L’Âge d’or/Acte II Troisième tableau

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3e TABLEAU

SOUS LOUIS XV — À VERSAILLES
Un coin de parc. À droite un grand arbre.

Scène première

LES DAMES DE LA COUR, Madame DE CHÂTEAUROUX, Madame DE BOUFFLERS, Madame DE CHEVREUSE, etc.
Au lever du rideau, va et vient ou groupement de dames de la cour. Au premier plan, un groupe de dames en train de jouer au jeu des portraits. Parmi ces dames, se trouve Madame de Châteauroux.
Motif de l’ensemble des dames de la Cour. Toutes en lignes en haut de la scène, elles descendent en chantant.

Chœur des Dames.

Allons, Madame de Châteauroux,
C’est à vous, c’est à vous,
Vous, d’aller sur la sellette.
Allons, pour la devinette…
Un instant, retirez-vous,
Madame de Châteauroux.

Elles saluent.

Madame de Châteauroux, allant à droite. — Faites vite !

Boufflers. — N’écoutez pas !

Toutes la suivant.

Sans aucun doute !

Elles gagnent la gauche.

Madame de Châteauroux. — Comment voulez-vous que j’écoute ? Vous parlez tout bas.

Madame de Chevreuse. — Un nom de personne ou de chose ?

Madame de Boufflers allant aux dames de gauche

Moi, Mesdames, je propose
Comme portrait, la Pompadour.

Les Dames. — Soit, va pour la marquise de Pompadour.

Madame de Boufflers allant aux dames de droite. — Ouh ! Ouh !

Les Dames venant au milieu. — Ouh ! Ouh !

Madame de Châteauroux (Madame de Boufflers va près de Madame de Châteauroux). — Vous y êtes ?

Les Dames. — Ça y est, nous sommes prêtes.

Madame de Châteauroux. — Allons, voyons ! Cherchons ! Cherchons ! C’est…

Elle gagne par la gauche en regardant les dames à chaque mot chanté. Madame de Boufflers à droite.

Toutes. — C’est…

Madame de Châteauroux. — Une femme ?

Toutes. — Une femme.

Madame de Châteauroux. — Et grande dame ?

Toutes. — Et grande dame.

Madame de Châteauroux. — Vient à la cour ?

Toutes. — Vient à la Cour.

Madame de Châteauroux. — Femme d’amour ?

Toutes. — Femme d’amour !

Madame de Châteauroux, extrême gauche.

J’y suis, la chose est exquise,
C’est Madame de Pompadour.

Les Dames.

C’est la Marquise ! C’est la Marquise !
Les trois dames de droite gagnent la droite et les trois dames de gauche gagnent la gauche et se réunissent. Vient au milieu.

Madame de Châteauroux.

C’est la Marquise, la marquise !

Toutes.

Eh ! oui, vraiment c’est la marquise.
Bravo, Madame de Châteauroux,

Comme vous (bis), aucune sur la sellette
Ne trouve une devinette,

Comme vous, oui, comme vous,
Madame de Châteauroux.

Madame de Boufflers, à Madame de Châteauroux. — Ah ! vraiment, duchesse, vous avez le don de la divination..

Madame de Chevreuse. — Comment avez-vous trouvé tout de suite que c’était la marquise de Pompadour ?

Madame de Châteauroux. — Comme c’est difficile ! Je suis l’ancienne favorite de Sa Majesté ; la Pompadour m’a remplacée dans l’amour du roi — nous sommes entre femmes — je devais bien penser que vous me la serviriez !…

Les Dames. — Oh ! Duchesse !

Madame de Boufflers. — Vous avez la dent dure.

Une Voix Lointaine. — Sa Majesté le Roi !

Madame de Châteauroux. — Mesdames ! Mesdames ! Voici le Roi !

Les Dames, chuchotant. — Sa Majesté, Sa Majesté ! Voici le Roi !

Les dames se rangent vivement sur les deux côtés de la scène.

Le Capitaine des Mousquetaires, annonçant. — Sa Majesté le Roi !


Scène II

Les Mêmes, LOUIS XV, FOLLENTIN
Louis XV paraît, accompagné de Follentin en habit, le claque sous le bras. Les dames s’inclinent et font la révérence de cour.

Louis XV. — Malepeste ! Mesdames, que voilà un joli parterre pour réjouir nos yeux !

Les Dames. — Sire !

Follentin saluant à droite et à gauche. — Mesdames !

Louis XV à Madame de Châteauroux. — Bonjour, duchesse ! Cela me fait plaisir de vous voir !

Madame de Châteauroux. — Votre Majesté me comble.

Louis XV, lui baisant la main. — J’ai la reconnaissance du souvenir. Mesdames, permettez-moi de vous présenter le chevalier Follentin qui a bien voulu quitter son époque pour faire une incursion sous notre règne.

Les Dames s’inclinant. — Chevalier !…

Louis XV. — Nous vous ferons remarquer, Chevalier, que donnant cette fête en votre honneur, nous avons eu soin de ne réunir que des dames et d’éliminer tous les maris.

Follentin. — Ah ! Sire, c’est d’un galant ! Le fait est que les maris, c’est toujours un peu gênant.

Louis XV. — Pas sous notre règne. Allons, mesdames, pour le chevalier Follentin, toutes vos séductions et vos plus jolis sourires.

Les Dames entourant Follentin et l’aguichant. — Ah ! Chevalier ! mon beau chevalier !

Follentin. — Eh ! Eh ! j’aime bien ça, moi !

Il tire son mouchoir et s’évente.

Madame de Châteauroux. — Ah ! le mouchoir ! le mouchoir !

Madame de Boufflers. — Ah ! C’est moi qui l’ai !

Follentin. — Elle m’a fait mon mouchoir !

Madame de Boufflers. — Si vous voulez le ravoir, cela coûtera un baiser.

Follentin. — Mais deux, madame ! Deux !

Louis XV. — Vous ne vous ennuyez pas ! La marquise de Boufflers !

Follentin. — Oh ! pendant que j’y suis ! (Il l’embrasse) Ah ! c’est exquis !

Dans sa joie, il fait jouer le ressort de son chapeau claque qui détonne bruyamment.

