Kean (Dumas)/Acte V

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Œuvres d’Alexandre DumasMeline, Cans et cievol. 2 (p. 645-655).
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ACTE CINQUIÈME.

 

Un salon chez Kean.


Scène PREMIÈRE.

 
SALOMON, BARDOLPH, TOM, DAVID, DARIUS, PISTOL, puis le médecin.
SALOMON.

C’est cela, mes enfants, inscrivez-vous, voilà la liste.

BARDOLPH, après s’être inscrit.

Et quelle nuit a-t-il passée ?

SALOMON.

Terrible.

TOM.

Il est donc-réellement fou ?

SALOMON.

À lier.

DAVID.

Et dans ce moment-ci le médecin le saigne ?

SALOMON.

À blanc.

DARIUS.

À blanc !…

BARDOLPH.

Mais quel est son genre de folie ?

DARIUS.

Oui, voyons, quel est son genre de folie ?

SALOMON.

Folie frénétique.

DAVID.

Et que fait-il dans ses accès ?

SALOMON.

Il frappe.

DARIUS.

Sur quoi ?

SALOMON.

Sur tout, et de préférence sur ceux qu’il connaît.

DARIUS.

Comment ! il attaque son semblable !

SALOMON.

Ah ! mon Dieu ! oui.

DARIUS.

Il aura été mordu.

SALOMON.

J’en ai peur.

DARIUS.

xxEt il est enragé… « J’en ai coiffé un des enragés,
» un homme qui avait une position, quoi, il était
» membre des communes. Eh bien ! sa rage à lui
» c’était de faire des tragédies… ; on ne les jouait
» pas, eh bien ! c’est égal, il en faisait d’autres, on
» les refusait, il allait toujours.

SALOMON.

xxxx» Et mordait-il ?

DARIUS.

xxxx» Oui, oui, oui, mais il ne faisait pas de mal, il
» n’avait plus de dents ; on le laissait faire, pauvre
» cher homme ! ça l’amusait[1]. »

SALOMON.

Eh ! tenez, voilà…

DARIUS.

M. Kean ! je me sauve…

SALOMON.

Non, le médecin.

DARIUS.

Ah ! le médecin. Eh bien ! monsieur le docteur…

TOM.

Comment va Kean ?

DAVID.

Y a-t-il espoir ?

LE MÉDECIN, remettant un papier à Salomon.

Vous lui ferez suivre ponctuellement cette ordonnance, tout autre traitement que celui indiqué sur ce papier ne pourrait qu’empirer son état.

SALOMON.

Vous voyez que la chose est sérieuse, hein ? voyons ce qu’ordonne le médecin… — (Il retourne le papier de tous côtés, il est blanc.) Ah ! ah !

DARIUS.

Eh bien ! qu’ordonne le médecin ?

SALOMON.

Quatre douches, deux saignées, un sinapisme.

DAVID.

Veux-tu que je te dise, Salomon ? ça m’a l’air d’un âne, ton docteur.

DARIUS.

Oui, oui, oui, il me fait l’effet d’un âne.

DAVID.

Et à ta place, je le traiterais à ma mode.

SALOMON.

Que lui donneriez-vous, voyons ?

DAVID.

Je prendrais de bon vin de Bordeaux, je le mettrais dans une casserole avec du citron, de la cannelle et du sucre ; je le ferais chauffer, et de dix minutes, en dix minutes, je lui en donnerais un verre.

DARIUS.

Non, non, non, je ne ferais pas ça, moi.

SALOMON.

Eh bien, que ferais-tu ?

DAVID.

Je te dis qu’un verre…

DARIUS.

Non, écoutez, David, vous jouez bien le lion, vous êtes magnifique sous la peau d’animal, mais quand il s’agit de médecine, c’est autre chose ; à la place de Salomon, je ferais le vin chaud.

DAVID.

Tu vois bien.

DARIUS.

Patience ! je lui raserais d’abord la tête comme un genou, ça lui rafraîchirait le cerveau, ensuite je lui commanderais une perruque, ce qu’il y a de plus beau en cheveux, du cheveu No 1.

SALOMON.

Et le vin chaud ?

DARIUS.

Je le boirais, alors… — (On sonne.) Dites donc, Salomon, on sonne.

SALOMON.

Allons, encore un accès qui lui prend.

DARIUS.

Un accès, je me sauve !

(Salomon l’arrête.)
DAVID.

Filons, filons.

DARIUS.

Salomon, Salomon, pas de bêtises, voyons.

(On sonne encore.)
TOM ET BARDOLPH.

Sauve qui peut !

SALOMON.

Darius, mon ami, toi qui es le plus brave, reste avec moi, je t’en prie.

DARIUS.

Père Salomon, si vous ne me lâchez pas, je fais ma plainte, je vous dénonce, je ne vous poudre plus vos perruques, je vous enfonce des épingles noires dans les mollets, et je vous mords le nez. — (Salomon le lâche.) Ah ! mais…

(Il sort.)
SALOMON.

