L’Âge d’or/Acte I Premier tableau

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ACTE I


Ier TABLEAU

LA PLACE SAINT-GERMAIN L’AUXERROIS À PARIS
SOUS CHARLES IX

Au fond la Seine avec, au loin, la vue de la rive gauche. À gauche, au fond, en deça de la Seine, l’église Saint-Germain l’Auxerrois — du même côté et séparée de l’Église par une ruelle, l’Hôtellerie de La Hurière et l’enseigne À LA BELLE ÉTOILE, avec chambres praticables au rez-de-chaussée et au premier étage. Sur la gauche un escalier en colimaçon relie le rez-de-chaussée au premier. À droite, au fond, le Louvre avec les fenêtres éclairées. Au premier plan, même côté, séparée du Louvre par une rue, une maison. Il est dix heures du soir, le rez-de-chaussée de l’hôtellerie est éclairé. Au dehors, la Place Saint-Germain l’Auxerrois est éclairée par la lune.


Scène première

Au lever du rideau LA HURIÈRE, sur le pas de sa porte, discute mystérieusement avec UN HOMME enveloppé d’un manteau sombre.


Les Quatre Filles de la Hurière, dans l’hôtellerie, très en sourdine.

Quelque chose se mijote
Qui ne nous paraît pas clair !
On murmure, l’on chuchote,
Ça sent la fièvre dans l’air !

La Hurière qui a pris congé de l’individu, à ses filles :

Allons, mes enfants, c’est l’heure
Où toute fille mineure
Dort depuis longtemps déjà.

Les Quatre Filles. — Oui, papa ! oui, papa !

Elles allument leurs flambeaux.
La Hurière

Vous avez de la lumière,
Baisez votre petit père,
Et oust ! plus vite que ça !

Les Quatre Filles. — Oui, papa ! Oui, papa !

Elles vont embrasser leur père.

Les Quatre Filles, parlé sur la musique. — Bonsoir, papa ! Bonsoir, papa !

La Hurière, id. les embrassant. — Bonsoir, bonsoir, mes enfants !… Allez ! Allez !

Les Quatre Filles, chanté au moment de partir

Quelque chose se mijote
Qui ne nous paraît pas clair,
On murmure, l’on chochotte,
Ça sent la fièvre dans l’air !

Elles sortent, La Hurière, à son comptoir, prend un casque qu’il fourbit, pendant ce qui suit. La musique continue en sourdine.

Follentin (débouchant dans la rue, suivi de Madame Follentin et de Marthe, dans leurs costumes du premier acte, Follentin en chapeau haut de forme et redingote, sa femme et sa fille en tenue de ville). — Venez par ici, mes enfants !

Madame Follentin. — C’est pas pour dire, mais les rues sont bien mal éclairées.

Follentin. — Qu’est-ce que tu veux ? C’est l’époque qui veut ça !

Marthe. — Voyons, Maman, tu ne t’attendais pas à trouver l’électricité sous Charles IX !

Madame Follentin (pincée). — Évidemment, petite ! Pas d’électricité !… Mais le gaz !

Marthe. — Oh ! papa ! Qu’est-ce que c’est que ces ombres qui viennent de ce côté !

Follentin. — Hein ? Quoi ? Où ?

Marthe. — Là ! Là !

Follentin. — Mais je ne sais pas ! Quoi ! C’est des gens de l’époque, il n’y avait pas que nous sous Charles IX.

Madame Follentin. — Viens, viens ! Je ne suis pas rassurée !

Follentin. — Ah ! là ! Mon Dieu !

Ils se dissimulent comme ils peuvent contre les maisons de droite. Paraissent de divers côté des Conjurés, enveloppés de leurs manteaux ; s’apercevant mutuellement ils reculent instinctivement.

Premiers Conjurés. — Ah !

Deuxièmes Conjurés. — Ah !

Les Follentin (parlé). — Qu’est-ce que c’est que ça ?

Premiers Conjurés (chanté). — Qui va là ?

Deuxièmes Conjurés. — Qui va, vous autres ?

Premiers Conjurés. — Bidecart !

Deuxièmes Conjurés. — Vadeguin !

Premiers Conjurés. — Vadeguin !

Deuxièmes Conjurés. — Bidecart !

Follentin (parlé). — J’ai déjà entendu ces noms-là quelque part.

Les Conjurés (chanté). — Parfait ! Ils sont des nôtres.

(S’interrogeant entre eux)

Eh bien ! Eh bien !

Un Conjuré

Chut ! Rien !
Motus ! Silence !
Je vous dirai
Mais par prudence,
On pourrait nous entendre.

Follentin. — Je te crois qu’on pourrait les entendre.

Un Conjuré. — Parlons le langage chiffré.

Madame Follentin. — Ça doit être des francs-maçons.

Les conjurés redescendent.

Premier Conjuré. — Sept, neuf, trois cent quarante. Cent vingt neuf, huit, vingt deux mille, onze, un, cinq, neuf dix.

Tous. — Oh ! Oh !

Premiers Conjurés. — Vingt-neuf, neuf, trente. Un, huit, deux, douze, un, sept… comme je vous l’dis.

Tous. — Cent-vingt-cinq, trois-cent-vingt.

Premiers Conjurés. — Trois-cent-vingt-cinq, huit, trois.

Tous. — Cent-vingt-sept, huit, huit, huit ?

Premiers Conjurés. — Huit, huit, huit, dix-neuf, trois.

Tous. — Cent-vingt, dix, onze, un.

Premiers Conjurés. — Vingt-six, un, huit, cinq, treize. Dix-neuf, cent-quatre-vingt, Saint-Germain l’Auxerrois.

Tous. — Saint-Germain, Saint-Germain, Saint-Germain l’Auxerrois !

Premiers Conjurés. — Cinq-cent-huit, quarante-huit, Saint-Germain l’Auxerrois !

Ils remontent en sourdine explorer les ruelles adjacentes.

Follentin (parlé). — Cinq-cent-huit, zéro, trois, Saint-Germain l’Auxerrois.

Madame Follentin (id.). — C’est le numéro du téléphone !

