L’Italie d’hier/Venise — Les Mosaïques de Saint-Marc

La bibliothèque libre.
Charpentier & Fasquelle (p. 19-20).

nothumb
nothumb
nothum
nothum
vue de Venise

VENISE

LES MOSAÏQUES DE SAINT-MARC.


Un père Éternel, aux traits inhumainement caricaturaux d’un masque tragique, dans une broussaille de cheveux et de barbe ; sur son genou un livre de pourpre ; au dos un manteau bleu, mettant autour de lui les ondoiements et les replis d’un grand serpent d’azur ;

— une vierge, aux yeux louches, aux sourcils énormes n’en faisant qu’un, au visage couturé de traits noirs, sur une chair rosâtre, lui donnant l’apparence d’un visage grossièrement maquillé de brique et de charbon ; — des phalanges d’anges grêles, avec des ailes ébarbées, des ailes aussi hautes qu’eux, des phalanges d’anges, aux gestes emboîtés les uns dans les autres, comme une enfilade de marionnettes ; — des diables mitres d’or, aux cornes noires ; — des apôtres dans des robes blanches ayant l’air de suaires verdàtres ; — des Rois avec les cheveux et les barbes annelés, comme les serpents de la tête de Méduse ; — une Ève effarante, aux membres grossièrement équarris dans la chair, à la hanche énorme et déboîtée ; — un Noé ventripotent, dont la tripaille a quelque chose de la charge d’un Bacchus, dessiné par Daumier. — Oh ! les nudités effroyables, les estropiements grotesques, les gibbosités hideuses !

Ces représentations de l’Ancien Testament, au milieu d’une création de bêtes et d’animaux de cauchemars, de béliers diaboliquement capricants, de mulets aux oreilles formidables, de chameaux dont le cou a l’allongement de reptiles, de lions à la crinière semblable à la flamme d’un kriss malais, d’oiseaux héraldiques férocement goulus, becquetant les raisins noirs d’arabesques mystérieusement symboliques, de monstres à sept têtes cornées, d’hippogriffes pareils à des chauves-souris et finissant en sangsues.

Et les paysages blêmement sinistres, encadrant cette humanité, et où, sur le bleu de la mer, les crêtes des vagues font un grouillement blanc d’asticots remuants, et où la terre a pour végétation, des arbres de Jessé portant des anatomies de vieillards. Ces mosaïques, — d’épouvantantes caricatures aux laideurs de l’idole primitive, du fétiche des sauvages, — et qui semblent, en un art embryonnaire, les impressions peureuses et redoutées de la divinité chez un peuple-enfant.