Joyeusetés galantes et autres/La Vérole guérie

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Joyeusetés galantes et autresA l’Enseigne du Beau Triorchis (Mlle Doucé) (p. 162-167).

LA VÉROLE GUÉRIE

Un bon docteur, homme de quarante ans,
Avait pris femme, et depuis fort longtemps
Las des margots où s’égarent nos queues,
Se reposait dans les calmes eaux bleues
D’un bon ménage, et ne retroussait plus
Que des jupons légitimes. Sa femme,
Bien qu’il fût vert, alerte et non perclus,
Et la baisât avec une grande âme,
Prit un amant ; pour rien, pour le plaisir

D’avoir parfois deux pines à saisir.
Tout allait bien. La dame était baisée
Autant et plus, et ne souhaitait rien.
Mais s’il est vrai que très souvent le bien
Vient en dormant, la vérole peut naître
Lorsque l’on fout, et la chose arriva.
Le mal d’abord dissimulé couva,
Puis mit le nez, un jour, à la fenêtre.
Sanglots et pleurs ! « Que dira mon époux ?
Je suis perdue, Ô ciel ! je suis perdue !
Je n’ai plus qu’à mourir !
— Consolez-vous,
Dit un ami, du calme… L’étendue
De votre mal n’est pas si grande. Allez
Passer deux jours au plus à la campagne.
Ne craignez rien et que la paix regagne
Sa place ancienne en vos esprits troublés. »
En soupirant, et sans trop bien comprendre,
À son époux la dame au cul gâté
Vint déclarer qu’elle désirait prendre
L’air pur des champs égayés par l’été.
Le bon docteur y consentit sans peine.

Quand il fut seul son ami le vint voir :

« Te voilà veuf pendant une semaine,
Lui dit-il ; viens, nous dînerons ce soir
En devisant des heures envolées,
De ce beau temps où nous étions garçons,
Où nous laissions mille folles chansons
Jaillir sans fin de nos lèvres brûlées
Par les baisers de ces démons d’amour,
Qu’on appelait, en ces temps, des grisettes ;
Viens ! nous ferons au passé des risettes ;
Soyons garçons et libres pour un jour ! »

Le médecin accepte. On boit, on dîne.
Et les propos d’aller leur train : « Blondine
Était jolie, et je l’aimais.
— Ô temps
De nos amours le lendemain trompées !
Des rires fous, de claires équipées !
Je crois entendre encore par instants
Les violons de la Grande-Chaumière,
— Allons au bal !
— Y penses-tu vraiment ?
— Cette folie, hélas ! est la dernière
Que nous ferons avant l’enterrement.
— Allons au bal alors ; vive la joie ! »

Les deux amis dont la raison se noie,
Vont à Bullier, battent des entrechats,
Prennent le cul aux différentes grues
Que l’on peut voir se livrer aux pourchas
Des pines d’homme en ces lieux apparues,
Et pour finir vont coucher au bordel…

Le lendemain, au réveil de l’aurore,
Quand le docteur se demandait encore
Si tout cela pouvait être réel,
Ou s’il n’avait fait simplement qu’un songe,
Sa douce épouse arrive brusquement.

En bon mari, le pauvre cocu plonge
Dans ce cher con son vit encor fumant,
Et s’envérole à plaisir.

La semaine
Se passe ainsi tranquillement Voilà
Qu’un beau matin, l’époux poivré promène
L’œil sur sa queue.

« Oh ! oh ! qu’est-ce cela ?
Foutre ! on dirait la vérole… et c’est elle ! »

En frémissant le docteur se rappelle
Qu’il s’est grisé, puis qu’il a forniqué
Lorsque sa femme était à la campagne.
Le voilà triste et pâle, interloqué,
Car il a dû, sans doute, à sa compagne
Donner son mal, étant intoxiqué
Comme jamais nul ne le fut au monde.
C’est le cœur plein d’une angoisse profonde,
Le front baissé, l’air soumis et penaud,
Qu’il avoua le cas à son épouse.

Elle bondit, furieuse, aussitôt :
« Quoi ! j’étais douce, aimable et point jalouse,
Rien n’altérait ma confiance en vous,
Je vous aimais : voilà ma récompense… »
En cent propos s’exhala son courroux.
« Pardonne-moi, grâce, ma chère Hortense !
Je me repens. Va, je te guérirai ! »

Après qu’il eut longtemps prié, pleuré,
Promis bijoux, toilette et cachemire,
Un généreux pardon lui fut offert.

Depuis ce temps, quand Madame désire
Quelque chiffon de prix, elle se sert

De ce moyen et rappelle au coupable
Et sa conduite et l’acte abominable
Par un oubli si gracieux couvert.

Ne méprisez jamais la moindre cause
Pour en venir, mesdames, à vos fins.
Ce récit prouve aux esprits superfins
Que la vérole est bonne à quelque chose.