Ah ! les voilà partis ; j’espère que ça va se répandre, car si l’on venait à savoir…

PISTOL, se levant du coin où il est resté assis, et venant à Salomon.

Monsieur Salomon ?

SALOMON.

Tu es encore là, toi ! pourquoi n’es-tu pas parti avec les autres ?

PISTOL.

Parce que vous avez dit qu’il vous fallait quelqu’un, monsieur Salomon.

SALOMON.

Tu es un brave garçon, va-t’en.

PISTOL.

Moi, jamais !

SALOMON.

Me promets-tu d’être discret ?

PISTOL.

Moi, je crois bien. — (Salomon lui parle à l’oreille.) Vraiment ? oh !

SALOMON.

Pas un mot.

PISTOL.

On me couperait plutôt le cou. Oh ! que je sais content, que je suis content ! — (Il sanglote.) Oh ! monsieur Kean, monsieur Salomon, oh ! je m’en vas.

(Il sort,)


Scène II.

 
SALOMON, KEAN, entrant.
KEAN.

Avec qui causais-tu donc là ?

SALOMON.

Avec des camarades du théâtre, cet imbécile de Darius et le petit Pistol.

KEAN.

Et que leur as-tu dit ?

SALOMON.

Que vous étiez fou à lier.

KEAN.

Tu as eu tort.

SALOMON.

Comment, j’ai eu tort ! mais songez donc que si l’on apprend jamais que cette folie n’était qu’une feinte…

KEAN.

Eh bien ?

SALOMON.

Et que vous avez insulté de sang-froid lord Mewill et le prince de Galles…

KEAN.

Après ?

SALOMON.

On vous punira sévèrement.

KEAN.

Que m’importe ? que peuvent-ils me faire ? Me mettre en prison ? eh bien ! j’irai.

SALOMON.

Oui, mais moi, je n’irai pas. — (À part.) Égoïste ! — (Haut.) Tandis que si seulement vous vouliez faire semblant pendant huit jours. Vous êtes si beau dans le roi Lear !

KEAN.

Monsieur Salomon, je joue la comédie depuis huit heures du soir jusqu’à minuit, mais jamais dans la journée.

SALOMON.

Maître.

KEAN.

Assez sur ce sujet : donne-moi la liste des personnes qui sont venues pour me voir.

SALOMON.

Il y en a deux, de listes : une ici, l’autre chez le concierge. Celle-ci est celle des amis intimes.

KEAN.

C’est bien, va !… Elle n’aura pas osé monter jusqu’ici, elle, mais elle sera venue en bas, ou elle aura envoyé ; je trouverai non pas son nom, sans doute, mais un mot, un signe auquel je reconnaîtrai qu’elle a pensé à moi, à moi qui souffre tant pour elle, mon Dieu !

SALOMON.

Tenez.

KEAN.

Donne.

SALOMON.

Il y a là plus de deux noms qui sont bien étonnés de se trouver ensemble.

KEAN.

Oui, oui, il y a là des noms de riches, de nobles et de puissants ; il y a là des noms d’artistes, d’ouvriers, de portefaix, depuis celui du duc de Sutzerland, premier ministre, jusqu’à celui de Williams le cocher. Oui, je crois que tous les noms y sont, excepté celui que je cherche ; elle n’aura pas osé envoyer. Oh ! pour venir elle-même, sans doute, elle saisira une occasion, le premier moment où son mari la laissera libre. Salomon, va dans la chambre à côté, ne laisse entrer personne… excepté…

SALOMON.

Ariel excepté, n’est-ce pas ?

KEAN.

Oui, oui, Ariel… va, mon bon Salomon, va ; et si elle vient, fais-la entrer à l’instant… sans lui demander son nom… car c’est une grande dame, vois-tu.

SALOMON.

Mais comment la reconnaître ?

KEAN.

Je n’attends qu’elle !

SALOMON.

Soyez tranquille.

(Il sort.)



Scène III.

 
KEAN, seul, puis SALOMON.
KEAN.

Dix heures, et pas un mot d’elle, pas un message, pas une lettre !… ah ! vous étiez plus inquiète de votre éventail que de moi, madame… oh ! ce n’est point comme cela qu’on aime, Elena, et c’est douloureux à penser que, si cet accident était réel, je serais mort peut-être à cette heure… sans vous avoir vue… sans avoir entendu parler de vous… Que je suis inquiet !… j’ai son portrait là, sur mon cœur… et je me plains… ne serait-ce pas plutôt que le comte, qui a trouvé cet éventail, à qui la scène scandaleuse que j’ai faite hier au prince de Galles, a dû ouvrir les yeux… oh ! oui, c’est possible, c’est probable, cela est. Oh ! quand je pense qu’à cette heure peut-être, Elena soupçonnée… accusée, menacée, m’appelle à son secours… oh ! je n’y puis plus tenir. Salomon ! Salomon !