Marthe. — Mais non, maman, pas encore !

Les Conjurés, redescendant vivement (chanté). — Ah ! la patrouille, voici la patrouille !

Les Conjurés. — Que chaque bouche se verrouille,
Pas d’impair,
N’ayons pas l’air.

Ils ont tiré chacun leur bilboquet de leur poche et se disposent à en jouer.

Follentin. — Oh ! j’y suis, c’est le club des Bilboquets.

Madame Follentin qui a mal entendu. — Des pick-poquets ?

Follentin. — Bil ! Bilboquets !

Marthe. — Mais oui, mère, c’est le jeu qu’on vient d’inventer pour Henri III… plus tard.

Madame Follentin. — Ah ! j’ai eu une émotion !

Les Conjurés voyant entrer la patrouille se mettent à jouer au bilboquet tout en sifflotant entre leurs dents l’air du langage chiffré. Passe la patrouille, torches en mains.

Follentin pendant que les autres sifflotent. — Eh ! bien, tiens ! tu es servie à souhait.

Marthe. — Toi qui te plaignais qu’on ne voyait pas clair dans les rues.

Follentin. — Patrouille du temps, ma chère ! Crois-tu que ça en a, un caractère !

Sortie de la patrouille.

Madame Follentin. — Oui, mais on ne peut pas dire qu’elle éclaire longtemps.

Follentin. — Ah ! Tu n’es jamais contente !

Les conjurés qui, tout en sifflotant, sont remontés pour s’assurer que la patrouille est bien partie, redescendent.

Follentin, parlé sur la musique. — Je vous demande pardon, si nous sommes là en badauds ; je vous écoutais tout à l’heure.

Premiers Conjurés, terribles. — Vous nous écoutiez ?

Les Follentin. — Hein !

Deuxièmes Conjurés. — Vous nous épiez !

Follentin. — Moi ?

Marthe et sa mère. — Nous ?

Premiers Conjurés, marchant sur eux. — Cinq, vingt-huit, neuf, douze.

Deuxièmes Conjurés (id.). — Un, trois, deux, zéro, trente.

Madame et mademoiselle Follentin (enserrées entre eux). — Papa, Adolphe, ne nous quitte pas.

Tous les Conjurés. — Trois-cent-sept, neuf, huit, sept, un, deux trois, zéro, vingt.

Follentin. — Je vous assure, Messieurs.

Tous les conjurés. — Six, huit, sept, un, deux, trois, dix-neuf, cent-huit, quarante quat’quat’quat’un, sept, huit, dix-neuf, cent, trente et un.

Tous les Conjurés. — Couic !

Deuxièmes Conjurés. — Couic !

Premiers Conjurés. — Et si vous répétez un seul mot de ce que vous avez entendu, vous êtes morts.

Follentin. — Morts ?

Tous. — Morts !

Madame Follentin et Marthe. — Dieu !

Comme précédemment, ils reprennent leur air siffloté et rentrent ainsi dans l’Hôtellerie où les accueille La Hurière qui les fait descendre dans une cave et disparaît avec eux.

Madame Follentin. — Tu vois ! Tu vois ce que tu nous occasionnes.

Follentin. — Laisse donc ! Quoi ! C’est ce qu’il y a d’amusant !

Marthe. — Mais oui, maman ! Ça nous change de la banalité du vingtième siècle.

Follentin. — Regarde comme tout ça a du caractère autour de nous ! Ce que tu vois, là, c’est l’Église Saint-Germain-l’Auxerrois.

Marthe. — Et là, c’est le Louvre.

Madame Follentin. — Eh ! bien, je les connais !

Follentin. — Évidemment, tu les connais, mais pas à cette époque-là !

Marthe. — Tu connais le Louvre avec des tableaux, comme quand nous y allons le dimanche.

Follentin. — Mais songe qu’au lieu de tableaux, en ce moment-ci, il y a Charles IX, Catherine de Médicis, Henri de Navarre…

Marthe. — Qui sera Henri IV plus tard.

Follentin. — Parfaitement, il n’en sait rien, mais il sera Henri IV plus tard. Marguerite de Navarre, tcétéra, tcétéra, tcétéra.

Madame Follentin. — Faut-il qu’il y ait du logement là-dedans.

Marthe. — Plutôt !

Madame Follentin. — C’est égal, je me sens très dépaysée, il n’y a pas à dire, Adolphe, quand on se trouve comme ça dans une autre époque, on ne connaît personne.

Follentin. — Ah, bien ! c’est comme quand on voyage.

Marthe. — On fait des connaissances !

Madame Follentin. — Enfin, tu es content. C’est le principal.

Follentin. — Si je suis content ! Je nage dans la joie ! À la bonne heure ! Voilà une époque ! Personne ne nous embête !… On est libre !

Madame Follentin. — Et la vie pour rien !

Follentin. — Un poulet ; un écu ! Une sole…

Marthe. — Six sols.

Follentin. — C’est étonnant.

Madame Follentin. — Mais, dis donc, nous n’allons pas coucher ici ?

Marthe. — Je ne sais pas, papa, si tu es comme moi, mais j’ai l’estomac dans les talons.

Follentin. — Le fait est que nous avons dîné de très bonne heure. On dîne vraiment trop tôt à cette époque-ci ! Quelle heure est-il ? (Il tire sa montre). Quatre heures dix !

Madame Follentin. — Comment, quatre heures dix !

Marthe. — Mais, papa, tu as encore l’heure du XXe siècle.

Follentin. — C’est vrai ! Je ne me suis pas réglé sur l’époque ! Je vois qu’on avance sur 1905 ! Venez, mes enfants !

(Un passant passe à gauche).

Marthe. — Ah ! voilà quelqu’un.

Follentin. — Attends ! Je vais lui parler… comme on parle aujourd’hui… (Au passant). Holà ! messire !… Vous n’auriez pas l’heure sur vous !

Le Passant riant. — Ma foi, non, mon gentilhomme ! Je n’ai pas l’habitude de sortir avec mon sablier !… mais voici qui vous renseignera.