Les Dames poussant un cri. — Ah !

Louis XV sursautant également. — Qu’est-ce que c’est que ça ?

Follentin. — Quoi Sire ?

Louis XV. — Cet engin ?

Follentin. — Ça !… c’est mon chapeau.

Madame de Châteauroux. — Vous nous avez fait une peur !

Madame de Boufflers. — J’en ai des palpitations.

Louis XV. — Qu’est-ce qu’il a, votre chapeau ? Il est à pétards ?

Follentin. — À claque, Sire, à claque tout simplement.

Madame de Châteauroux. — Ah ! Chevalier, je vous en veux pour la peur que vous venez de me faire.

Follentin. — Vous m’en voulez, Madame ?

Louis XV. — Bah ! Embrassez donc la duchesse de Châteauroux et tout sera pardonné.

Follentin. — Mais… comment donc !

Madame de Boufflers. — Eh ! bien, mais… et moi aussi j’ai eu peur !

Louis XV. — Ah ! marquise ! Vous avez déjà eu votre compte.

Follentin. — Ça ne fait rien ! (Il l’embrasse.)

Les Dames. — Eh bien ! et nous ?

Louis XV. — Allez ! la duchesse de Chevreuse ! La marquise de Mirepoix ! Madame de Bouffémont ! Toutes ces dames, enfin !

Follentin. — Voilà, mesdames, voilà ! et allez donc, c’est pas mon père ! (Tapant sur son talon noir.) Suis-je assez talon rouge ?

Les Dames. — Il m’a embrassée ! Il m’a embrassée !…

Louis XV. — Vous voyez, Chevalier, que vous n’aurez pas le temps de vous ennuyer sous notre règne.

Follentin. — Ah ! je vous crois ! Sire, quel siècle ! Celui de la galanterie, du libertinage, de l’amour !

Louis XV. — J’espère que vous avez assez de jolies femmes comme ça !

Follentin. — Il y en aurait une de plus que cela ne serait pas pour me faire peur !

À ce moment, on entend un craquement dans l’arbre praticable. Une branche sur laquelle est une jeune paysanne à cheval se brise et la petite roule à terre.

Tous. — Ah !

Louis XV. — Eh bien ! vous êtes servi !

Follentin. — C’est le ciel qui l’envoie !


Chœur

Ah ! mon Dieu ! Qu’est-ce que c’est qu’ça ?
Quelle est cette jouvencelle ?
D’où sort-elle, t-elle ?
D’où sort-elle, celle-là ?

Louis XV.

Elle tombe de la lune,
Sans trompette ni tambour.
La façon est peu commune
De s’introduire à la cour.
Quelle est cette jouvencelle ?

La Paysanne.

Rondeau

Messieurs, Mesdames, m’en veuillez pas,
De m’présenter de cette manière,
Vous d’vez comprendr’ qu’on n’est pas fière
Quand on déboul’ la tête en bas !
Je vous d’mande bien excuse,
Mais ce qui m’fait le plus d’effet,
C’est de constater, sauf vot’ respect
Le beau résultat de ma ruse.
On disait tant, tout alentour
« Ce soir, au château, grande fête ! »
Tout ça me trottait dans la tête.
Ah ! si je pouvais voir la Cour !
À ce désir qui m’affriole,
J’éprouve un bonheur de gamin,
Et je sens mon cœur sous ma main,
Pan, pan, qui fait la cabriole,
Je m’dis : « Y a pas, faut pénétrer !
S’agit d’escalader la grille,
Dam’ ! c’est pas très jeune fille,
Mais c’est le seul moyen d’entrer ! »
Seul’ment, voilà la grosse affaire,
Se glisser dans le parc, ça va !
Mais voyez-vous qu’une fois là,
Je sois pincée ? Eh bien ! ma chère,
J’suis dans la place, c’est au mieux,
Mais encor’ faut-il que j’y reste !
En vain, j’aurai la jambe leste :
Tous vos gardes ont de bons yeux.
Soudain j’eus cette pensée folle :
« Sur un arbre je verrai tout !
Quitte à me rompre ainsi le cou,
Si j’viens à faire la cabriole ! »
J’aperçois ce gros chêne-là,
Il est au centre de la fête.
« Je m’en vais monter jusqu’au faîte,

Bien fin qui m’dénichera. »
Et me voilà de branche en branche
Grimpant, grimpant jusque là-haut,
En éreintant bien comme il faut,
Ma pauvre robe de Dimanche.
Mais cela m’était bien égal,
C’est en dessous que tout se passe.
J’étais à la meilleure place,
Pour moi c’était le principal.
Quand soudain j’sens qu’ça dégringole,
Voilà ma branche qui fait crac.
Je perds l’équilibre et puis, flac !
J’crois qu’on a vu… ma cabriole ?

Louis XV. — Elle est délicieuse, cette petite tombée de l’arbre.

La Paysanne. — Ah ! m’sieur le roi.

Les Dames, soufflant. — Sire ! Sire ! Sire !

La Paysanne. — Quoi ?

Madame de Châteauroux. — Quand on parle au roi, on dit « Sire ou Votre Majesté ! »

La Paysanne, au Roi. — C’est vrai ?

Louis XV. — Ça n’a pas d’importance ! Comment t’appelles-tu, mon enfant ?

La Paysanne. — Jeanne, M’sieur Sire !

Louis XV. — Tu n’as pas un autre nom ?

La Paysanne. — Si !… mais je ne peux pas le dire devant la Cour. Il n’est pas convenable !

Louis XV. — Va donc !

La Paysanne. — Bécu !

Tous. — Oh !

Madame de Boufflers. — Quelle horreur !

Follentin. — Bécu ! Bécu ! Jeanne Bécu ! (Il va à Bécu.)

Tous. — Qu’est-ce qu’il y a ?

Follentin. — Sire ! Sire ! Mais c’est la Du Barry.

Tous. — La Du Barry !

Louis XV. — Quoi ? Quoi ? Qu’est-ce que c’est que ça, la Du Barry ?

Follentin. — Votre favorite, Sire !

Jeanne. — Favorite, moi ?

Follentin. — Oui ! Oui ! Si vous ne le savez pas, je vous l’apprends, moi ! Jeanne Bécu, la future femme du Barry ! Votre favorite de l’avenir !