SALOMON.

Maître !

KEAN.

Personne encore ?

SALOMON.

Personne.

KEAN.

Fais mettre les chevaux à la voiture.

SALOMON.

Les chevaux ?

KEAN.

Eh ! oui, les chevaux. Qu’y a-t-il là d’étonnant ? Je sors,

SALOMON.

Vous sortez ?

KEAN.

Newmann !… Newmann !…

SALOMON.

Que lui voulez-vous ?

KEAN.

Celui-là m’obéira, peut-être.

SALOMON.

Et ne savez-vous pas que tout ce que vous voudrez, votre pauvre Salomon le fera ?

KEAN.

Eh bien ! va donc alors, et ne me laisse pas souffrir plus longtemps… ne vois-tu pas que j’ai la fièvre, que la tête me brûle, que le sang me bout ?… D’ailleurs, je fermerai les stores, je me contenterai de passer sous ses fenêtres… je… — (Voyant que Salomon n’est pas sorti.) Eh bien ! pas encore ?

SALOMON.

J’y vais, Kean, j’y vais… ah ! l’on frappe.

KEAN.

Oui, oui, l’on frappe. Eh bien ! va ouvrir.

SALOMON.

Et si c’est elle, vous resterez, n’est-ce pas ?

KEAN, riant.

Imbécile !

SALOMON.

J’y cours.

(Il sort.)
KEAN, s’appuyant au dossier d’une chaise.

Enfant que je suis… mais, c’est que, Dieu me pardonne, mon cœur bat comme il battait à vingt ans ; je suis réellement insensé… et je n’ai pas besoin de feindre la folie…

SALOMON, paraissant.

C’est elle, maître ! c’est elle !

KEAN.

Elle… Elena !… Elena !… c’est vous !


Scène IV.

 
KEAN, ANNA, puis SALOMON.
ANNA, levant le capuchon de sa mante.

Non, monsieur Kean, c’est moi !

KEAN, tombant sur une chaise.

Ah !…

ANNA.

Pardon d’être venue ainsi ; mais, comprenez-vous ? ce matin, un bruit affreux s’est répandu par la ville, qu’hier, au spectacle, vous aviez été atteint d’un accès de folie… J’ai dit : il n’a pas de mère, il n’a pas de sœur… il n’a personne auprès de lui… J’y vais aller, moi…

KEAN.

Anna ! ah ! je reconnais bien là votre cœur dévoué. Anna, sur mon Dieu ! vous êtes une âme bonne et loyale… ah ! vous n’avez pas tremblé, n’est-ce pas, pour votre réputation, pour votre honneur… vous n’avez pas craint qu’on dît que vous étiez ma maîtresse ?… vous n’avez écouté que votre cœur… vous êtes venue… tandis qu’elle… C’est bien… parlons de vous, Anna.

ANNA.

Oh ! ce n’est donc pas vrai, cette nouvelle ?…

KEAN.

Non. Je n’ai pas ce bonheur… un fou… cela doit être bien heureux… cela rit… cela chante… cela ne se souvient de rien !

ANNA.

Ah ! maintenant, je partirai donc tranquille, sinon heureuse !

KEAN.

Vous partez ? vous quittez Londres ?

ANNA.

Londres, oh ! ce ne serait point assez ; je quitte l’Angleterre.

KEAN.

Mais êtes-vous libre de le faire ? et votre tuteur ?

ANNA.

J’ai atteint ce matin ma majorité, et le premier usage que j’en ai fait a été de signer un engagement avec le correspondant du théâtre de New-York.

KEAN.

Ainsi, rien n’a pu changer votre résolution ; et le tableau que je vous ai fait de cette carrière…

ANNA.
Ce tableau était tracé pour la pauvre fille, et non pour la riche héritière. Si cher que coûtent le velours et la soie, pensez-vous, monsieur Kean, que 20,000 livres sterling de rente suffiront à payer mon costume ?
KEAN.

Et comment, avec tant de fortune et tant de beauté !…

ANNA.

Ni l’une, ni l’autre n’ont suffi pour me faire aimer, et je veux y ajouter le talent pour compléter ma dot.

KEAN.

Pauvre enfant !

ANNA.

Oh ! n’est-ce pas, qu’au milieu de vos triomphes, de vos plaisirs, de vos amours, n’est-ce pas que vous garderez un souvenir à la pauvre exilée, qui aura tout quitté dans un seul but, et avec un seul espoir ?

KEAN.

Anna… chère Anna !…

ANNA.

N’est-ce pas que vous me permettrez de vous écrire, de vous raconter mes chagrins… mes travaux… mes progrès… car, j’en ferai, oh ! je vous le jure… oh ! surtout si, tout éloigné de moi que vous serez, vous voulez me conseiller, me soutenir.

KEAN.

Oh ! tout ce que je pourrai faire pour ma meilleure amie… je le ferai… soyez-en sûre… mais, quand partez-vous ?

ANNA.