Le Crieur passant au fond, de droite à gauche. — Il est dix heures !… tout est tranquille !… Parisiens, dormez !

Follentin. — Il est dix heures !… merci, Messire.

Le Passant. — Dieu vous garde ; mon gentilhomme.

Follentin. — J’ai bien l’honneur de vous saluer.

Le passant sort par la droite.

Le Crieur (reprenant). — Il est dix heures !

Follentin. — Dites donc ! mon ami ! Vous allez bien ?

Le Crieur descendant. — Mais pas mal, mon gentilhomme, je vous rends grâce.

Follentin. — Hein ? Ah ! non ! Je vous disais — notez que je suis très content d’avoir de bonnes nouvelles de votre santé — mais je vous demandais… si vous alliez bien comme heure ?

Le Crieur. — Toujours, mon gentilhomme ! C’est moi qui la règle.

Follentin. — Ah ! bon ! bon !

À ce moment vient au fond un seigneur entre quatre valets portant des torches à la main et des mousquets sur l’épaule.

Madame Follentin. — Mon Dieu ! Quel est cet homme entre ces gens armés ?

Marthe. — C’est un prisonnier ?

Le Crieur. — Ah ! non, ma belle demoiselle, c’est un seigneur qui rentre tranquillement chez lui.

Le seigneur et les valets rentrent dans la maison de droite.

Follentin. — Mais… ces hommes armés ?

Le Crieur. — Simple précaution d’usage. À pareille heure, les rues ne sont pas sûres.

Marthe. — Les rues ne sont pas sûres ?

Madame Follentin. — Pas sûres ! Tu vois, Adolphe, ce que je te disais.

Follentin. — Mais n’aie donc pas peur ! Des gens du seizième siècle ne peuvent pas assassiner des gens du vingtième.

Marthe. — Mai oui, ça ne concorderait pas.

Follentin au crieur. — Merci, mon ami.

Il lui donne vingt sous.

Le Crieur regardant la pièce à la lueur de l’auberge. — Napoléon III ! Qu’est-ce que c’est que ça ? Une médaille ?

Follentin. — Comment ? C’est vingt sous !

Marthe. — Vingt sols !

Le Crieur. — Mais ça n’a pas cours ! On ne me la prendra pas ! Enfin, merci toujours, mon gentilhomme ! Et Dieu vous garde !

Follentin. — Merci, mon ami !

Le Crieur remontant. — Il est dix-heures…

Follentin. — Il est donc toujours dix heures ! Il y a dix minutes que nous causons et il est encore dix heures.

Le Crieur disparaissant par le fond à droite. — Tout est tranquille !… Parisiens…

(La voix se perd dans l’éloignement).

Scène II

Les Mêmes moins LE CRIEUR, puis COCONAS

Madame Follentin. — Écoute, mon ami, entrons dans cette auberge ! je t’assure que nous y serons plus en sûreté. Tiens ! tiens ! regarde, un homme ! (Coconas paraît).

Follentin. — Mais n’aie donc pas peur, il ne nous veut pas de mal. (Regardant l’enseigne). À la Belle Étoile ! Voilà, sur mon âme, une belle enseigne : et puis l’hôtellerie est voisine du Louvre, ce sera une commodité.

Coconas même jeu. — Mordi ! Voilà une auberge qui s’annonce bien ! et l’hôte doit être, sur ma parole, un hardi compère.

Madame Follentin. — Fais attention, Adolphe ! Il tourne autour de toi.

Follentin. — Laisse-donc. Il ne nous mangera pas.

Coconas. — Mordi, Monsieur ! je crois que vous avez la même sympathie que moi pour cette auberge.

Follentin. — Monsieur..

Coconas. — je m’en félicite ! car c’est flatteur pour ma Seigneurie.

Follentin. — Comme il est aimable !

Madame Follentin. — Méfie-toi, tu sais. Le vol à l’américaine, c’est comme ça que ça commence.

Coconas, leur faisant signe d’entrer. — je vous en prie…

Follentin. — Après vous !…

Coconas. — Corbleu ! je n’en ferai rien, car je suis votre humble serviteur, le Comte Annibal de Coconas.

Follentin (avec admiration). — Coconas ! Vous êtes Coconas ?

Les Deux Femmes. — Coconas.

Follentin. — Mes enfants, c’est Coconas.

Coconas (chanté). — Oui, sandis ! je suis Coconas.

Follentin (parlé). — Est-il possible, Coconas ; celui de Monsieur Dumas ?

Coconas, (chanté)

J’ignore ce Dumass
Que je ne connais pass
Et je suis Coconas
Arrivant de ce pass
Du Piémont un peu lass,
Mais sans l’ombre, en tous cass
En un mot Coconas
À la clé de Dumass
Coconas, Coconas,
Comte Annibal de Coconas.

Les Follentin. — Ah ! Monsieur Coconas.

Coconas (chanté). — Quoi ? Vous me connaissez ?

Tous (parlé). — Si nous vous connaissons.

Coconas (chanté). — Ah ! pour ma Seigneurie. C’est trop de flatterie.

Tous (parlé). — Mais non, mais comment donc.

Coconas (chanté). — Si, si, je suis confus.

Follentin (parlé). — Mais, pardon, pourquoi vous croyez-vous obligé de chanter ?

Coconas (chanté). — Parce que j’ai de la voix.

Follentin (s’inclinant). — Ah !

Coconas (vocalisant). — Ah ! Ah ! Oui, je te crois. Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

Follentin (pendant ces vocalises). — C’est vrai qu’il a de la voix.

Coconas. — Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

(brusquement)

Mais c’est drôle,
Plus je vous vois,
Et vous observe dans ce rôle.
Ne seriez-vous pas quelque fois
Le sieur Comte Joseph de Lerac de la Môle ?

Follentin. — Non, non ! je le regrette, mais je suis… Au fait, je ne sais pas pourquoi je ne chanterais pas moi aussi.

(Chantant).

Je suis Monsieur Follentin Adolphe.
Follentin de Paris.

Coconas (chantant). — Est-il possible !

Les Deux Femmes (id.). — Ça l’est.