Louis XV. — Comment le savez-vous ?

Follentin. — Par les Mémoires !

Louis XV. — Au fait, pourquoi pas ?… Elle est délicieuse, cette enfant !

Follentin. — Là ! là ! Vous le voyez ! Vous le sentez poindre en vous, ce sentiment qui doit vous dominer un jour.

Louis XV. — Mais oui ! mais oui !

Follentin. — Eh ! bien, alors n’attendez donc pas la date de l’histoire ! Avancez les événements puisque vous en avez l’occasion !

Louis XV. — Quelle flamme, Chevalier ! C’est à croire que j’entends parler mon fidèle Lebel.

Follentin. — Dis, petite, ça ne te dirait pas de devenir la favorite du Roi ?

Jeanne. — S’il n’y a pas trop d’ouvrage.

Louis XV. — Elle est délicieuse !… Vous avez raison, Chevalier, nous allons donner ce croc-en-jambe à l’histoire ! (À Jeanne.) Désormais, ma chère enfant, vous faites partie de la Cour.

Jeanne. — Moi ?

Les Dames. — Ah ! Ah !

Elles s’inclinent toutes.

Jeanne, sautant de joie. — Dans la cour !… Moi !… Je pourrai amener Maman ?

Tous. — Hein ?

Louis XV. — Ah ! non ! Nous y pourvoirons plus tard. Allons, petite, embrasse-moi !

Jeanne. — Ah ! Ce n’est pas de refus. (Elle l’embrasse, se pavanant.) Mesdames ! Je suis de la Cour ! Je suis de la Cour !

Louis XV. — Eh ! bien, au moins, ça fait plaisir de lui faire plaisir ! Ah ! chevalier ! Je suis très emballé ! Comment pourrai-je reconnaître ?…

Follentin. — Donnez-moi la Légion d’Honneur.

Jeanne. — Oh ! donnez-lui ça !

Louis XV. — Qu’est-ce que c’est que ça ?

Follentin. — Comment ! Vous ne connaissez pas ?… Ah ! c’est vrai ! Ça n’est pas vous qui… Oh ! mais il faut instituer ça, Sire ! Ressource précieuse pour un Gouvernement ! Ça permet de favoriser ceux qui la méritent, et encore plus ceux qui ne la méritent pas.

Louis XV. — J’instituerai, Chevalier, j’instituerai !

Follentin. — C’est ça ! (À part.) Je ne suis pas fâché de jouer ce tour-là à Napoléon !

Louis XV, tendant sa tabatière. — Une prise, Chevalier ?

Follentin. — Merci, Sire, le tabac, je ne le prise qu’en cigare.

Louis XV. — En cigare ?… Qu’entendez-vous par là ?

Follentin. — Vous ne connaissez pas les cigares, Sire ? Mais si vous voulez me permettre… (Il ouvre son porte-cigares et lui en offre un.)

Jeanne. — Oh ! qu’est-ce que c’est que ça ?

Louis XV. — Oh ! les étranges rouleaux ! Voyez donc, Mesdames.

Toutes les Dames. — Oh !

Louis XV. — Et comment les prisez-vous ? Vous ne pouvez pas cependant vous introduire cela dans le nez.

Follentin. — Je les fume, Sire.

Louis XV. — Oh ! que cela est curieux ! Oh ! montrez-nous donc ça !

Follentin. — À vos ordres, Majesté.

Les Dames. — Un réchaud ! Un réchaud !

Follentin. — Inutile ! Tenez !…

Tirant une boîte d’allumettes, il allume une allumette.

Tous. — Oh !

Louis XV. — Ah ! que c’est ingénieux ! Vraiment ! vous avez fait là une invention admirable.

Follentin. — Moi ! Au fait, pourquoi pas ? (Avec suffisance.) Oui, je fais ça avec une mèche que je trempe dans la cire et dont j’enduis l’extrémité de phosphore.

Le Roi prend l’allumette, qu’il donne à Bécu.

Bécu. — Oh ! que c’est amusant !

Madame de Châteauroux. — On dirait un petit feu d’artifice.

Louis XV. — Ah ! Chevalier ! Il faudra que je vous achète votre invention pour le compte de l’État.

Follentin. — Très volontiers, Sire ! Mais si j’ai un conseil à donner à Votre Majesté, ne les faites pas mettre en régie parce qu’elles ne prendraient plus.

Louis XV. — Malepeste ! Cela sent bon, ce que vous fumez-là !

Follentin. — Vous trouvez, Sire ?

Jeanne. — Oh ! oui, alors !

Louis XV. — Ma parole ! J’ai presque envie d’y goûter !

Follentin. — Oh ! Sire ! Je n’osais pas vous en offrir.

Louis XV. — Osez, Chevalier ! (Follentin lui tend son porte-cigares, prenant un cigare.) Allons, nous allons un peu goûter ça !

Jeanne. — Oh ! et moi ! Et moi !… Je ne pourrais pas en goûter un ?

Follentin. — Ma petite, fille, je veux bien, mais pour une femme, c’est peut-être un peu fort.

Jeanne. — Allez donc !… Allez donc !

Follentin. — Soit ! À vos risques et périls !

Louis XV. — Dites-moi, Chevalier ! Par quel côté cela se fume-t-il, ce machin-là ?

Follentin. — Mais… par la bouche, Sire !

Louis XV. — Oui, ça je sais bien.

Follentin. — Ah ! pardon !… Tenez !… Vous mordez le petit bout pour faciliter le tirage… comme ça ! Et maintenant, vous tirez !

Louis allume son cigare.

Madame de Boufflers. — Le Roi tire !

Les Dames. — Le Roi fume ! Le Roi fume !

Louis XV. — Mon Dieu, oui ! Le Roi fume !

Jeanne. — Un peu de feu, Sire.

Louis XV. — Voilà, petite ! (Jeanne allume son cigare à celui du Roi.) Amusante en diable, cette petite ! (Tirant une bouffée.) C’est très bon, vous savez, très bon !

Jeanne. — Ça sent les feuilles sèches qu’on brûle.

Follentin. — Pur Havane.

