J’entends encore le lit craquant sous son poids ; nous nous serrions l’une contre l’autre et Valentine, je crois bien, n’était pas plus rassurée que moi : elle pissait de peur sur mes jambes. Enfin la sœur est devant nous, elle lève le drap :

— Ah ! les petites misérables, s’écrie-t-elle, et elle ne peut retenir une exclamation d’étonnement en voyant la chatte qu’elle saisit par la queue et qu’elle jette au milieu du dortoir. « Voulez-vous sortir de ce lit », dit-elle à Valentine en lui tirant les cheveux et les oreilles, et en lui donnant une paire de soufflets.

Valentine se sauve éperdue.

— Demain, continue la sœur, la Mère supérieure sera mise au courant de votre conduite.

Cependant le dortoir est en rumeur, nos amies sont toutes assises sur leur séant, écarquillant leurs yeux pleins de sommeil.

— Ah ? vous riez, je crois, me dit la sœur qui prend un mouvement de lèvres de ma part pour un sourire, « eh bien ! je vais vous apprendre à rire, vous allez voir ».

Et la voici qui, d’une main brutale, me couche sur le ventre, lève la chemise, expose mon fessier à la vue de tout le dortoir et se met à le claquer : elle frappe si fort que je ne puis m’empêcher de pousser des hurlements ; elle me laisse enfin gémissante et meurtrie, pour courir au lit de Valentine.

— Et vous aussi, dit-elle, vous allez avoir votre compte.

Je crois que Valentine résiste, qu’elle lève les jambes en l’air, qu’elle pleure, demande grâce, fait des rugissements, mais il n’en faut pas moins céder à la force de dragon de la sœur qui met Valentine sur le ventre, aussi bien que moi, et malgré ses ruades et ses cris, lui fait rudement rougir la peau. Certes, dans un autre moment cela m’eût bien amusée de voir fesser le gros cul de Valentine, pour lequel c’était un événement plus épouvantable encore que pour le mien, car jusqu’à présent il n’avait jamais eu le fouet. Mais je suivais maintenant les mouvements de son postérieur avec indifférence. J’étais comme privée de sentiment d’après la souffrance et l’humiliation que l’on m’avait infligées. Quand elle eut bien fessé Valentine, la sœur la laissa hurler et se frotter le derrière en lui assurant ainsi que moi que demain nos fesses sauraient à quoi s’en tenir. Nous ne dormîmes pas de la nuit, tant la douleur, la honte et les menaces nous avaient causé d’émotion.

Le lendemain, dès que nous fûmes habillées, la sœur nous conduisit, les yeux en larmes et toutes tremblantes, à la Mère supérieure qui nous fit un discours interminable, mais que nous étions trop émues pour écouter. Ce que nous entendîmes très bien, par exemple, ce fut notre condamnation.

— Valentine, dit la mère, vous avez été jusqu’ici une bonne élève, c’est pourquoi je me contente de vous mettre au pain sec pendant huit jours. Pour aussi vous laisser un cuisant souvenir de cette nuit abominable, vous allez avoir le fouet tout à l’heure dans ma chambre. Mais cette petite misérable qui a donné un tel exemple à son amie (comme Valentine était moins âgée que moi, on croyait que c’était moi qui étais la plus coupable), cette petite vaurienne qui se conduit avec autant de paresse aux heures des classes, que d’indécence aux heures de repos (j’avais eu toute cette semaine de mauvaises notes, ne sachant jamais mes leçons et faisant mal mes devoirs), cette petite misérable n’en sera pas quitte à bon marché. Nous allons vous soigner, Mademoiselle, je vous en réponds, et puisqu’on ne peut vous mettre de bons préceptes dans la tête, on vous les fera entrer par le derrière, je vous le promets ! Aujourd’hui vous aurez le fouet en secret, il est vrai, mais vous serez exposée au tour après la correction, le postérieur découvert, pour que toutes les sœurs et toutes vos jeunes condisciples puissent connaître votre châtiment, demain vous serez enfermée au cachot, au pain sec et à l’eau pour huit jours. La sœur Sainte-Ursule, la correctrice, viendra chaque matin vous rappeler, par une bonne fessée, à la pénitence. Si, pendant ces huit jours, vous vous conduisez d’une façon satisfaisante, que vous montrez un véritable repentir, et que vous receviez sans murmures vos corrections, on vous donnera la liberté. Mais vous devrez toutefois, auparavant, vous soumettre à une discipline publique sur vos fesses nues, devant les sœurs et vos condisciples.

