collectionActe second(1866)Albert GlatignyA l’Enseigne du Beau Triorchis (Mlle Doucé)1884Luxuriopolis (Paris)VActe secondGlatigny - Joyeusetés galantes et autres, 1884.djvuGlatigny - Joyeusetés galantes et autres, 1884.djvu/7185-193
ACTE SECOND
l’intérieur d’un bordel
Scène première
lucinde, estelle, des putains, personnages muets.
estelle
C’est demain, ô mes sœurs ! le jour de la visite
lucinde
(À Estelle.)
J’ai trouvé dans mes poils, ce soir, un parasite.
Le joli morpion ! il était rose et blanc,
Avec un petit signe, à gauche, sur le flanc…
estelle
J’aime les animaux ; si celui-là te gêne,
Donne-le-moi : je veux l’offrir à mon Eugène !
une voix
Ces dames au salon !
estelle
Ces dames au salon !Viens-tu, Nini ?
lucinde
Ces dames au salon ! Viens-tu, Nini ?J’y vais.
(Elles sortent toutes).
Scène deuxième
pignouflard
(Seul, entrant mystérieusement.)
Je viens revoir l’asile où, dans les jours mauvais,
J’exerçais librement les fiertés de ma queue !
J’épouse après-demain une prunelle bleue,
Et je viens répéter mon rôle pour l’hymen
Que je dois contracter…
Scène troisième
pignouflard, lucinde
lucinde
Que je dois contracter…Bonjour, petit gamin,
pignouflard
(Épaté.)
Seigneur ! ma fiancée dans ce logis étrange !
lucinde
(Avec force.)
Vous y venez bien, vous !
pignouflard
(Amer.)
Vous y venez bien, vous !En un instant tout change…
Ma future est en proie aux nœuds des étrangers !
Effeuillez-vous aux vents du nord, blancs orangers !…
lucinde
(Tendrement.)
Pourquoi me regarder ainsi, Paulin[1] ?… je t’aime !
Notre amour, approuvé par mon père lui-même,
Est noble et pur… Demain, tremblante entre vos bras,
Pignouflard, vous m’aurez… Oh ! dis ! tu m’apprendras
Les doux secrets qu’on livre à la vierge craintive ?…
pignouflard
(La repoussant avec dégoût.)
Arrière !… Écoute-moi : le champ que l’on cultive
Ne se défriche plus !…
lucinde
(Plus tendre encore.)
Ne se défriche plus !…Mon Pignouflard ! pourquoi
Me repousser ainsi ? Ah ! viens auprès de moi…
Ne te souvient-il plus de nos jeunes années,
De nos projets d’enfance et de nos destinées
Jointes étroitement, marchant du même pas
Ensemble, comme on voit défiler les soldats ?
pignouflard
(Avec une ironie méprisante.)
J’aurais, pour mon malheur, aussi pu naître femme…
J’aurais pu, comme une autre, être vile, être infâme !
Courir le guilledou jusqu’au Coromandel !
Mais ne fusse jamais entrée en un bordel !…
lucinde
(Soupirant.)
Hélas ! ce que Dieu veut…
pignouflard
(De même.)
Hélas ! ce que Dieu veut…Oui, c’est une loi dure !
Mais je n’eusse jamais tenté cette aventure
(Avec l’accent d’un homme qui comprend les exigences de la vie moderne.)
Avant mon mariage… Après, je ne dis pas !
Car il faut à l’époux préparer ses repas…
lucinde
(Avec passion.)
Mais si je suis ici, c’est parce que je t’aime
D’un amour violent, inextinguible, extrême !
Un jour, il est prochain, tu me remercîras…
Une odeur de verveine est éparse en mes draps…
Baudelaire, qui veille au sommet de Leucate[2],
Me trouve faisandée à point et délicate…
Oh ! ne me jetez plus de ces regards affreux !
Vous êtes mon lion superbe et généreux !
pignouflard
(Toujours amer.)
Avoir dans un bordel perdu son pucelage !
Si du moins elle avait vu le jour au village !
Adieu ! je pars…
pignouflard
(Égarée.)
Adieu ! je pars…Tu pars ?…
pignouflard.
(Avec dignité.)
Adieu ! je pars… Tu pars ?…À la façon d’un pet.
lucinde
(Révoltée.)
Sans me donner mes gants, peut-être ? quel toupet !
(Entre Scapin.)
Scène quatrième
les mêmes, scapin
scapin
(À Pignouflard.)
Découvrez-vous, monsieur ! respectez l’innocence…
Il est de ces vertus, au monde, qu’on encense,
Qui ne la valent pas ! Sais-tu, faible cerveau,
Ce que d’elle j’ai fait ?
pignouflard
(Toujours amer.)
Ce que d’elle j’ai fait ?C’est clair !… un simple veau.
lucinde
(Offensée.)
Il m’insulte, je crois ? Malhonnête !…
scapin
Il m’insulte, je crois ? Malhonnête !…Regarde !
(On apporte une cuvette pleine d’une eau noire à l’excès.)
pignouflard
De l’encre de Guyot ?
scapin
De l’encre de Guyot ?Non : c’est l’eau que je garde,
Et qui lava le cul de cette enfant, le jour
Qu’on vint la préparer aux actes de l’amour.
pignouflard
(Reculant, suffoqué.)
Ô ténèbres ! ça pue étrangement… Il semble !…
Qu’on ait fait infuser deux Cochinats ensemble !…
(On apporte une seconde cuvette.)
scapin
Regarde maintenant cette autre… Eh bien !
pignouflard
Regarde maintenant cette autre… Eh bien !Elle est
Vide.
scapin
(Triomphant.)
Vide.Vide ! non pas, mais pleine, s’il vous plaît,
D’une eau pure et limpide à ce point, que l’on pense
Ne rien voir…
pignouflard
Ne rien voir…En effet.
lucinde
(Avec une douce fierté.)
Ne rien voir… En effet.C’est là ma récompense !
Je me lave depuis huit jours avec cette eau…
Est-elle assez propre, hein ?
pignouflard
(Subjugué.)
Est-elle assez propre, hein ?Les amours de Watteau
Y mirent leur visage où la rose foisonne !…
lucinde
(D’un air de reproche.)
Diras-tu maintenant que mon cul empoisonne !
pignouflard
(Avec ivresse.)
On ne se lave bien qu’au bordel ! Des ingrats
Peuvent seuls à ton con préférer un con gras !
lucinde
Et tu méconnaissais mon cœur…
scapin
(Ému.)
Et tu méconnaissais mon cœur…Ma tâche est douce.
Scène cinquième
les mêmes, corbin
corbin
(Entrant avec un sac d’argent, fait en forme de gant.
À Pignouflard.)
Et de peur que ton âme encor ne se courrouce,
Voici sa dot, qui vaut bien de vaines primeurs.
scapin
(Au public.)
Le théâtre, messieurs, est l’école des mœurs.
(Apothéose et couronnement du buste du divin Marquis.)
↑Petit nom d’oiseau. Nul n’ignore que M. Paulin Limayrac,
quoique quinquagénaire, n’a pas encore atteint son premier lustre :
Le jeune Paulin Limayrac,
Est âgé de cinq ans à peine.