Coconas

Ah !
Follentin ! Follentin !
Que ce nom est argentin.
Follentin ! Follentin !
Tin, tin, tin, tin, tin.
Cela sonne
Carillonne
Comme une cloche du matin.

Tous (pendant que Coconas vocalise)

Follentin, Follentin,
Tin, tin, tin, tin, tin, tin.
C’est bien le son argentin
De la cloche du matin.

Coconas (brusquement)

Mais halte ! En tout ceci, pour moi, se manifeste,
Comme l’expression des volontés d’en haut.
Notre rencontre ici nous donne le mot
Nous devons être amis, Follentin, il le faut,
Et ne plus nous quitter, tel est le vœu céleste.

Follentin

Plus un mot,
Plus un geste
Je reste.

Coconas

Il reste
Vous l’entendez, là-haut
Il reste.


— I —
Coconas

Ah ! je bénis le destin
Qui m’a mis sur mon chemin
M’a mis Follentin.

Tous

A mis Follentin.

Coconas

Désormais jusqu’au trépas
Tu peux compter sur mon bras
Foi de Coconas.

Tous

Foi de Coconas.

Coconas

Puisque le ciel l’a voulu
Dès ce jour marché conclu,
Projet résolu.

Tous

Projet résolu.

Coconas

N’ayant qu’un même chemin,
Marchant la main dans la main,
Ne faisons plus qu’un.

Tous

Ne faisons plus qu’un.

Coconas

Que le monde en nous voyant,
À la fin nous confondant,
Ne sache vraiment

Tous

Ne sache vraiment

Coconas

Quel est Coconas.

Follentin

Quel est Follentin.

Coconas

Quel est Follentin.

Follentin

Quel est Coconas.

Tous

C’est-y Coco, c’est-y fofo,
C’est-y Nanas, c’est-y tin tin
Est-ce Coconas ou bien Follentin ?


— II —
Follentin

je suis ému franchement.
Trouver ainsi brusquement
Pareil dévouement.

Tous

Pareil dévouement.

Follentin

Ah ! certes, oui, j’en réponds,
Désormais que nous serons
Amis comme oui, oui…

Tous

Amis comme oui, oui…

Follentin

On nous verra, c’est certain,
Comme deux doigts de la main
Unis dès demain.

Tous

Unis dès demain.

Follentin

Et bientôt, je le prédis,
Faisant de ces deux amis
Un salmigondis.

Tous

Un salmigondis.

Follentin

Les gens toujours curieux
En nous voyant tous les deux
Diront à part eux

Tous

Diront à part eux

Follentin

C’est-y Foconas.

Coconas

C’est-y Collentin.

Follentin

C’est-y Focantin.

Coconas

C’est-y Collonas.

Tous

C’est-y Fofo, c’est-y Coco,
C’est-y Nanas, c’est-y Tintin,
C’est-y Fofonas ou bien Cocotin.

Follentin (présentant sa femme et sa fille). — Madame Follentin, ma femme. Ma fille, Mademoiselle Follentin.

Coconas. — Vive Dieu ! Voilà deux jolis fleurons qui manquent à la couronne de notre bon roi Charles IX !… Et je ne regrette pas d’avoir quitté le Piémont, puisqu’il m’est donné d’en régaler mes yeux.

Madame Follentin. — Ah ! comme il est galant !

Marthe. — Comme il parle joliment !

Les Deux Femmes. — Il est charmant ! Il est charmant !

Coconas. — Palsambleu ! Monsieur de Follentin, prenons-nous donc par le bras, et entrons ensemble ! (Aux femmes.) Mesdames, éclairez notre chemin !

(Ils entrent dans l’auberge.)

Coconas (une fois entré). — Dites donc, Monsieur l’hôte de la Belle Étoile ! Monsieur le manant ! Monsieur le drôle !

Follentin. — Vous permettez, garçon !

La Hurière. — Pardon, Messires, je ne vous avais pas vus.

Coconas. — Il fallait nous voir ! C’est votre état !

Follentin. — Comme il a du chic pour parler à ces gens-là !

Coconas. — Servez-nous à souper.

La Hurière. — À pareille heure, il ne reste plus rien !

Coconas. — Eh ! parbleu ! Le drôle se moque de nous ! Ne vous semble-t-il pas que nous allons massacrer ce gaillard-là !

Follentin. — Déjà ?

Les Deux Femmes. — Ah ! mon Dieu !

Coconas. — Tripe del papa ! Mais échauffez-vous donc, M. Follentin !

Madame Follentin. — je t’en prie, Adolphe ! Pas d’imprudence !

Marthe. — Papa ! Ne te mêle pas de ça !

Madame Follentin. — Songe que tu es étranger.

Follentin. — N’ayez pas peur !… N’ayez pas peur !… Écoutez, je vais vous dire, Monsieur Coconas, c’est que je n’ai pas comme vous sur moi de…

(Il indique l’épée.)

Coconas. — C’est juste !… Prenez ma dague !

Follentin. — Hein ? Mais non !… mais non !

La Hurière. — Inutile, messeigneurs ! je vois que j’ai affaire à des gens de qualité, et je me souviens que j’ai là quelque part…

Coconas. — Hâte-toi donc, manant, si tu ne veux que je te fourre mon pied dans ton quelque part.

La Hurière. — J’y cours, mon gentilhomme !

(Il sort.)

Follentin. — Quelle morgue ! Comme il est grand seigneur !

Coconas. — Mordi, Monsieur ! Si nous prenions place à cette table.

Follentin. — Mordi, j’allais vous en prier ! Bobonne, Monsieur Coconas à ta droite !…

Madame Follentin (s’asseyant). — Monsieur Coconas.

Follentin. — Marthe ! À la droite de Monsieur Coconas.

Coconas. — Palsangué ! je suis ce soir le plus heureux des hommes ! (Montrant Marthe.) Entre Vénus et… (Il montre Madame Follentin.) et Junon.

(Tout le monde s’assoit. Coconas entre les deux femmes, face au public, Follentin, le dos au public.)

Madame Follentin et Marthe. — Oh ! charmant !… Charmant !

