L’École des biches/Deuxième entretien

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J. P. Blanche (p. 35-60).

DEUXIÈME ENTRETIEN.

La chambre à coucher de Caroline.
le comte, caroline, marie.
marie.

Bonsoir, Caroline. Comment, déjà couchée !

caroline.

Un caprice ! Je suis allée dans la journée me promener au bois, le grand air m’a saisie, et, ma foi ! me trouvant fatiguée, je suis passée de la table au lit. Cela ne nous empêchera pas de causer. Assieds-toi là, près de moi, et dis un peu où en sont tes affaires. As-tu suivi bien exactement mes instructions ?

marie.

Oui, ma cousine. Adrien est venu hier, comme de coutume, me chercher à la sortie de l’atelier. Il avait l’air triste, ce pauvre ami ; je lui en demandai la raison ; il a prétexté que cela venait d’être resté deux jours sans me voir ; je lui ai répondu qu’il devait en prendre son parti ; qu’à l’avenir il me serait peut-être impossible de le voir tous les jours ; que ma mère, étant plus sévère que celle de Louisa, pourrait, si mes absences devenaient journalières, avoir soupçon de ma conduite, et s’arranger de manière à ce que toute entrevue devînt impossible.

caroline.

Voilà qui n’est pas mal trouvé pour une novice. Voyons si tu as été aussi forte sur le chapitre des informations ?

marie.

Mon Dieu ! cela n’a pas été bien difficile. Je n’ai pas eu besoin de m’adresser à Louisa : Adrien est venu au devant de mes questions. Il m’a dit qu’il était élève en peinture, que ses parents, sans être riches, vivaient de leurs rentes ; qu’il était logé chez eux, et même défrayé de tout, mais que pour l’argent, par exemple, ses parents prétendaient qu’il était arrivé à un âge où il devait en gagner, et non pas en recevoir ; en conséquence, il convint que sa bourse n’était pas toujours bien garnie et ne s’emplissait que quand il pouvait vendre quelques-unes de ses croûtes. (C’est ainsi qu’il appelle ce qu’il fait.) Il me semble bien, cousine, que cela a l’air d’être vrai, et qu’on peut croire à ses paroles.

caroline.

Ainsi, d’après toi, ce garçon serait parfait ?

marie.

Je ne dis pas cela ; mais enfin, s’il voulait me tromper, il ne m’aurait pas avoué aussi franchement sa position modeste.

caroline.

Tu crois ? Il faut que je te dise que la franchise peut quelquefois mieux servir nos projets que la dissimulation. Aussi, tu me permettras de douter de lui jusqu’à ce que j’aie acquis plus de certitude dans les renseignements que tu me donnes.

marie.

Comment tu croirais à un mensonge ?

caroline.

Non ! mais je te vois si confiante, que tu ne trouveras pas mauvais que dans ton intérêt même je prenne mes précautions.

marie.

Mais qu’est-ce que cela peut faire, puisque je t’ai promis la confidence entière de mes actions et même de mes pensées, et, de plus, de me conformer en tout à tes volontés. Je vais te prouver par ma franchise que je sais tenir mes promesses, en te racontant ce qui m’arriva à la suite de notre entretien, et certes, sans la méfiance où je te vois, je ne sais si j’aurais jamais osé.

caroline.

C’est donc sérieux ? Je t’écoute !

marie.

Comme Adrien finissait de me donner les renseignements que je demandais, nous arrivions près de la maison. Au moment de me faire ses adieux, il voulut m’embrasser à ta manière ; mais, me rappelant ta défense, par un brusque mouvement de tête en arrière j’esquivai son baiser ; alors, saisissant ma main, il la porta à sa culotte, et je sentis là quelque chose de très-gros et de très-dur.

caroline (riant).

Allons, cela va bien. M. Adrien voulait te faire voir qu’il bandait !

marie.

Je ne sais pas, ma cousine, mais je fus fort étonnée de ce que j’avais senti.

caroline.

Pardi ! Tu avais senti ce que tu peux sentir à tous les hommes, puisque c’est ce qui distingue leur sexe du nôtre.

marie.

Cela ne peut pas être comme tu le dis, ma cousine, car j’ai toujours remarqué, en regardant les statues, que ce qui distinguait les hommes des femmes était un objet plus petit et qui pendait entre leurs cuisses, tandis que ce qu’il me fit toucher était très-dur, et, au lieu de pendre, remontait vers son ventre.

caroline.

Fiez-vous donc à l’ignorance des jeunes filles pour ne rien voir !

marie.

