Légendes chrétiennes/Cantique spirituel de saint Corentin

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VI


CANTIQUE SPIRITUEL[1]


sur la charité admirable que montra saint corentin envers un jeune homme qui fut chassé de chez son père et sa mère, sans motif ni raison.



Écoutez tous : je veux publier la charité admirable de saint Corentin ; la charité admirable de saint Corentin envers un jeune homme de Quimper-Corentin.

Du temps qu’était évêque de Quimper Bertrand de Rosmadec, homme charitable, pieux et compatissant, il y avait dans la ville de Quimper un gentilhomme cruel : on ne veut pas le nommer, à cause de ses parents.

Sans justice ni raison, avec un cœur ingrat, il haïssait son fils, jeune homme d’un caractère doux et bon. Il ne pouvait supporter ni sa vue, ni le son de sa voix, ni sa présence dans sa maison, tant il le détestait !

Un jour, avec grande malice, il dit à sa femme :

— Ma femme, je ne puis plus supporter notre fils maudit ; je ne puis plus supporter notre fils maudit ; éloignons-le de nous, car je ne puis l’aimer.

La dame, pour obéir à son mari, l’homme méchant, se rendit aussitôt auprès de son fils doué d’un bon naturel et lui dit :

— « Va-t’en, va loin d’ici, où tu voudras ; voilà trente écus, et que je ne te revoie plus jamais.

« Ne dis à personne de quelle maison tu es issu, car nous craignons d’être tous déshonorés par toi ; nous craignons d’être tous déshonorés par toi ; ne retourne jamais, maudit fruit de potence !

— « Hélas ! ma mère, répondit-il, qu’ai-je donc fait pour mériter d’être ainsi chassé de votre maison ? Je me suis toujours appliqué à servir Dieu et à vous obéir, ainsi qu’à mon père.

— « Va loin d’ici, va-t’en au diable ! répondit-elle ; tu es le déshonneur de notre maison ; tu es le déshonneur de notre maison ; voici trente écus, et que je ne te revoie plus jamais. »

Le jeune gentilhomme, voyant qu’il lui fallait quitter sur le champ la maison où il était né, alla trouver saint Corentin, plein d’espoir, et s’agenouillant devant son image, les larmes aux yeux, il le pria de la sorte :

— « Glorieux saint Corentin, voici que je suis chassé de votre ville par mon père, que j’ai toujours aimé ; je vous prends à présent pour père, glorieux saint Corentin ; regardez-moi aussi comme votre fils ; mon père, venez à mon secours. »

Ayant ainsi parlé, avec une dévotion sincère, il demanda au saint sa bénédiction ; puis, se sentant rassuré, il alla à la grâce de Dieu et se rendit de Quimper-Corentin à Douarnenez.

Quand il fut sur la montagne, il s’arrêta et fit encore ses adieux à sa ville natale et à son église :

— « Adieu, dit-il, mon père ; adieu, saint Corentin ; souvenez-vous de votre fils ; ayez pitié de moi. »

Poursuivant alors sa route, il rencontra une croix : d’un côté était représenté Jésus, notre grand maître, et de l’autre côté était l’image de Notre-Dame Marie ; il s’agenouilla devant la croix et se mit à pleurer.

— « Mère de compassion, dit-il, ô Vierge sainte, je vous prends pour mère, car vous êtes la mère des orphelins, je vous prends pour mère, car vous êtes la mère des orphelins ; si vous m’abandonnez, je ne sais plus où aller.

« Ô mon Sauveur miséricordieux, je suis chassé de la maison de mon père ; ayez pitié du pauvre orphelin que vous voyez à genoux, au pied de votre croix ; je vous prends pour père, père des orphelins, et si vous m’abandonnez, je ne sais où aller.

« Monseigneur saint Corentin, soyez mon guide ; j’ai mis en vous mon espoir, protégez-moi. Gardez mon corps, gardez mon âme ; je me mets sous votre conduite, à la grâce de Dieu. »

Ayant marché pendant une heure, il rencontra une maison, où il vit une femme qui pleurait, accablée de douleur. Le jeune gentilhomme eut pitié d’elle et, allant à elle, il essaya de la consoler.

— « Pourquoi pleurez-vous ainsi, ma pauvre femme ? lut demanda-t-il. Dites-moi le sujet de votre douleur. Hélas ! je suis moi-même aussi affligé que vous, et c’est pourquoi j’ai pitié de ceux qui souffrent.