Louis XV. — Mesdames ! Je crois que je vais me mettre au cigare.


Scène III

Les Mêmes, Le Capitaine

Le Capitaine. — Sire ! Les musiciens du Roi attendent les ordres de Votre Majesté.

Louis XV. — Monsieur Rameau est-il arrivé ?

Le Capitaine. — Pas encore, Sire !

Louis XV. — Qu’on attende sa venue !

Le Capitaine sort.

Madame de Boufflers. — Monsieur Rameau !…

Madame de Châteauroux. — Nous allons avoir Monsieur Rameau ?

Louis XV. — Oui, Mesdames ! C’est la surprise que je vous ménage pour cette fête. Notre délicieux musicien…

Toutes. — Oh !

Louis XV. — … va nous donner la primeur de son nouvel opéra : Castor et Pollux !

Jeanne, qui fume toujours son cigare. — De la musique ! On va faire de la musique.

Follentin. — Eh ! oui ! de la musique ancienne !

Les Dames. — Mais non ! Mais non !

Madame de Châteauroux. — Moderne, Chevalier !

Follentin. — C’est juste ! Eh bien ! petite, ce cigare ?

Jeanne. — Ça va, Monsieur, ça va !

Follentin, à Louis XV. — Elle était faite pour être sapeur ! (Remarquant le Roi qui ne lui répond pas et semble en proie à un grand malaise.) Qu’est-ce que vous avez, Sire ?

Louis XV. — Rien !

Jeanne. — Votre Majesté est toute pâle.

Madame de Châteauroux. — Votre Majesté est malade ?

Les Dames. — Le Roi est malade ! Le Roi est malade !

Louis XV. — Je ne sais pas, c’est comme une sueur qui me monte à la tête, des vertiges !…

Follentin. — C’est le cigare, Sire, quand on n’en a pas l’habitude.

Louis XV. — Mais ce ne sera rien ! ça va passer…, le grand air aidant. (À Follentin.) Mon Dieu, peut-on fumer des cochonneries pareilles !

Les Dames. — Mon Dieu ! Mon Dieu !

Louis XV, qui a lutté contre son indisposition, brusquement. — Oh ! là, là, là ! Oh ! là, là, là ! Je reviens ! Je reviens ! (Aux courtisans qui s’élancent à sa suite.) Non, non, que personne ne me suive ! Je ne veux pas qu’on me suive. (Il disparaît précipitamment.)


Scène IV

Les Mêmes, moins LOUIS XV

Tous.

Chœur

Mon Dieu, la fâcheuse aventure !
Le Roi qui ne se sent pas bien.

Follentin.

Ne craignez rien, ne craignez rien !
C’est sans danger, je vous assure,
Ça rend malade comme un chien,
Mais ce n’est pas un mal qui dure.

Tous.

Il a bien mal au cœur,
Notre pauvre monarque,
Chacun de nous remarque

Son étrange pâleur.
Son visage se tire,
Il frissonne, il transpire.
C’est qu’il a trop fumé,
Louis le Bien-Aimé !

Jeanne.

Moi, je connais un remède
Pour guérir le mal de cœur.
Voici comment on procède.
C’est souverain, sur l’honneur.
On infuse la mélisse
Avec des ronds de citron,
de girofle l’on épice,
La canelle aussi, c’est bon.
Et l’on boit cette tisane,
Avec un doigt de cognac,
Remède de paysanne,
Mais qui remet l’estomac.

Follentin.

Ce remède en vaut un autre,
Sans vouloir tomber le vôtre,
Pour moi, j’en connais des tas,
Pour guérir ses embarras,
Nous avons l’antipyrine,
Nous avons la cérébrine,
Nous avons l’analgésine,
Nous avons la migrainine,
On vante aussi l’escalgine,
Puis l’antipeslagine.

Ensemble

Tous.

Mon Dieu ! que de noms en ine,
Jamais ça ne se termine.

Follentin.

La quinine, l’aspirine,
Et puis l’amidopyrine.

Follentin.

Voulez-vous un nom en on ?
Prenez du pyramidon.

Tous.

Non, cet homme est incroyable,
Il sait tout, il connaît tout.
Dites-nous, soyez aimable,
Ces drogues se trouvent où ?

Follentin.

Eh ! bien, tenez, allez donc de ma part à la Pharmacie Normale

Quinze, ou dix-sept rue Drouot.
En tous cas, je vous la signale,
C’est en fac’ du Figaro.

Tous.

Figaro ?
Rue Drouot ?

Follentin.

Pardon pour cette réclame,
C’est mon pharmacien, voilà !
Que personne ne me blâme,
Je ne touche rien pour ça !


Chœur

Vraiment, dans la capitale,
J’ignore la rue Drouot,
Et la Pharmacie Normale,
Encore plus le Figaro.
Que personne ne le blâme,
C’est son pharmacien, voilà,
Il ne fait pas de réclame,
Et ne touche rien pour ça !

Un Seigneur.

Messieurs, bonne nouvelle,
Sa Majesté revient.

Tous.

Sa Majesté ! Comment va-t-elle ?

Le Seigneur.

Mais j’espère bien !
Entre le roi.

Le Roi, parlé. — Ah ! ça va mieux !

Tous, parlé. — Ah !


Chanté :

Il n’a plus mal au cœur,
Notre bien cher monarque ?
Aucun de nous remarque
Qu’il a repris couleur !
Sa figure est meilleure,
Bien mieux que tout à l’heure,
Quand il avait fumé,
Louis le Bien-Aimé.

Louis XV. — Ah non ! vous savez, Chevalier, désormais, le cigare !…

Follentin. — C’est fini, vous deux ?

Jeanne. — C’est pas pour dire, Sire, mais il n’en faut pas beaucoup pour vous mettre à bas.

Louis XV. — Raille, enfant, raille ! Tu verras, petite favorite !

Jeanne. — Favorite ?…

Louis XV. — Mais tu ne saurais garder ces vêtements de paysanne. (Au Capitaine.) Holà ! qu’on me mande Lebel.

Le Capitaine sort.

Follentin. — Lebel !… quoi, Lebel !… Est-ce que c’est le fameux valet de chambre de Votre Majesté ?

Louis XV. — Oui, il m’est fort précieux en maintes circonstances !

