Kama Soutra (trad. Lamairesse)/Titre III/Chapitre 1

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Kama Soutra, règles de l’amour de Vatsyayana.
Traduction par Pierre-Eugène Lamairesse.
(p. 41-45).
TITRE III
DES CARESSES ET MIGNARDISES QUI PRÉCÈDENT
OU ACCOMPAGNENT L’ACTE SEXUEL


CHAPITRE I
Des baisers.


On conseille de ne point, dans les premiers rendez-vous, multiplier les baisers, les étreintes et autres accessoires de l’union sexuelle ; mais on pourra en être prodigue dans les rencontres qui suivront (Ap. N° 1).

On baise le front, les yeux, les joues, la gorge, la poitrine, les seins, les lèvres et l’intérieur de la bouche (Ap. N° 2).

Les habitants de l’Est baisent aussi la femme aux jointures des cuisses, sur les bras et le nombril.

Avec une jeune fille, il y a trois sortes de baisers :

Le nominal, le mouvant et le touchant.

Le nominal est le simple baiser sur la bouche, par l’apposition des lèvres des deux amants.

Dans le baiser mouvant, la jeune fille presse entre ses lèvres la lèvre inférieure de son amant ; elle l’introduit dans sa bouche en lui imprimant un mouvement de succion.

Dans le baiser touchant, elle touche avec sa langue la lèvre de son amant, en fermant les yeux, et place ses deux mains dans les siennes.

Les auteurs distinguent encore quatre sortes de baisers :

Le droit, le penché, le tourné, le pressé.

Dans le baiser droit, les deux lèvres s’appliquent directement, celles de l’amant sur celles de l’amante.

Dans le baiser penché, les deux amants, la tête penchée, tendent leurs lèvres l’un vers l’autre.

Dans le baiser tourné, l’un des amants tourne vers lui, avec la main, la tête de l’autre, et, de l’autre main, lui prend le menton.

Le baiser est dit pressé lorsque l’un des deux amants presse fortement avec ses lèvres la lèvre inférieure de l’autre. Il est très pressé, lorsqu’après avoir pris la lèvre entre deux doigts on la touche avec la langue et la presse fortement avec une lèvre.

Entre amants, on parie à qui saisira le premier, avec ses lèvres, la lèvre inférieure de l’autre. Si la femme perd, elle doit crier, repousser son amant en battant des mains, le quereller et exiger un autre pari. Si elle perd une seconde fois, elle doit montrer encore plus de dépit, et saisir le moment où son amant n’est pas sur ses gardes, ou bien dort, pour prendre entre les dents sa lèvre inférieure, et la serrer assez fort pour qu’il ne puisse la dégager ; cela fait, elle se met à rire, fait beaucoup de bruit et se moque de son amant ; elle danse et s’agite devant lui, et lui dit, en plaisantant, tout ce qui lui passe par l’esprit ; elle fronce ses sourcils en lui roulant de gros yeux.

Tels sont les jeux et les paris de deux amants à l’occasion des baisers.

Les amants très passionnés en usent de même pour les autres mignardises que nous verrons plus loin.

Quand l’homme baise la lèvre supérieure de la femme pendant que celle-ci, en retour, lui baise la lèvre inférieure, c’est là le baiser de la lèvre supérieure.

Quand l’un des amants prend avec ses lèvres les lèvres de l’autre, c’est là le baiser agrafe.

Quand, dans ce baiser, il touche avec la langue les dents et le palais de l’autre, c’est là le combat de la langue.

Le baiser doit être modéré, serré, pressé ou doux, selon la partie du corps à laquelle il est appliqué.

On peut encore ranger parmi les baisers la succion du bouton ou du mamelon des seins qui, dans les chants des Bayaclères du Sud de l’Inde, est mentionnée comme un des préliminaires naturels de la connexion[1].

Quand une femme baise au visage son amant endormi, cet appel est le baiser qui allume l’amour.

Quand une femme baise son amant qui est distrait ou affairé, ou bien le querelle, c’est le baiser qui détourne.

Quand l’amant attardé trouve l’amante couchée, et la baise dans son sommeil pour lui manifester son désir, c’est le baiser d’éveil. En pareil cas, la femme peut faire semblant de dormir à l’arrivée de son amant pour provoquer ce baiser.

Quand on baise l’image d’une personne réfléchie dans un miroir ou dans l’eau, ou bien son ombre portée sur un mur, c’est le baiser de déclaration.

Quand on baise un enfant que l’on tient sur ses genoux, ou une image, ou une statue, en présence de la personne aimée, c’est le baiser que l’on transmet.