Dans deux heures.

KEAN.

Et comment ?…

ANNA.

Ma place est retenue sur le paquebot le Washington.

SALOMON, entrant avec mystère.

Maître ?

KEAN.

Eh bien ?

SALOMON.

Elle est montée par l’escalier dérobé, elle est entrée au moment où je m’y attendais le moins.

KEAN.

Qui ?…

SALOMON.

Une dame.

KEAN.

Comment s’appelle-t-elle ?

SALOMON.

Elle n’a voulu me dire que son prénom d’Elena.

KEAN.

Elena ! et où est-elle ?

SALOMON.

Dans la chambre à côté, elle semble désespérée… elle veut vous voir absolument…

KEAN.

Ah ! mon Dieu… comment faire ?

ANNA.

C’est elle, n’est-ce pas ?

KEAN.

Oui.

ANNA.

On la dit bien belle. Laissez-moi la voir, Kean.

KEAN.

Oh ! cela ne se peut pas.

ANNA.

Ne craignez rien… je n’ai qu’une chose à lui demander, qu’une prière à lui faire… Je me jetterai à ses genoux, et je lui dirai : Rendez-le heureux, madame… car il vous aime bien !…

KEAN.

Non, non, Anna, cela est impossible, elle ne croirait jamais à l’innocence de nos relations… comment pourrait-elle penser, vous voyant si jeune et si belle… Oh ! entrez dans ce cabinet, je vous en prie… pardonnez-moi, Anna… pardonnez-moi…

ANNA, entrant dans le cabinet.

Ai-je le droit de me plaindre ?


Scène V.

 
KEAN, puis ELENA.
KEAN.

Maintenant, Salomon, fais entrer, fais entrer vite. — (Elena entre.) C’est vous, Elena… c’est vous… oh ! vous êtes donc venue, au risque de tout ce qui pouvait vous arriver… Oh ! si vous saviez comme je vous attendais !

ELENA.

J’ai hésité longtemps, je vous l’avouerai, Kean : mais notre danger commun…

KEAN.

Notre danger ?

ELENA.

Oui, une lettre pouvait être surprise, je tremblais que vous ne fussiez déjà arrêté.

KEAN.

Arrêté, moi… et pourquoi cela ?

ELENA.

Parce que le bruit commence à se répandre que ce n’est point un accès de folie, mais de colère, qui vous a fait insulter le prince royal et lord Mewill… On assure que ce dernier a vu, ce matin, le roi auquel il s’est plaint, et le ministre dont il a obtenu un mandat… Un procès terrible vous menace, Kean, fuyez, vous n’avez pas une minute à perdre… et cette nuit quittez Londres, quittez l’Angleterre, si c’est possible… vous ne serez en sûreté qu’en France ou en Belgique.

KEAN.

Moi, fuir… moi, quitter Londres, l’Angleterre, comme un lâche qui tremble… Oh ! vous ne me connaissez pas, Elena… Lord Mewill veut de la publicité, nous lui en donnerons ; son nom n’est pas encore assez honorablement connu, il le sera comme il mérite de l’être.

ELENA.

Vous oubliez qu’un autre nom aussi sera prononcé aux débats : on cherchera les motifs de ce double emportement, contre le prince royal et lord Mewill, et on le trouvera.

KEAN.

Oui, oui… vous avez raison… et tout cela est peut-être un bonheur… M’aimez-vous, Elena ?

ELENA.

Vous le demandez !

KEAN.

Écoutez : vous aussi, vous êtes compromise.

ELENA.

Je le sais.

KEAN.

Non, vous ne savez pas tout encore ; cet éventail que vous avez oublié hier dans ma loge…

ELENA.

Eh bien ?

KEAN.

Il a été trouvé.

ELENA.

Par qui ?

KEAN.

Par le comte.

ELENA.

Grand Dieu !

KEAN.

Il le connaît, n’est-ce pas ?

ELENA.

Sans doute.

KEAN.

Eh bien ?

ELENA.

Eh bien ?

KEAN.

Vous me donniez le conseil de fuir, je suis prêt. Fuirai-je seul ?

ELENA.

Oh ! vous êtes insensé, monsieur Kean ; non, non, c’est chose impossible ; non, notre amour fut un instant d’égarement, d’erreur, de folie, auquel il ne faut plus songer, et que nous devons oublier nous-mêmes afin que les autres l’oublient.

KEAN.

L’oublier, oh ! vous n’y songez pas, Elena ! Mais quand je m’exilerais, quand je cesserais de vous voir, n’aurais-je pas votre image éternellement sur mon cœur ou devant mes yeux ? n’ai-je pas votre portrait, votre portrait chéri ?

ELENA.

Je viens vous le redemander, Kean.

KEAN.

Vous venez me redemander votre portrait ! votre portrait donné hier, vous venez me le redemander aujourd’hui !

ELENA.