Follentin. — Hein ?

Les Quatres Filles de L’Aubergiste.

Salut, Messieurs les gens de qualité !
Que faut-il pour votre service ?
Excusez le garçon d’office !
Il vient d’aller, juste, en course à côté.
Mais qu’à cela ne tienne.
En attendant qu’il vienne,
Nous allons de concert
Vous mettre le couvert

Première jeune fille.

Moi, je drape
Cette nappe.

Deuxième jeune Fille.

Moi, je mets
Les gobelets.

Troisième jeune Fille.

Les assiettes,
Les plus nettes.

Quatrième jeune Fille.

Et moi, le plus sérieux,
Les bouteilles de vin vieux.

La Hurière (arrivant de la cuisine).

Enfin voici la poularde,
Qui mijote dans sa barde.

Follentin. — Oh ! la poularde.

Tous (avec joie). — Ah !

Les Quatre jeunes Filles.

Voilà Messieurs les gens de qualité !
Mieux valait faire le service,
Qu’attendre le garçon d’office,
C’est parfois long, une course à côté.

Coconas.

Les petites sont adorables,
Aubergiste de tous les diables.
Je te pardonne tes façons,
Pour ces quatre minois fripons.

La Hurière. — Ah ! Monseigneur.

Follentin.

Parbleu ! Messire,
Je rends hommage à ces tendrons.
Mais ce souper aussi m’attire.
J’ai l’estomac dans les talons.

Coconas.

C’est juste,
Moi-même je me sens toute une faim robuste.
Allez, manant, sers !

Marthe.

Mais, mère, on manque de couverts ?

Madame Follentin.

C’est pourtant vrai, quelle étourderie !
Maître d’hôtel, des couverts, je vous prie !

La Hurière et Les petites.

Des couverts ?

Marthe (moqueuse).

À moins quelquefois
De vouloir qu’on mange avec ses dix doigts.

Coconas.

Mais avec quoi donc, belle dame,
Prétendriez-vous que nous mangeassions ?

Marthe.

Avec quoi nous prétendrions ?

Coconas.

Mais, dame !…

Marthe.

Vous avez de ces questions,
Messire. Et la fourchette,
Est-ce pour les chiens qu’elle est faite ?

Tous (moins les modernes).

La fourchette !… la fourchette !… la fourchette !…

Les Trois.

Eh ! oui, pardine, la fourchette.

Tous.

La fourchette
Vous connaissez ça, la fourchette ?
Moi, connais pas ça, la fourchette.
Tu connais, ça, toi, la fourchette ?
Moi, pas du tout, quoi ! la fourchette.

Les Trois.

Quoi, vous ignorez la fourchette ?

Tous.

Oui, nous ignorons la fourchette.

Les Trois (riant).

Ah ! vous ignorez la fourchette ?

Tous.

La fourchette !… la fourchette !… la fourchette !
Qu’est-ce que c’est que la fourchette ?

Marthe.

Hein ! Ce que c’est que la fourchette ?

Tous.

Oui ! Dépeignez-nous la fourchette.

Follentin.

Que je dépeigne la fourchette ?
Soit ! C’est bien simple, la fourchette.

Tous.

La fourchette !… la fourchette !… la fourchette !…

Follentin.

Légende de la fourchette


I

La fourchette, c’est quelque chose
Comme une fourche en réduction.
C’est même de là, je suppose,
C’est de là que vient l’expression

Fourchette ! Fourchette !

Petite fourche autrement dit,
Les mots toujours en « et », en « ette »
Désignant l’objet plus petit,
C’est un instrument très pratique,
Lorsque l’on pense qu’autrefois,
On avait pour fourchette unique

Le bout de ses doigts.

C’était vraiment intolérable,
Cela gâtait tous les festins.
De ne pouvoir sortir de table

Sans gras plein les mains.

Aussi l’on était très morose,
Il fallait trouver quelque chose,

Et voilà ! Et voilà !

D’où devait naître la fourchette.
Aujourd’hui, parbleu ! ça paraît bêbête,

Mais voilà, Mais voilà !

Fallait-il encore trouver ça !


II

jadis fermière très peu sage,
Avait un époux sans ardeur,
« Ah ! tant pis, se dit la volage,
« Il a mérité son malheur. »

Cornette ! Cornette !

Petite corne autrement dit,
Ce fut, pour lui conter fleurette,
Ce fut son valet qu’elle prit.
Son mari, sur cette entrefaite,
En rentrant des champs la trouva.
Il paraît qu’il fit une tête !

Dame ! on comprend ça.

La fourche en main et droit au ventre,
Se précipite sur le gars
Et jusqu’aux tripe la lui rentre.

Puis, à bout de bras,

L’emporte telle une brochette
Laissant Madame stupéfaite.

C’est de là, c’est de là,

Que devait naître la fourchette.


III

De son carreau suivant le drame,
Et le groupe qui s’éloignait,
« Sur sa fourche, pensait la dame,
« Qu’il est donc menu mon valet. »

Fourchette ! fourchette !

Fourchette, ah ! oui, se serait mieux dit,
Qu’à certaine distance on se mette,
Tout aussitôt devient petit.
Là-bas cette forme embrochée,
Semble quelque morceau friand,
Dont on ferait une bouchée,

L’ayant sous la dent

Comme cette fourche une tige
Chez quelque raffiné de choix,
Afin d’éviter tout vestige

De gras sur les doigts.

Soudain, la femme devint verte.
La fourchette était découverte,

Et voilà ! Et voilà !

Comment on trouva la fourchette.
Etc.

Follentin. — Comment, alors ! Vous ne connaissez pas les fourchettes ?

Coconas. — Eh ! Non ! L’usage n’est pas encore venu à Paris.

Follentin, à part. — Ils ne connaissent pas !… (Brusquement.) Mais alors, ma fortune est faite !

Coconas. — Allons, passez-moi la poularde.

Il déchiquète la poularde à pleine main.

Tous. — Oh !

Follentin, à part. — Ils sont tout de même un peu primitifs.

