Légendes chrétiennes/Le brigand sauvé avant l’ermite

La bibliothèque libre.


IV


le brigand sauvé avant l’ermite.



Il y avait une fois un ermite qui vivait dans un bois et qui y faisait rude pénitence. Son habitation était sous un grand rocher, et il passait presque tout son temps en prière. Il n’avait pour toute nourriture que des racines d’herbes et quelques fruits sauvages. De temps en temps, un chasseur qui passait lui donnait quelque morceau de pain ; mais cela n’arrivait pas souvent. Il vivait ainsi séparé complètement du monde. Son bon ange venait tous les jours le visiter dans sa solitude.

Un jour qu’il n’avait rien mangé depuis vingt-quatre heures et qu’il n’avait pas de provisions, il voulut sortir pour aller chercher quelque chose dans le bois. Mais il pleuvait à torrent, de sorte que, ne pouvant sortir de dessous son rocher, il dit avec un peu d’humeur :

— Quel mauvais temps !

Et il lui fallut passer encore la journée sans manger. Mais, ce jour-là, son bon ange ne vint pas lui faire sa visite ordinaire, ni le lendemain non plus, de sorte qu’il en était très-inquiet, et il se disait en lui-même :

— Que signifie donc ceci ? Pourquoi mon bon ange ne vient-il plus me visiter ? Pourtant je ne crois pas avoir rien fait de mal, ni lui avoir donné lieu d’être mécontent de moi.

Huit jours se passèrent, et le bon ange n’était pas revenu. Le pauvre ermite en était inconsolable. Le neuvième jour, le bon ange vint enfin, et le solitaire lui dit :

— Mon Dieu, mon bon ange, voici le neuvième jour que vous n’êtes pas venu me voir ! Comme j’ai trouvé le temps long ! Qu’est-ce qui est donc cause que vous ne veniez plus ?

— Hélas ! je ne dois plus revenir ! répondit l’ange avec tristesse.

— Pourquoi donc, mon Dieu ?

— Parce que vous avez dit, un jour, que le temps était mauvais. Dieu fait le temps comme il lui plaît, et tout ce qu’il fait est bien fait ; il ne faut donc jamais trouver à redire à ce qu’il fait. Votre pénitence et votre peine en ce monde étaient sur le point de finir ; mais, à présent, le terme est reculé, et il vous faudra encore prier et souffrir. Donnez-moi votre bâton.

L’ermite donna son bâton à l’ange, et celui-ci le planta en terre et dit ensuite :

— Trois fois par jour, au lever du soleil, à midi et au coucher du soleil, il vous faudra arroser ce bâton, sec depuis bien longtemps, avec de l’eau que vous apporterez dans votre bouche, de la rivière qui coule au bas du bois, à une lieue d’ici, et vous ne cesserez de l’arroser de la sorte que lorsque vous le verrez fleurir. Alors je reviendrai vous voir, et vous viendrez avec moi au ciel !

L’ange s’envola aussitôt, et le pauvre vieillard se mit à pleurer et à prier Dieu.

Il y avait déjà longtemps qu’il arrosait son bâton, comme le lui avait recommandé l’ange, et tous les jours il s’attendait à le voir fleurir, et il avait constamment les yeux sur lui. Un jour qu’il allait, selon son habitude, puiser de l’eau à la rivière, il rencontra un brigand fameux dans le pays et qui avait assassiné, violé, incendié, et fait tout le mal possible.

— Où allez-vous de la sorte, mon père l’ermite ? lui demanda le brigand.

— Je vais chercher de l’eau à la rivière.

— Mais je ne vous vois point de vase ; comment comptez-vous donc la rapporter ?

— Dans ma bouche, pour arroser mon bâton de houx, coupé dans ce bois depuis plus de dix ans, et que je ne dois cesser d’arroser de cette façon que lorsqu’il viendra à fleurir.

— Vous plaisantez sans doute, mon bonhomme, ou vous avez perdu la tête.

— Hélas ! je ne plaisante point ; mon bon ange m’a annoncé que ma pénitence et mes peines sur la terre ne finiront que lorsque je verrai fleurir mon bâton.

— Quels crimes si grands avez-vous donc commis pour être condamné à une pénitence si dure ?

— Hélas ! un jour que je n’avais pas mangé depuis vingt-quatre heures, et que je voulais sortir de dessous mon rocher pour chercher quelque chose dans le bois, comme il pleuvait à torrent, je dis avec un peu d’humeur ces mots seulement : « Quel mauvais temps ! » Et en parlant ainsi, j’offensai Dieu, parce que tout ce que Dieu fait est bien fait.

— Une pénitence si dure pour si peu de chose ! s’écria le brigand ; et moi donc, qui ai fait tout le mal et tous les crimes possibles, je ne pourrai jamais être sauvé, à ce compte-là !

— La bonté de Dieu est infinie, répondit l’ermite.

— Vous pensez, mon père, qu’elle est assez grande pour me pardonner encore ?

— Elle est grande par dessus tout.

— Alors je veux faire aussi pénitence comme vous.

Et le brigand planta aussi son bâton en terre et commença de l’arroser, trois fois par jour, comme le vieil ermite, avec de l’eau qu’il rapportait dans sa bouche de la rivière qui coulait à une lieue de là. Et il priait et jeûnait, et se macérait le corps, sans pitié.

Il y avait déjà longtemps qu’ils vivaient tous les deux de cette façon. Le vieil ermite s’attendait à voir fleurir son bâton bien avant celui du brigand, et comme il ne fleurissait pas assez vite, à son gré, il s’impatientait et murmurait parfois. Le brigand, au contraire, ne regardait pas son bâton, ne s’attendant pas à le voir fleurir de si tôt, et il priait constamment, les yeux et les mains levés vers le ciel.

Mais voilà que son bâton vint à fleurir, un jour, sans qu’il s’en aperçût, et il continuait toujours de l’arroser. Si bien que l’ermite lui dit :

— Regardez votre bâton : il a fleuri !

Mais il ne croyait pas, et il priait toujours, les yeux levés vers le ciel. Son bon ange descendit alors auprès de lui et lui dit :

— Venez, homme de foi, venez avec moi recevoir votre récompense dans le ciel !

Et ils montèrent tous les deux au ciel.

Le bâton du vieil ermite finit aussi par fleurir, mais plus tard, parce que son repentir et sa douleur n’étaient pas aussi sincères et aussi vifs que ceux du brigand.

C’est ainsi que l’on ne doit jamais désespérer de la clémence de Dieu, quelque grands et nombreux que soient les péchés et les crimes que l’on a commis.

Cf. le Brigand Madey, dans : Contes des paysans et des pâtres slaves, de M. Alexandre Chodzko, et la Sainte orpheline, conte basque de Webster.