Légendes canadiennes/03

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Atelier typographique de J. T. Brousseau (p. 33-41).


L’ÉCHO DE LA MONTAGNE















La légende des saints que fête l’Église et l’histoire des héros que glorifie la postérité ne renferment pas toutes les sublimes pensées que je lus au front de ce cavalier.

Col-Baron Joachim Ambert,
Soldat.


II


Nos voyageurs s’avançaient donc en silence, au milieu du bois, lorsque tout à coup le chef de la petite troupe s’arrêta et fit, en même temps, signe de la main à ses compagnons d’en faire autant.

— Tu te trompes, camarade, lui dit le missionnaire ; ce bruit que tu viens d’entendre, c’est celui d’un arbre qui se fend à la gelée.

L’Indien se tourna lentement vers lui ; un sourire imperceptible passa sur sa figure.

— Mon frère, dit-il à voix basse, si tu me voyais prendre ta parole sainte[1] et vouloir y lire, tu te moquerais de moi ; moi, je ne veux point me moquer de toi, car tu es une Robe-Noire ; mais je te dirai que tu ne connais pas les voix des bois, et que ce bruit que tu viens d’entendre est bien celui d’une voix humaine.

Suivez-moi de loin pendant que je vais aller voir ce qui se passe là-bas.



Les voyageurs marchèrent quelque temps sans rien apercevoir.

Le Père commençait à croire qu’il ne s’était pas trompé, lorsqu’arrivé à une clairière, il vit l’Indien s’arrêter tout à coup.

Quel fut son étonnement lorsqu’en suivant la direction des regards du Sauvage, il aperçut, à l’autre extrémité de la clairière, une lumière extraordinaire se détachant sur l’obscurité des arbres.

Au milieu de ce globe lumineux apparaissait, soulevé au-dessus du sol, une sorte de fantôme aux formes vagues et indécises.

Avant que le missionnaire eût pu rien distinguer, l’apparition s’évanouit.

Alors un autre spectacle, que l’éclat de cette étrange vision l’avait empêché d’apercevoir, s’offrit à sa vue.

Un jeune homme, vêtu d’un uniforme militaire, était agenouillé au pied d’un arbre. Les mains jointes et les regards tournés vers le ciel, il semblait absorbé par la contemplation d’un objet mystérieux et invisible.

Deux cadavres, qu’à leurs vêtements on reconnaissait facilement pour des militaires, gisaient, à ses côtés, sur la neige.

L’un d’eux, vieillard à cheveux blancs, était adossé au tronc d’un érable et tenait encore entre ses mains un livre prêt à lui échapper.

Sa tête était appuyée sur son épaule droite, et toute sa figure avait cette teinte grise, cendrée de la mort, qui annonce que déjà le cercueil la réclame.

Un cercle bleuâtre entourait ses yeux à demi-fermés, et une dernière larme s’était figée sur sa joue livide.

Mais, malgré ces ravages de la mort, cette figure n’était pas horrible à voir, car les derniers vestiges d’un sourire erraient encore sur ses lèvres et indiquaient que l’espoir suprême, que la foi seule peut inspirer, avait consolé sa dernière heure.[2]



Au grincement de la neige sous les pas des voyageurs, le militaire, qui se tenait à genoux, se détourna tout à coup.

— Mon père ! mon père ! s’écria-t-il en se précipitant vers le missionnaire, c’est la Providence qui vous amène ici pour me sauver.

J’allais partager le funeste sort de mes infortunés compagnons lorsqu’un prodige !… un miracle !…

Suffoqué par ses larmes et ses sanglots, il ne put en dire davantage ; mais, se jetant dans les bras du missionnaire, il le pressait contre son cœur et le couvrait de ses baisers.

— Calmez-vous, mon fils, lui dit le vieillard… Dans l’état de faiblesse et d’épuisement où vous êtes, une trop grande émotion pourrait vous être fatale…

Le vieillard n’avait pas encore achevé ces paroles, qu’il sentit la tête du jeune homme peser plus lourde sur son épaule et tout son corps s’affaisser… Il venait de s’évanouir.

Les voyageurs s’empressèrent de lui prodiguer tous les soins qu’exigeait sa position.

Ses deux compagnons, hélas ! n’avaient plus besoin de secours sur la terre.

Les Sauvages leur creusèrent une fosse dans la neige et le saint missionnaire, après avoir récité quelques prières sur leurs cadavres, traça, avec un couteau, une grande croix sur l’écorce de l’érable au pied duquel ils avaient rendu leur dernier soupir.

Simple, mais sublime monument d’espoir et d’amour, destiné à protéger leurs dépouilles mortelles.



  1. Ton bréviaire.
  2. C’est cette scène que représente l’ex-voto dont nous avons parlé au commencement de ce récit.