Léon Tolstoï, vie et œuvre/Partie 7/Chapitre 1

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Traduction par Jean-Wladimir Bienstock.
Mercvre de France (tome 3p. 115-128).


CHAPITRE I


LA DEUXIÈME PÉRIODE DE L’ACTIVITÉ PÉDAGOGIQUE



En automne 1869, Tolstoï termina le sixième volume de Guerre et Paix. Libre pour un nouveau travail, il se reprit d’intérêt pour la pédagogie, résolu à faire quelque chose de grand. La deuxième période de l’activité pédagogique de Tolstoï fut pour ainsi dire la conclusion et l’application des données acquises au cours de la première période de cette activité. Du reste il n’avait jamais cessé de s’intéresser à l’œuvre scolaire, suivant très attentivement tout ce qui se faisait dans le domaine de l’instruction populaire. Mais il était loin d’être satisfait de ce qu’il y voyait. Il fut ainsi amené à une nouvelle appréciation critique des méthodes d’enseignement alors en usage, et aussitôt libre il fut pris de désir de donner lui-même un guide pour l’enseignement, basé sur son expérience personnelle.

La première chose à faire c’était de composer un syllabaire et une chrestomathie, c’est-à-dire un manuel complet de langue russe pour les enfants et pour le peuple. Dans son journal de 1868, nous trouvons déjà les premiers essais du plan d’un syllabaire : « Le premier livre de lecture. Le syllabaire (pour la famille et l’école), accompagné d’une instruction aux maîtres, par le comte L. N. Tolstoï. 1869. » Et plus loin nous trouvons le plan du syllabaire, de la première édition, des exercices de lecture et d’arithmétique, et même un récit à la portée de la compréhension enfantine qui n’est entré dans aucune édition.

La première édition du syllabaire, parue en 1872, ne présente rien d’autre que le développement du plan projeté dès 1868 ; avec des exercices de lecture du slave et d’arithmétique, en plus.

En 1868, Tolstoï avait eu la visite de l’Américain Skyler, qui écrivit de très intéressantes pages sur cette rencontre avec le grand écrivain russe. Dans ses souvenirs, Skyler dit entre autres : « Tolstoï m’interrogea longuement sur les nouvelles méthodes usitées en Amérique, et sur sa demande je pus lui donner, grâce je crois à l’amabilité de M. Garrison, de la Nation, un bon choix de livres de lecture en usage dans les écoles primaires et élémentaires d’Amérique. Je me rappelle que dans l’un d’eux la prononciation des voyelles et des consonnes était indiquée par la forme extérieure des lettres, qui ressemblaient aux caractères ordinaires, mais avec quelques détails particuliers que l’on remarquait aussitôt. Tolstoï essaya d’utiliser ces livres pour composer son syllabaire, travail auquel il consacra beaucoup de temps[1]. »

Après le plan du syllabaire remontant à 1868, ni dans le journal, ni dans les lettres, nous ne trouvons aucune trace du travail jusqu’à l’automne 1871.

En 1869, Tolstoï se met à étudier le drame. Il lit Shakespeare, Goethe, Molière, et se prépare à lire Sophocle et Euripide. Il étudie le grec et l’apprend si vite qu’après quelques mois il peut lire Xénophon à livre ouvert. Il tombe malade, et va l’été à Samara, boire le koumiss. De retour de là, en automne, il s’attelle à son syllabaire et au livre de lecture.

La comtesse Tolstoï écrit à sa sœur, le 20 septembre 1871 :

« De nouveau nous nous occupons des livres d’enfants. Léon écrit, moi et V… recopions. Tout va très bien. »

Et de toute l’année Tolstoï n’abandonna pas ce travail assidu. La tâche était considérable. Outre la partie purement littéraire de traduction, d’adaptation et de composition de récits, Tolstoï voulait aussi composer des récits populaires sur les sciences naturelles, ce qui l’obligeait à lire une foule de manuels, à s’informer près des gens compétents, à faire lui-même la plupart des expériences qu’il voulait décrire. Ce qui l’intéressait surtout, c’était l’arithmétique, et il inventa de nouvelles démonstrations simplifiées des diverses opérations. Désirant aussi introduire dans ce recueil quelques notions d’astronomie, il étudiait cette science qui l’enchantait, et il passait des nuits entières à observer les étoiles. Il étudia aussi les diverses variantes des bylines et les résultats de cette étude furent les admirables adaptations qu’il nous a données de ces poèmes populaires et qui sont entrées dans le livre de lecture.