Dame ! je ne puis pourtant pas, quand je sors fermer les yeux. Faut-il encore que je voie clair à marcher !

caroline.

C’est juste. Voyons la suite.

marie.

Ne sachant ce que je sentais, je retirai ma main malgré les efforts qu’il fit pour la retenir. Il me quitta alors d’assez mauvaise humeur, me reprochant mon peu d’abandon avec lui. Je rentrai fort émue chez ma mère, et me mis de suite au lit. Une fois couchée, je pensai à ce qui venait de m’arriver, et aussi à tes recommandations. Le sommeil, comme tu le penses, avait peine à venir ; cependant je finis par m’endormir.

caroline.

C’est ainsi que se termina ton aventure ?

marie.

Oh ! non, ce n’est pas fini. Je voudrais même bien avoir l’explication de ce qui suivit ; seulement, je ne saurais pas te le raconter.

caroline.

C’est donc bien difficile à expliquer ?

marie.

Certainement, pour moi surtout. Ce que j’éprouvai dans mon rêve fut d’abord bien délicieux, mais le dénoûment m’a bien effrayée, et c’est ce dénoûment que je désirerais que tu m’expliques et sur lequel je voudrais être rassurée.

caroline.

Il y a donc un rêve et un dénoûment ? dis-nous cela, mignonne.

marie.

Je vais essayer. Après m’être couchée, quoique longtemps agitée, le sommeil finit par venir, et je m’endormis. Alors, je rêvai qu’Adrien était près de moi, qu’il me serrait dans ses bras, qu’il m’embrassait sur la bouche, et qu’il me mettait la main… Je n’oserai jamais !

caroline.

Ne vas-tu pas faire la bégueule à présent ! Il serait ma foi bien temps ! Allons, je vais t’aider. (Caroline, prenant la main de sa cousine, l’introduit sous la couverture, et la fixant bientôt sur le bon endroit :) Eh bien ! mademoiselle la pudibonde, était-ce là ?

marie (plus surprise que honteuse laisse sa main où sa cousine l’a placée, et sans se rendre compte de ce qui va arriver, répond à caroline, qui l’embrasse) :

Oui, c’était bien là !…

caroline.

Et que faisait cette main ?… Va donc… Allons !… Est-ce que tu n’es pas à ton aise ? Voyons, viens près de moi. (Marie se penche sur le lit.) Approche encore.

marie.

Alors, il faudrait que je me mette dans ton lit ?

caroline.

Eh bien oui ! viens à côté de moi ; je te donnerai mieux l’explication de ton rêve et de son dénoûment.

marie.

Faut-il aussi que je me déshabille ?

caroline.

Certes oui ! Allons, pas d’enfantillage, et dépêche-toi ! (Marie, que cette scène a fort animée, ne fait plus aucune façon ; elle est d’ailleurs aidée par Caroline, qui, de son côté, ne se gêne plus et ne cesse de porter les mains partout où elle suppose que sa cousine éprouve une sensation. Bientôt chaque vêtement est mis bas, et Marie, pressée dans les bras de sa cousine, est très-disposée à recevoir l’explication désirée.)

caroline.

Nous disions donc qu’il te mettait la main au con ?

marie.

Ah ! c’est ainsi que s’appelle ce que je touche ? Je ne le savais pas.

caroline.

Tu en apprendras bien d’autres ! Veux-tu exécuter maintenant sur moi ce qu’il te faisait ?

marie.

Je ne le saurais pas. Seulement, je me souviens que ses attouchements me procuraient un plaisir si vif, que je me réveillai, et que, portant ma main où je venais d’éprouver ce plaisir, je me sentis toute mouillée. Voilà, ma cousine, ce que je ne comprends pas et sur quoi je désire que tu me tranquillises.

caroline.

La chose est fort simple et fort naturelle : tu avais déchargé, ou, si tu aimes mieux, tu avais fait une fausse couche, parce que tous les tissus nerveux qui aboutissent aux organes de la génération, avaient été très-excités dans la soirée. Ensuite, la chaleur de ton sang ayant produit une abondance de sperme, il a bien fallu qu’il s’épanchât au dehors ; voilà ce qui a produit cette éjaculation qui t’a effrayée. Ceci arrive journellement aux personnes dont le tempérament est vigoureux, et qui vivent dans une absolue chasteté.

marie.

Voilà qui est beaucoup trop savant pour moi. En attendant que je sois plus instruite, tu devrais me l’expliquer plus simplement, et de façon à ce que je le comprenne.

caroline.