Mais songez que la raison l’exige ; Kean, vous m’aimez, je le crois, je le sais, mais pensez-vous qu’éloigné de moi, cet amour résistera à l’absence ? non, avec votre talent et célèbre comme vous l’êtes, les occasions viendront d’elles-mêmes au-devant de vous, vous aimerez une autre femme, et mon portrait, mon portrait qui est en ce moment un souvenir d’amour, ne sera plus alors qu’un trophée de victoire.

KEAN.

Ah ! le voilà, madame ! un pareil soupçon ne laisse aucun moyen de refus ; en amour, qui doute accuse.

ELENA.

Kean !

KEAN.
Le voilà, je ne l’ai pas gardé longtemps et personne ne l’a vu, madame, de sorte que si vous en avez promis un autre, vous pouvez vous dispenser de le faire faire, et donner celui-là à la place.
ELENA.

Promis à qui ?

KEAN.

Que sais-je ? en échange de quelque éventail, peut-être.

ELENA.

Ô Kean, Kean ! après ce que j’ai fait pour vous, après ce que je vous ai sacrifié…

KEAN.

Et que m’avez-vous tant sacrifié, madame, si ce n’est votre orgueil, vous ? C’est vrai, madame la comtesse de Kœfeld est descendue jusqu’à aimer un comédien, vous avez raison : cet amour était un moment d’erreur, d’égarement, de folie ; mais tranquillisez-vous, madame, l’erreur fut pour moi seul, moi seul fus égaré, moi seul ai été fou ; oh ! oui, fou, et bien fou de croire au dévouement d’une femme ; fou de risquer pour elle mon avenir, ma liberté, ma vie, et cela sur un soupçon de jalousie, tandis que j’étais si ardemment aimé ! Oh ! j’avais tort, sang-dieu ! j’avais tort, et voilà donc pourquoi, c’était pour entendre ces choses sortir de votre bouche que je vous attendais depuis hier avec tant de mortelles impatiences ! voilà pourquoi mon cœur battait à me briser la poitrine à chaque coup que l’on frappait à cette porte ! Oh ! je les connaissais pourtant bien ces sortes d’amour ; je savais de quelle profondeur et de quelle durée ils sont, et vaniteux, vaniteux que je suis, je m’y suis laissé prendre ! Voilà votre portrait, madame.

ELENA.

Oh ! Kean, ne m’en veuillez point d’avoir plus de raison que vous.

KEAN.

Plus de raison que moi ! oh ! je vous en défie, madame, et vous venez de faire une cure merveilleuse. J’avais le transport, le délire, quelque chose comme une fièvre cérébrale ; vous m’avez appliqué de la glace sur la tête et sur le cœur, je suis guéri. Mais une plus longue absence augmenterait probablement les soupçons du comte, en admettant que cet éventail lui en ait donné ; puis d’un moment à l’autre le constable peut venir pour m’arrêter…

ELENA.

Ah ! Kean, Kean, j’aime mieux votre colère que votre ironie. Oh ! me quitterez-vous ainsi ? est-ce ainsi que vous me direz adieu ?

KEAN.

Madame la comtesse de Kœfeld permettra-t-elle au comédien Kean de lui baiser la main ?…

(Il s’incline pour baiser la main de la comtesse.)
LE COMTE, dans l’antichambre.

Je vous dis que j’entrerai, monsieur !…

SALOMON, de même.

Et je vous dis que vous n’entrerez pas, moi !

ELENA.

Le comte ! le comte !

KEAN.

Votre mari… oh ! mais c’est donc une fatalité qui l’amène !… Oh ! cachez-vous, Elena, cachez-vous ! (Elle va au cabinet d’Anna.) Non, point là, ici, ici ; là du moins personne ne vous verra ; les fenêtres donnent sur la Tamise.

ELENA.

Un dernier mot, une dernière prière…

KEAN.

Laquelle ? dites, dites.

ELENA.

Mon mari vient vous demander raison, sans doute.

KEAN.

Soyez tranquille, madame, le comte me sera sacré. Hier, peut-être eussé-je donné des années de ma vie pour une rencontre avec lui ; mais aujourd’hui soyez tranquille, je ne lui en veux plus.

LE COMTE.

Je vous dis qu’il faut que je le voie !

KEAN, allant ouvrir la porte.

Qu’est-ce à dire, Salomon ? et pourquoi ne laissez-vous pas entrer M. le comte de Kœfeld ?

(Il entre. Kean referme la porte, et met la clef dans sa poche.)



Scène VI.

 
KEAN, LE COMTE DE KŒFELD, SALOMON.
SALOMON.

Maître, vous m’aviez dit…

KEAN.

Que je ne voulais recevoir personne, c’est vrai, mais j’étais loin de m’attendre à l’honneur que me fait M. le comte.

(Il fait signe à Salomon de sortir.)
LE COMTE.

Au contraire, monsieur, j’aurais cru que vous n’aviez clos votre porte que parce que vous comptiez sur ma visite.

KEAN.

