Légendes chrétiennes/Une courte prière

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VII


une courte prière.



Il y avait une fois une jeune fille de Basse-Bretagne qui avait perdu son père et sa mère. Son nom était Franceza Ar Bail. Il ne lui était resté, pour tout bien, qu’une petite maison couverte de chaume, au bord de la route, un chat, une poulette blanche et un rouet à filer. Quoique pauvre, Franceza était toujours gaie et contente de son sort. Elle chantait continuellement, sur le seuil de sa porte, tout en tournant son rouet, et les passants s’arrêtaient pour l’écouter et causer avec elle.

— Bonjour, Franceza ! Votre cœur est bien gai ! Vous chantez comme un rossignol ! lui disait-on, et autres choses semblables.

Le dimanche, elle s’habillait proprement, coiffe blanche, frais tablier de berlinge, et elle allait à la grand’messe, au bourg, comme tout le monde. Les beaux jours venus, il n’y avait pas de danseuse plus légère et plus infatigable qu’elle, aux pardons et aux aires neuves. Son père, du temps qu’il vivait, était un ivrogne, un homme de désordre ; sa mère ne valait guère mieux, si bien que la pauvre enfant avait été assez mal élevée, et n’avait appris ni Pater ni Noster, comme on dit. Et pourtant, tous les matins, en se levant, et tous les soirs, avant de se mettre au lit, elle récitait une toute petite prière qu’elle avait composée elle-même. Voici cette prière :


 
Que Dieu bénisse ma maison et mon foyer !
Je mets mon lit sous la protection des vierges.
Le seuil de ma porte sous celle des apôtres[1] !


Et la nuit, les passants qui étaient un peu attardés voyaient douze hommes, qu’ils ne connaissaient point, debout au seuil de sa porte et comme en faction. Si bien que les mauvaises langues disaient que Franceza menait mauvaise vie et que c’étaient ses amoureux que l’on voyait ainsi autour de sa maison. De vilains bruits coururent sur elle dans le pays, et le recteur de la paroisse la fit appeler à son presbytère et lui parla ainsi :

— Comment, ma pauvre enfant, il court de bien vilains bruits sur vous, dans la paroisse !

— À quel propos donc, monsieur le recteur ? demanda Franceza, étonnée.

— On dit que, toutes les nuits, vous avez des amoureux plein votre maison.

— Qui donc, mon Dieu, peut parler de la sorte ? Tous les soirs, je ferme ma porte de bonne heure, et soyez certain, monsieur le recteur, que ce qu’on vous a dit n’est nullement vrai.

— Dites-vous vos prières matin et soir ?

— Mes parents, malheureusement, monsieur le recteur, ne m’ont pas appris mes prières ; et pourtant, chaque matin et chaque soir, je récite une petite prière que j’ai composée moi-même.

— Et quelle est cette prière, mon enfant ?

— La voici, monsieur le recteur :


Que Dieu bénisse ma maison et mon foyer !
Je mets mon lit sous la protection des vierges,
Le seuil de ma porte sous celle des apôtres !


— Cela suffit, mon enfant. Retournez à la maison ; continuez de réciter votre prière matin et soir, et ne faites pas grand cas de ce que dira le monde.

Quand la nuit fut venue, à l’heure où chacun doit être couché, le recteur se rendit lui-même et seul à la maison de Franceza. Arrivé auprès, il vit douze hommes debout au seuil de la porte. Il s’approcha néanmoins, et, à la clarté de la lune, il reconnut que c’étaient les douze apôtres. Toutes les nuits, ils venaient garder la maison de la jeune fille.

Ceci montre qu’une prière courte, mais dite de bon cœur, est plus agréable à Dieu que bien de longues prières, qui ne sont faites que du bout des lèvres seulement.





  1. Doue da vinnigo ann ti ac ann oaled,
    Ha ma gwele d’ar gwerc’hezed,
    Toul ma dor d’ann abostoled.