L’École de la paix sociale/06

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Alfred Mame et fils (p. 14-17).


§ 6

Comment, jusqu’à ce jour, le bonheur des hommes a décru
à mesure qu’ils se sont éloignés de la région boréale où persistent
les productions spontanées du sol et des eaux.


La décroissance signalée par le titre de ce paragraphe est un trait dominant chez les Européens et les Asiatiques. Ce trait est constaté depuis les premiers âges de l’histoire, et il est confirmé par l’observation des peuples contemporains. La permanence de ce phénomène social démontre qu’il est le résultat de certaines influences locales qui combattent la soumission au Décalogue avec d’autant plus d’intensité qu’elles agissent plus loin de la région boréale (§ 4). La persistance des productions spontanées vers le pôle et l’accroissement progressif du froid à partir de l’équateur figurent au premier rang de ces influences. D’un autre côté, deux causes principales modifient le phénomène signalé : l’une, toute physique, est la variation brusque du relief des territoires ; l’autre, toute morale, naît de la tradition qui a développé, à une époque antérieure, chez les gouvernants les habitudes de vertu ou de corruption.

La partie habitable du globe terrestre que je nomme « la région boréale », commence uniformément au 72e degré de latitude. Elle s’arrête au 60e sur les rivages de la mer du Nord et de la Baltique, au 50e en Amérique, et s’étend jusqu’au 45e dans l’Europe centrale et en Asie. Dans toute cette étendue, persistent les productions spontanées qui existaient avant l’apparition relativement récente de l’homme. Au Nord dominent les eaux marines exploitées par des races de pêcheurs. Au centre se rencontrent des forêts d’arbres résineux parsemées de clairières qu’exploitent des races composées surtout de chasseurs. Au midi enfin apparaissent des steppes (O. e, I, ii, 2), exclusivement habitées en Asie par des pasteurs et par des chasseurs en Amérique. Les constitutions sociales de ces trois races simples de la région boréale sont, pour la plupart, identiques avec la Constitution essentielle ; aussi est-ce parmi ces races que j’ai aperçu pour la première fois, en traits distincts, les sept éléments de ce régime (C. e, Aperçu préliminaire, § 4). Chez celles de ces populations qui offrent les meilleurs modèles, la soumission au Décalogue est assurée par l’autorité paternelle, soumise elle-même à Dieu.

La décroissance du bonheur fondé sur la paix ne se produit pas seulement de l’équateur à la région boréale : elle est manifeste dans cette région même, du nord au midi, sur les trois zones occupées par les trois races que je viens de signaler. Ce phénomène social a, sur ces trois zones comme sur les régions tempérées et chaudes, la même explication : plus la chaleur du climat augmente, plus il est difficile au peuple et surtout aux gouvernants de pratiquer la loi morale et d’éviter la corruption.

Les pêcheurs de la zone glacée pratiquent mieux que toute autre race les principes de la constitution essentielle. La supériorité qui leur est acquise à cet égard peut être démontrée par ce fait qu’ils ne songent point à organiser la souveraineté. Les conflits qui s’élèvent sont toujours apaisés par les chefs des familles intéressées. Chez les chasseurs de la zone centrale, la propriété des forêts qui leur fournit la subsistance n’est point attribuée à certaines familles dirigeantes ; elle n’est pas non plus partagée entre toutes les familles. Elle l’est toujours entre des tribus indépendantes. Les conflits amenés entre deux tribus voisines par la poursuite du gibier, rendent déjà nécessaire l’organisation de la souveraineté. Celle-ci est habituellement confiée à un conseil d’anciens où siègent tous les chefs de familles. Sous ce régime de propriété communale et de souveraineté collective, les conflits que le droit de propriété soulève entre deux tribus sont facilement apaisés par la sagesse des anciens. Ceux-ci sont encore plus aptes à conjurer les discordes qui divisent, au sein de chaque tribu des familles placées, en ce qui touche les moyens de subsistance, dans des conditions d’égalité. Les pasteurs, enfin, présentent un cas intermédiaire entre la condition sociale qui caractérise les populations des deux zones précédentes et celle qui distingue les nations de la région tempérée. Parmi les races pastorales, en effet, les unes restent simples en conservant le régime de la propriété communale ; les autres se compliquent en créant la propriété patronale et la propriété familiale.