Ainsi parlé, la supérieure nous congédia, gardant Valentine pour lui infliger son châtiment ; (Valentine a prétendu, avec cet orgueil qui ne l’abandonne jamais, qu’elle ne l’avait pas reçu et que la supérieure lui avait fait grâce). Moi, je fus entraînée par la surveillante jusqu’au tour où je devais avoir le fouet aux coups de huit heures. Je dus m’agenouiller pour attendre la correction, j’avais les jambes molles, la bouche sèche et tout mon corps tremblait.

Enfin paraît la sœur qui doit me fouetter. C’est la préfète elle-même, celle qui s’occupe de la discipline du couvent, et qu’on appelle pour administrer les grandes punitions. Elle arrive tranquillement, tenant à la main, avec une baguette, des verges de bouleau et un martinet de cuir à nœuds. Je frémis à la vue de ces instruments. Mon bourreau a cet air froid et indifférent qui m’exaspère encore plus qu’une expression de méchanceté.

— Allons, dit-elle aux sœurs qui l’accompagnent, qu’on la prépare.

Aussitôt les sœurs ouvrent devant moi le battant supérieur d’une petite roue qui donne accès dans un cabinet noir. Chaque battant est percé d’un trou en demi-cercle, en se joignant, les deux battants forment le cercle complet. Au bout du battant inférieur, et fixé dans le cabinet noir, est une sorte de chevalet très incliné avec un appui mobile qui s’avance en dehors par le trou en demi-cercle. L’une des sœurs surveillantes enjambe le battant fermé, pénètre dans le cabinet noir et m’attire par les mains à elle. Je veux résister, mais je me sens tout à coup saisie par derrière, à la taille, on me prend les jambes, on me les enlève, et je suis portée sur le chevalet, la tête en bas, et le ventre posé sur l’appui mobile. La sœur, après m’avoir attaché les cheveux à la ceinture, ce qui me force à relever la tête et à conserver une attitude très gênante, m’attache aussi sur le chevalet, les mains par la taille, trousse mes jupes, ma chemise, me déculotte, et me met le cul à nu ; puis elle sort du cabinet et se met en devoir de m’attacher les pieds à des anneaux fixés sur le battant inférieur. Au même instant le battant supérieur retombe sur mon dos, et je me trouve prise dans un étau, le haut du corps dans l’intérieur du cabinet noir, tandis que mon derrière se trouve en l’air et en dehors, exposé à la vue des sœurs.

Je m’attendais à recevoir le fouet aussitôt après toutes ces préparations, mais des secondes, des minutes, des heures, se passèrent sans que l’on me touchât. Mon appréhension, mon angoisse étaient extrêmes. Je n’entendais plus aucun bruit, je croyais qu’on m’avait abandonnée. La honte, l’horreur d’être ainsi étalée se mêlaient, pour me torturer, à la gêne insupportable que me causait ma position. Je sentis en ce moment un besoin pressant, et j’étais si peu maîtresse de mes actions que je satisfis des deux côtés de mon corps presque sans savoir ce que je faisais, et sans penser à ce que me vaudrait de pareilles libertés.

À peine m’étais-je soulagée que tout à coup je fus éblouie par une vive lumière. Une lucarne placée en face de moi et que je n’avais pas remarquée dans l’obscurité, venait de s’ouvrir, et j’aperçus le visage de la supérieure qui me regardait avec un mauvais sourire.

— J’espère, vilaine méchante, dit-elle, que durant le temps qu’on vous a laissée seule, vous avez réfléchi à ce que vous avez fait, et que vous vous êtes repentie de vos actions sales. Maintenant, il faut graver votre pénitence dans votre derrière, pour que chaque fois que vous vous asseyez, à chaque mouvement que vous faites, une vive cuisson vous rappelle votre devoir et ce à quoi vous vous exposez en vous y dérobant.

Puis elle ajouta, en parlant à une sœur que je ne voyais pas :

— Allons, sœur Sainte Émilienne, commencez à donner la correction à cette fille indisciplinée ; surtout frappez fort et ne lui ménagez pas le fessier. Il ne faut point avoir confiance dans la mémoire de pareilles écolières, mais plutôt dans la délicatesse de leur postérieur qui enregistre les châtiments mieux que leur intelligence ne garde une admonestation.