Et d’où m’aurait pu venir cette présomption, monsieur le comte ?

LE COMTE.

De ce que j’avais dit hier dans votre loge, à propos de nous autres Allemands, que lorsque nous nous croyons offensés, nous nous battons avec tout le monde : or, je suis offensé, monsieur, et je viens pour me battre. La cause, vous la connaissez, mais il est important qu’elle reste entre nous ; aussi vous voyez que, contrairement aux habitudes, je ne vous ai point écrit, je ne vous ai envoyé personne, et je suis venu à vous seul et confiant comme un homme d’honneur, qui vient jouer sa vie contre un homme d’honneur ; en passant devant la première caserne que nous trouverons sur le chemin d’Hyde-Park, nous prierons deux officiers de nous servir de témoins. Quant au motif de notre rencontre, ce sera tout ce que vous voudrez : une querelle à propos de la mort de lord Castelreag ou de l’élection de M. O’Connel.

KEAN.

Mais vous comprenez, monsieur le comte, que ce motif, suffisant pour tout autre, ne l’est pas pour moi : il ne peut y avoir rencontre que lorsqu’il y a offense, et je ne crois pas avoir été assez malheureux…

LE COMTE.
C’est bien, monsieur, c’est bien ! je comprends cette délicatesse, mais cette délicatesse est presque une nouvelle insulte. Si vous ne vous battez pas lorsque vous avez offensé, vous battez-vous lorsqu’on vous offense ?
KEAN.

C’est selon, monsieur… Si l’on m’offense sans motif, j’attribue à la folie l’insulte qu’on me fait, et je plains celui qui m’insulte.

LE COMTE.

Monsieur Kean, dois-je croire que votre réputation de courage est usurpée ?

KEAN.

Non, monsieur le comte, car j’ai fait mes preuves.

LE COMTE.

Prenez garde, je dirai partout que vous êtes un lâche.

KEAN.

On ne vous croira pas.

LE COMTE.

Je dirai que j’ai levé la main.

KEAN.

Et vous ajouterez que je l’ai arrêtée pour épargner à l’un de nous un chagrin mortel.

LE COMTE.

C’est bien, vous ne voulez pas vous battre, je ne puis pas vous forcer ; mais il faut que ma colère se répande, songez-y bien, et si ce n’est sur vous, ce sera sur votre complice.

KEAN, le retenant.

Je vous jure, monsieur le comte, que vous êtes dans l’erreur la plus profonde, je vous jure que vous n’avez aucun motif de soupçonner ni moi ni personne.

LE COMTE.

Ah ! je voulais que tout cela se passât dans le silence, et vous me forcez au bruit ; votre sang suffisait à ma haine, et je ne demandais pas autre chose ; mais vous avez peur de ma vengeance et vous la renvoyez à une femme, c’est bien.

KEAN.

Monsieur le comte, il y a quelque chose de plus lâche qu’un homme qui refuse de se battre, c’est un homme qui s’attaque à une femme qui ne peut pas lui répondre.

LE COMTE.

Toute vengeance est permise du moment où elle atteint le coupable.

KEAN.

Et moi, je vous dis, monsieur, que la comtesse est innocente, je vous dis qu’elle a droit à vos égards et à votre respect ; je vous dis que si vous prononcez un seul mot qui la compromette, que si vous froissez un pli de sa robe, que si vous touchez un cheveu de sa tête, il y a à Londres des hommes qui ne laisseront pas impunie une telle action. Et tenez, moi tout le premier, moi qui ne l’ai vue qu’une fois, moi qui la connais à peine, moi qui ne la connais pas…

LE COMTE.

Ah ! tout bon comédien que vous êtes, monsieur Kean, vous venez cependant de vous trahir. Eh bien ! maintenant parlons franc ; regardons-nous en face et ne détournez plus les yeux : connaissez-vous cet éventail ?

KEAN.

Cet éventail ?

LE COMTE.

Il appartient à la comtesse.

KEAN.

Eh bien ! monsieur…

LE COMTE.

Eh bien ! monsieur, cet éventail, hier je l’ai trouvé…

SALOMON, entrant.

Une lettre pressée du prince de Galles.

KEAN.

Plus tard.

SALOMON, à demi-voix.

Non, tout de suite.

KEAN.

Vous permettez, monsieur le comte ?

LE COMTE.

Faites, faites, je ne m’éloigne pas.

KEAN, après avoir lu.

Vous connaissez l’écriture du prince de Galles, monsieur ?

LE COMTE.

Sans doute ; mais que peut avoir à faire l’écriture du prince de Galles…?

KEAN.

Lisez.

LE COMTE, lisant.

