Joyeux propos de Gros-Jean/Fête champêtre

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Les cahiers populaires (p. 93-97).



FÊTE CHAMPÊTRE


Notre digne prêtre
Avait organisé
Une fête champêtre,
Afin de réaliser
Une somme nécessaire
Pour travaux à faire
Au temple sacré.
Le succès était assuré,
Car pour semblable affaire,
Nos braves Canadiens
Sont bons paroissiens.
Le clou de la fête champêtre
Devait être
Un discours du député
Du comté.
Il y avait grande affluence :
On s’y coudoyait
Plus qu’on ne prévoyait.

Le curé lors, par prudence,
Avait aux abords du champ
Posté son bedeau, Gros-Jean,
Pour y guetter l’arrivée
De monsieur le député,
Qui, pour raison privée,
 Avait été retardé.
Enfin, l’homme arrive
Et Gros-Jean, de voix vive
L’appelle : — Hé ! m’sieu !
Venez vite, mon Dieu !…
M’sieu l’curé m’envoie à sa place ;
Il est pris pour l’instant…
Mais l’heure se passe
Et l’on vous attend !
(Vers la foule se tournant : )
Allons ! faites d’l’espace
Pour m’sieu l’député !…
L’représentant du comté !…
Allons ! rangez-vous vite…
Not’ membre est en retard !…
V’nez, m’sieu, par icitte !…

Allons !… un peu plus d’écart !
Messieu’ c’est not’ membre !
Not’ membre de Chambre !!…


Et le bedeau file en avant.
Criant toujours son boniment,
Fendant la foule,
Laquelle comme une houle
Aussitôt va se reformant.
Le député s’arrête
Presque à chaque pas ;
Les gens de la fête,
Le saluent chapeau bas ;
Ce qui lui plaît, en somme !
Le bedeau, tout à coup,
Se tourne et ne voit plus son homme.
Le ton vexé, plein de dégoût
Il dit : — « Où s’qu’il est, l’crapaud d’fou ? »