Je vais faire mieux. Pour que tu ne sois plus tourmentée si pareille chose t’arrive encore, je vais te faire éprouver, bien éveillée, les mêmes sensations que celles que tu as ressenties dans ton rêve.

marie.

Comment vas-tu faire, chère cousine ? C’est avec sa main qu’Adrien agissait : est-ce que tu pourras faire comme lui ?

caroline.

Tu vas le voir ! Mais d’abord retire cette chemise qui me cache tes charmes ; je vais en faire autant. (À une proposition si inattendue, il y a de la part de Marie un peu d’hésitation ; un reste de pudeur combat le feu qui la dévore ; mais ses désirs l’emportent bientôt ; la chemise tombe, et elle s’abandonne franchement aux attouchements libertins de la voluptueuse Caroline).

caroline.

À la bonne heure ! je t’aime mieux ainsi. Que ce corps est ferme et blanc ! Que ces deux fraises sur ces globes d’albâtre sont roses !… Comme cette fente vermeille, ombragée d’un poil si doux, est appétissante ! Partout quelle jeunesse, quelle fraîcheur ! Je ne puis m’empêcher de rendre hommage à tant de charmes ! Laisse, que je baise tout cela ! (Tout en parlant, Caroline couvre les charmes de notre ingénue Marie des baisers les plus brûlants, et par ses baisers et ses attouchements sur les parties les plus sensibles, les sens de Marie sont bientôt arrivés au plus haut degré de plaisir que de pareils jeux peuvent produire.)

marie.

Ah ! je n’y tiens plus ! Que me fais-tu ? Je me livre à toi ; fais de mon corps tout ce que tu voudras !

caroline.

Eh bien, puisque ce jeu te plaît, écarte seulement un peu tes jolies cuisses. (Marie obéit.) Comme cela ! j’y suis, je sens ton clitoris… Ah ! friponne ! comme il se raidit, comme il frémit sous les caresses de mes doigts !

marie (après quelques moments de ce jeu).

Cousine !… cousine !… c’est comme dans mon rêve ! Quelle jouissance !… oh !… oh !… je fonds… ça coule !…

caroline.

Eh ! oui, tu décharges. Tu vois bien, petite niaise, que la chose est très-naturelle, et qu’il n’y avait pas de quoi t’effrayer. Tiens, vois mes doigts : tu me les as joliment arrosés ! Tu vas assez bien pour une commençante !

marie.

Avec une aussi bonne maîtresse est-ce qu’on peut faire autrement ! Si pour finir mon éducation, tu voulais, tendre amie, que ta reconnaissante élève essaie à son tour de te rendre un peu du plaisir que tu viens de lui donner ?

caroline.

Puisque tu as si bonne intention, non-seulement je le veux bien, mais je vais t’y faire ajouter un raffinement qui augmentera ma jouissance.

marie.

Est-ce que c’est possible ?

caroline.

Certainement, si tu veux faire comme je vais te l’expliquer.

marie.

Compte sur ma bonne volonté. Mais laisse-moi d’abord t’embrasser ; ensuite je suis à tes ordres.

(Elles se tiennent un instant embrassées ; mais Caroline, pour qui ce passe-temps est insuffisant, la rappelle au service qu’elle en attend).

caroline.

Voici ce que tu vas faire : De ta main droite et avec ton index tu vas caresser légèrement mais avec vivacité mon clitoris ; en même temps tu vas introduire doucement et avec délicatesse l’index de la gauche entre les lèvres de mon con…

marie.

Mais, je vais te blesser !

caroline.

Non, n’aie pas peur ; enfonce… encore un peu… T’y voilà !… Il ne s’agit plus que de faire mouvoir ce doigt pendant que l’autre excitera mon clitoris ; et surtout que les deux fonctionnent en même temps. (Marie, quoique cela soit son début, exécute avec intelligence et adresse les instructions de sa cousine, dont le corps commence à s’agiter convulsivement. Bientôt, les fesses aussi s’agitent avec une telle vivacité, que, malgré le zèle et l’attention que Marie met à remplir ses fonctions, elle se trouve dérangée plusieurs fois. Enfin la crise approche).

caroline.

Va plus vite !… Bien !… comme cela… Ah !… je me meurs !… (À la décharge faite dans de si bonnes conditions succède un instant de repos et d’extase ; mais Caroline, bientôt remise, reconnaissante d’un plaisir si vif donné avec tant de zèle, saute au cou de Marie, et lui donne des baisers si lascifs, que de nouveaux désirs sont prêts à renaître.)

marie.

Es-tu contente de moi ? Ai-je bien fait selon ton désir ?

caroline.