À ces mots elle se retire ; la lucarne se referme, et je me retrouve dans l’obscurité. Presque au même instant, et alors que je ne m’y attendais point, je reçois un premier coup terrible, cinglant, qui me coupe les deux fesses. Un mouvement causé par la douleur me fait serrer le cul, puis l’entrouvrir. À ce moment je reçois le second coup, en travers cette fois, et dans la raie. Je souffre horriblement, mais je ne veux pas crier. Hélas ! c’est une résolution bien vaine ; au troisième coup, je pousse un cri, dès lors je ne puis me retenir ; plus les cruelles verges que l’on emploie pour me fouetter déchirent la peau, plus les cris se font violents, je hurle de toutes mes forces, je demande grâce, je dis des insultes, je rugis, l’un de mes pieds mal attaché parvient à se débarrasser de ses entraves, et se met à lancer de grands coups dans le battant de la porte. La sœur fouette encore plus fort, et accompagne chaque coup d’une remarque qui me couvre de confusion.

— Hein ! sens-moi cela, coquine, et cela !… Sur le cul, tu en auras, je te le promets ! Encore ! Encore !… Ah ça ! veux-tu tenir ta jambe tranquille ?… Tes joues de derrière n’ont pas assez de couleur, je vais leur en donner… Veux-tu finir, et me bien présenter le postérieur au fouet. Ah ! je vais t’apprendre, tu sais, à te tenir et à être sage… La reçois-tu la fessée ? Tu ne fais pas la fière, je crois, maintenant qu’il faut que ton derrière fasse connaissance dans un instant avec Madame du Bouleau, surtout quand on a des fesses de cette proportion.

Et l’impitoyable sœur me frappe toujours. Enfin la correction cesse, je crois qu’on va me délivrer, mais non, on me laisse là sans me dire une parole ; j’entends les pas de la sœur s’éloigner, d’autres pas s’approcher. Alors mes cris de douleurs se mêlent à des sanglots. Une seconde fois la lucarne s’ouvre, et la figure railleuse de la supérieure paraît ; l’on me regarde. La lucarne se referme et se rouvre encore plusieurs fois ; des sœurs, des camarades viennent me considérer en ricanant, et, après avoir considéré mon derrière meurtri, se moquent de mon visage en pleurs. Malgré mon humiliation, je ne puis retenir mes cris de douleur devant elles, mais elles n’en sont pas plus émues. Même une misérable que je voudrais bien connaître, m’introduit dans le trou du derrière une plume qui me pique cruellement. Heureusement par une vive contraction que je fais, je parviens à faire tomber la plume.

Bientôt la sœur qui m’avait fouettée revient pour me détacher, mais en me donnant une tape sur le cul, elle découvre qu’il est embrené, et m’en témoigne sa colère et son dégoût. En même temps, elle voit à terre ce que j’y avais déposé. Sans doute enrhumée, tout à l’heure elle n’avait pas senti la mauvaise odeur que j’exhalais, cette fois, malheureusement, elle y prit garde.

— Misérable fumier, fit-elle, je vais vous apprendre à me manquer de respect. Vous avez donc été élevé avec des porcs, pour vous permettre devant moi de pareilles incongruités ! Mais je vous promets que vous allez vous en repentir. Vous allez goûter du martinet, et tout de suite.

En effet, un martinet de lanières de cuir terminées par des nœuds, achève de me mettre les fesses en sang. Ni mes cris, ni même les pets bruyants que dans ma douleur je finis par lui lancer au nez, ne lui font interrompre mon châtiment. Ils ne servent qu’à en augmenter la rigueur.

Enfin, on lève le battant supérieur du cabinet noir, on me détache, on me fait sortir (mais je dois, le derrière nu et sous la menace du martinet, nettoyer à genoux les souillures que j’ai faites).

Le cachot où je dois faire ma pénitence contenait en ce moment une de nos camarades qui y finissait le lendemain sa pénitence. On m’a donc enfermée dans une petite chambre du tour, en attendant que mon tour fût venu de la remplacer.