— « Hélas ! seigneur, dit-elle, mon mari est mort ; je l’ai enseveli, depuis trois jours ; mais, comme je n’ai pas d’argent, le recteur refuse d’enterrer son corps en terre bénite.

« J’ai creusé une fosse dans mon courtil, pour enterrer enfin le corps de mon mari, et ce qui me navre surtout le cœur, c’est que je n’ai rien pour faire dire des messes pour son âme ! »

Alors le jeune homme se mit à pleurer avec la femme, et son cœur faillit se briser de compassion.

— « Femme, dit-il, pauvre femme, prenez patience, et espérez en Dieu ; il ne vous abandonnera pas.

« Il est le père des orphelins et des veuves ; recommandez à sa miséricorde et votre mari et vous-même. Chassé par mon propre père de la ville de Quimper, dans ma douleur amère, c’est ce que j’ai fait moi-même.

« Continuez de servir Dieu ; voici trente écus que je vous donne, pour que vous puissiez faire enterrer votre mari ; avec ce qui vous en restera, vous ferez prier pour son âme et nourrirez vos enfants. »

Ayant donné tout son argent, il continua sa route, plein de confiance en Dieu. Que ferez-vous, jeune homme, que ferez-vous à présent ? Vous avez donné tout ce que vous possédiez, et vous n’avez plus rien.

Celui qui met son espoir en Dieu et en la sainte Vierge ne manquera jamais de rien ; jamais il ne manquera de rien, si notre Sauveur occupe la première place dans son cœur.

Le charitable jeune homme continua sa route, et la nuit le surprit dans un grand bois, où il passa la nuit, sans manger ni boire, s’étant mis sous la protection de Notre-Dame Marie.

Le lendemain matin, quand il se leva, il vit venir à lui une belle dame, qui était la Vierge Marie. Elle lui demanda :

— « Que faites-vous là ? Vous êtes peut-être un voleur ? Dites-le-moi franchement.

— « Hélas ! madame, répondit-il, je suis un pauvre orphelin chassé par son père et sa mère ; mon père et ma mère m’ont chassé de leur maison, et c’est pour cela qu’il m’a fallu passer la nuit dans ce bois. »

Pendant qu’il parlait de la sorte, voilà que saint Corentin arriva aussi, habillé comme un évêque de Quimper-Corentin.

— « Que faites-vous-là , jeune homme ? lui demanda- t-il. Pourquoi êtes-vous dans le bois de si bon matin !

— « Hélas ! monseigneur, répondit-il, je suis un pauvre orphelin chassé par son père et sa mère. Mon père et ma mère m’ont chassé de leur maison, et c’est pour cela qu’il m’a fallu passer la nuit dans ce bois. »

Alors le saint évêque lui dit :

— « Mettez votre confiance en Dieu et en la Vierge Marie ; mettez votre confiance en Dieu et en la Vierge Marie, et aussi en saint Corentin, et il ne vous manquera rien. »

Puis il lui dit encore :

— « Voilà là-bas Lesascoët ; savez-vous servir ?

— « J’ai étudié, répondit-il ; je sais lire et écrire ; je suis gentilhomme, et je ne sais pas servir. »

Enfin ils le conduisirent à Lesascoët, et conseillèrent au seigneur du lieu de vouloir bien recevoir ce bon jeune homme pour montrer à écrire à la demoiselle, qui, depuis longtemps, n’avait pas de maître.

Là il fit preuve d’une grande dévotion, de beaucoup d’honnêteté et de douceur, d’une charité admirable et d’une grande confiance dans Jésus et Notre-Dame Marie.

Grâce à ses qualités et à ses bons exemples, il gagna le cœur du gentilhomme, qui dit un jour à sa dame :

— « Ma femme, il y a longtemps que j’ai une chose sur le cœur, et, jusqu’à présent, je n’ai pas osé vous en faire part.

— « Parlez franchement, parlez, lui répondit sa femme ; quel motif avez-vous de me cacher votre cœur ? quel motif avez-vous de me cacher votre cœur ? Vous n’êtes pas raisonnable d’agir de la sorte.

— « Je voudrais, en vérité, ma femme, je voudrais, répondit-il, marier avec son bon maître notre fille Corentine ; marier avec son bon maître notre fille Corentine, parce qu’il est honnête homme et qu’il aime Dieu par dessus tout.

— « Dieu soit béni ! répondit la dame ; il y a longtemps que ce désir est dans mon cœur; il y a longtemps que ce désir est dans mon cœur, mais je n’osais pas vous en parler. »

Ils demandèrent alors à leur fille si elle consentait à prendre le jeune homme pour son époux et son maître.