Tous ces exemples, ces explications, ces procédés étaient contrôlés par la pratique dans une école que Tolstoï organisa à cet effet, cette fois dans sa propre maison.

Une trentaine d’enfants y venaient ; l’enseignement était donné par Tolstoï et presque tous les membres de sa famille, même les aînés de ses enfants, qui avaient alors sept et huit ans.

Voici ce que la comtesse S. A. Tolstoï écrivait à sa sœur, au sujet de cette école :

« 3 février 1872. Nous avons résolu d’ouvrir une école après les fêtes, et maintenant, chaque jour, près de trente-cinq enfants viennent à la maison et nous leur donnons des leçons. Les maîtres sont, l’oncle Kostia, Léon, moi et même Serioja et Tania. Il est très difficile de faire la classe à dix enfants à la fois, mais en revanche c’est très gai et agréable. Nous nous sommes partagé les élèves, j’ai pris huit filles et deux garçons. Tania et Serge enseignent assez bien. En une semaine tous ont appris leurs lettres et les syllabes par le système phonétique. Nous faisons la classe en bas, dans le vestibule, qui est immense, dans la petite salle à manger, sous l’escalier et dans le nouveau cabinet de travail. Ce qui surtout nous pousse à enseigner la lecture et l’écriture c’est le grand besoin que nous en sentons ; et tous apprennent avec plaisir et bonne volonté. »

« 19 mars 1872. L’école existe toujours et marche bien. Les petits paysans apportent à nos enfants diverses machines faites au village : tantôt des petits morceaux de bois coupés régulièrement, tantôt des oiseaux en pâte noire. Après les leçons ils portent Tania sur les bras. Parfois ils font beaucoup de tapage ; mais presque tous ont appris à lire assez bien. »

« 6 avril 1872. Chaque matin je fais travailler mes enfants. L’après-midi l’école se réunit. C’est très difficile d’enseigner ; mais abandonner maintenant ce serait dommage. L’étude a marché si bien : tous lisent, écrivent, pas parfaitement, mais assez bien. Encore quelque temps et ils ne l’oublieront de leur vie[2]. »

Enfin le syllabaire composé avec tant de travail et d’ardeur est prêt, en brouillon tout au moins, et Tolstoï commence à le donner à l’imprimerie. Il voulait la discussion publique la plus large de la méthode qu’il proposait, et il avait l’intention de présenter son syllabaire à l’exposition pédagogique qui devait s’ouvrir à Moscou, le 30 mai 1872. Mais ce projet ne put se réaliser par suite d’un retard typographique, dû à la difficulté de la composition. Tolstoï en fut très attristé. La besogne était très difficile, personne ne pouvait le suppléer dans cette lâche, et cependant il commençait à éprouver la fatigue du surmenage. N. N. Strakov vint à son aide ; il se chargea de s’occuper de la publication de la fin du syllabaire, à Pétersbourg, et d’en corriger les épreuves, sur les indications de Tolstoï lui-même. À ce propos, une longue correspondance fut échangée. Nous en citerons quelques passages :

« 3 mars 1872. Iasnaia. Comme je regrette, cher Nicolas Nicolaievitch, d’être resté si longtemps sans correspondre avec vous.

« Il me semble que c’est moi le coupable. Après avoir reçu votre lettre, j’aurais tant voulu causer avec vous ; et je n’ai pas vu également vos articles, jusqu’au si bel article d’aujourd’hui sur Darwin. Que faites-vous ? Moi, je ne puis vous écrire ce que je fais, ce serait trop long. Le syllabaire m’intéresse, mais ne me prend pas tout entier, et le « reste » c’est précisément ce que je ne puis écrire, mais dont j’aimerais à causer. Mon syllabaire est terminé et se publie très lentement et très mal, chez Riss ; mais, par habitude, je barre tout et recopie vingt fois[3]. »

Ce « reste », comme nous le verrons plus loin, était consacré à l’étude des matériaux pour un roman de l’époque de Pierre le Grand, qui, malheureusement, ne fut jamais écrit.