Bienencourt, paraissant en Lebel. — Me voici, Majesté.

Louis XV. — Oh ! c’est toi ! Avance ici, Lebel !… Tu vas conduire cette jeune enfant auprès de la Marquise de Pompadour, et tu lui diras que je la lui envoie pour ce qu’elle sait et pour ce que je veux !

Bienencourt. — Compris, Majesté !

Jeanne. — Favorite ! Je suis favorite ! (Avec importance.) Suivez-moi !

Les Dames, s’inclinant. — Madame !…

Le Roi. Allez, mon enfant !

Jeanne. Allons-y !

Sortie de Jeanne, Madame de Châteauroux et des dames de la Cour sur la reprise en sourdine du « Mal de cœur ».

Scène V

LOUIS XV, FOLLENTIN, puis Le Capitaine, puis FRANKLIN

Follentin. — Comment, Sire, c’est la Pompadour que vous chargez ?…

Louis XV. — Et que voulez-vous, chevalier !… La Pompadour, c’est comme votre cigare, c’est fini, nous deux ! Alors, comme elle veut rester en faveur, il faut bien qu’elle me soit utile à quelque chose !…

Follentin. — Oh ! La Pompadour !… Cette femme dont je me faisais un tel idéal !… dont au collège j’étais amoureux rien que sur ses portraits !… Elle est donc décatie ?

Louis XV. — Du tout ! Elle est toujours superbe !

Follentin. — Eh bien ! de mon temps, quand nos favorites se mettent à faire ce métier-là, c’est qu’elles n’ont plus qu’à choisir entre ça… et le désert !

Le Capitaine, entrant. — Sir Benjamin Franklin !

Follentin. — Benjamin Franklin !

Louis XV, à Franklin qui paraît. — Ah ! c’est vous !… Ah ! Sir Benjamin Franklin.

Franklin, accent américain. — Majesté !… Aoh ! Je suis très… très, aoh ! much, I am honoured.

Louis XV. — Je ne saurais vous dire combien je suis heureux de recevoir à ma Cour l’illustre savant que vous êtes.

Franklin. — Aoh ! Majesté !… I am really confused.

Louis XV. — Laissez donc. (À Follentin.) Chevalier, vous avez devant vous Sir Benjamin Franklin, une des gloires scientifiques du Nouveau Monde, qui a bien voulu honorer la France de sa présence. (Franklin s’incline.) Vous avez sans doute entendu parler ?…

Follentin. — Comment, si j’ai entendu parler ! Qui est-ce qui ne connaît pas Benjamin Franklin ?…

Louis XV. — Il paraît, Sir Benjamin, que vous êtes sur la piste d’une invention sensationnelle.

Follentin. — Le piste ?…

Louis XV. — Oui, qu’enfin vous êtes en train de trouver…

Follentin. — Oh !… trouver, pas encore, Sire !… Je cherche.

Le Roi. — Eh bien, cherchez, Monsieur Franklin, cherchez !

Follentin. — Ah ! quoi donc ? Quoi donc ?

Franklin. — Une chose, aoh !… Je ne sais pas si je trouverai !… J’ai appelé ça provisoirement : l’ « Antifulmen ».

Follentin. — L’ « Antifulmen » ? Je n’ai jamais entendu parler de ça !… Qu’est-ce que c’est ?

Franklin. — Eh ! bien, voilà !… Notre… c’est que, pour expliquer !… Vous ne parlez pas l’anglais ?

Follentin. — Je le comprends, mais quant à le parler…

Franklin. — Oh ! vous comprenez, eh bien ! alors… Voilà :


Duo
1

Franklin.

Just this moment, my intention
Is to make a great invention

Follentin.

Voyez-vous ça !

Franklin.

I found, it will be a wonder !
For it will protect from thunder !

Follentin.

Oui, oui ! voilà !

Franklin.

What may I do, to only state
That I can danger captivate.

Follentin.

Franklin.

This problem sur’ly is not small,
But I’ill find it ! dash it all !

Follentin.

Absolument !

Franklin.

Oh ! I’ll succeed, I wish I could !
Vous avez compris ?

Follentin.

I have understood !

Ensemble.

Well ! Well !
It is very well !
There is one thing I can tell :
You speak Franch, oh ! like an angel,
You speak English like an angel.
Well ! Well !


2

Follentin.

Si j’ai bien compris vos propos,
Voici votre affaire en deux mots,

Franklin.

Let’s see a bit !

Follentin.

Vous poursuivez ce grand problème,
de capter la foudre quand même

Franklin.

Oh, yes ! that’s it !

Follentin.

Tout ceci pour nous préserver
Contre cet éternel danger,

Franklin.

Yes ! Yes ! indeed.

Follentin.

La chose est-elle près d’éclore,
Vous ne pouvez le dire encore.

Franklin.

Oh ! well, splendid !

Follentin.

Mais vous saurez vaincre à tout prix.
Have I understood ?

Franklin.

C’est très bien compris !

Ensemble.

Well ! Well !
It is very well !
Really Sir, I bless the spell,
You speak French, oh ! like an angel.
You speak, English like an angel.
Well ! Well !

Franklin. — Oh ! you speak very well indeed.

Follentin. — Oh ! non ! it’s you ! it’s you ! Votre « Antifulmen », c’est le paratonnerre.

Franklin. — Le quoi ?

Follentin. — Le paratonnerre !

Franklin. — Mais oui ! C’est bien ça ! Aoh ! Bravo ! le paratonnerre ! Si vous permettez, je garderai le nom.

Follentin. — Mais, je vous en prie, cela vous appartient.

Franklin. — Paratonnerre ! C’est une trouvaille !… Seulement, voilà, c’est l’appareil que je ne tiens pas encore.

Follentin. — Vous ne tenez pas l’appareil ?… Ah ! que c’est drôle ! Qu’est-ce qui vous embarrasse ?

Franklin. — Aoh ! I say, all and nothing !

Follentin. — Il ne possède pas l’appareil ! Mais je vais vous le donner, moi ! C’est d’un simple ! Une grande barre de fer avec un bout en cuivre, l’extrême-pointe en platine !…

Franklin. — Oui.