Le lendemain on m’a dépouillée de tous mes vêtements et revêtue d’une robe puante de grosse laine qui sert à toutes les écolières que l’on mène en pénitence ; de plus, on m’a mis des gantelets de fer garnis de pointes pour m’empêcher de me toucher entre les jambes, enfin on m’a conduite au cachot où l’on m’a attaché à la ceinture une grosse chaîne qui tient au mur et m’enlève la faculté de parcourir ce cachot dans sa longueur, me forçant de me tenir dans un étroit espace. Le cachot n’est éclairé que par une petite fenêtre qui laisse passer un mince rayon de jour tombant sur un crucifix au-dessous duquel se trouvait accrochés un martinet et des verges, pour que toute la journée j’aie en perspective le châtiment qui m’attend chaque matin — car quand on est au cachot, le règlement du couvent veut que l’on ait le fouet tous les jours. — Il y en a même des malheureuses qui le reçoivent deux ou trois fois dans vingt-quatre heures. Pour lit, j’ai une mauvaise couverture de laine. Dans un coin une cruche d’eau et un morceau de pain noir. Une odeur infecte emplit ce cachot qui manque d’air et qui est contigu aux latrines de premières classes : je puis même entendre les jeunes filles qui y viennent ouvrir précipitamment la porte, tirer le verrou, lâcher un ou plusieurs pets, pisser abondamment et se soulager le ventre. Quand elles rentrent en classe, elles ne manquent point de venir me regarder par un petit guichet qu’elles peuvent ouvrir à volonté et qui a été établi là pour augmenter la honte des malheureuses prisonnières. Les unes jettent un regard rapide dans mon cachot, d’autres me considèrent d’un air railleur, d’autres enfin font des réflexions, rient et se moquent de moi. À un moment, lorsque je pensais qu’elles étaient en classe, je crus pouvoir me soulager. Hélas ! il fallait déposer mes ordures où j’étais et les garder avec moi jusqu’au lendemain matin. Mais mon besoin était si pressant que je m’accroupis. Je pissai et fis un énorme étron. Comme j’allais me relever, voici le guichet qui s’entrouvre et Valentine qui paraît. J’étais consternée de cette apparition inattendue. Valentine referma le guichet presque aussitôt, mais je vis qu’elle avait eu pour moi non un regard de pitié, mais qu’elle avait souri comme les autres élèves. Cela augmenta mon chagrin. Dans le trouble que je ressentis à la suite de cette apparition, je tombai dans les ordures que je venais de faire, je salis ma robe, et la muraille à laquelle je m’appuyai le derrière fut aussi souillée.

La nuit vint pourtant et je m’étendis sur la couverture, essayant de dormir malgré la puanteur de l’air, la saleté qui m’environnait, et l’état de misère où j’étais. Je m’assoupis un peu, mais l’air vif du matin et les premières clartés du jour passant à travers les barreaux de mon cachot me réveillèrent. J’avais la terrible appréhension du châtiment que j’allais recevoir. Qui allait me l’administrer ? Et mon bourreau sera-t-il bien sévère ? L’appréhension est plus terrible encore que la douleur qui l’inspire.

Enfin j’entends une clef dans la serrure, un verrou qu’on pousse, la porte s’ouvre et la sœur Sainte-Ursule paraît :

— Oh ! infection ! dit-elle, infection ! Mais, attendez ! je vais vous apprendre à être propre ! Allons ! approchez ici.

Pour un instant elle m’enlève ma ceinture et mes gantelets ; elle me donne un balai et me dit de rapproprier mon cachot après avoir jeté mes ordures dans le seau qu’elle a apporté. Comme je mets à accomplir cet ordre quelque hésitation, elle décroche les verges et m’en donne des coups sur les épaules en attendant qu’elle me châtie sur une partie plus sensible de mon corps, puis quand j’ai balayé, voyant la muraille souillée :

— Ah ! saleté ! dit-elle.

Et alors elle me force à faire une pénitence horrible : elle me fait nettoyer avec ma langue le mur que j’ai sali, punissant chaque moment de répugnance de ma part d’une cinglade à travers les jambes.