À peu près à la même date, Tolstoï écrit, d’autre part, à Fet :

« 16 mars 1872. Mon syllabaire ne me laisse pas de loisirs pour d’autres occupations. L’impression marche à pas de tortue, et le diable sait quand ce sera terminé. Et puis, j’ajoute encore, j’efface, je change. Qu’en restera-t-il ? Je ne sais, mais j’y ai mis toute mon âme. »

Les éditeurs ayant entendu dire que Tolstoï avait écrit pour son livre de lecture des récits simples, littéraires et à la portée des enfants, commencèrent à le harceler de demandes pour en publier quelques-uns. Tolstoï se laissa arracher une promesse par la Zaria et ne tarda pas à regretter cet engagement. À ce propos, il écrivit à Strakov, l’un des collaborateurs de cette revue, la lettre suivante : « Entre nous cette promesse me gêne, et ne sera d’aucun profit pour la Zaria. C’est si peu de chose et la note indiquant que c’est extrait du syllabaire détruira même sa signification, si toutefois zéro a une signification. Si vous pouviez m’obtenir la liberté vous me rendriez service. Dans le syllabaire ces récits peuvent avoir certaines qualités de simplicité, de clarté, de dessin, c’est-à-dire de langue, mais pour une revue, ils paraîtraient bizarres et ennuyeux, quelque chose d’inachevé, comme dans une galerie de tableaux les dessins au crayon sans ombres[4]. »

Cependant il envoya un récit à la Zaria. Strakov lui écrivit aussitôt pour l’en remercier. À cette lettre, Tolstoï répondit :

« 15 avril 1872. Iasnaïa. Votre lettre m’a fait grand plaisir, cher Nicolas Nicolaievitch. Il me suffit que vous me compreniez si bien. Quant au public non seulement je n’attends pas qu’il me comprenne, je le redoute plutôt. Je me trouve dans la situation d’un médecin qui a caché dans des pilules sucrées de l’huile de ricin, très utile selon lui, et qui ne désire qu’une chose : que personne ne raconte que c’est un remède, afin qu’on l’avale sans le savoir. »

Il s’agissait du Prisonnier du Caucase, publié dans le no 2 de la Zaria, pour 1872. Tolstoï donna encore un autre récit du Livre de lecture : Dieu voit la vérité, qui parut dans les Causeries, no 3, 1872.

Strakov ayant demandé à Tolstoï un autre récit pour les Soirées des familles, de Mme Khashpirev, cette fois, Tolstoï répondit avec humeur :

« Quant à Mme Khashpirev, non seulement je n’ai pas l’intention de donner quelque chose dans les Soirées pour recevoir ses quatre cents roubles par feuille, je profite de la leçon de ne jamais répondre aux lettres des directeurs de revues et de cacher en leur présence mon portefeuille et mon argenterie. Ne m’en veuillez point de cette irritation. Je suis furieux contre moi pour avoir failli à ma ligne de conduite. Je désire et souhaite, pour ma punition complète, que les deux récits grâce auxquels j’ai donné prétexte aux journalistes de bavarder sur mon compte, et pour lesquels je n’ai rien reçu, soient publiés, dans la chrestomathie et que mon syllabaire ne paraisse pas. Et ce sera ainsi. »

Enfin, au mois de mai, Tolstoï demande à Strakov de le décharger du travail de correction, qui lui pesait beaucoup.

Il écrit :

« 19 mai 1872. Cher Nicolas Nicolaievitch. Une grande prière. Il me faudrait écrire un long préambule, car j’ai honte, etc. Mais l’affaire l’emporte. S’il vous est possible de me rendre un grand service, vous me le rendrez. Voici de quoi il s’agit : Depuis longtemps j’ai terminé mon syllabaire. Je l’ai remis à l’imprimerie, voilà quatre mois, et la publication n’est pas encore commencée ; je ne vois pas même quand elle commencera, et si j’en verrai jamais la fin. L’hiver je travaille toujours trop, et l’été, je n’arrive à rien. Et maintenant les corrections, l’attente, les épreuves, etc., me gâtent tout mon été. J’ai l’intention de reprendre tout cela à Riss, et de publier à Pétersbourg, où, dit-on, il y a beaucoup plus de typographies, et qui travaillent mieux. Voulez-vous vous charger de surveiller ce travail ? C’est-à-dire trouver quelqu’un pour corriger les premières épreuves (contre rémunération). À vous seul je pourrais confier ce travail, pour ne plus le voir. Fixez vous-même la rémunération, en vous basant sur votre gain d’une bonne année. Je vous remets le soin de fixer la date de la publication. Pour moi le plus vite sera le meilleur. Il y aura près de cinquante feuilles. Si vous acceptez, vous me rendrez un de ces services dont je ne puis vous dire l’importance. Le travail intellectuel et moral est terminé, mais tant que ce ne sera pas imprimé, il me sera impossible de me mettre d’un cœur léger à une autre besogne : c’est pourquoi cela me tourmente. Je vous remercie beaucoup d’avoir revu les épreuves du récit. Publié, il ne m’a pas plu, et je regrette d’avoir donné l’un et l’autre. Et le plus amusant c’est qu’on ne me paie ni l’un ni l’autre : j’y gagne seulement que dorénavant je ne répondrai à aucune lettre des rédactions. N’aurez-vous pas de nouveau l’occasion de passer devant Iasnaïa, et ne me donnerez-vous pas l’espoir de vous revoir bientôt ? Ce serait bien. »