« Mon cher Kean, voulez-vous faire chercher avec le plus grand soin dans votre loge, je crois y avoir oublié hier l’éventail de la comtesse de Kœfeld, que je lui avais emprunté afin d’en faire faire un pareil à la duchesse de Northumberland. J’irai vous demander raison aujourd’hui de la sotte querelle que vous m’avez cherchée hier au théâtre à propos de cette petite fille d’Opéra ; je n’aurais jamais cru qu’une amitié comme la nôtre pouvait être altérée par de semblables bagatelles.
Votre affectionné,xxxxxxxxxxxxxxxxxxxx Georges. »

KEAN.

Cette lettre répond mieux que je ne pourrais le faire à des soupçons que je commence à comprendre, monsieur le comte, et dont vous sentirez facilement que ma modestie ne me permettait pas de me croire l’objet.

LE COMTE.
Monsieur Kean, on parle de vous arrêter, de vous conduire en prison, n’oubliez pas que les palais consulaires sont inviolables, et que l’ambassade de Danemark est un palais consulaire.
KEAN.

Merci, monsieur le comte.

LE COMTE.

Adieu, monsieur Kean.

(Kean le reconduit jusqu’à la porte.)



Scène VII.

 
KEAN seul, puis LE CONSTABLE.
KEAN.

Elle est sauvée ! bon et excellent Georges, par quel miracle a-t-il appris ?… Maintenant il faut qu’elle sorte et sans perdre un instant, afin d’être arrivée avant son mari. Allons… (Le constable entre.) Qui vient encore ? Salomon laissera-t-il donc entrer toute la terre !

LE CONSTABLE.

Je vous demande mille pardons pour lui, monsieur Kean, mais c’est moi qui lui ai forcé la main.

KEAN.

C’est vous, monsieur le constable !

LE CONSTABLE.

Oui, et désolé de la circonstance qui m’amène : j’aime tant les artistes ! mais vous comprenez, monsieur Kean… le devoir avant tout, et au nom du roi et des deux Chambres, (le touchant de sa baguette) je vous arrête.

KEAN.

Et de quoi m’accuse-t-on ?

LE CONSTABLE.

D’injures graves prononcées dans un endroit public contre le prince royal et contre un membre de la chambre.

KEAN.

Et que me reste-t-il à faire ?

LE CONSTABLE.

À suivre mes gens qui sont dans l’antichambre.

KEAN.

Et je dois ainsi abandonner mon hôtel ?

LE CONSTABLE.

J’y reste pour faire mettre les scellés : à votre retour vous y trouverez tout ce que vous y avez laissé.

KEAN.

Pardon, monsieur le constable, mais il y a peut-être dans mon hôtel des choses qui ne pourraient en conscience rester sous le scellé tout le temps que durera mon absence. Vous êtes esclave de la loi, monsieur le constable, mais vous n’êtes pas plus sévère qu’elle ?

LE CONSTABLE.

Non, monsieur Kean, et si je puis faire quelque chose pour un artiste que j’admire…

KEAN.

Vous avez reçu l’ordre de m’arrêter, mais non pas d’arrêter les personnes qui se trouveraient chez moi, n’est-ce pas ?

LE CONSTABLE.

L’ordre est nominal et pour vous seul.

KEAN.

Eh bien ! il y a dans ce cabinet (il montre la chambre ou est cachée Anna) une jeune dame que vous connaissez et qui désirerait sortir…

LE CONSTABLE.

Avant que les scellés ne fussent mis ? je comprends.

KEAN.

Et sans être soumise à l’inspection de vos gens.

LE CONSTABLE.

Et je connais cette jeune dame ?

KEAN.

À moins que vous n’ayez déjà oublié le nom de miss Anna Damby.

LE CONSTABLE.

Miss Anna Damby ?

KEAN.

Elle part pour New-York dans une heure sur le paquebot le Washington.

LE CONSTABLE.

Je le sais bien, c’est moi qui l’ai conduite chez le correspondant, et qui ai retenu sa place.

KEAN.

Vous devez comprendre alors qu’elle a quelque recommandation particulière à me faire avant son départ.

LE CONSTABLE.

Vous me promettez de ne point chercher à vous échapper, monsieur Kean ?

KEAN.

Je vous en donne ma parole d’honneur. (Il ouvre la porte.) Anna !


Scène VIII.

 
KEAN, ANNA, LE CONSTABLE.
ANNA.

Oh ! qu’ai-je entendu, mon Dieu ! l’on veut vous arrêter ? Oh ! je ne pars plus, Kean, je reste. Vous prisonnier !

KEAN.
Anna, voici monsieur le constable qui permet qu’avant de vous quitter je vous dise un dernier adieu. Monsieur le constable, madame sortira tout à l’heure, enveloppée de ce mantelet et de ce voile ; je vous rappelle votre promesse.
LE CONSTABLE.

Et je la tiendrai, monsieur Kean, ce n’est point à un artiste comme vous que je voudrais manquer de parole.

(Il sort.)



Scène IX.

 
KEAN, ANNA.
KEAN.