Coconas, à Madame Follentin. — Cette aile, belle dame.

Follentin, à part. — Hein ! avec ses doigts, c’est ragoûtant !

Coconas, à Marthe. — Cette autre aile, beauté de mon âme ?

Les deux Femmes. — Hein !

Follentin. — Comment est-ce qu’il l’appelle ?

Coconas. — Parbleu ! Monsieur de Follentin, vous avez là une fille qui vous fait honneur et j’en ferais volontiers la compagne de mes nuits !

Follentin. — Hein !

Coconas, indiquant la poularde. — Et vous ?

Follentin. — Le croupion, si vous voulez bien ! (Il indique le morceau.)

Coconas. — Ah ! La mître de Son Eminence ! Pincez-la donc vous-même !

Il tend la carcasse du poulet à Follentin qui tire lui-même le croupion. Ils se mettent à manger tant bien que mal.

Marthe, au bout d’un certain temps. — Comme on mange salement !

Ils cherchent des serviettes pour s’essuyer les mains.

Madame Follentin. — Qu’est-ce que tu cherches, papa ?

Follentin. — Pour m’essuyer les mains.

Coconas. — Eh ! bien, la nappe !

Madame Follentin. — La nappe !

Follentin, à part, s’essuyant les mains à la nappe. — C’est ça ! c’est l’étable à cochons.


Scène III

Les Mêmes, MAUREVEL sous les traits de BIENENCOURT

Marthe, apercevant par la fenêtre qui sépare l’auberge de la rue, Maurevel qui s’arrête inspectant la place. — Ah ! papa, regarde, là, sur la place…, l’homme au manteau amadou.

Follentin. — Eh bien ?

Madame Follentin. — Quoi ! Le manteau amadou ?

Marthe. — Dans Dumas !… Le Sire de Maurevel.

Follentin. — Hein, le traître ! Pourquoi veux-tu ?

Marthe. — Si on l’appelait l’homme au manteau amadou, c’est qu’il était le seul à le porter !

Follentin. — Tu crois ?

Madame Follentin, à Coconas. — Oh ! Monsieur Coconas ! Vous qui êtes du temps !… regardez sur la place, vous devez connaître cet homme !… Qui est-ce ?

Coconas. — Moi ! Comment voulez-vous ! Je suis arrivé hier du Piémont !

Follentin. — Cependant, dans Dumas !

Coconas. — Quoi ! Dumas. Vous venez tout le temps me parler de Dumas. Je ne connais pas cet homme-là !

Follentin. — C’est juste !… Ah ! mais il vous connaît bien, lui.

Marthe. — Oh ! papa !… le voilà.

Maurevel a repris sa marche et entre dans l’auberge. Il jette un coup d’œil circulaire, aperçoit les Follentin et paraît les reconnaître.

Maurevel. — Ah !

Il s’approche d’eux, les regarde fixement un instant.

Madame Follentin. — Comme il nous regarde !

Follentin, reconnaissant les traits de Bienencourt. — Ah !

Madame Follentin et Marthe. — Quoi ?

Follentin. — Rien ! N’aie pas l’air…

À ce moment, La Hurière sort de sa cuisine. Maurevel l’aperçoit et va à lui, Conciliabule des deux hommes.

Follentin, à Madame Follentin et à Marthe. — Avez-vous remarqué comme il ressemble à Bienencourt ?

Coconas. — À Bienencourt ?

Madame Follentin. — Oui, Oui !

Marthe. — C’est étonnant !

Follentin. — Quand je vous disais que Bienencourt était un traître !

Coconas. — Eh ! mordi !… Laissons ce Bienencourt que je ne connais pas et faisons honneur à ce vin de France ! [1]

Il leur verse à boire. Entre temps à l’arrivée de Maurevel, La Hurière est allé quérir les conjurés qui peu à peu sont venus du dessous se rassembler autour de Maurevel. Ils se mettent à chuchoter en désignant les Follentin.

Coconas, à La Hurière. — Eh ! l’hôtelier ! un autre broc !

La Hurière. — Voilà, messire ! Voici justement mon valet qui revient, il va vous apporter cela ! Eh ! là-bas.


Scène IV

Les Mêmes, GRÉGOIRE sous les traits de GABRIEL

Grégoire. — Voilà, patron !

La Hurière. — Tiens ! occupe-toi de ces gentilshommes.

Grégoire. — Vous désirez, messires ?

Follentin. — Ah !

Tous. — Quoi ?

Follentin. — Et celui-là ! et celui-là !… Comme il ressemble à ce galopin de Gabriel !

Coconas. — Gabriel, mais je ne le connais pas.

Follentin. — Il ne connaît personne.

Marthe. — Attends un peu. Comment vous appelez-vous, garçon ?

Grégoire. — Moi, Mademoiselle ! Je m’appelle Grégoire !

Follentin. — Ah ! Ah ! ce n’est pas ça, alors.

Marthe. — C’est dommage !

Madame Follentin. — Tu vois des ressemblances partout.

Coconas. — Vous avez fini ? Allons, garçon, un troisième broc du même. (Grégoire sort.) Un peu de gaité ! Vive Dieu ! Votre fille est charmante, Follentin, et je l’aime ! [2]

Madame Follentin. — Mais monsieur ! Voulez-vous bien !…

Coconas. — Laissez-moi, la mère !

Marthe. — Oh !… Oh !… papa ! il me fait du pied !

Follentin. — Vous faites du pied à ma fille ?

Coconas. — C’est exprès ! C’est ainsi qu’aujourd’hui on exprime une invite à l’amour, ange de ma vie.

Les deux Femmes. — Oh !

Follentin. — Mais, à la fin, Monsieur Coconas !

Coconas. — Qu’est-ce à dire, Monsieur Follentin ?

Follentin. — Je dis, Monsieur, que je ne permettrai pas…

Coconas. — Ventrebleu ! Voudrez-vous me disputer cette enfant à la pointe de votre épée ?… (Son épée d’une main, saisissant Marthe de l’autre.) Venez donc l’arracher de mes bras !

Marthe. — Voulez-vous me lâcher ! Voulez-vous me lâcher !

