L’Âme des saisons/Parabole

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Veuve Fred. Larcier, Editeur (p. 149-151).
II


PARABOLE


Seigneur, le beau jardin que Vous m’aviez commis
S’éplore sous le vent d’octobre et s’échevèle
Et pousse de grands cris...

Seigneur, voyez ce que j’ai fait du beau jardin !

Je n’en ai point arraché l’herbe mauvaise.
Je n’en ai point arrosé les roses, le matin,
Lorsque juillet les surplombait d’un ciel de braise.
Je n’en ai point redressé les tiges, de mes mains.


Je n’en ai point taillé la vigne.
Je n’en ai point chassé les vers.
J’ai laissé le limon souiller ses bassins clairs.
Les ondes sont jaunâtres et les cygnes
Morts de faim.

Seigneur, voyez ce que j’ai fait du beau jardin !

Un jour j’ai frissonné devant mon œuvre. Alors,
Livide et lâche en face de l’effort,
Je me croisai les bras et je devins statue.

La bourrasque a cassé mainte branche et meurtri
Les dahlias couchés sur les ronces. La nue
Glace les fleurs et les pourrit de bruine. Les fruits
S’écrasent lourdement dans la fange visqueuse
Où guêpes et limaçons en rongent les débris.
Les vers piquent le bulbe pur des tubéreuses,
Et, le matin, à l’heure où le brouillard se liquéfie,
Des toiles d’araignée en réseaux vaporeux
Palpitent sous le ciel frileux.

Or, la statue est immobile, cependant
Qu’un suprême jet d’eau dans sa vasque flétrie


Sanglote le néant de vivre, sourdement.
Pourtant, par ce midi plus tiède, où son épaule
Tressaille au doux soleil d’octobre qui la frôle,
La statue ouvre l’œil très lentement... — L’azur
Comme une immense fleur mourante s’étiole,
Quelques lents papillons floconnent dans l’air pur,
La feuille morte au soleil tiède fleure,
Pendant qu’un angelus lointain
Neige en convolvulus d’argent sur le jardin.

Alors, celui qui fut de pierre, des deux mains
Voile sa face longuement, et pleure...