Légendes canadiennes/25

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Atelier typographique de J. T. Brousseau (p. 275-282).


LE MIRAGE DU LAC















Ô mères ! 
Vous appuyez vos cœurs sur l’enfant qui chancelle ;
Un souffle en l’effleurant le brise en son berceau.

Le bonheur a toujours une forme fragile :
Le malheur est de fer, la joie est de roseau.

Anaïs Ségalas.

IV


Après avoir roulé quelques instants ces réflexions dans son esprit :

Canawish ![1] — dit-elle en s’adressant à l’impassible Indien qui avait écouté la conversation précédente sans prononcer une parole, — que dis-tu des présages du Canotier ?

Le Sauvage sembla ne pas faire attention à cette demande et ne fit aucune réponse.

— Pourquoi la Grande Couleuvre ne répond-elle pas quand la fille des Visages Pâles lui adresse la parole ?

Il y eut encore un moment de silence.


Enfin le Sauvage dans son langage rempli de figures :

— Le Mirage du Lac qui dort sur les genoux de la Fleur des Neiges est plus beau que le nénuphar blanc des grandes eaux.

Le lac où se mirent la folle avoine et les roseaux du rivage est moins limpide que ses yeux, et son regard est plus brillant que l’étoile du soir.

Ses lèvres sont deux grappes de fraises mûres et ses dents sont des flocons de neige.

Les lianes au printemps sont moins flexibles que sa chevelure.

Aussi, quand la Fleur des Neiges contemple le jeune Visage Pâle, le sourire est-il sur ses lèvres et ses yeux sont-ils pleins de larmes de tendresse.

La Fleur des Neiges serait-elle donc aujourd’hui lasse de la vie de son enfant ?

Ne sait-elle pas que pour évoquer celle que la jeune oreille du Mirage du Lac a entendue et que ses yeux ont vue, il suffit de prononcer son nom ?


— Oh ! s’il n’y a que cela à craindre, reprit Madame Houel en souriant, tu peux parler ; la Dame aux Glaïeuls n’est pas un esprit pour entendre du fond des bois la voix de la Grande Couleuvre, quand ses paroles parviennent à peine à l’oreille de la Fleur des Neiges.



— Puisque ma sœur le demande, reprit l’Indien, la Grande Couleuvre parlera ; — mais si ses paroles évoquent la Matshi Skouéou, la Fleur des Neiges ne pourra s’en prendre qu’à elle seule.

— La fille des Visages Pâles ne craint rien ; son cœur est fort comme celui du Tshinépick’!

— Quand la Fleur des Neiges saura que la Matshi Skouéou serait prête à mettre en liberté toutes les Peaux Blanches captives chez les Iroquois pour pouvoir mettre la main sur l’enfant d’un chef des Visages Pâles, tel que le Mirage du Lac, son cœur sera-t-il aussi fort ?



À cette terrible menace, Madame Houel tressaillit et pressa instinctivement contre son cœur le charmant enfant qui, insoucieux du danger, dormait tranquillement sur ses genoux.

Il ne parut pas même s’apercevoir de ce brusque mouvement ; car le contact de cette douce main lui était connu.

Et que peut craindre en effet l’enfant dans ce sanctuaire de l’amour maternel ?

L’hirondelle dans son nid redoute-t-elle le vent ou l’orage ?

L’enfant entre les bras de sa mère, n’est-ce pas la fraîche goutte de rosée dans la virginale corolle du lis ?

Tant d’innocence et de pureté ne semblent-elles pas devoir échapper au malheur ?



  1. Expression sauvage qui répond au mot : Camarade.