Légendes chrétiennes/Le petit pâtre qui alla porter une lettre au paradis

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VII


le petit pâtre qui alla porter une lettre au paradis.

(PREMIÈRE VERSION).



Il y avait une fois un petit pâtre (les petits pâtres sont tous de petits saints, dit-on) qui allait tous les jours garder ses moutons sur une grande lande. Pour se distraire et trouver le temps moins long, il chantait tout le long du jour des soniou et des cantiques, et les prières qu’il entendait chanter chaque dimanche, à la grand’messe, dans la vieille église de sa paroisse.

Un jour, comme il était à jouer et à chanter, selon son habitude, il vit venir à lui un vieil homme à la barbe longue et blanche, et qui avait fort bonne mine.

— Ton petit cœur est bien joyeux, mon enfant, lui dit le vieillard ; que chantes-tu de la sorte ?

— Ma prière, répondit l’enfant.

— Cela est très-bien, mon enfant ; mais voudrais-tu faire une commission pour moi ?

— Je ne puis pas délaisser mes moutons, car, s’il en disparaissait quelqu’un, je serais bien grondé, ce soir, en rentrant à la maison.

— Tu peux être sans crainte à cet égard, mon enfant ; je resterai à garder ton troupeau pendant ton absence.

— Alors, je veux bien faire votre commission, si je le puis, reprit l’enfant ; qu’est-ce que c’est ?

— Aller porter cette lettre au bon Dieu.

Et en même temps le vieillard lui montrait une lettre.

— Oui, mais je ne sais pas où je trouverai le bon Dieu.

— Dans le paradis, mon enfant.

— Dans le paradis !... Mais j’ai entendu dire que nul ne peut aller au paradis avant d’être mort.

— Toi, tu pourras y aller avant de mourir, si tu veux.

— Alors, je ne demande pas mieux que d’y aller ; mais par où est la route ?

— Tiens, prends d’abord le chemin étroit et montant que tu vois là-bas ; — et il lui montrait le chemin du doigt. — La route est difficile, inégale, pierreuse et remplie d’orties, de ronces et d’épines ; il y a aussi des vipères, des crapauds, des sourds, et toutes sortes de reptiles venimeux et hideux. Mais ne t’effraie pas pour les voir baver et les entendre siffler autour de toi ; marche toujours avec courage, et tu arriveras bientôt à une clôture de pierre, qui barre la route ; tu franchiras cette clôture. Mais ne regarde pas derrière toi avant de l’avoir franchie, quoi que tu puisses entendre, ou tu es perdu. Quand tu auras passé cette barrière, tu te trouveras au pied d’une haute montagne, et il te faudra gravir jusqu’au sommet de cette montagne, à travers les orties, les ronces et les épines, qui sont si fournies et si pressées, à sa base, qu’à peine si un lièvre pourrait y passer. Si tu peux arriver jusqu’au sommet de la montagne, tu verras là un beau château dont les murailles, toutes d’or et de pierres précieuses, t’éblouiront. Mais tu n’auras qu’à frapper à la porte de ce beau château, et aussitôt saint Pierre t’ouvrira, car c’est là le paradis. Tu présenteras ta lettre à un vieillard à barbe blanche et qui me ressemble, que tu verras là aussi, et il te dira ce qu’il te faudra faire ensuite. Dis-moi encore, es-tu bien décidé à entreprendre le voyage, à présent que tu sais que le chemin est difficile ?

— Oui, j’y suis bien décidé, et il n’est pas de travail ni de mal si durs que je ne sois prêt à les affronter, pour voir le paradis et le bon Dieu. Donnez-moi votre lettre.