Mais le moment suprême de ma peine est arrivé. Je dois m’avancer sur le pas de la porte, de manière que les élèves qui passent puissent me voir m’agenouiller la face contre terre, relever ma robe et découvrir mon derrière aux coups de la sœur Sainte-Ursule. Quelle honte ! d’autant plus que n’ayant rien pour m’essuyer, je dois avoir les fesses toutes brunes de crotte, mais sans doute que la sœur

Sainte-Ursule est habituée à la malpropreté des derrières qu’elle a à corriger, car elle ne me fait pas d’observation, et sans dégoût se penche sur mon pauvre cul pour le meurtrir encore. Je m’étais promis de ne pas crier, mais elle frappait si fort que je me lamentai au premier coup. Elle m’administra douze cinglées et me dit qu’elle m’en donnerait vingt le lendemain si je n’étais pas plus propre.

Quand je me relevai en pleurant j’eus la honte de voir rire les jeunes élèves qui assistaient à mon châtiment. La sœur alors baissa ma robe, me remit mes gantelets, me rattacha à la chaîne et après m’avoir donné un morceau de pain noir et renouvelé l’eau de ma cruche, elle sortit du cachot qu’elle referma avec soin, me laissant à la souffrance qu’elle venait de me causer, et à mes larmes.

La même cérémonie se renouvela tous les jours pendant une semaine, jusqu’au jour où, pour le coup de grâce, on me donna le fouet au milieu de la grande cour, devant tout le pensionnat.

Ce fut la dernière journée de mon supplice, mais aussi la plus cruelle.

Réveillée de bonne heure, la pensée que j’allais être fouettée devant tout le couvent et les religieuses, me rendait malade d’angoisse et d’inquiétude. Quelles injures me lancerait-on au passage ? De quelles verges épineuses, de quels martinets plus rudes se servirait-on pour me châtier ?

Cependant la sœur tourière arrive. Elle a un paquet sous son bras qu’elle développe au-dehors, craignant de le salir dans mon cachot. Elle m’ordonne alors de me soulager ; elle craint qu’au moment de mon supplice, l’émotion, le mal ou un désir de vengeance, ne me rende plus qu’inconvenante. Mais j’ai beau vouloir lui obéir, la honte est plus forte. Il faut qu’elle me contraigne à m’accroupir.

— Je ne peux pas, ma sœur !

— Nous allons bien voir, dit-elle.

Et m’écartant les fesses, elle insère un doigt dans les profondeurs de mon derrière, me causant une douleur insupportable.

— Cochonne ! s’écrie-t-elle en m’essuyant son doigt souillé sur le visage et sous le nez. C’est pour la cérémonie que vous vous retenez. Eh bien ! nous allons voir si vous ne m’obéirez pas.

Et une seconde fois elle appuie sur mes épaules, me contraint à me courber, trousse la robe, et d’une sangle, pour que les coups paraissent moins, elle me cingle le milieu du derrière. La peur agit enfin. Devant elle, comme un animal, je décharge mon corps.

Elle me fait alors laver le caveau, la muraille, puis, quand mon cachot est nettoyé, je quitte ma robe, mais pour en revêtir une presque aussi sale, et qui est coupée et cousue de telle sorte, que je dois être dedans ridicule. Elle est faite de carreaux d’étoffes différentes et de toutes couleurs grands ou petits, des bleus, des rouges, des jaunes, qui forment des dessins extravagants. La robe traîne par-devant, par-derrière au contraire, elle est fort courte et coupée par le milieu. La robe mise, on me coiffe d’un chapeau encore plus ridicule, formant visière par-devant et comme un bateau par-derrière. Comme, par dérision, on l’a orné d’orties et de feuilles de houx, un morceau de grosse toile qu’on me noue sous le manteau doit retenir le chapeau. Ainsi arrangée, je fais le tour de la cour, les mains attachées derrière le dos, à côté de la tourière qui a un martinet à la main et me tient par une corde. Toutes les élèves m’accueillent par des cris et des quolibets.

— Voilà une jolie toilette pour aller au bal.

— Un beau chapeau, j’en demanderai un comme ça pour ma fête.

— Comme elle est fière, regardez donc, Louise, on voit qu’elle a eu la croix.

— Sur son derrière, oui. Il doit être d’une belle couleur à présent.

— Elle aimait se mettre du rouge, la coquette, elle ne doit pas se plaindre.

Il doit y avoir aussi autre chose que du rouge. Vous savez comme elle est propre !

— Ça va être drôle de la voir fesser tout à l’heure.