Petite coquine ! quelle élève ! Il n’est pas besoin de te montrer les choses deux fois. Comme tu comprends !… comme tu exécutes ! Ce serait à croire que tu n’es pas novice à ce jeu.

marie.

Ah ! cousine, je t’assure bien que j’ignorais complètement que l’on pouvait se procurer d’aussi douces jouissances. Si je l’eusse su !… Mais dis-moi donc pourquoi tu n’as pas fait avec moi ce que tu viens de me montrer ?

caroline.

La raison en est bien simple : En introduisant mon doigt dans ton conin tout neuf, au lieu d’augmenter ta jouissance, tu aurais ressenti une douleur qui aurait détruit immédiatement les sensations agréables que tu viens de ressentir. Plus tard, quand tu seras plus endoctrinée, nous l’essaierons, et encore y mettrons-nous une grande prudence, afin de ne pas déflorer ton pucelage, mais seulement dans le but de faciliter le travail de celui à qui tu réserveras le bonheur de le cueillir.

marie.

C’est donc un bonheur pour les hommes de prendre un pucelage ?

caroline.

C’est pure vanité, car pour eux, c’est une véritable corvée, et pour nous une souffrance qu’il est impossible d’éviter la première fois que l’on se livre aux plaisirs de l’amour.

marie.

Eh bien ! puisqu’il faudra arriver à faciliter le travail de la prise de mon pucelage, si, pour diminuer cette souffrance que tu dis que l’on ressent toujours la première fois qu’on se laisse toucher par un homme, tu essayais un peu ce que tu dis ? Je verrai si je puis le supporter. J’ai bon courage, et tu viens de me donner tant de plaisir, que je puis bien endurer un peu de douleur.

caroline.

Voyez-vous, la petite gourmande ! Il ne faut que lui mettre l’eau à la bouche ! Non, mademoiselle, pas aujourd’hui. Déjà deux fois depuis hier, c’est assez ; il faut te reposer ; ta constitution n’est pas encore arrivée à son entier développement, et il faut encore des ménagements. À ton âge, tu peux bien essayer tes forces dans des escarmouches amoureuses, mais à condition de ne pas en faire abus ; là serait le danger, et surtout si, avec les lumières que tu viens d’acquérir, tu voulais te procurer seule d’incessantes sensations. Cette habitude une fois prise, il est très-difficile d’y résister, quoiqu’il en résulte les maux les plus fâcheux. Des vertiges, un amaigrissement extraordinaire accompagnés de maux de poitrine, une vieillesse anticipée et souvent la mort !

marie.

Tu n’as point cela à craindre pour moi. Malgré mon tempérament et ma jeunesse, j’ai trop de raison pour ne pas prendre garde et éviter de tels dangers. Je t’ai promis de te dire mes pensées, mes désirs, mes besoins. J’ai ton amitié, cela me suffit. Je te crois trop obligeante pour me refuser le service de tes caresses, s’il fallait calmer la violence de mes ardeurs.

caroline.

Oui, libertine, tu peux compter sur moi ; à condition toutefois que cela ne nuise ni à ta santé, ni à notre réputation : la sobriété et le mystère dans les plaisirs de l’amour sont nécessaires pour éviter tout danger ; mais, ceci franchement accepté et tenu par toi, je réponds de tout, et ma conscience sera même en repos ; car à qui faisons-nous tort, puisque le secret et la prudence de nos relations rendent tout scandale impossible ? Et quant à nos plaisirs, la nature n’a-t-elle pas ses lois invincibles ? Elle ne nous a pas donné tant de sensibilité dans de certains organes pour nous défendre d’en user. Une sagesse hors de saison va plus que contre ses lois. La vraie sagesse permet qu’on se donne dans ce monde les jouissances que nous préférons ; elle ne nous défend même pas d’aider les autres a en faire autant.

marie.

Alors, j’espère qu’un jour ton amour pour le prochain s’étendra jusqu’à Adrien.

caroline.

Certes, si je l’en vois digne, sois assurée que cela sera ; et pour te prouver ma bonne volonté, je suis prête à le recevoir. Tu peux me l’envoyer ; l’espérance d’une commande lui servira d’introduction. Une fois à confesse, je saurai bien ce qu’il pense, ce qu’il veut et même ce qu’il vaut. Si cette visite est à son avantage, je me charge de faire du comte son Mécène, et, plus rassurée sur ton avenir, j’aiderai au dénoûment de tes amours. (Pendant la fin de cette conversation, Marie a commencé à reprendre ses vêtements ; elle a presque fini de s’habiller, quand on entend des pas et des paroles dans l’antichambre.)

caroline (prêtant l’oreille).