Follentin. — Et alors, à la base, un grand câble métallique qui va se noyer dans un puits.

Franklin. — Oh !… le puits !… What an idea !

Follentin. — Eh ! bien, voilà, il n’y avait qu’à me demander.

Louis XV. — Ah ! comme il est fort ! Chevalier, c’est admirable !

Franklin. — Ah ! Sire ! permettez-moi… prendre note quelque part.

Louis XV. — Je vous en prie. La science avant tout !

Franklin, avant de sortir, à Follentin. — Ah ! Chevalier ! Je vous devrai ma réputation.

Follentin. — Allez donc ! Allez donc ! C’est de bon cœur ! (À Louis XV.) Eh ! bien, voilà, plus tard on ne connaîtra que lui.


Scène VI

Les mêmes, Le Capitaine, puis Le Page

Le Capitaine. — Sire, c’est un jeune page de la suite de la Marquise de Pompadour qui demande à être reçu par Votre Majesté.

Follentin. — La Pompadour !

Louis XV. — Qu’il entre !

Le Page, entrant et s’inclinant. — Sire !

Louis XV. — Qu’est-ce qu’il y a, petit ?

Le Page. — Sire ! La Marquise de Pompadour m’envoie vers Votre Majesté pour lui dire, qu’obéissant aux ordres de Votre Majesté, elle a fait le nécessaire et qu’elle aura l’honneur d’amener elle-même la personne à Votre Majesté.

Louis XV. — Parfait !

Follentin. — Ah ! sacré Louis XV, va ! Oh ! pardon !

Louis XV. — Eh ! bien, ne vous gênez pas, chevalier !

Follentin. — Excusez-moi, Sire !… Trente ans de République !… (Au page !) Ah ! c’est égal ! tu fais un joli métier, toi, petit page ! Il est gentil, ce crapaud ! Il fait de drôles de commissions pour son âge, mais il est gentil !

Louis XV. — Comment t’appelles-tu ?

Le Page. — Moi, Sire, Charles Follentin.

Follentin. — Hein ?

Louis XV. — Follentin ? (Il regarde Follentin.)

Follentin. — Dieu ! mais oui !… Page de la Marquise de Pompadour !… Plus tard officier au service du Roi ! Seriez-vous par hasard Charles Étienne Jacques Émile Follentin, né en janvier 1742 ?

Le Page. — Oui, Monsieur.

Follentin. — Mort le 5 fructidor an IV ?

Le Page. — Ça, je ne peux pas vous le dire encore.

Follentin. — Ça ne fait rien. C’est toi, tu meurs le 5 fructidor an IV.

Le Page, éclatant en sanglots. — Moi !… Je meurs !… Ah !

Louis XV. — Ah ! pauvre petit !

Follentin. — Mais non, voyons, tu as le temps de pleurer puisque ce n’est que le 5 fructidor an IV.

Le Page. — Oui, monsieur, oui.

Follentin. — Lui ! Lui ! C’est lui ! (Lui tendant les bras.) Mon arrière-grand-père !… C’est mon arrière-grand-père !

Le Page. — Qu’est-ce que vous dites ?

Louis XV. — Qu’est-ce qu’il dit ?

Follentin. — Grand-papa ! dans mes bras !

Louis XV. — Il est fou !

Follentin. — Oui, Adolphe Follentin, arrière-petit-fils de Charles Étienne Jacques Émile Follentin et de dame Rose Amélie Clémentine Bernage.

Le Page. — Ma cousine.

Follentin. — C’est moi !

Le Page. — Est-il possible ! Ah ! mon petit-fils !

Follentin. — Grand-papa ! (Ils s’embrassent. Tout le monde est très ému.)

Louis XV, ému. — Ah ! la famille !

Follentin. — Je n’aurais jamais cru que mon arrière-grand-père fût si jeune.


Scène VII

Les Mêmes, LEBEL, Le Capitaine, puis La Marquise de POMPADOUR

Lebel. — La Marquise de Pompadour.

Tous. — La Marquise !

Follentin. — La Pompadour ! C’est la Pompadour !

Le Page. — La Marquise ! (À Follentin.) Je te demande pardon, mon enfant, il faut que j’aille au-devant d’elle.

Follentin. Va ! Va ! Grand-père ! Enfin, je vais donc voir la Pompadour !

Entrée de toutes les dames de la Cour. En même temps paraissent au fond des laquais portant une chaise à porteurs de laquelle descend la Pompadour en grande toilette.


Chœur

Voici la Pompadour,
Belle comme l’amour,
Pompadour dont les charmes
Ont fait rendre les armes
Aux puissants de la Cour,
Voici la Pompadour.

Follentin, parlé. — Mon Dieu ! Qu’elle est belle !

Louis XV. — Soyez la bienvenue, marquise.

La Pompadour, faisant la révérence. — Sire !

Louis XV. — Eh bien ! la jeune personne ?

La Pompadour. — Ah ! Sire ! Sire ! Vous êtes dur !

Louis XV. — Plaît-il ?

La Pompadour, à mi-voix. — Monarque cruel ! Tu as donc oublié les heures d’amour passées ensemble ! Les serments éternels !… Louis ! Louis !

Louis XV, Là mi-voix. — Ah ! non ! Je t’en prie, Antoinette ! Pas d’histoires à la Cour !

Follentin, à part. — Oh ! Le torchon brûle !

La Pompadour. — Ah ! Louis ! Louis !

Louis XV. — Ah ! non ! madame. Je vous en prie, pas de romances.

La Pompadour. — C’est bien, Sire ! (À Lebel.) Faites avancer la chaise de Mademoiselle Bécu.

Louis XV. — Il faudra que je lui fasse changer ce nom-là ! (Pendant ces répliques, une seconde chaise à porteurs a paru.)

La Pompadour, allant à la chaise à porteurs dont les laquais ont ouvert les portes. — Descendez, ma mignonne, que je vous présente à Sa Majesté.

Jeanne, en grande toilette. — C’est pas de refus !

Tous, y compris le Roi et Follentin. — Qu’elle est belle !

Jeanne, riant. — Je dois avoir l’air d’un chien habillé, comme ça.

Louis XV. — Venez, mon enfant !