Madame Follentin. — Mon enfant ! Mon enfant ! Rendez-moi mon enfant !

Follentin. — Mon Dieu, que c’est embêtant ! Mon Dieu, que c’est embêtant !

Madame Follentin. — Adolphe ! Tue-le ! Tue-le !

Follentin. — Mais comment veux-tu que je le tue ! J’ai rien (À Coconas.) Monsieur, vous vous conduisez comme un pignouf !

Coconas. — Pignouf ! J’ignore ce mot, mais je sens qu’il me blesse ! Par le nom vénéré de mon maître, Monseigneur le duc de Guise…

La Hurière et Maurevel. — Le duc de Guise !

Coconas. — …Voudriez-vous en découdre ?

Follentin. — Quoi ?

La Hurière, bas à Maurevel. — Son maître, le duc de Guise.

Maurevel. — Celui-là est des nôtres.

Coconas, à Follentin. — Allons, monsieur ! Flamberge au vent !

Follentin. — Non, monsieur, non ! Pas de flamberge ! je ne suis pas de ceux qui croisent le fer au coin des rues ! Je me contente de répondre en protestant !

La Hurière et les consommateurs au fond, chuchotant. — C’est un protestant ! C’est un protestant !

Maurevel, s’approchant de Coconas, à mi-voix. — À vous, messire, deux mots. Au nom du duc de Guise, suivez-nous. Ici, on pourrait nous entendre !

Coconas. — Sortons !

Maurevel. — Sortons !

La Hurière. — Sortons ! (Il entraîne Coconas dans la rue.)

Follentin. — Eh ! bien, où va-t-il ? Il nous laisse là !

Pendant tout le dialogue qui suit, les conjurés qui sont dans la rue avec Coconas reprennent en sourdine l’ensemble de la conjuration.

Madame Follentin. — Je t’assure, mon ami, que nous devrions retourner aux XXe siècle.

Follentin. — Ah ! tu es bonne, toi ! (Voyant Grégoire qui rentre de la cuisine avec une bouteille de vin.) Ah ! voici le garçon qui ressemble à Gabriel.

Grégoire. — Vous êtes seuls ?… Je peux enfin vous parler.

Follentin. — Qui êtes-vous ?

Grégoire. — Je suis celui qui vous protège ! Vous ne pouvez pas rester une minute de plus ici.

Madame Follentin. — Pourquoi ?

Grégoire. — Parce qu’il y a des armes qui se fourbissent dans l’ombre ! Parce qu’il y a du feu qui couve ! Parce que tout à l’heure, quand, tintera la cloche de Saint-Germain-l’Auxerrois, il sera trop tard, parce que c’est la nuit de la Saint-Barthélemy.

Follentin. — Nom de Dieu !… Filons !

Grégoire. — Oh ! mais pas comme ça. Pour assurer votre sauvegarde, mettez ces croix à vos chapeaux !

Follentin. — La croix de Lorraine ! Vite ! mes enfants ! mettez votre croix.

Marthe. — Ah ! oui ! la croix de Lorraine.

Follentin. — Ah ! merci, jeune homme, merci. (À sa femme et sa fille qui mettent leurs croix.) Mon chapeau, où est mon chapeau ? (Il le prend et dans son trouble, il met la croix sur le derrière du chapeau et se coiffe.) Maintenant, filons !

Il se précipite vers la porte de la rue qu’il ouvre.

Tous. — On ne passe pas.

Follentin. — Pardon, messieurs, regardez ! J’ai la croix de Lorraine !

Il montre le devant de son chapeau où il suppose la croix.

Tous, tirant leurs épées. — Il ne l’a pas ! Sus aux Huguenots !

Follentin, rentrant affolé dans l’auberge. — Ah ! mon Dieu ! au secours ! Au secours !

Marthe et Madame Follentin. — Au secours ! Au secours !

Elles rentrent précipitamment, entraînées par Grégoire dans l’hôtellerie. Maurevel, La Hurière et les consommateurs poursuivent Follentin qui se sauve dans l’escalier.

Madame Follentin, à Grégoire. — Au nom du ciel, monsieur ! Sauvez-nous, sauvez ma fille !

Grégoire. — Venez par ici !… (Il les fait entrer toutes les deux dans la cuisine.) Vous trouverez une issue !

Maurevel et les autres, arrivant devant la porte. — Sus aux Huguenots ! tue ! tue !

Follentin. — Au secours ! Au secours !

Poursuite, tocsin.

Maurevel. — Le tocsin !

Tous. — Le tocsin !

Maurevel. — Voilà qui va donner l’éveil ! Au Louvre ! Au Louvre !

Gens armés, tocsin.

Follentin. — Ah ! non ! Tomber juste sur la Saint-Barthélemy ! Zut ! Zut ! Zut !


RIDEAU

VARIANTE
Coconas, chantant.

J’ai le gosier sec
Et je bois de même
Se rincer le bec
Est tout ce que j’aime.

(À Follentin.)

L’ami, s’il vous plaît,
Votre gobelet !

Il verse.

(Aux deux femmes.)

Et vous, toutes chères,
Tendez-moi vos verres !

Les deux Femmes, plus préoccupées de ce qui se passe au fond. (Chanté) — Voilà ! Voilà !

Follentin, bas à sa femme indiquant Bienencourt et les conjurés.

As-tu remarqué depuis qu’il est là
Tous ces gens soudain qui sortent de terre.

Madame Follentin. — Oui, j’ai remarqué.

Marthe. — Qu’augurer de ça ?

Follentin. — Je me sens troublé par tour ce mystère.

Coconas, à sa boisson.

Ah ! c’est bon ! Ah c’est bon ! Ah c’est bon !
Le vieux vin, le bon vieux vin de France.
Cela vous met d’aplomb,
Cela donne du ton.
Ça vous chauffe et réchauffe la panse.
C’est la joie en flacon
Avec la déraison,
Tout au fond, tout au fond,
Au fond du carafon.

Follentin, à sa femme. — Que font-ils ?

Madame Follentin.