Quand la nuit, au théâtre ou dans une assemblée d’hommes de caste, un homme s’approche d’une femme et lui baise un doigt de la main, si elle se tient debout, ou un doigt de pied, si elle est assise ; ou bien quand une femme, en massant le corps de son amant, posé la figure sur sa cuisse, comme si elle voulait s’en faire un coussin pour dormir de manière à allumer son désir et lui baise la cuisse ou le gros doigt du pied, c’est le baiser de provocation.

Au sujet de ces baisers on cite les vers suivants :

« Quelque chose que l’un des amants fasse à l’autre, celui-ci doit lui rendre la pareille : baiser pour baiser, caresse pour caresse, coup pour coup. »

APPENDICE AU CHAPITRE I


N° 1. — Bhartrihari (l’Amour, stance 26). « Heureux ceux qui baisent le miel des lèvres des jeunes filles couchées dans leurs bras, la chevelure dénouée, les yeux langoureux et à demi-clos, et les joues mouillées de la sueur qu’a provoquée la fatigue des plaisirs d’amour. »

N° 2. — Les caresses et mignardises précédemment décrites sont considérées par les Hindous, par les poètes latins et par beaucoup d’auteurs modernes, comme les excitants les plus efficaces à l’amour charnel.

Le docteur Gauthier pense, au contraire, que l’homme doit agir sur le cœur et sur l’imagination bien plutôt que sur les sens pour préparer la femme à l’union ou augmenter son amour. Il a sans doute raison quand il s’agit de la généralité des femmes honnêtes ; en tout cas, il est bon de ne recourir aux moyens physiques qu’après avoir épuisé tous ceux qui ménagent la pudeur et la délicatesse.

N° 3. — De tous les théologiens catholiques, les Jésuites sont, on le sait, les plus indulgents ; il suffit donc de citer le P. Gury pour comparer, sur les sujets semblables, les casuistes brahmaniques et catholiques.

Théologie morale, 413. — « Les baisers et les attouchements sur les parties honnêtes ou peu honnêtes constituent des péchés mortels, si on y cherche le plaisir charnel ; véniels, s’il n’y a que de la légèreté, de la plaisanterie, de la curiosité, etc.

« Ils ne sont pas coupables, si c’est la coutume ou si l’on agit par politesse ou par bienveillance.

415. n° 4. — « Mais doivent être considérés comme péchés mortels les baisers et attouchements sur les autres parties du corps que la décence et la pudeur prescrivent de voiler ; tels, par exemple, que les baisers sur les seins, surtout entre personnes de sexes différents et aussi les baisers prolongés sur la bouche, notamment si on y introduit la langue. »

416. — « Les attouchements sur les parties honteuses ou qui y confinent, même lorsqu’ils ont lieu par dessus le vêtement, constituent, en général, un péché grave, à moins qu’on ne le fasse par pétulance, par plaisanterie, par légèreté ou en passant.

« À plus forte raison, en dehors du cas de force majeure, il y a péché mortel toutes les fois qu’on touche pour le plaisir les parties honteuses de sexes différents. »

418. — « Regarder les parties honteuses ou les parties avoisinantes d’une personne d’un autre sexe constitue un péché mortel, à moins que ce ne soit de loin ou pendant fort peu de temps. »

918 P. Gury. Théologie morale. — « Tout ce qui est nécessaire pour accomplir l’acte conjugal ou pour le rendre plus facile, plus prompt ou plus parfait, est absolument permis aux époux, parce que si l’on permet la chose principale on permet aussi la chose accessoire ou le moyen qui y conduit.

« Tout ce qui est pour la génération est permis, tout ce qui est contre est péché mortel. Tout ce qui est en dehors est péché véniel, ou bien est permis. »

919. — « Il n’y a pas faute dans les baisers honnêtes, dans les attouchements sur les parties honnêtes ou moins honnêtes destinées à montrer l’affection conjugale ou à entretenir l’amour ; parce que toute marque honnête d’amour, même tendre, est permise à ceux qui, d’après le lien du mariage, ne doivent faire qu’un seul cœur, une seule chair.

« Il n’y a pas faute en principe dans les attouchements et les regards peu honnêtes s’ils visent immédiatement à l’acte sexuel.

« Il en est de même s’ils sont simplement déshonnêtes, mais nécessaires ou utiles pour exciter la nature ; car alors ils sont comme une préparation à l’acte, comme des préliminaires.

« Il y a péché véniel dans les attouchements, les regards et les propos honteux qui ne visent pas immédiatement l’acte conjugal et n’ont pas pour but d’entretenir l’amour légitime d’une manière modérée et raisonnable. »

  1. D’après le docteur Jules Guyot (Bréviaire de l’amour expérimental), cette succion doit être forte pour produire l’effet voulu (v. App.)