Jeanne se prenant les pieds dans ses jupes et manquant de tomber. — Ce qu’on est peu à l’aise dans ces falbalas !

Toutes les Dames font la révérence. — Madame !

Jeanne, leur serrant la main à toutes. — Bonjour, Madame ! Bonjour, Madame !

Louis XV. — Ah ! regardez-la, chevalier !… Elle est exquise de gaucherie ingénue, de charme, de jeunesse.

Follentin, emballé. — Oh ! Et la Pompadour ! Et la Pompadour !

Louis XV. — Ah ! ma foi, tant pis ! Au diable l’étiquette ! Jeanne Bécu, je t’adore !

Jeanne. — Vous êtes bien honnête.

Louis XV, s’asseyant sur un fauteuil. — Viens ! Viens ici !

Follentin. — C’est ça ! Et allez donc ! Et moi, la Pompadour ! Ohé ! Ohé !

La Pompadour. — Hein ? Mais voulez-vous me laisser !

Follentin. — Fais pas attention ! (Il l’embrasse dans le cou. Toutes les dames, en voyant ce spectacle, pivotent sur les talons et s’esquivent discrètement.)

La Pompadour, après la sortie, à Follentin. — Mais je ne vous connais pas !

Follentin. — Eh bien ! C’est un moyen de faire connaissance. Je suis sous Louis XV. C’est pour m’amuser. À moi, le Parc aux cerfs ! (Il lui fait signe de s’asseoir sur ses genoux.)

Le Page, à Follentin. — Dis donc, je suis là, mon enfant !

Follentin. — Oh ! toi ! grand papa, va jouer ! Ce n’est pas de ton âge !

Le page sort.

Scène VIII

Les Mêmes, BIENENCOURT (en Lebel)

Bienencourt. — Sire !

Louis XV. — Hein ! Quoi ! Qu’est-ce qu’il y a ?

Bienencourt. — Deux dames qui demandent Monsieur Follentin.

Follentin. — Mais qu’est-ce que vous me chantez ? Ce doit être une erreur ! Je n’ai pas de relations dans le siècle.

Louis XV. — N’importe ! Deux dames !… Sont-elles jolies ?

Bienencourt. — Charmantes !

Louis XV. — Fais-les donc venir ! Plus on est de belles, plus on rit.

Follentin. — Oui ! Il faut rire ! Il faut rire !


Quatuor

Partie carrée ! Partie carrée,
Tout au plaisir, tout à l’amour,
Ah ! l’existence évaporée,
Grisante qu’on mène à la Cour !
Partie carrée ! Partie carrée !
Vive l’amour, à l’unisson.
On se sent l’âme enamourée,
Tout ça, c’est l’air de Trianon.


Bécu.

Favorite !
moi favorite !

Pompadour.

Favorite !
elle est favorite !

Louis XV.

Pour ma Bécu, j’ai de l’amour !
Bécu.

Pour moi
quelle grandeur subite !

Pompadour.

Tout mon pauvre
cœur s’en dépite !

Follentin.

J’aime la Pom, j’aime la Pompadour !

Bécu.

Autant que la Reine,
La faveur du Roi,
Me fait souveraine,
Favorite ! moi !


Follentin.

Embrasse-moi !
Embrasse-moi !

Louis XV.

Embrasse-moi !
Embrasse-moi !

Pompadour.

Pour moi quelle peine !
Une autre que moi,
Règne en Souveraine
Sur le cœur du Roi.


Follentin.

Embrasse-moi (bis)
Mon Dieu, quelle veine !
La Pompadour, moi !
Je prends,
quelle aubaine !
La suite du Roi !
Embrasse-moi (bis)

Louis XV.

Embrasse-moi ! (bis)
Le sort qui t’amène,
Soit béni, ma foi !
Ce baiser t’enchaîne
À l’amour du Roi.
Embrasse-moi ! (bis)

Bécu.

Favorite !
moi ! Favorite !

Pompadour.

Favorite !
Elle est favorite !

Louis XV.

Pour ma Bécu, j’ai de l’amour.
Bécu.

Pour moi,
quelle grandeur subite !

Pompadour.

Tout mon pauvre
cœur s’en dépite !

Follentin.

J’aime la Pom, j’aime la Pompadour.

Ensemble.

Partie carrée ! Partie carrée !
Etc., etc., etc.

Louis XV, embrassant Jeanne. — Ma petite Bécu ! Ma petite Bécu !

Jeanne. — Ah ! Sire, que vous avez la barbe qui gratte !

Louis XV. — Par amour, ma Bécu ! par amour !

Follentin, embrassant la Pompadour. — Ah ! ma Pompadour ! ma Pompadour !


Scène IX

Les Mêmes, LEBEL, Madame FOLLENTIN, MARTHE
Lebel paraît avec Madame Follentin et Marthe qu’il introduit, et sort.

Madame Follentin. — Jour de Dieu !

Follentin. — Ma femme ! Ah ! que c’est embêtant !

Madame Follentin. — Ah ! c’est pour ça que tu nous a plantées là, sous Charles IX, toi !

Follentin. — Mais…

Madame Follentin. — Pour venir faire la noce sous Louis XV.

Louis XV. — Mais, pardon, Madame…

Madame Follentin, sans le regarder. — Assez, là !

Louis XV. — Hein ?

Madame Follentin. — Je te pince, là, avec des cocottes sur tes genoux.

Jeanne et La Pompadour. — Cocottes ?

Follentin. — Mais tu n’y penses pas ! C’est la Pompadour ! La Du Barry !

Madame Follentin. — C’est des grues !

La Pompadour. — Ah ! mais, dites donc, vous !

Jeanne. — Je vais lui crêper le chignon, à celle-là !

Madame Follentin, les deux poings sur les hanches. — Qu’est-ce que c’est, les petites ?

Marthe. — Maman ! Maman ! Je t’en prie !

Madame Follentin. — Laisse-moi, toi !

Follentin. — Caroline ! je t’en prie, pas de scène ici !

Madame Follentin, à Follentin. — En attendant, tu vas me faire le plaisir de rentrer, et un peu vite !… Ce n’est pas la place des gens mariés.

Jeanne. — C’est ça, allez-vous en, allez-vous en !