— « Que votre volonté soit faite, répondit-elle ; je ne désire que ce que vous désirez vous-mêmes. »

Tous ses parents donnèrent leur consentement, à l’exception d’un oncle, qui en conçut de la malice et de la haine. Malgré tout, le mariage eut lieu, pour la plus grande gloire de Dieu.

Un an après, ou environ, l’oncle, furieux de voir sa nièce enceinte, chercha les moyens de se venger de son mari, qu’il ne pouvait souffrir.

Un jour, il dit traîtreusement à son neveu :

— « Voulez-vous chasser au bord de la mer ? Le temps est beau et propice pour la chasse au lièvre ; accompagnez-moi, mon ami, dans les champs les plus voisins. »

Quand ils furent près de la mer, le méchant oncle y jeta son neveu, par une infâme trahison. Ô rage horrible de la haine ! quelle cruauté. Seigneur, et quelle ingratitude !

Le jeune homme se mit à pleurer et à crier :

— « Ô seigneur saint Corentin, venez à mon secours ! ô seigneur saint Corentin, venez à mon secours ! et vous aussi, mon divin maître Jésus, et vous, sainte Vierge Marie ! »

Heureux est celui qui met son espoir en Dieu ; au milieu des plus grands dangers, il trouve assistance. Le jeune gentilhomme se sentit soutenu au-dessus des vagues de la mer, il ne savait comment.

En peu de temps, le pauvre jeune homme fut ainsi conduit jusqu’à une île, auprès de Douarnenez, et là il ne rencontra d’autre secours, d’autre consolation que Dieu, qui était toujours dans son cœur.

Abandonné de la sorte, au milieu de la mer, sans trouver personne qui pût lui venir en aide, il s’écria :

— « Ô mon père saint Corentin, ô glorieux saint Corentin, voyez votre fils comme il est en danger ! Ne viendrez-vous pas à son secours ? »

Ô charité admirable de saint Corentin ! Nuit et jour il envoya à son fils bien-aimé une nourriture précieuse, pendant cinq années entières.

De plus, pendant tout ce temps, la sainte Vierge lui envoya, chaque nuit, par l’entremise d’un ange, un beau piler[2] pour le consoler. Ô miséricorde digne de nos louanges !

Quand il eut ainsi passé cinq ans dans cette île, saint Corentin parla de la sorte à son ami :

— « C’est pour la dernière fois que je vous donne à dîner ; la nuit prochaine, vous souperez dans votre propre maison. »

Puis le saint prélat lui fit ses adieux. Il se mit alors à pleurer avec une douleur sincère et à dire :

— « Adieu, mon père, adieu, mon bienheureux père ; je vous remercie mille fois. Quand pourrai-je vous revoir ? »

Environ trois heures après, il vit venir un vieillard, qui marchait sur la mer comme sur la terre ferme, et ce vieillard lui dit :

— « Que me donnerez-vous, et, avec l’aide de Jésus-Christ, je vous tirerai de là ?

— « Je promets de donner à Dieu et à vous-même, mon ami, mon manoir et tout ce que je possède ; voici cinq ans que je n’ai vu ma femme, et que je n’ai reçu de consolation de personne autre que mon divin Jésus.

— « Vous me promettez trop, répondit le vieillard ; je ne vous demande que la moitié de vos biens. Montez sur mon dos, et, avec le secours de Dieu, je vous déposerai, avant la nuit, en sûreté sur le rivage. »

Et, en peu de temps, il fut rendu auprès de ceux qu’il souhaitait de revoir depuis longtemps. Le vieillard lui fit alors ses adieux, en disant :

— « Adieu, je reviendrai un jour vous voir. »

Alors le gentilhomme rencontra deux pages. C’étaient deux anges, qui le conduisirent avec deux flambeaux tout droit à sa maison, parce qu’il en avait oublié le chemin.

Quand il fut arrivé près de sa maison, ses deux conducteurs disparurent, ce qui l’étonna. Il entra dans le manoir si ardemment désiré, impatient de revoir sa femme.

Avant son entrée, sa femme désolée se plaignait ainsi, dans sa douleur :

— « Où êtes-vous, en ce moment, ô mon fidèle époux ? Ne vous verrai-je pas une dernière fois avant de mourir ? »

Au moment où elle se désolait ainsi, son mari, qu’elle appelait tous les jours, entra soudain. Elle courut à lui et s’écria :

— « N’êtes-vous pas mon mari ? Hélas ! j’avais grand peur que vous ne fussiez à jamais perdu ?