— Prenez garde qu’on ne vous fesse aussi, vous, méchante, dit une religieuse. Il fallait que les sœurs vinssent elles-mêmes menacer ces misérables bavardes pour les faire se taire, mais elles-mêmes, tout en restant silencieuses, ne prenaient pas moins de plaisir que leurs élèves à mon châtiment. Leur sourire, leurs yeux brillants le disaient assez.

Enfin je découvre l’estrade où je dois subir mon châtiment. La tourière me fait monter à genoux les cinq degrés où je vois les instruments de mon supplice : la pelle à bois, le martinet de cuir, un balai d’épines et d’orties. Toujours agenouillée, j’écoute une longue remontrance de la mère supérieure qui, par-dessus ses lunettes, me coule un mauvais regard, jouissant beaucoup de l’émotion que je laisse paraître, mais ce ne sont pas ses paroles que j’écoute. Je ne vois que la pelle à bois, le martinet et le balai d’orties. Il semble que mon derrière les sent déjà sur sa peau. On me les donne à baiser ou plutôt on me passe le manche des verges et du martinet sous les lèvres ; puis, c’est la main de la sœur correctrice que je dois baiser. Cette fois je me révolte et je crache contre elle. J’entends une grande rumeur dans la cour, puis une voix à mon oreille qui dit : « Demandez pardon tout de suite. » Je dis : « Pardon », sans trop savoir ce que je fais. Mais cela n’a pas apaisé la sœur correctrice qui me dit à l’oreille : « Je vais bien te soigner, je te le promets. »

Mes jambes tremblent et je peux à peine me soutenir, mais on m’en épargne la peine. Deux sœurs m’ont courbée contre l’estrade ; mes jambes, mes mains, sont attachées aussitôt, j’ai le haut du corps très incliné, je ne m’appuie sur l’estrade que par les coudes et le haut de la poitrine. Mon derrière est rejeté en arrière, maintenu par une tringle qui me passe sous le ventre. La position est si incommode que c’est presque une torture. Pour l’accroître encore, voici que la mère supérieure me fait attacher mes cheveux à la ceinture, ce qui me force à relever la tête. Je vois toutes les élèves qui passent devant moi, me regardant ; quelques-unes font des grimaces. Je veux répondre, mais déjà les premiers coups de la pelle à bois tombent sur mon derrière, m’arrachant un horrible hurlement. Vainement je veux retenir mes cris, ils jaillissent malgré moi, à chaque coup qui vient me surprendre à une place inattendue. Il me semble que toute ma peau se soulève, éclate sous la plaque trouée ; mais le martinet a remplacé la pelle. Les cinglades me courbent, m’anéantissent. Toute mon âme, tout mon être sont dans mes pauvres fesses, et je ne vis plus que dans l’attente d’une douleur ; les coups sont si rapprochés bientôt, que je perds, au milieu de mon supplice, le sentiment de moi-même. Je ne suis plus qu’un cri, une plainte, un sanglot.

— Saigne-t-elle ? demanda la mère supérieure.

Elle était un peu inquiète, car « je ne devais pas saigner encore ». Une bonne correctrice doit pouvoir appliquer le martinet sans entamer la peau. La correctrice me passa indécemment la main sur les fesses et même dans l’anus et sur ma fente, puis montrant sa paume sèche à la supérieure, elle lui prouva qu’elle s’était acquittée de ce premier châtiment en fouetteuse expérimentée.

Cependant je n’avais pas fini avec la sœur fesseuse ; elle saisit le balai d’orties et m’en frotta le cul. Il me sembla que mes fesses prenaient feu et avec elles tout mon corps. La cuisson était si vive que je hurlais comme une chienne, je ne me sentais plus moi-même. Je n’étais plus qu’un cul fessé par la plus terrible des fessades. J’avais la sensation qu’on me coulait de la poix bouillante et de la chaux vive dans le trou de mon derrière, et alors comme si j’avais pu repousser mon bourreau, je lui donnais des coups de fesses, je les ouvrais, je les tendais menaçantes, et à un moment, malgré les précautions de la tourière, trouvant à son poste mes défenses ordinaires, je lâchai au nez de la fesseuse une décharge fort copieuse, et j’inondai l’estrade. De grands rires partirent derrière moi et aussi des murmures d’étonnement et de réprobation.