Le jeune pâtre partit avec la lettre, après avoir fait le signe de la croix et en disant : À la grâce de Dieu ! et le vieillard resta auprès de son troupeau. L’enfant était plein de courage. Il entra sans hésiter dans le chemin étroit et montant, plein de ronces, d’épines et de reptiles hideux et venimeux. Ses pieds et ses jambes furent bientôt tout en sang. Les reptiles sifflaient, menaçants, et sautillaient des deux côtés du chemin ; et derrière lui il entendait un bruit épouvantable, comme si la mer en fureur était sur ses talons, près de l’engloutir. Malgré tout cela, il avançait toujours, sans détourner la tête. Mais, hélas! les forces commençaient à lui manquer, et il allait tomber à terre, quand, heureusement, il posa la main sur la clôture de pierre et la franchit avec beaucoup de peine. Quand il fut de l’autre côté, il jeta un regard derrière lui et vit le chemin rempli de feu et de démons, et de toutes sortes de monstres horribles, menaçants et grinçant des dents.

Il poursuivit sa route et, un moment après, il se trouva au pied de la montagne dont lui avait parlé le vieillard. Mais, hélas! les ronces et les épines étaient si nombreuses et si pressées en cet endroit qu’il se dit avec désespoir :

— Jamais je ne pourrai passer par là ! J’essaierai pourtant, dussé-je y mourir !

Il réussit à passer, malgré tout. Mais il n’avait plus que quelques lambeaux de vêtements sur le corps ; il était presque nu. Il commença néanmoins de gravir la montagne. Des petits enfants, aussi nombreux et aussi serrés qu’une fourmilière, montaient aussi, et au moment d’atteindre le sommet, ils roulaient jusqu’au bas, ayant chacun à la main une poignée d’herbe arrachée. Puis aussitôt ils se remettaient à monter, et roulaient encore de nouveau, et aucun d’eux ne pouvait mettre le pied sur le sommet de la montagne. Cela étonnait fort le jeune pâtre, et il se disait :

— Que signifie donc ceci ? Est-ce que je vais rouler aussi jusqu’en bas, comme ces pauvres enfants, au moment d’atteindre le but ?

Avec beaucoup de peine, il parvint jusqu’au sommet de la montagne, et, comme il était fatigué et qu’il n’en pouvait plus, il s’assit, pour se reposer un peu, sur le gazon fleuri. Il sentit aussitôt ses forces renaître, comme par enchantement, et il se remit à marcher. Il vit bientôt un beau château tout resplendissant de lumière, au milieu d’une grande prairie pleine de belles fleurs parfumées et de jolis oiseaux, qui chantaient gaîment. Une haute muraille d’argent l’entourait. Dans cette muraille, il y avait une porte avec un marteau. Il frappa sur la porte avec le marteau, et elle s’ouvrit, et un grand vieillard à barbe longue et blanche lui demanda :

— Que demandez-vous, mon enfant ?

— Le bon Dieu, s’il vous plaît.

— Que lui voulez-vous, mon enfant ?

— On m’a chargé de lui apporter une lettre au paradis.

— Donnez-moi votre lettre, et je la lui remettrai.

— Excusez-moi, mais je voudrais la lui remettre moi-même.

— Ici, mon enfant, il n’entre pas de personnes en vie.

Et le portier du paradis se disposait à lui fermer sa porte au nez, quand le bon Dieu, qui était venu rendre visite à son vieil ami saint Pierre et causer avec lui dans sa loge, dit :

— Laisse entrer cet enfant, Pierre ; je sais qui me l’envoie.

Et le jeune pâtre entra, et il remit la lettre au bon Dieu, en propres mains.

Celui-ci l’ouvrit, fit semblant de la lire, quoiqu’il sût bien ce qu’elle contenait, puis il dit :

— C’est bien, mon enfant ; vous avez eu beaucoup de mal à venir jusqu’ici, n’est-ce pas ?

— Oh ! oui, j’ai eu du mal !

— Venez, que je vous fasse voir ma maison.