Il est sorti, Anna. Oh ! je vais vous faire une demande étrange, que vous pourriez me refuser, mais que vous ne me refuserez pas ; un dernier sacrifice, un dernier dévouement… Une femme est là, vous le savez, une femme qui serait perdue si son visage était reconnu, si son nom était prononcé, car elle est mariée. Oh ! Anna ! Anna ! au nom de ce que vous avez de plus cher et de plus sacré, prenez pitié d’elle !

ANNA, détachant son voile et sa mante.

Tenez, Kean.

KEAN, tombant à genoux.

Anna ! Anna ! vous êtes un ange ! Elena ! (Se précipitant dans le cabinet.) Elena ! vous êtes sauvée ! (Il pousse un cri.) Ah !

ANNA.

Qu’y a-t-il ? mon Dieu !

KEAN.

Elena !… Elena !… personne… disparue, et la fenêtre ouverte, la Tamise ! Oh ! elle aura entendu la voix de son mari, ses menaces… oh ! je suis son meurtrier, son assassin, c’est moi qui l’ai tuée ! (S’élançant vers la porte du fond.) Perdue ! perdue !


Scène X.

 
Les précédents ; LE PRINCE DE GALLES.
LE PRINCE, à demi-voix.

Sauvée !

KEAN.

Elena ?

LE PRINCE.

Oui.

KEAN.

Comment ?

LE PRINCE.

Par un ami qui veille sur vous depuis hier, et qui, à tout hasard et prévoyant tout péril, avait une gondole sous vos fenêtres et une voiture devant votre porte.

KEAN.

Et où est-elle ?

LE PRINCE.

Chez elle, où je l’ai fait reconduire par un homme de confiance, tandis que j’écrivais, moi. Avez-vous reçu ma lettre ?

KEAN.

Oui, mon prince, et vous m’avez sauvé deux fois. Comment expierai-je mes torts envers vous, monseigneur ? oui, j’ai mérité la prison, et j’irai avec joie.

LE PRINCE.

Eh bien, pas du tout ! c’est que vous n’irez pas, monsieur.

(Anna lève la tête.)
KEAN.

Comment ?

LE PRINCE.

J’ai obtenu de mon frère, à grand’peine, je vous l’avouerai, et voilà pourquoi ma gondole était sous vos fenêtres et ma voiture devant votre porte, que vos six mois de prison, car il ne s’agissait de rien moins que de six mois de prison, fussent convertis en une année d’exil.

KEAN.

Ah ! Votre Altesse m’envoie en exil, tandis que la comtesse de Kœfeld…

LE PRINCE.

Retourne en Danemark, monsieur, où les premières dépêches de son roi rappelleront l’ambassadeur. Êtes-vous tranquille, maintenant ?

KEAN.

Oh ! mon prince ! Et le lieu de mon exil est-il indiqué ?

LE PRINCE.

Vous irez où vous voudrez, pourvu que vous quittiez l’Angleterre : à Paris, à Berlin, à New-York.

KEAN.

J’irai à New-York.

ANNA, se levant.

Que dit-il.

KEAN.

Fixe-t-on le moment de mon départ ?

LE PRINCE.

Vous avez huit jours pour régler vos affaires.

KEAN.

Je partirai dans une heure.

ANNA, s’approchant de Kean.

Ah ! mon Dieu !

KEAN.

Le bâtiment sur lequel je dois m’éloigner m’est-il désigné ?

LE PRINCE.
Non, vous prendrez celui que bon vous semblera.
KEAN.

Je choisis le paquebot le Washington.

ANNA, s’appuyant sur Kean.

Kean ?

LE PRINCE.

Et j’espère, monsieur, que l’air de l’Amérique vous rafraîchira le cerveau et vous rendra plus sage.

KEAN.

Je compte m’y marier, monseigneur.

ANNA.

Ah !

LE PRINCE.

Quelle est cette jeune fille ?

KEAN.

Miss Anna Damby, engagée d’aujourd’hui pour jouer les premiers rôles au théâtre de New-York.

LE PRINCE.

Miss Anna Damby ? ah ! je devine. (S’inclinant.) Miss ?…

ANNA, faisant la révérence.

Monseigneur.

SALOMON, entrant avec des guêtres, et un paquet à la main.

Là.

KEAN.

Eh bien ! mon pauvre Salomon ?

SALOMON.

Eh bien ! maître, me voilà prêt.

KEAN.

Comment ?

SALOMON.

N’allez-vous pas à New-York ?

KEAN.

Oui.

SALOMON.

Pour y donner des représentations ?

KEAN.

Sans doute.

SALOMON.

Eh bien ! du moment où vous jouez la comédie, il vous faut un souffleur ?

KEAN, à Salomon et à Anna.

Oh ! vous êtes mes deux seuls, mes deux vrais amis !

LE PRINCE.

Vous êtes un ingrat, monsieur Kean.

KEAN, se jetant dans ses bras.

Que Votre Altesse me pardonne !





  1. La censure a retranché les mots marqués d’un guillemet, croyant y voir une application à un membre de la chambre des députés, M. Fulchiron.