— La correction serait finie, me dit la mère supérieure, mais cet acte d’indécence est trop grand et trop honteux pour qu’elle en réchappe ainsi. Continuez la fouettée d’orties, ma sœur, et puis toi, crotte, ma fille, si le cœur t’en dit, seulement je te promets que tu ne crotteras pas demain avec plaisir.

Dès lors il n’y eut plus aucun ménagement de la part de mes fouetteuses.

Je crus qu’on allait me tuer ; elles s’étaient mises deux à me fouetter ; les verges volaient, se brisaient sur mon cul ; la pisse, le sang se mêlaient aux excréments. Mes hurlements étaient suivis de rires et de remarques immondes que les religieuses provoquaient à présent au lieu de chercher à les punir.

— Finissez, dit la mère supérieure qui craignait de me voir m’évanouir.

Les verges s’arrêtèrent enfin, mais je n’en sus rien ; pendant longtemps, je continuai à tordre mon corps. La douleur était à un point qu’on ne pouvait pas dépasser. Je souffrais tellement que je n’avais plus conscience de ce qui se passait. On me laissa ainsi attachée plusieurs heures ; et comme la douleur s’apaisait peu à peu, j’eus la honte de voir mes condisciples passer devant moi, s’arrêter, me regarder, se moquer. À un moment, j’entendis une voix chuchoter derrière moi :

— Ah ! ton cul n’est pas joli aujourd’hui, ma mignonne.

C’était Valentine.

— Il est encore trop joli pour toi, lui dis-je, et comme elle s’approchait de l’estrade, je lui poussai un pet qu’elle dut renifler.

— Cochonne ! s’écria-t-elle, je vais dire à la sœur ce que tu viens de faire. Tu vas en avoir encore, je te le promets.

Et en effet, la petite saleté courut à une religieuse qui passait, et me montrant du doigt, lui rapporta mon incongruité, mais la religieuse haussa les épaules et continua sa promenade.

On me détacha le soir, et l’on dut me conduire à l’infirmerie pour me panser, mes souffrances n’étant pas finies. Il fallait me retirer les échardes et les épines du derrière. Pendant plusieurs jours je ne pus pas m’asseoir, et quand j’allais aux latrines, toutes les jeunes filles qui y étaient, se penchaient pour regarder mon trou ensanglanté.

— Il a l’air d’un gros sucre d’orge, faisaient-elles.

— Suce-le donc, disais-je.

Pendant longtemps, au couvent de Corbeil, on disait aux fillettes pour leur faire peur :

— On vous donnera une fessée à la rose.

C’était dire qu’elles auraient le cul bien écorché.

L’une d’elles fit un jour aux sœurs cette réplique :

— Oh, ma mère, si j’ai la malice, je n’ai pas le derrière de Rose, mon cul n’est pas assez grand pour servir d’exemple.

Il est certain que le mien était un objet d’étonnement, et les religieuses comme les élèves, prenaient un amusement extrême à considérer la grosseur considérable de mes fesses. À l’infirmerie, dans les draps chauds, nous nous amusions à dire des balivernes et à nous montrer.

Nous nous tendions les fesses, parfois d’un lit à l’autre, la tête cachée dans l’oreiller, nous nous envoyions des vents. À certains après-midi où les religieuses étaient absentes, on ne voyait que de petits ou gros culs braqués les uns devant les autres.

— Je ne m’étonne pas qu’elle soit paresseuse, faisait Charlotte, elle en a des coussins pour se reposer !

— Tant mieux, répliquais-je, vous n’avez pas de quoi vous asseoir, vous autres. Quand on vous fesse, il faut viser, moi, on a beau me déchirer le derrière, j’ai toujours de l’étoffe pour le raccommoder.

— Votre derrière est indécent, quand vous pétez, on vous entend du fond de l’église.

— C’est mon réveil-matin, faisais-je en riant. Il ne manque jamais de sonner à six heures. Les vôtres, on ne sait jamais quelle heure ils marquent.

Quand je me dressais et je m’asseyais, j’avais l’air de porter un enfant au bas de mon dos, tant mon cul était large et épanoui. À chaque instant on me disait :

Ton cul est indécent, ramasse-le donc. On ne le tend pas comme cela !

— Il prend l’air, vous voyez bien, pour sentir bon.