L’Âge d’or/Épilogue

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ÉPILOGUE


Même décor qu’au prologue. Seule, la pendule n’est plus sur la cheminée. Au lever du rideau, orage, éclairs et tonnerre.

Scène Première

FOLLENTIN dans son lit dont les rideaux sont fermés, Madame FOLLENTIN et MARTHE, en toilette du matin

Marthe. — Quel orage, Mon Dieu !

Coup de sonnette.

Madame Follentin. — Tiens ! va voir ! on sonne ! (Pendant que Marthe va ouvrir, montrant le lit.) Et dire que voilà vingt-quatre heures qu’il dort comme ça !

Gabriel entre vivement, introduit par Marthe, trempé comme une soupe, un parapluie ruisselant.

Madame Follentin et Marthe. — Oh ! vous !

Gabriel. — Oui ! oui ! Follentin ! vite ! il faut que je le voie !

Madame Follentin. — Vous n’y pensez pas, voyons ! Vous savez comme il vous a reçu hier !

Gabriel. — Ah ! Je vous garantis bien que la nouvelle que j’apporte…

Coup de tonnerre extrêmement violent.

Les Deux Femmes. — Oh !

Elles se signent.

Madame Follentin. — Il n’a pas dû tomber loin, celui-là.

Voix de Follentin, dans le lit. — Arrêtez l’horloge ! arrêtez l’horloge !

Tous. — Il se réveille.

Gabriel, courant au lit dont il ouvre les rideaux. — Monsieur Follentin.

Follentin. — Ah ! Gabriel, mon bon ange ! Sauvez-moi ! Sauvez-moi encore !

Gabriel. — Qu’est-ce que vous avez ?

Madame Follentin. — Adolphe !

Marthe. — Papa !

Madame Follentin. — Réveille-toi, tu as le cauchemar.

Follentin. — Non ! non ! enlevez la pendule ! enlevez la pendule !

Gabriel. — C’est justement pour ça que je viens.

Follentin. — Qu’est ce que vous dites ?

Gabriel. — La pendule ! la pendule de Barras ! Ça y est ! Je l’ai vendue !

Follentin, Marthe et Madame Follentin. — C’est-il possible !

Follentin. — Hein ! mais je ne veux pas ! 25 000 ! pas un sou de moins.

Gabriel. — J’ai mieux !

Tous. — Hein ? Combien ?

Gabriel. — Douze cent mille francs !

Follentin, étouffant d’émotion. — Douze ! Douze !

Il s’affale sur son oreiller.

Gabriel. — Voici le chèque que je vous apporte.

Madame Follentin. — Ah ! mon ami !

Marthe. — Mon cher Gabriel !

Follentin. — Mais comment avez-vous fait ?

Gabriel. — Oh ! c’est bien simple ! Une note dans les journaux annonçant que vous aviez refusé un million de votre pendule. Immédiatement j’ai trouvé un Américain qui m’en a offert douze cent mille.

Follentin. — Ah ! mon enfant ! mon gendre !

Tous les Trois (à part avec joie). — Son gendre !

Follentin. — Ah ! je l’ai toujours beaucoup aimé, ce garçon-là !

On sonne, Marthe court ouvrir.

Madame Follentin. — Qu’est-ce que c’est ?

Marthe.M. Ebrahim.

Follentin, à Ebrahim qui paraît. — Ah ! trop tard, monsieur Ebrahim, c’est vendu !

Ebrahim. — Ah ! combien ?

Follentin. — Douze cent mille francs !

Ebrahim. — Tartoufle ! pourquoi ne me l’avez-vous pas dit ? Je vous l’aurais achetée !

Marthe, qui a été pour fermer la porte, trouve Bienencourt sur le seuil. — Ah ! Monsieur Bienencourt !

Follentin. — Bienencourt !

Bienencourt. — Tiens ! mon ami, tu m’as traité d’usurpateur, voici ma lettre de démission !… Je te cède ma place.

Follentin. — Toi ! toi ! tu as fait ça ! Tiens ! voilà ce que j’en fais de ta lettre de démission. (Il la déchire.) Ah ! mes amis ! mes amis ! Je suis bien heureux. Quand je pense que je m’échinais à chercher le bonheur à travers les siècles !… Pendant que, ce temps-là, il m’attendait chez moi.

Madame Follentin. — Oui, mon ami, le véritable bonheur, c’est celui qu’on se fait soi-même.

Follentin. — Tu as raison, Caroline. Il est entre nos mains, l’Âge d’Or !


RIDEAU