Voici M. de Sarsalle ! Vite, petite, ôte les verroux et passe dans mon cabinet de toilette. Tu rentreras aussitôt que je t’appellerai.

le comte (après avoir frappé discrètement à la porte, l’ouvre lui-même, et passant la moitié du corps).

Peut-on entrer, chère belle ?

caroline.

Il est bien temps de demander la permission, monsieur le curieux !

le comte.

Antonia m’a dit que tu étais avec ta cousine, une jolie fille, à ce qu’elle prétend, et comme les verroux n’étaient pas mis, j’ai cru pouvoir me permettre… (Après avoir promené ses regards dans toutes les parties de la pièce.) Est-ce que j’aurais fait envoler la colombe ?

caroline.

Peut-être bien, monsieur l’indiscret, votre entrée subite… imprévue…

le comte (lui baisant courtoisement la main).

Est-ce que vous m’en voulez, méchante ?

caroline.

C’est selon. D’abord, que venez-vous faire à cette heure ? ce n’est pas votre habitude. Puis que veut dire cet air joyeux ?

le comte.

Cela veut dire, chère belle, que mon agent de change vient de m’annoncer qu’il avait réalisé un très-beau bénéfice sur une affaire que je croyais perdue. Cette aubaine me donnant beaucoup de facilité pour t’être agréable, je me suis empressé de venir te l’annoncer et te demander si tu avais quelque désir à satisfaire.

caroline.

Merci de votre amabilité, cher comte ; je vais profiter de votre offre. D’abord, embrassez-moi. Vous ne pouviez arriver plus à propos. Ma cousine, une jolie fille, ma foi ! — Antonia ne vous a pas trompé, — est venue me voir et me conter ses petits chagrins : Elle a un amoureux !

le comte.

Tu veux dire, un amant ?

caroline.

Non, monsieur, non ; un amoureux, qui l’aime, dit-elle, avec passion, et dont elle partage les sentiments.

le comte.

C’est toujours la même chose avec ces petites filles. Et quel est cet amoureux ?

caroline.

C’est un peintre, et vous savez que ces messieurs, s’ils ont quelquefois du talent, ont rarement de l’argent. Faites-lui une commande, mon cher comte ; vous me ferez d’abord un grand plaisir, et vous rendrez ma petite cousine bien heureuse ; elle vous en sera même très-reconnaissante.

le comte.

Bien volontiers ; mais ne puis-je donc voir cette jolie cousine à laquelle tu portes tant d’intérêt et qui a de si bonnes dispositions ?

caroline (approchant de la porte du
cabinet).

Viens, Marie. Voici M. le comte de Sarsalle qui désire te connaître. (Caroline va prendre Marie, qui, un peu honteuse, fait quelque résistance, et cède bientôt.)

caroline (la présentant au comte).

Ma cousine Marie ! Nous ne sommes pas filles de pairs de France, mais nous avons de bons sentiments et de la beauté, ce qui vaut bien quelque chose, monsieur le comte.

le comte.

Approchez, mon enfant. Levez donc vos yeux : ils sont assez beaux pour ne pas les cacher. Voulez-vous me permettre de vous embrasser ?

(Sans attendre la réponse, le comte prend la main de Marie, et dépose un baiser sur son front. En se retirant, ses yeux tombant sur les mains de la jeune fille, il aperçoit sur ses doigts de petits points noirs.)

Belle et travailleuse ! voilà deux qualités, mademoiselle, qui doivent faire votre fortune ; et si vous le permettez, je veux vous aider dans la route. Dès à présent, vous pouvez compter sur moi.

caroline.

Tu vois, Marie, ce que je t’ai dit de la bonté de M. de Sarsalle. Il vient de me promettre une commande de tableaux pour ton Adrien. Remercie-le donc, et va porter cette bonne nouvelle à ton protégé.

marie.

Je suis bien reconnaissante, monsieur le comte, de la protection que vous voulez bien m’accorder en l’étendant jusqu’à Adrien. Je remercie sincèrement Caroline de ce qu’elle fait pour moi. À l’avenir, j’aurai toute confiance en elle. Puisse le soin qu’elle prend de moi vous la faire aimer davantage ! Sa bonté est un sûr garant de l’amitié qu’elle a pour vous et à laquelle vous pouvez vous confier.

Je vais porter, de votre part, cette bonne nouvelle à Adrien, qui viendra vous remercier lui-même si vous le permettez. Adieu donc, monsieur le comte. Cousine, à bientôt (Elle se retire après avoir salué le comte et embrassé sa cousine.)