Après quelques hésitations et un échange de lettres explicatives, Strakov accepta de surveiller la publication du syllabaire. Tolstoï, tout heureux, lui écrivit alors.

« Cher Nicolas Nicolaievitch. Votre lettre m’a tellement réjoui que ma femme affirme qu’on ne me reconnaît plus. Enfin je commence à croire à la possibilité de voir la fin de cette affaire ! »

Puis suivent des lettres contenant des instructions détaillées, car Tolstoï guidait de loin le travail très consciencieux de Strakov. Dans une de ces lettres, le 7 avril 1872, il écrit entre autres : « Ces derniers jours je m’acharne jusqu’à l’abrutissement à terminer l’arithmétique. J’ai terminé la multiplication et la division, j’achève les fractions. Vous vous moquerez de moi, de me fourvoyer ainsi, mais il me semble que l’arithmétique sera ce qu’il y aura de meilleur dans le livre. »

Dans ses lettres à Strakov, Tolstoï ne cache pas qu’en outre de l’intérêt moral qu’il accorde à ce travail il poursuit un but matériel, et qu’il espère tirer du syllabaire un revenu dont il a besoin pour sa famille toujours croissante. Cependant, il ne se faisait pas trop d’illusions à ce sujet. Dans une de ses lettres, nous trouvons en effet :

« Je n’attends pas beaucoup d’argent pour mon livre ; je suis même convaincu que, malgré son mérite, il donnera peu. La première édition sera vite épuisée ; ensuite, les pédagogues partiront en guerre contre les particularités de l’ouvrage ; tout sera pillé par les chrestomathies, et le livre ne se vendra pas. Habent sua fata libelli, et les auteurs sentent ce destin. Ainsi vous sentez que votre livre est bon, moi je le sais du mien, mais vous sentez aussi qu’il ne se vendra pas. J’ai publié Guerre et Paix, j’y voyais beaucoup de défauts, mais j’étais sûr du succès qu’il a en effet obtenu. Au contraire, à mon syllabaire je vois peu de défauts, je suis convaincu de sa très grande supériorité sur tous les ouvrages de ce genre et je n’attends pas le succès, précisément celui que doit avoir un livre scolaire. »

Enfin, le dernier livre du syllabaire étant envoyé à l’imprimerie, Tolstoï se sent de nouveau libre et écrit à Strakov une lettre de remerciement.

« 30 septembre 1872. Iasnaïa. Vous ne pouvez vous imaginer combien me voilà heureux d’être débarrassé de ce travail qui me paraissait si important. Je crains qu’il ne vous semble long. Quelques regrets que j’en aie, je vous donne carte blanche pour abréger les exemples dans l’addition et la soustraction. Écrivez-moi comment et quand tout sera terminé, quand vous serez libre. Ma conscience ne me tourmentera plus à cause de vous et, principalement, je vous verrai. Il ne se passe pas un jour que je ne vous bénisse plusieurs fois pour tout ce que vous faites pour moi, surtout maintenant, ces jours derniers, alors que j’avais tant de peine à résister au besoin de me mettre à mon vrai travail. Enfin grâce à vous, je puis m’y mettre et oublier mon syllabaire. »

Enfin, le Syllabaire a paru ; et, le 12 novembre 1872, Tolstoï écrit à Strakov :

« Le Syllabaire ne marche pas. On en dit beaucoup de mal à Peterbourgskia Viedomosti. Il n’intéresse presque pas. Je suis sûr d’avoir élevé un monument avec ce Syllabaire.

