Aller au contenu

Kama Soutra (trad. Lamairesse)/Titre III/Chapitre 5

La bibliothèque libre.
Kama Soutra, règles de l’amour de Vatsyayana.
Traduction par Pierre-Eugène Lamairesse.
(p. 54-57).
CHAPITRE V


Des diverses manières de frapper et des petits cris qui leur répondent.


Les coups sont une sorte de mignardise.

On assimile l’union sexuelle à une dispute, à cause des mille contrariétés qui surgissent entre amants et de leur disposition à se quereller.

Les parties du corps que l’on frappe par passion sont : les épaules, la tête, la poitrine entre les seins, le dos, le Jadgana, les hanches et les flancs.

On frappe avec le dos de la main, avec les doigts réunis en tampon, avec la paume de la main, le poing.

Lorsque la femme reçoit un coup, elle fait entendre divers sifflements et huit sortes de petits cris :

Phra ! Phat ! Sout et Plat ; le cri tonnant, le roucoulant, le pleureur.

Le son Phat imite le son du bambou que l’on fend.

Le son Phut, celui que fait un objet qui tombe dans l’eau.

Les femmes prononcent aussi certains mots, tels que :

Mère, Père, etc.

Quelquefois ce sont des cris ou des paroles qui expriment la défense, le désir de la séparation, la douleur ou l’approbation.

On peut ajouter à ces exclamations diverses l’imitation du bourdonnement des abeilles, le roucoulement de la colombe et du coucou, le cri du perroquet, le piaillement du moineau, le sifflement du canard, la cas cadette de la caille et le gloussement du paon.

Les coups de poing se donnent sur le dos de la femme pendant qu’elle est assise sur les genoux de l’homme ; elle doit riposter en feignant d’être fâchée et en poussant le cri roucoulant et le pleureur.

Pendant la connexion, on donne entre les deux seins, avec le revers de la main, des petits coups qui vont en se multipliant et s’accélérant à mesure que l’excitation augmente, jusqu’à la fin de l’union ; à ce moment on prononce le son Hin répété, ou d’autres alternativement, ou ceux que l’on préfère dans ce cas.

Quand l’homme frappe la tête de la femme avec le bout de ses doigts réunis, il prononce le son Phat et la femme le son roucoulant, et ceux Phat et Phut.

Quand on commence les baisers et autres mignardises, la femme doit toujours, siffler.

Pendant l’excitation, quand la femme n’est pas habituée aux coups, elle prononce continuellement les mots : assez, assez, finissez et aussi ceux de père, mère, mêlés de cris et de gémissements, les sons tonnants et pleureurs.

Vers la fin de l’union, on presse fortement avec la paume des mains les seins, le Jadgana ou les flancs de la femme et celle-ci fait entendre alors le sifflement de l’oie, ou la cas cadette de la caille.

On peut compter parmi les modes de frapper l’usage de quelques instruments particuliers à certaines contrées de l’Inde, principalement à celles du sud :

Le coin entre les seins, les ciseaux pour la tête, les perçoirs des joues (sans doute des aiguilles très fines). Vatsyayana condamne cet usage comme barbare et dangereux, et il cite des accidents graves et même mortels qu’il a occasionnés.

APPENDICE AU CHAPITRE V


N° 1. Contenance des femmes pendant l’union.


Toutes ces pratiques et mignardises sont plutôt de convention que naturelles, comme tout ce que font les Hindous.

Une Bayadère égarée dans Paris et qui en voudrait faire usage, serait une curiosité si extraordinaire qu’elle aurait certainement un succès de vogue pour rire.

La contenance que les femmes d’Europe ont naturellement, ou prennent pendant l’union, est très variable ; les trois types les plus saillants sont : celles qui gardent le silence et ferment les yeux ;

Celles qui font beaucoup d’exclamations et de démonstrations ;

Enfin, celles qui, comme prises d’attaques de nerfs, se pâment ou s’évanouissent.

N° 2. — À Rome, les coups entre amants n’étaient pas seulement des mignardises, bien qu’ils pussent être du goût des belles, comme ils l’étaient de celui de la ménagère de Colin, chantée par Béranger, et de la fille de faubourgs de Jules Barbier, qui voulait un amant

« Qui la batte et la fouaille
Depuis le soir jusqu’au matin. »

Tous les poètes élégiaques latins se reprochent d’avoir battu et maltraité leurs maîtresses, ou se louent d’avoir été frappés par elles.