Follentin. — Ah ! c’est comme ça ! Ah ! bien, non, je ne rentrerai pas ! Tu n’as aucun droit sur moi !

Madame Follentin. — Tu oublies que je t’ai épousé !…

Follentin. — En 1876, nous sommes en 1727. Je ne suis pas encore ton mari !

Madame Follentin. — Ah ! C’est trop fort ! Ah ! C’est comme ça ! Ah ! Je ne suis pas encore ta femme ! Nous sommes dans le siècle où l’on cascade ! Eh bien ! moi aussi (À Louis XV.) Louis XV ? Où est-il, Louis XV ? Ah ! le voilà ! Vous aimez les femmes ? Eh bien ! prenez-moi ! Je suis à vous !

Louis XV. — Hein ! Ah ! non !

Jeanne. — Elle ne s’est pas regardée !

Louis XV. — Mais si vous tenez à notre royale faveur, j’avoue que j’honorerais volontiers cette jeune fille.

Follentin et Madame Follentin. — Qu’est-ce que vous dites ?

Louis XV. — Et si vous y mettez un peu de complaisance…

Follentin. — Ah, ça ! dites donc ! Pour qui me prenez-vous ?

Louis XV. — Tenez ! J’a justement une bonne ferme générale !

Follentin. — Une ferme générale ?… Eh bien ! la ferme !

Louis XV. — N’est-ce pas ainsi que j’ai fait avec le père de la Pompadour ! Ce brave Poisson !

Follentin. — Justement ! Je ne suis pas un Poisson !

Madame Follentin. — Il n’y en a jamais eu dans notre famille ! Ah ! mais !…

Marthe. — Oh !

Madame Follentin. — Voulez-vous laisser ma fille ! mon enfant !

La Pompadour. — Non ! Mais voyez-vous ces airs dégoûtés !

Follentin. — A-t-on jamais vu !

Madame Follentin. — Marthe ! Mon enfant !

Lebel. — Sire !… C’est trop d’honneur que vous leur faites de discuter avec eux !… N’êtes-vous pas le Maître !…

Louis XV. — Tu as raison, Lebel. Tu conduiras Mademoiselle Follentin à mes appartements particuliers.

Marthe. — Maman ! Maman ! Je ne veux pas !

Jeanne. — Mais moi non plus !

Follentin, sautant au cou du Roi. — Voulez-vous laisser ma fille !… Voulez-vous ?…

Lebel. — Il a porté la main sur Sa Majesté.

Tous. — Oh ! Oh !

Follentin. — Ah ! Je n’ai vraiment pas de chance avec les rois !

Lebel. — Sire ! Une bonne lettre de cachet, et je me charge du reste !

Louis XV. — Vous avez raison, Lebel ! M. de Sartine, qu’on appelle monsieur de Sartine !

Tous. — À la Bastille ! À la Bastille !

Follentin. — Encore ! Ah ! Zut !

Lebel, montrant Sartine qui paraît. — Voici M. de Sartine ! (Il regarde Follentin en ricanant d’un air de triomphe.) Ah ! Ah ! Ah !

Follentin, le reconnaissant. — Bienencourt !


Scène X

Les Mêmes, GABRIEL

Gabriel, arrivant avec quelques soldats. — Vous m’avez fait appeler, Sire ?

Tous les Follentin, à part. — Gabriel !

Louis XV, montrant Follentin. — L’homme du XXe siècle ! À la Bastille ! (Louis XV remonte avec la Cour.)

Bienencourt, à Gabriel. — Ordre du Roi, monsieur.

Gabriel. — Oui, Monsieur. (Il tend sa baguette de police. Immédiatement Bienencourt est revêtu de l’habit de Follentin et Follentin de celui de Bienencourt.)

Follentin et Bienencourt. — Oh !

Gabriel, à ses hommes, montrant Bienencourt. — Emparez-vous de cet homme !

Bienencourt. — Moi ! Mais jamais de la vie ! Il y a erreur !

Louis XV. — Allez ! Allez ! Ce Follentin à la Bastille !

Tous. — À la Bastille ! À la Bastille !

Gabriel. — À toi, la première manche, Bienencourt, mais à moi la seconde.

Il sort.

Louis XV, à Follentin. — Et toi, Lebel.

Follentin. — Sire !

Madame Follentin. — Comment, Lebel !

Follentin. — Chut ! Tais-toi !

Louis XV. — Conduis ces dames à mes appartements

Follentin. — Comptez là-dessus, Sire !

Louis XV, à la Pompadour. — Venez, Madame !

Jeanne et La Pompadour. — Oui, Majesté.

Elles font la révérence. Ils remontent.

Follentin. — Et maintenant, filons !

Madame Follentin. — Oh ! oui ! filons !

Follentin. — J’en ai assez de Louis XV.

Madame Follentin. — Et nous donc !

Follentin. — La vérité, c’est que je me suis trompé de route, au lieu d’aller chercher le bonheur dans le passé, j’aurais dû aller le demander à l’avenir.

Madame Follentin et Marthe. — Oh ! oui, alors !

Follentin. — Vous êtes de mon avis ?

Les Dames. — Oh ! oui !

Follentin. — Alors, donnons-nous la main et disons ensemble ! Sale époque ! Ah ! sale époque !

À ce moment sort de terre une automobile fantastique dont le chauffeur est le « Temps ».

Le Temps. — Tu voudrais aller dans l’avenir, Follentin ?

Tous les Follentin. — Oh ! oui ! oui ! l’avenir !

Le Temps. — Montez donc avec moi ! (Tous les Follentin montent dans l’automobile.) Et en route pour l’an 2 000 !

L’automobile disparaît sous terre.

Le Capitaine. — Le Concert du Roi !

Louis XV, à toute la Cour qui a paru pendant ce qui précède. — Prenez place, mesdames ! (Toute la Cour se groupe et s’assoit. Louis XV entre ses trois favorites : Madame de Châteauroux, La Pompadour et Jeanne Bécu. Rameau paraît et salue le Roi.) Si vous voulez commencer, M. Rameau !

Rameau se met à un clavecin qu’on a apporté et se met à jouer. Le rideau baisse lentement sur ce tableau.


RIDEAU