« Boumakovski m’a écrit une longue lettre de vingt pages sur l’arithmétique. Il loue et blâme. Il dit que pour les fractions j’ai bien à tort exclu l’ancien procédé. »


Le Syllabaire provoqua pas mal d’articles, la plupart défavorables au système pédagogique préconisé par Tolstoï. On était surtout indigné de voir Tolstoï condamner la méthode de lecture phonétique, qui, à cette époque, commençait à être en faveur dans les écoles russes. Ces attaques forcèrent Tolstoï à s’expliquer publiquement dans une lettre ouverte adressée au Directeur du journal Moskovskia Viedemosti. Voici cette lettre.


« Je vous demande de vouloir bien donner place dans votre estimable journal à cette lettre qui a trait aux quatre livres que j’ai fait paraître sous le titre Syllabaire. J’ai lu et entendu de divers côtés les critiques adressées à mon Syllabaire, parce que moi, ignorant ou ne voulant pas accepter la méthode phonétique actuellement admise, je propose dans mon livre la vieille méthode des lettres et des syllabes. Ce reproche recèle un malentendu évident. Non seulement je connais très bien la méthode phonétique mais je suis peut-être le premier à l’avoir introduite en Russie, voilà douze ans, après mon voyage en Europe. Alors et par la suite je mis à l’épreuve cette méthode et chaque fois je dus reconnaître non seulement que cette méthode est contraire à l’esprit de la langue russe et aux habitudes du peuple, mais que, de plus, elle exige des livres faits spécialement pour elle. Sauf la difficulté de son application, et d’autres inconvénients dont il n’y a pas lieu de parler ici, cette méthode est très incommode pour les écoles russes, son enseignement est très laborieux et très long, et enfin elle peut être facilement remplacée par une autre. Cette autre c’est la méthode qui consiste à épeler les caractères ensemble, voyelles et consonnes, et à composer la syllabe auditivement, sans le livre. Cette méthode m’appartient, je l’ai imaginée, il y a douze ans, et appliquée dans toutes mes écoles. Les maîtres qui se trouvaient sous ma direction l’ont adoptée aussi, volontairement, et toujours avec succès. C’est cette méthode que je propose dans mon Syllabaire. Elle n’a avec la méthode bouki-az-ba qu’une ressemblance extérieure, ce dont il est facile de se rendre compte en prenant seulement la peine de lire les indications générales pour les maîtres, que j’ai jointes à mon Syllabaire. Cette méthode se distingue de toutes celles que je connais, en particulier par ceci : qu’avec elle les élèves apprennent à lire et à écrire beaucoup plus vite qu’avec toute autre. En trois ou quatre leçons, un élève bien doué apprend à lire, lentement encore, mais très correctement, et un élève peu doué apprend à lire en dix leçons au plus. Je prie donc tous ceux qui affirment que la méthode phonétique est la meilleure, la plus rapide, la plus rationnelle, de faire ce que j’ai fait plusieurs fois et que j’ai proposé au Comité de l’Instruction populaire, à Moscou, c’est-à-dire de faire publiquement l’expérience de l’enseignement de l’une et de l’autre méthode. L’enseignement de la lecture et de l’écriture est une affaire pratique, et seule l’expérience, et non les discussions, peut prouver la « supériorité » de la méthode employée.

« Le procédé même de l’enseignement de la lecture et de l’écriture est une chose bien minime dans le domaine entier de l’instruction du peuple, comme je l’ai déjà indiqué dans la revue que j’ai publiée, il y a douze ans, et récemment, dans les indications générales pour les maîtres qui accompagnent mon Syllabaire. Mais, même en cette affaire relativement minime, pourquoi suivre la voie difficile et compliquée de la méthode phonétique, quand on peut atteindre le même résultat beaucoup plus aisément et plus vite[5]. »

  1. Eug. Skyler, Souvenirs sur le comte Tolstoï. Les Antiquités russes, octobre 1870.
  2. Archives de T. A. Kouzminsky.
  3. Archives de V. G. Tchertkov.
  4. Archives de V. G, Tchertkov.
  5. Zelinski, Littérature critique sur Tolstoï, viie partie, p. 66.