Et le bon Dieu lui fit voir de belles salles et de beaux jardins remplis de belles fleurs parfumées et d’oiseaux aux chants harmonieux, et d’anges blancs qui chantaient aussi en s’accompagnant sur des harpes d’or ; il lui fit voir encore les vieux saints et les saintes de son pays de Basse-Bretagne, couronnés de gloire ; et les apôtres et les prophètes, qui se promenaient, en devisant entre eux, au milieu de beaux parterres de fleurs, et sous les arbres chargés de fruits d’or et d’oiseaux chantants. Tous ils étaient joyeux et radieux de lumière, et l’enfant ne pouvait se rassasier de les contempler, si bien que le bon Dieu lui dit :

— Allons ! mon enfant, retournez, à présent, vers celui qui vous a envoyé ici avec une lettre pour moi ; je crains qu’il ne s’impatiente de vous attendre, car il y a cent ans que vous êtes parti de là-bas.

— Jésus, est-ce possible ? Cent ans ! Il me semble qu’il n’y a pas seulement une heure !

— Il y a cent ans, mon enfant.

Et lui présentant une lettre :

— Voici une lettre que vous remettrez au vieillard qui vous a envoyé vers moi, et, sans tarder, vous reviendrez me voir, et alors ce sera pour rester avec moi, à tout jamais.

L’enfant prit la lettre et partit à regret. Comme il descendait la montagne, il vit une multitude de gens de toute condition qui montaient, et tous paraissaient contents et heureux, et le remerciaient en passant. Il ne savait pas ce que cela signifiait, et il en était très-étonné. Il parvint, sans aucune peine, cette fois, auprès du vieillard, qui surveillait toujours son troupeau, et il lui remit la lettre.

— Te voilà donc de retour, mon enfant ? lui dit le vieillard.

— Oui, grâce à Dieu, répondit l’enfant.

— Tu as été bien longtemps.

— Vous trouvez, mon père ? Moi, je ne le trouve pas.

— Si, mon enfant, tu as été plus de cent ans. Mais, peu importe. As-tu vu le bon Dieu ?

— Oui, vraiment, mon père, je l’ai vu, et il m’a même fait visiter son paradis, où j’ai vu de bien belles choses !

Et il essaya de raconter et de décrire une partie de ce qu’il avait vu. Puis il demanda au vieillard :

— Mais, dites-moi aussi, grand père, ce que signifient le feu que j’ai vu et le bruit épouvantable que j’ai entendu, derrière moi, en allant, dans le chemin étroit et difficile.

— C’est là, mon enfant, le purgatoire, et le feu, le bruit, les reptiles hideux et venimeux, c’étaient des artifices de l’esprit du mal cherchant à te faire revenir sur tes pas. Mais, grâce à Dieu, tu as triomphé de ses pièges.

— Et les pauvres petits enfants qui grimpaient avec moi sur la montagne et qui roulaient jusqu’au bas, au moment d’atteindre le sommet ?

— Ce sont des enfants morts sans avoir été baptisés. Ils entendent les chants des anges, et ils voudraient aller aussi au paradis avec eux ; mais, hélas ! ils ne peuvent pas jouir de la vue de Dieu, parce qu’ils n’ont pas reçu l’eau du baptême. Ils ne souffrent pas pourtant.

— Et les gens de toute condition qui gravissaient la montagne quand j’en descendais, et qui me saluaient et me remerciaient en passant ?

— Ce sont de pauvres âmes que tu as délivrées du purgatoire, quand tu y as passé, pour les avoir seulement touchées, sous la forme des ronces et des épines qui te déchiraient le corps, et qui allaient au paradis.

— Oh ! oui, j’ai beaucoup souffert dans mon voyage ; voyez, mon père, comme mes pieds, mes mains et tout mon corps sont couverts de sang et de plaies ; mais rien que la vue du paradis m’a vite fait oublier tout cela.

— Hélas ! mon pauvre enfant, le chemin du paradis est étroit et difficile ; mais puisque tu l’as déjà fait une fois, tu y repasseras, à présent, sans mal. Que ferais-tu, désormais, dans ce monde ? Tous tes parents sont morts depuis longtemps. Viens donc avec moi, car je suis ton père qui est au ciel !

Et le vieillard l’emmena avec lui au paradis, car ce vieillard-là était le bon Dieu lui-même !

Conté par Catherine Le Bêr, de Pluzunet, Côtes-du-Nord.)