Chut ! prends garde,

Ne te retourne pas !
En chuchotant tout bas
La bande nous regarde.

Coconas.

Ah ! c’est doux ! Ah ! c’est doux ! Ah ! c’est doux !
Ce divin, cet exquis cher breuvage.

Madame Follentin.

Chacun nous dévisage,
Nous observe en dessous.
Vrai ! l’on dirait, je gage,
Qu’ils en ont après nous.

Follentin. — Après nous ?

Les deux Femmes. — Après nous.

Coconas.

Eh ! bien qu’attendez-vous
Pour boire davantage ?

Follentin, chanté. — Voilà ! Voilà ! (À part.) Mon Dieu, je suis en nage.

Coconas. — Quel buveur de deux sous. (Il lui verse.)

Les Conjurés, chuchotant entre eux de façon qu’on n’entend qu’une rumeur confuse. — Chi bi chi bi chi.

Bienencourt. — Ha bou la bou tcha,

Les Conjurés. — Pa la patcha patcha.

Bienencourt. — Tou la nitchou macha.

Follentin, pendant que les autres continuent à chuchoter. — Entends-tu ce qu’ils disent

Madame Follentin. — Rien, rien.

Coconas. — C’est bon ! ces vins vous grisent !

Follentin. — Écoute bien.

Madame Follentin. — J’entends, mais je ne comprends rien.

Follentin. — Mon Dieu, mon Dieu, les sales blagues.

Madame Follentin.

Je ne perçois que des sons vagues,
Quelque chose comme cela :
Chibou, chiboula, ala tchi ma na !
Si tu comprends ce parler-là !

Follentin.

Ça y est, je flaire un drame.

Coconas.

Mais buvez donc un peu !

Tous les trois.

Mon Dieu, qu’est-ce qui se trame ?
Qu’est-c’qui s’trame mon Dieu ?

Coconas, à La Hurière qui est occupé à fourbir un casque.

L’aubergiste, une autre bouteille !

La Hurière, sans se déranger.

À merveille !
Justement voici
Notre garçon d’office.
Affaire de service,
Adressez-vous à lui.

Coconas. — Garçon !

Le Garçon. — Votre grandeur désire ?

Tous les trois. — Ciel !

Follentin. — C’est Gabriel.

Madame Follentin. — C’est Gabriel.

Marthe. — C’est Gabriel.

Coconas. — Gabriel ?

Follentin, au garçon.

Vite, pas de cachotterie,
Gabriel c’est bien votre nom ?

Le Garçon.

Mon nom ? Non ! non !
Mon nom, c’est Jean-Marie.

Follentin.

Ah ! pardon, c’est une erreur.

Le Garçon.

Pas de mal, Monseigneur.

Les deux Femmes.

Ce n’est pas Gabriel ?

Follentin.

Ce n’est que son sosie.

Coconas.

Alors, mordi ! valet,
Vite une autre bouteille.

Et surtout la pareille
Du même, s’il te plaît.


Le garçon sort.
Ensemble

Les Conjurés, prêtant serment.

Sept, neuf, vingt-sept, quarante
Dix, deux, huit, quatre, un, trente,
Trois, huit, dix, neuf, zéro,
Vingt, dix, deux, sept, neuf, seize,
Six, cent, mille, onze, un, treize,
Neuf, trois, huit, huit, dito.

Follentin.

Mon Dieu cet air qu’on chante !
Ceux que j’ai dans le dos !

Les deux Femmes.

Quoi ? quoi ?

Follentin.

Ne t’en déplaise,
Ce sont des Huguenots.

Les deux Femmes.

Des Huguenots ! des Huguenots !

Follentin.

Oui, nous tombons, ma chère,
Ah ! la fameuse affaire !
En plein dans leurs complots.
Que c’est épouvantable !
Que c’est donc effrayant
De se sentir à table
Au-dessus d’un volcan !

Ensemble

Coconas.

Le vin est délectable
Et pétille en sortant,
S’épandant sur la table
En lave de volcan !

Tous les trois.

Que c’est épouvantable !
Que c’est donc effrayant
De se sentir à table.
Au-dessus d’un volcan.

Marthe, indiquant La Hurière assis sur un baril et nettoyant une arquebuse. — Eh là !… Eh là !…

Madame Follentin. — Plaît-il ?… Plaît-il ?…

Marthe.

Et là sur son baril
Le patron qui s’amuse,
À moins que je m’abuse
À fourbir son fusil.

Follentin.

Ce n’est pas un fusil,
Ce n’est qu’une arquebuse.
Mais tout ça c’est subtil,
Arquebuse et fusil,
Quand sur vous l’on en use
Ça se vaut comme outil !

Reprise de l’Ensemble

Ensemble

Coconas.

Ce vin est délectable,
Et pétille en sortant
S’épandant sur la table
En lave de volcan.

Tous les trois.

Que c’est épouvantable !
Que c’est donc effrayant
De se sentir à table
Au-dessus d’un volcan.

Coconas.

Ah ! c’est bon ! Ah ! c’est bon ! Ah ! c’est bon !
Le vieux vin ! le bon vieux vin de France !
Cela vous met d’aplomb.
Etc.

Les Conjurés.

Sept, neuf, vingt-sept, quarante,
Dix-neuf, huit, quatre, un, trente.
Etc.

Les deux Femmes.

Quel émoi
Me pénètre !
Je sens dans tout mon être
La terreur et l’effroi
Ah ! tout se glace en moi !
Oh ! mon Dieu, mon doux Maître…
Sauvez-les, sauvez-moi.

Follentin.

Près de moi
Se perpètre,
Tout prêt à se commettre
Un drame, sais-je quoi,
Qui me glace d’effroi.
Ô Seigneur, ô mon Maître
Sauvez-les, sauvez-moi !

Coconas. — Allons, Follentin ! un peu de gaieté ! Vive Dieu ! vous avez une façon de me tenir tête quand je me sens d’humeur folâtre ! Votre fille est charmante, Follentin, et je l’aime ![3]

  1. Variante en fin de tableau.
  2. Reprise après la variante.
  3. Reprendre avant la Variante