— « Remercions Dieu, lui dit-il, de m’avoir préservé, dans les dangers de mort où je me suis souvent trouvé, pendant cinq ans. J’ai toujours mi ma confiance en Dieu, qui m’a protégé nuit et jouir. »

Comme ils parlaient ainsi, son petit enfant courut à son père, quoiqu’il ne l’eût jamais vu ; il lui sauta au cou, en disant :

— « Mon père chéri, soyez le bienvenu, et louons d’abord Dieu de votre retour ! »

Alors vinrent les serviteurs de la maison, puis les gentilshommes et les habitants du voisinage ; tous étaient heureux et se réjouissaient du retour du gentilhomme.

Sa femme lui demanda alors où il avait été.

— « Que Dieu soit loué à jamais, répondit-il ; que Dieu soit loué à jamais de m’avoir, pendant cinq ans, préservé au milieu de mille dangers !

« Mon oncle, sous prétexte de m’emmener à la chasse, me jeta dans la mer. Alors je me mis à crier : Glorieuse Vierge Marie, et vous, saint Corentin, souvenez-vous de votre fils, ayez pitié de moi !

« Aussitôt je fus conduit dans une île par quelque chose qui me soutenait au-dessus des flots. Là, pendant cinq ans, un saint prêtre m’a visité tous les jours, et pourvu de tout ce qui est nécessaire pour vivre.

« Enfin, j’ai été retiré de cette île par un vieillard, et je lui ai promis la moitié de nos biens. Voilà comment j’ai été préservé au milieu des plus grands dangers, et Dieu en soit loué ! »

Alors la compagnie, ayant entendu cela, loua la grande charité de Jésus, fils de Dieu. Puis il y eut fréquemment des banquets, chez les amis du seigneur, pour fêter son retour.

Environ un an après, le vieillard vint réclamer du seigneur la récompense qui lui avait été promise ; il vint réclamer la récompense qui lui avait été promise par le seigneur, quand il le retira du milieu de la mer.

Il parla de la sorte au gentilhomme :

— « Vous rappelez-vous votre promesse ? Vous rappelez-vous la promesse que vous m’avez faite ? Il faut la tenir ; je vais vous attendre dans la chapelle du manoir. »

Le gentilhomme apporta aussitôt la moitié de ses biens. Mais le vieillard lui dit alors :

— « À quoi songez-vous donc, et où sont vos promesses ?

— « Mon père, répondit-il, voici la moitié de mes biens, et je ne vous cache rien ; tout est là devant vous. Je ne vous cache rien ; tout est là devant vous, et j’aimerais mieux mourir que vous tromper.

— « Vous avez aussi un joli petit enfant ; amenez-le devant moi, car je désire le voir, avant de m’en aller ; je désire le voir, avant de m’en aller, car je vous aime, et j’aime aussi votre enfant. »

Quand le jeune enfant eut été amené par sa mère, le vieillard reprit :

— « Seigneur, vous m’avez promis la moitié de tous vos biens, et votre enfant est la meilleure part de tout ce que vous possédez ; il faut tenir votre promesse et me donner ma part de l’enfant. »

Alors la mère s’écria :

— « Qu’allez-vous faire ? Vous allez mettre à mort mon bel enfant, mon fils chéri ? Ah ! prenez plutôt tout ce que nous possédons, seigneur ; prenez tout, et laissez-moi mon fils !

— « Madame, reprit le vieillard, consolez-vous, et cessez de pleurer de la sorte ; votre mari a promis à Dieu la moitié de tout ce qu’il possède ; Abraham a été sur le point de sacrifier son fils : obéissez à Dieu, et buvez la coupe. »

Ayant ainsi parlé, il tira un couteau. À cette vue, la mère s’évanouit et tomba par terre ; la mère s’évanouit et tomba par terre, et le père, inquiet, ne pouvait retenir ses larmes.

Au moment où le vieillard allait frapper l’enfant, un dame entra soudain, et, après elle, un évêque rempli de majesté :

— « Arrête, vieillard ! s’écria-t-il, car Dieu ne leur demande que leur bonne volonté. »

Alors la mère revint à elle, et l’évêque lui dit :

— « Retirez-vous un peu dans votre chambre, et laissez-nous avec votre mari et votre fils, car nous avons quelque chose à leur dire ; dans un moment, vous viendrez les rejoindre. »

Alors la grande dame parla de la sorte au seigneur :

— « Me reconnaissez-vous, seigneur ? regardez-moi, et regardez encore.

