Légendes chrétiennes/La destinée

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VIII


la destinée.



Il y avait une fois un frère et une sœur qui demeuraient à plus de cinq cents lieues l’un de l’autre. Ils avaient été tous les deux, chacun dans le pays qu’il habitait, se faire dire la bonne aventure, et on leur avait prédit qu’ils auraient chacun un enfant, la sœur un garçon, et le frère une fille. On leur prédit de plus que leurs deux enfants seraient mariés l’un à l’autre, malgré la distance qui les séparait. Et ils se dirent tous les deux que cela ne serait pas, car ils ne s’aimaient point.

Le frère se maria, et la sœur aussi, sans se faire part l’un à l’autre de leur mariage, et ils eurent chacun un enfant, comme le leur avait annoncé le devin, c’est-à-dire que le frère eut une fille, et la sœur un fils.

Quand la fille fut parvenue à l’âge de douze ans, son père l’enferma dans une tour, avec une servante, et personne autre que lui-même n’y allait jamais la visiter. Il avait toujours dans ses poches les clés de la tour.

Le jeune garçon fut envoyé à l’école, quand il eut dix ans. Son père vint à mourir pendant qu’il était encore à l’école, et on lui écrivit de venir à la maison.

Son père était inhumé quand il arriva. Il alla prier sur sa tombe, dans le cimetière, et y resta si longtemps, qu’il finit par s’endormir sur la dalle funéraire. Il vit, pendant son sommeil, comme deux belles vierges qui descendirent du ciel auprès de lui. Et il les entendit qui se disaient l’une à l’autre :

— Voici un jeune homme bien beau et bien sage : où lui trouverons-nous une femme digne de lui ?

— Moi, répondit l’autre, je connais une jeune fille bien belle et bien sage aussi, qui est renfermée dans une tour, à plus de cinq cents lieues d’ici, et que Dieu a mise sur la terre pour être la compagne de ce beau jeune homme. Portons-le auprès d’elle.

Et les deux vierges (génies) prirent le jeune homme, s’élevèrent avec lui en l’air et allèrent le déposer auprès de la jeune fille, dans son lit. Puis, les contemplant couchés l’un auprès de l’autre, ils se disaient :

— Le beau couple ! laissons-les ensemble jusqu’à demain matin.

Et elles s’en allèrent.

Le lendemain matin, quand le jeune homme se réveilla, il se retrouva sur la tombe de son père, dans le cimetière. Il retourna à la maison, en songeant à ce qui lui était arrivé, persuadé que c’était un rêve, et il conta tout à sa mère.

— C’est un songe, mon fils, lui répondit sa mère.

Cependant, elle pensa à ce qui lui avait été prédit, quand elle s’était fait dire la bonne aventure.

La nuit suivante, pendant que la jeune fille était couchée dans son lit, dans la tour, à plus de cinq cents lieues du jeune homme, les deux vierges (génies) descendirent aussi dans sa chambre et l’enlevèrent et la transportèrent, à travers l’air, dans le lit de son cousin, puis s’en allèrent, en les laissant tous les deux couchés à côté l’un de l’autre.

Le lendemain matin, le jeune homme s’éveilla le premier, et il fut bien étonné de trouver une jeune fille couchée à ses côtés, dans son lit. Il la reconnut facilement pour être la même qu’il avait vue, la nuit précédente. Comme il ne descendait pas de sa chambre, à son heure ordinaire, sa mère y monta, craignant qu’il fût malade. Quand elle vit son fils couché avec une jeune fille dans son lit, elle s’emporta et frappa la fille, et la renferma dans une prison noire, avec un peu de pain d’orge et un pot d’eau.

Cependant, les parents de la jeune fille étaient inconsolables de voir qu’elle avait disparu. Ils firent faire des recherches, de tous côtés ; mais ce fut en vain : personne ne l’avait vue.

Le père se souvint de la prédiction de la diseuse de bonne aventure, et il partit pour se rendre auprès de sa sœur. Il y retrouva sa fille. Le frère et la sœur pensèrent alors que, malgré tous leurs efforts, ce qui était marqué par Dieu s’accomplirait toujours, et ils firent la paix, et les deux jeunes gens furent mariés ensemble, puisqu’il est vrai que Dieu les avait mis sur la terre pour être unis, en dépit de tous les obstacles.

Il faut que la destinée de l’homme s’accomplisse comme Dieu l’a décidé, et tous les efforts pour y résister sont inutiles[1].



  1. Ce conte doit être d’origine orientale. Le procédé qui y est employé pour faire voyager les personnes par les airs, à leur insu, semble imité du conte des Mille et une NuitsLa Lampe d’Aladdin — où l’on voit un génie qui transporte de la même manière la princesse Badroulboudour du lit de son époux dans celui d’Aladdin. — Un épisode semblable se trouve aussi dans le Prince Camaralzaman, du même recueil.