Ovide, Les Amours, livre I, Elégie VII.

« Ma maîtresse pleure des coups que je lui ai donnés dans mon délire. N’était-ce point assez de l’intimider par mes cris, par mes menaces, de lui arracher ses vêtements jusqu’à la ceinture ! J’ai eu la cruauté de la traîner par les cheveux et de lui sillonner les joues de mes ongles.

« Puis, honteux de ma stupide barbarie, j’ai imploré son pardon. Ne crains pas, lui disais-je, d’imprimer tes ongles sur mon visage, n’épargne ni mes yeux ni ma chevelure, que la colère aide tes faibles mains. »

Tibulle, livre I, Elégie X.

« La guerre s’allume entre les amants ; la jeune fille accable de reproches le cruel qui a enfoncé sa porte et lui a arraché les cheveux. Ses joues meurtries sont baignées de larmes ; mais le vainqueur pleure à son tour de ce que son bras a trop bien servi sa colère.

« Il faut être de pierre ou d’acier pour frapper la beauté qu’on aime.

« C’est assez de déchirer sa tunique légère, de briser les liens qui retiennent ses cheveux, de faire couler ses larmes.

« Heureux celui qui, dans sa colère, peut voir pleurer une jeune fille ; mais celui qui frappe n’est bon qu’à porter le bouclier et le pieu ; qu’il s’éloigne de la douce Vénus. »

Les jeux des filles de Sparte.

Les jeux des filles de Sparte qui avaient un but sérieux au temps de l’indépendance de cette République, n’étaient plus, après son asservissement, qu’un spectacle licencieux que Properce a décrit dans l’Elégie XIV du livre III.

« Heureuse Lacédémone, nous admirons les jeux où se forment les jeunes filles. Sans honte, elles paraissent nues au milieu des lutteurs. Tour à tour, on les voit, couvertes de poussière, attendre l’heure de la lice et recevoir les rudes coups du pancrace.

« Elles attachent le ceste à leurs bras, lancent le disque, ou bien elles font décrire un cercle à un coursier rapide, ceignent d’un glaive leurs flancs d’albâtre et couvrent d’un casque leur tête virginale.

« D’autres fois, les cheveux couverts de frimas, elles pressent sur les longs sommets du Taygète le chien de Laconie. »

La loi de Sparte défend le mystère aux amants et on peut se montrer partout en public aux côtés de la femme qu’on aime. On n’a point à redouter la vengeance d’un mari, on n’emploie pas d’intermédiaire pour déclarer ses feux, et si l’on est repoussé, on n’a point à subir de longs délais. Le regard errant à l’aventure n’est point trompé par la pourpre de Tyr, ou intercepté par un nombreux cortège d’esclaves.

La description que, dans son chapitre XLII, Lucien donne de la lutte amoureuse entre Lucius et Palestra lui a peut-être été suggérée par les jeux de Sparte :

« Nue et droite Palestra commande :

« Frotte-toi d’huile, embrasse ton adversaire, renverse-le d’un croc en jambe, tiens-le sous toi, glisse ; un écart, qu’on se fende, serre bien ; prépare ton arme en avant ; frappe, blesse, pénètre jusqu’à ce que tu sois las. De la force dans les reins ! allonge maintenant ton arme, pousse-là par en bas ; de la vigueur ; vise au mur, frappe ; dès’ que tu sens mollir, vite un dégagement et- une étreinte ; tiens ferme, pas tant de précipitation ; un temps d’arrêt ! Allons ! au but ! Te voilà quitte.

« Une pesé, maintenant, dit Palestra, la lutte à genoux ! et elle tombe sur ses genoux au milieu du lit. Te voilà au milieu, beau lutteur ! serre ton adversaire comme un nœud ; penche-le ensuite et fonds sur lui avec ton trait acéré, saisis-le de près et ne laisse aucun intervalle entre vous. S’il commence à lâcher prise, enlève-le sans perdre un instant, tiens-le en l’air, frappe-le en dessous et ne recule pas sans en avoir reçu l’ordre ; fais-le coucher, contiens-le, donne-lui de nouveau un croc-en-jambe afin qu’il ne t’échappe pas ; tiens-le bien et presse ton mouvement ; lâche-le, le voilà terrassé, il est tout en nage. »