— « Hélas ! excusez-moi, madame ; jamais de ma vie je n’eus l’honneur de vous voir avant aujourd’hui.

— « Avez-vous donc oublié que vous prîtes jadis la Mère de Dieu pour votre mère, de préférence à toutes les autres saintes ? Je suis la Mère de Dieu, et vous viendrez, sans tarder, votre fils et vous, nous voir au paradis. »

Alors l’évêque parla aussi de cette façon :

— « Me reconnaissez-vous, seigneur ? parlez franchement.

— « Excusez-moi, monseigneur ; jamais je n’eus l’honneur de vous voir avant aujourd’hui.

— « Avez-vous donc oublié que vous prîtes jadis saint Corentin pour votre père ? Je suis saint Corentin, et, sans tarder, il vous faudra venir avec moi au paradis, vous et votre jeune fils. »

Et le vieillard lui dit aussi, à son tour :

— « Savez-vous qui je suis ? »

— « Excusez-moi, répondit-il ; je n’ai pas l’honneur de vous avoir jamais vu ailleurs que sur la mer.

— « Je suis le malheureux dont vous avez fait enterrer le corps avec les trente écus que vous avez donnés à sa femme. Pour récompense de votre charité, vous viendrez, sans tarder, votre fils et vous, me rejoindre au paradis[3]. »

Quand le seigneur et son jeune fils entendirent cela, ils tombèrent morts sur la place, et saint Corentin et la Vierge Marie les conduisirent tout droit au paradis.

Ô jeune homme heureux mille fois d’avoir pris saint Corentin pour père et de l’avoir toujours aimé ! Vous avez été heureux dans votre vie et heureux dans votre mort d’avoir mis en lui votre confiance.

Peu de temps après, la dame revint et trouva son mari et son fils morts ; elle trouva son mari et son fils morts ; ô douleur, ô crève-cœur sans égal !

Nul ne saurait dire l’étendue de sa douleur. Le cœur lui faillit et, sans pouvoir prononcer un seul mot, elle tomba sur le corps de son fils, comme si elle était morte elle-même.

Quand elle revint à elle :

— « Malheur à moi ! s’écria-t-elle ; que vois-je, ô glorieuse Vierge Marie ? Je ne puis leur survivre dans ce monde ! Hélas ! mon mari et mon fils bien-aimés sont donc morts !

« Que ferai-je, mon Dieu ? Comment vivre, à présent ? Ma vie et mon cœur me sont arrachés ! Sainte mère de miséricorde, ô mère des veuves, venez au secours d’une pauvre veuve abandonnée !

— « Consolez-vous, madame, et prenez patience ; ne pleurez pas ainsi ; la sainte Vierge et saint Corentin, et les anges du ciel ont porté votre mari et votre fils au paradis. »

Peu de temps après, lorsque son mari et son fils eurent été enterrés, dans le même tombeau, pleine de mépris pour ce monde et ses vanités, elle se retira dans un couvent, pour y faire pénitence.

Allons ! chers Bretons, soyez gens de cœur ; honorons saint Corentin, et prions-le de bon cœur. Celui qui lui sera dévot dans ce monde sera secouru par lui à son heure dernière.




  1. Ce cantique, ou plutôt ce conte, ainsi que le morceau suivant, est composé en vers bretons de douze syllabes et divisé par couplets de quatre vers. Ma traduction est littérale et reproduit la division par couplets. Ces deux pièces sont extraites de Hent ar Baradoz (le Chemin du paradis), du père Maunoir, publié à Brest, en 1734, chez la veuve Malassis. L’ouvrage du père Maunoir est devenu assez rare aujourd’hui et n’est guère connu que des Bretons bretonnants. Les deux morceaux que nous lui empruntons sont donc inconnus à la plupart de nos lecteurs. Nous leur reconnaissons encore un autre titre pour figurer dans un recueil tel que le nôtre : c’est qu’ils tiennent plus de la légende et du conte que de l’histoire.
    Bertrand de Rosmadec fut évêque de Quimper de 1416 à 1445.
  2. Je ne sais ce que peut signifier ce mot piler. Je trouve bien dans les dictionnaires bretons : le Catholicon de Lagadeuc, Dom Le Pelletier et Troude, piler, pilier, colonne ; mais est-ce bien cela ? Je ne le crois pas.
  3. Cet épisode du mort que l’on fait enterrer et qui vient ensuite à l’aide du héros du récit, dans le danger et les épreuves auxquelles il est soumis, se rencontre fréquemment dans les contes populaires.